De quelques OVNI, figures curieuses du Christ, des Anges et du Saint dans la peinture de Giotto et de Sassetta
1. Ascendens et descendens. Le Christ
Ascendens et descendens, bien qu’il ait été fait homme, le Christ vole. Le peintre qui veut figurer le Christ planant dans le ciel au-dessus d’Il Poverello Saint François rencontre là un sérieux problème de représentation. On ne sache pas que, sans le secours d’un dispositif adventice, aucun homme puisse voler.
Les peintres du Trecento et encore du Quattrocento résolvent le problème en prêtant au Christ descendens de grandes ailes semblables à celles des Anges, ou encore à celles des oiseaux ; puis en ménageant au Christ ascendens le support d’un nuage mobile qui lui sert d’ascenseur, avant de se transformer en trône céleste.
On notera que le Christ descendens se trouve équipé de trois paires d’ailes. Mentionnées dans la vision d’Isaïe, ces trois paires d’ailes symbolisent l’appartenance des Séraphins, qui entourent le trône divin, au plus haut degré de la hiérarchie céleste.
« Je vis le Seigneur, siégeant sur un trône haut et élevé, et les pans de son vêtement remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Chacun avait six ailes. Avec deux de ces ailes, il tenait sa face couverte, avec deux autres de ces ailes, il tenait ses pieds couverts, et avec deux autres de ces ailes encore, il volait. » 1Isaïe. 6. 1-7.
Equipé comme les Séraphins de trois paires d’ailes, le Christ descendens vient déployer dans le ciel terrestre les trois dimensions de la puissance divine – pureté, lumière et perfection absolues. Les Séraphins constituent à ses côtés les coopérateurs d’un tel déploiement.
Dans son traité de la Hiérarchie céleste, Denys l’Aréopagite 2D’après les Actes des apôtres, Denys l’Aréopagite était un philosophe athénien qui a été converti par la prédication de saint Paul (Actes. 17. 34). Mais Denys l’Aréopagite, auteur de traités chrétiens de théologie mystique écrits en grec, est en réalité un moine syrien, d’inspiration néo-platonicienne, qui a vécu vers l’an 500. détaille de la façon qui suit, le déploiement de la puissance divine, tel qu’opéré par les Séraphins. Ce qui vaut ici pour les Séraphins, vaut a fortiori pour le Christ lui-même :
« Leur mouvement éternel et incessant autour des réalités divines, la chaleur, la pénétration, le bouillonnement de cet éternel mouvement continu, ferme et stable, le pouvoir qu’ils ont d’élever énergiquement leurs subordonnés à leur propre ressemblance en les faisant bouillonner et en les enflammant de façon qu’ils atteignent à la même chaleur qu’eux-mêmes, leur vertu purificatrice semblable à celle de la foudre et de l’holocauste, leur propriété luminescente et éclairante qui ne se voile ni ne s’éteint et reste constamment identique à elle-même car elle fait disparaître tout ce qui est producteur d’obscures ténèbres, voilà ce que révèle le nom donné aux Séraphins » 3Denys l’Aréopagite. La Hiérarchie céleste. VII. 1. »
Ci-dessus : Giotto di Bondone ou Ambrogiotto di Bondone (1266 ou 1267-1337). Saint François reçoit les stigmates. Avant 1300. Assise. Italie.
Ci-dessus : Giotto. Saint François reçoit les stigmates. Circa 1300. Florence. Italie.
Ci-dessus : Giotto. Saint François reçoit les stigmates. 1319-1328. Florence. Italie.
Ci-dessus : Sassetta ou Il Sassetta, né Stefano di Giovanni, ou encore dénommé Stefano di Giovanni di Consolo da Cortona (1392–1450 ou 1451). Saint François recevant les stigmates. 1437-1444.
Dans les scènes d’Ascension, à la différence des scènes de Stigmatisation, Giotto représente le Christ ascendens dépourvu d’ailes, car figuré là dans sa dimension post-mortelle. Monté sur une sorte de nuage qui lui sert opportunément d’ascenseur, le Fils retourne, ainsi motorisé, auprès du Père. On ne voit plus ses pieds d’homme. Il n’en a plus désormais nul besoin. Le nuage qui le transporte figure par avance le Trône sur lequel il rejoint sa place initiale.
Ci-dessus : Giotto. L’ascension du Christ. 1306. Padoue.
2. Ascendentes et descendentes. Anges
Ascendentes et descendentes 4Cf. Christine Belcikowski. Ascendentes & descendentes. Quand Jacques Bénigne Bossuet parle des anges., les anges de Giotto et de Sassetta disposent d’une paire d’ailes pour voler. Nul besoin des pieds humains, et conséquemment nul besoin de nuage-ascenseur puisque les Anges n’ont jamais été faits hommes, mais créés à la semblance des oiseaux, qui s’appliquent seulement, dixit Saint François, à « louer Dieu » 5Fioretti de Saint François d’Assise. chap. XVI..
Ci-dessus : Giotto. Voyage de Marie-Madeleine à Marseille. Eglise San Francesco à Assise. 1320.
« Saint Maximin, Marie Magdeleine, Lazare, son frère, Marthe, sa soeur, Manille, suivante de Marthe, et enfin le bienheureux Cédonius, l’aveugle-né guéri par le Seigneur, furent mis par les infidèles sur un vaisseau tous ensemble, avec plusieurs autres chrétiens encore, et abandonnés sur la mer sans aucun pilote afin qu’ils fussent engloutis en même temps. Dieu permit qu’ils abordassent à Marseille. »
Ci-dessus : Giotto. Déposition de la Croix. Chapelle des Scrovegni. Padoue. 1305.
Ci-dessus : Sassetta. Le Christ au jardin des oliviers. 1437-1444. Detroit, Institute of Arts.
Sassetta en revanche, de façon qui répond à une autre logique, figure les pieds de Dame Obéissance, de Dame Chasteté, et de Dame Pauvreté, parce que ces trois Dames ne sont pas des Anges, mais des Vertus, qui requièrent de Saint François pleine et entière observance terrestre.
Ci-dessus : Sassetta. Le mariage de saint François avec Dame Pauvreté. Panneau de la face arrière du retable de Borgo san Sepolcro. 1437-1444. Chantilly, Musée Condé.
Sassetta est le premier à avoir personnifié les trois voeux des religieux : l’Obéissance (en rouge) avec le joug, la Chasteté (en blanc) avec le rameau d’olivier, et la Pauvreté (en vert), les pieds nus, qui se retourne vers le saint, celle-ci primant à ses yeux les deux autres.
3. Ex transverso. Le vol du Saint
Motorisé par le carburant de la sainteté, le bienheureux Ranieri peint par Sassetta vole volucriter, ou à la vitesse turbo, dans les rues et les maisons de Florence. Il vole ex transverso, horizontalement, et à faible altitude, parce que, né simple mortel, il n’appartient pas à la hiérarchie céleste, mais seulement à celle que Denys l’Aréopage dit « ecclésiastique ». Là non plus, on ne voit pas ses pieds. Conformément à l’autre logique, celle de la foi, les pieds, par où les mortels se trouvent obligés à la terre, ne servent de rien dans l’accomplissement du plan divin.
Ci-dessus : Sassetta ou Il Sassetta né Stefano di Giovanni, ou encore dénommé Stefano di Giovanni di Consolo da Cortona (Sienne ou Cortone, 1392–1450 ou 1451). Le bienheureux Ranieri délivre les pauvres d’une prison de Florence. Installé en 1444 au-dessus de la tombe d’un saint homme local du nom de Ranieri Rasini (mort en 1304), l’un des panneaux du polyptyque double face commandé à Sassetta en 1437 par les moines du couvent San Francesco de Borgo Sansepolcro, près d’Arezzo.
Ci-dessus : Sassetta. Le bienheureux Ranieri apparaît au cardinal en rêve. Couvent San Francesco de Borgo Sansepolcro, près d’Arezzo. 1437.
4. Après Giono del Bondone et Sassetta…
Après Giono del Bondone et Sassetta, les peintres, et sans doute les croyants aussi, changent de logique ; ou alors, leur foi mue. Les anges peu à peu gagnent, ou regagnent des pieds, et un corps qui, bien que mystique, ressemble de plus en plus à celui de l’anatomie antique. Il y a de l’ange dans l’homme, au moins possible, si celui-ci toutefois, comme prévient Pascal, ne fait pas la bête…
Ci-dessus : Piero della Francesca. Madonna del Patro. 1467. Museo della Madonna del Parto. Monterchi.
Ci-dessus : Piero della Francesca. 1460-1475. National Gallery. Londres.
Ci-dessus : Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, dit Sandro Botticelli. Annonciation de San Martino alla Scala. 1460-1475. Florence.
Ci-dessus : Botticcelli. Annonciation du Cestello. 1489-1490. Florence.
Ci-dessus : Botticcelli. Annonciation de l’église San Barnaba de Florence. 1490-1495. Kelvingrove Art Gallery and Museum, Glasgow.
« Je vous invoque, oiseaux de l’âme, si près de nous êtres mortels, en toute connaissance. » 6Rainer Maria Rilke. Elégies à Duino. Deuxième élégie. 1912-1922.
À lire aussi : Ascendentes & descendentes. Quand Jacques Bénigne Bossuet parle des anges
References
↑1 | Isaïe. 6. 1-7. |
↑2 | D’après les Actes des apôtres, Denys l’Aréopagite était un philosophe athénien qui a été converti par la prédication de saint Paul (Actes. 17. 34). Mais Denys l’Aréopagite, auteur de traités chrétiens de théologie mystique écrits en grec, est en réalité un moine syrien, d’inspiration néo-platonicienne, qui a vécu vers l’an 500. |
↑3 | Denys l’Aréopagite. La Hiérarchie céleste. VII. 1. |
↑4 | Cf. Christine Belcikowski. Ascendentes & descendentes. Quand Jacques Bénigne Bossuet parle des anges. |
↑5 | Fioretti de Saint François d’Assise. chap. XVI. |
↑6 | Rainer Maria Rilke. Elégies à Duino. Deuxième élégie. 1912-1922. |
Ane-Marie Dambies at 4 h 32 min
Magnifique !
Jean Biret-Chaussat at 9 h 54 min
Excellentissime