Gabriel Clauzel chansonné, le soir du 22 pluviôse an V

Painted in Waterlogue

 

Ci-dessus, à Mirepoix, maison de Gabriel Clauzel.

Le 13 janvier 1772, Gabriel Clauzel, fils aîné d’un riche marchand-fabricant de Lavelanet, épouse à Mirepoix Blanche Castel, fille d’un négociant de Lavelanet. Jacques Clauzel, le riche marchand-fabricant de Lavelanet, brille par son absence au mariage de son fils. On sait par la rumeur qu’il ne décolère pas de ce mariage, et qu’il a par suite déshérité Gabriel Clauzel, son fils aîné, au profit de Jean Baptiste Clauzel, son fils cadet, par ailleurs son fils préféré.

Gabriel Clauzel s’installe avec son épouse rue Courlanel, au n° 227 du moulon 3 du Mirepoix du XVIIIe siècle, dans la maison qui appartient aujourd’hui encore à la famille Clauzel. Fils d’un marchand-fabricant de produits textiles, il entreprend de développer quant à lui une activité de marchand-fabricant drapier. L’arrivée d’un nouvel acteur sur le marché de l’industrie drapière, qui est alors très concurrentiel, suscite à Mirepoix et à Carcassonne, où sont implantées les manufactures, des réactions hostiles. A preuve, les « bruits calomnieux » qui courent sur la moralité de Gabriel Clauzel, fils déshérité, et contre lesquels celui-ci porte plainte en 1773 auprès du grand bailliage de Carcassonne :

« Procédures poursuivies au criminel : – par le sieur Clauzel, aîné, marchand fabricant de Carcassonne, résidant à Mirepoix, pour raison de bruits calomnieux et propos injurieux répandus en vue de lui faire perdre la confiance publique. » 1Archives de l’Aude, Cours et Juridictions. – Parlements, Bailliages, Sénéchaussées et autres juridictions secondaires, Cours des Comptes, Cours des Aides, Cours des Monnaies. B 586.

Gabriel Clauzel, on le voit, est un homme combatif, qui recourt aux tribunaux, chaque fois que nécessaire, pour faire valoir ses droits ou pour obtenir réparation des coups qu’on lui porte. C’est ainsi qu’en 1789, par exemple, il s’adresse à la juridiction directe du Présidial à fin de règlement d’un litige commercial :

« Jugements sur causes civiles ressortissant à la juridiction directe du Présidial, rendus à la requête : de Gabriel Clauzel, négociant de Mirepoix, demandeur en aveu et reconnaissance « d’une déclaration ou tiens en garde », et, à défaut, ladite reconnaissance étant tenue pour faite, qu’elle porte force d’hypothèque pour sûreté des 900 livres de son montant. » 2Ibidem, B 814.

Entré en 1787 au conseil municipal de Mirepoix, il y devient le fer de lance de l’opposition aux tenants de l’ordre ancien, incarnés ici par Antoine Cairol, ancien officier, premier consul, et Paul Combes, notaire, deuxième consul, homme lige d’Antoine Cairol. A partir de 1789, Gabriel Clauzel devient à Mirepoix l’homme de tous les pouvoirs. Maire de la ville en 1790-1791, puis en 1795, il dirige à partir de 1791 le Comité de surveillance municipal. Il exerce dans le même temps les fonctions de procureur syndic du district, puis de procureur général syndic du département.

Parallèlement à ses activités politiques, Gabriel Clauzel continue à mener, dans le contexte difficile des réquisitions, son entreprise drapière. Bertrand Clauzel, son fils aîné, est chef d’état-major de l’armée des Pyrénées ; Jean Joseph Louis Marie Clauzel, son fils cadet, chef d’escadron dans la même armée. Gabriel Clauzel délègue à ce dernier le soin de traiter certaines affaires relatives à la fourniture du vestiaire militaire. Il bénéficie par ailleurs de facilités d’approvionnement en rapport avec les pouvoirs de Jean Baptiste Clauzel, son frère, député de l’Ariège, représentant de la Convention à l’armée des Pyrénées orientales depuis 1793 3A propos des pouvoirs de Jean Baptiste Clauzel, repésentant de la Convention à l’armée des Pyrénées orientales, cf. p. 393 et p. 525, Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire. Tome 24 / publié par F.-A. Aulard, Impr. nationale, Paris, [puis] Presses universitaires de France, Paris, 1889-1951 :
27 prairial an III. « La Convention nationale, ouï son Comité de sûreté générale, décrète que le représentant du peuple Clauzel, envoyé en mission près l’armée des Pyrénées orientales, est investi, dans les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, des mêmes pouvoirs que les autres représentants du peuple envoyés dans les autres départements. »
1er messidor an III. « Le Comité lui transmet plusieurs pièces concernant l’organisation des autorités constituées du département de l’Aude et toutes relatives à sa mission dans ce département. »
.

Bien informé des ressources qui demeurent disponibles dans l’Aude et dans les Pyrénées orientales, Gabriel Clauzel peut assurer le fontionnement de son entreprise sans avoir à souffrir de la pénurie ambiante.

[13 février 1795] « Le citoyen Clauzel, fabricant de draps à Mirepoix, est autorisé à acheter de l’huile à Figuières, pays conquis, pour alimenter sa fabrique. » 4Recueil des actes du Comité de salut public, tome 20.

Loin de souffrir de la dite pénurie, Gabriel Clauzel développe son activité à proportion des commandes de l’armée, dont, à partir de 1793, il est devenu fournisseur. Il se réserve par ailleurs le droit de faire lever les réquisitions afin de maintenir la production nécessaire à la poursuite de ses affaires privées. C’est ainsi que le 22 prairial an III (10 juin 1795), alors même que la chute de Robespierre s’annonce 5La chute de Robespierre se produira le 9 thermidor an III (27 juillet 1795). et qu’à Mirepoix, lui, Gabriel Clauzel, et ses amis conventionnels se sont vus désarmer par ordre du gouvernement le 3 floréal an III (22 avril 1795), lui, Gabriel Clauzel, obtient du Comité de salut public une mainlevée 6Acte par lequel on annule l’effet d’une saisie, d’une mise sous séquestre. relative à 12 pièces de drap qui ont frappées de réquisition le 3 brumaire an III (24 octobre 1794).

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« Il est fait mainlevée au citoyen Clauzel, de Mirepoix, de 12 pièces de draps qui ont été frappées de réquisition le 3 brumaire dernier par le citoyen Mathieu
Caries, agent de la ci-devant Commission de commerce, dans les magasins du citoyen Clerc, de Chalabre, auquel elles avaient été remises pour recevoir l’apprêt nécessaire… » Signé : Cambacérès, prés., Treilhard, Roux, Vernier, Siéyès. 7Recueil des actes du Comité de salut public, tome 24.

On entrevoit à la lecture de cette main levée du 22 prairial an III (10 juin 1795) à quoi pouvait avoir trait la Chanson des chemises que, la nuit du 22 pluviôse an V (10 février 1797), les auteurs du sac de la maison Clauzel braillaient tout en vidant les barriques et en faisant main basse sur le coton et le fer que Gabriel Clauzel stockait dans l’ancienne maison des Régentes et dans l’ancienne chapelle des Pénitents bleus 8Cf. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chap. 1 et 2, éditions L’Harmattan, 2014..

« On chantait le Réveil du Peuple et surtout la Chanson des chemises ; Clauzel était accusé d’avoir gardé une partie du linge et des chemises destinés aux volontaires. » 9Bulletin de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts, 1912 (vol. 13, n°1)-1913 (vol. 13, n°8), p. 19.

« Jammes, boucher, disait que Gabriel Clauzel était un scélérat, un coquin qui avait volé des chemises. » 10Archives Départementales de l’Ariège : 8L63.

On ne sait s’il s’agit là d’un vol avéré ou d’un bruit calomnieux. Mais le succès de la Chanson des chemises donne à penser que, dans l’activité de marchand-fabricant drapier de Gabriel Clauzel, quelque chose prêtait le flanc à la critique et inspirait ainsi aux habitants de Mirepoix le sentiment que, confondant ici intérêt particulier et intérêt général, le très jacobin Gabriel Clauzel avait su profiter de sa position dominante pour développer ses propres affaires au détriment des nécessités de la situation présence, et, pis encore, au mépris des besoins de la communauté mirapicienne.

Après avoir été chansonné et pillé, Gabriel Clauzel porte plainte pour le sac de sa maison et réclame, en vertu de la loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) 11Loi du 10 vendémiaire an IV : « Tous citoyens habitant de la même commune sont garants civilement des attentats commis sur le territoire de la commune, soit envers les personnes, soit contre les propriétés.
Chaque commune est responsable des délits commis à force ouverte ou par violence sur son territoire, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit envers les personnes, soit contre les propriétés nationales ou privées, ainsi que des dommages-intérêts auxquels ils donneront lieu.
Dans le cas où les habitants de la commune auraient pris part aux délits commis sur son territoire, par des attroupements et rassemblements, cette commune sera tenue de payer à la république une amende égale au montant de la réparation principale.
Lorsque, par suite de rassemblements ou attroupements, un individu, domicilié ou non sur une commune, y aura été pillé, maltraité ou homicidé, tous les habitants seront tenus de lui payer, ou, en cas de mort, à sa veuve et enfants, des dommages-intérêts.
Lorsque, par suite de rassemblements ou attroupements, un citoyen aura été contraint de payer ; lorsqu’il aura été volé ou pillé sur le territoire d’une commune, tous les habitants de la commune seront tenus de la restitution, en même nature, des objets pillés et choses enlevées par force, ou d’en payer le prix sur le pied du double de leur valeur, au cours du jour où le pillage aura été commis. »
, que la communauté mirapicienne « lui restitue en même nature les objets pillés ou volés, ou qu’elle lui en paie le prix au double de leur valeur ». Le 25 pluviôse an VI (13 février 1798), le tribunal de Toulouse prononce le délibéré suivant :

« Clauzel, dans un temps de calamité et de terreur, abusant des places auxquelles il avait été promu, s’est aliéné les esprits et créé des animosités par ses excès de despotisme. […]. Il n’est pas surprenant qu’il ait attiré sur sa tête des colères et des malédictions. Qu’il poursuive les auteurs du vol, qu’il cherche à découvrir les coupables, c’est le voeu de la justice; mais il ne doit pas s’enrichir aux dépens des habitants de Mirepoix. » 12Délibéré publié à l’imprimerie de Joseph Dalles, section, n° 110, Toulouse ; reproduit dans le Bulletin de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts, 1912 (vol. 13, n°1)-1913 (vol. 13, n°8).

Mirepoix se souviendra de la Chanson des chemises en l’an VIII (1799-1800), quand la campagne d’Italie reprend sous l’autorité du général en chef Suchet. Bertrand Clauzel, devenu général, fait partie de la campagne ; Jean Joseph Louis Marie Clauzel, son frère, aussi.

« La famille Clauzel reçoit des propositions de vente de drap dans cette partie de l’Italie, qui est occupée par les Français. En fin d’année, de Turin, Jean Joseph Louis Marie Clauzel écrit donc à Bertrand Clauzel, son frère, posté alors à Azola, pour l’informer de ce commerce, en lui précisant que, malade et devant garder le lit, il n’a pu envoyer au général Suchet les deux mille gibernes promises… » 13Marie-Antoinette Duriez, Bertrand Clauzel, général de Napoléon, p. 39, Imprimerie Tussaud, 85200 Fontenay-le-Comte.

References

1 Archives de l’Aude, Cours et Juridictions. – Parlements, Bailliages, Sénéchaussées et autres juridictions secondaires, Cours des Comptes, Cours des Aides, Cours des Monnaies. B 586.
2 Ibidem, B 814.
3 A propos des pouvoirs de Jean Baptiste Clauzel, repésentant de la Convention à l’armée des Pyrénées orientales, cf. p. 393 et p. 525, Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire. Tome 24 / publié par F.-A. Aulard, Impr. nationale, Paris, [puis] Presses universitaires de France, Paris, 1889-1951 :
27 prairial an III. « La Convention nationale, ouï son Comité de sûreté générale, décrète que le représentant du peuple Clauzel, envoyé en mission près l’armée des Pyrénées orientales, est investi, dans les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, des mêmes pouvoirs que les autres représentants du peuple envoyés dans les autres départements. »
1er messidor an III. « Le Comité lui transmet plusieurs pièces concernant l’organisation des autorités constituées du département de l’Aude et toutes relatives à sa mission dans ce département. »
4 Recueil des actes du Comité de salut public, tome 20.
5 La chute de Robespierre se produira le 9 thermidor an III (27 juillet 1795).
6 Acte par lequel on annule l’effet d’une saisie, d’une mise sous séquestre.
7 Recueil des actes du Comité de salut public, tome 24.
8 Cf. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chap. 1 et 2, éditions L’Harmattan, 2014.
9 Bulletin de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts, 1912 (vol. 13, n°1)-1913 (vol. 13, n°8), p. 19.
10 Archives Départementales de l’Ariège : 8L63.
11 Loi du 10 vendémiaire an IV : « Tous citoyens habitant de la même commune sont garants civilement des attentats commis sur le territoire de la commune, soit envers les personnes, soit contre les propriétés.
Chaque commune est responsable des délits commis à force ouverte ou par violence sur son territoire, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit envers les personnes, soit contre les propriétés nationales ou privées, ainsi que des dommages-intérêts auxquels ils donneront lieu.
Dans le cas où les habitants de la commune auraient pris part aux délits commis sur son territoire, par des attroupements et rassemblements, cette commune sera tenue de payer à la république une amende égale au montant de la réparation principale.
Lorsque, par suite de rassemblements ou attroupements, un individu, domicilié ou non sur une commune, y aura été pillé, maltraité ou homicidé, tous les habitants seront tenus de lui payer, ou, en cas de mort, à sa veuve et enfants, des dommages-intérêts.
Lorsque, par suite de rassemblements ou attroupements, un citoyen aura été contraint de payer ; lorsqu’il aura été volé ou pillé sur le territoire d’une commune, tous les habitants de la commune seront tenus de la restitution, en même nature, des objets pillés et choses enlevées par force, ou d’en payer le prix sur le pied du double de leur valeur, au cours du jour où le pillage aura été commis. »
12 Délibéré publié à l’imprimerie de Joseph Dalles, section, n° 110, Toulouse ; reproduit dans le Bulletin de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts, 1912 (vol. 13, n°1)-1913 (vol. 13, n°8).
13 Marie-Antoinette Duriez, Bertrand Clauzel, général de Napoléon, p. 39, Imprimerie Tussaud, 85200 Fontenay-le-Comte.

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  • Gironce at 13 h 21 min

    Rien d’un archange, ce Gabriel…On voit bien ce que le pillage sacrilège de la chapelle des Pénitents Bleus lui a rapporté !