Charles Peytavie – Et si Ivanhoé avait été occitan ?

 

Toujours à l’occasion de la quatorzième journée d’hiver de l’histoire locale organisée le 29 janvier 2011 par l’association Salon du Livre d’Histoire Locale à Mirepoix, Charles Peytavie vient l’après-midi donner conférence avec un titre-mystère : Et si Ivanhoé avait été occitan ? Le sous-titre toutefois fournit un indice : Frédéric Soulié s’y trouve qualifié de « Walter Scott des Guerres albigeoises ». Gasp ! Their Walter Scott, nostre Soulié, non ? Quoique…

« Frédéric Soulié, romancier de la croisade albigeoise, c’est le Walter Scott du Midi ». Ainsi débute la conférence de Charles Peytavie. Invoquant ici les droits de l’ego histoire, Charles Peytavie salue en la personne de Walter Scott et de Frédéric Soulié, qu’il rapproche dans son souvenir, deux des grands romanciers romantiques qui lui ont inspiré dès l’enfance sa passion de l’histoire. Il constate qu’ainsi rapprochés, Walter Scott et Frédéric Soulié figurent à la façon de Janus le septentrion et le midi, le pays d’oil et le pays d’oc, en quelque sorte les deux pôles du champ énergétique dans lequel se déploie l’imaginaire de l’histoire. Telle que figurée par Walter Scott et par Frédéric Soulié, c’est cette bipolarité première qui confère au roman historique à la fois sa part de vérité et son magnétisme.

Je mêle ici au propos de Charles Peytavie quelques unes des petites pensées qui me sont venues tandis que je l’écoutais, frappée par son caractère stimulant. D’un coup, d’un seul, en invoquant le nom de Walter Scott tête-bêche avec celui de Frédéric Soulié, Charles Peytavie replaçait sous le signe de la gigantomachie éternelle des contraires le souvenir de ses grands-parents originaires de l’antique métairie de Terride, puis l’évocation de la passion qu’il nourrit pour l’ensemble des textes de la geste languedocienne, depuis la Canso de la Crosada au XIIIe siècle jusqu’aux romans de Frédéric Soulié, et autres maîtres du genre.

Bien avant la lecture de la Canso de la Crosada, se souvient ici Charles Peytavie, c’est celle de Napoléon Peyrat qui lui découvre l’histoire des Albigeois et par là lui désigne le champ de guerre et de mémoire qui fera désormais l’objet de sa passion. Cette passion embrasse de façon méthodique la vaste littérature qui va des textes fondateurs aux livrets d’opéra qui déploient dans les années 1900 les dernières figures de la geste initiale.

Lorsque, durant l’été 1833, Frédéric Soulié romancier entreprend d’écrire sur le Languedoc, il se saisit d’une matière demeurée jusqu’ici inédite. A ce titre, observe Charles Peytavie, c’est lui, tout le premier, qui rend populaires les histoires de la Croisade. Il a toutefois dans le genre deux prédécesseurs moins courus :

Étienne-Léon de Lamothe-Langon publie le premier volume de L’ermite de la tombe mystérieuse, ou les Fantômes du vieux château en 1815. Il fait passer son récit pour une traduction d’Ann Radcliffe ; Charles Mathurin, romancier anglais, auteur du célèbre Melmoth, publie The Albigenses en 1824. Le récit ne semble pas avoir fait l’objet d’une traduction française.

Parallèlement à la publication du Vicomte de Béziers (1834), du Comte de Toulouse (1835), du Comte de Foix (inachevé), des Romans historiques du Languedoc (1836), et de Sathaniel (1837), Frédéric Soulié donne en feuilleton la suite nombreuse de ses « drames inconnus », ou romans familiaux, ainsi que ses très sulfureux Mémoires du Diable. L’écriture du roman historique a sans doute bénéficié chez lui de l’expérience du feuilletoniste, qui sait composer un récit à épisodes et ménager chaque fois le cliffhanger comme on dit aujourd’hui à la TV, littéralement « l’homme suspendu à la falaise », de façon à aiguiser la curiosité de la suite.

Après son séjour de 1831 en Ariège, Frédéric Soulié, qui est conscient d’être resté méridional de coeur, use des moyens de la littérature de divertissement pour écrire la « geste du Midi martyr ». Empruntant faits et dates à l’Histoire générale du Languedoc, publiée au XVIIIe siècle par dom Claude Devic et dom Joseph Vaissète, il retrace dans le cadre de cette histoire, les grandes heures du conflit qui se livre entre le Nord et le Sud, entendus ici comme figures des contraires, la liberté contre le despotisme, la lumière contre les ténèbres.

Le premier des héros qu’il met en scène est Raimond Roger Trencavel, vicomte de Béziers, qui fournit le titre du roman éponyme. Raimond Roger Trencavel, point cathare, mais adepte de la tolérance envers toutes les religions, incarne dans son château de Carcassonne la fine fleur de la civilisation du Midi. Jeté en prison sur ordre de Simon de Montfort après la prise de Carcassonne du 15 août 1209, il y meurt à l’âge de 24 ans, le 19 novembre de la même année. D’aucuns voient dans cette mort la main de Simon de Montfort. Martyr d’une juste cause, Raimond Roger Trencavel aurait été lâchement empoisonné.

Le poison est à vrai dire dans le Midi lui-même, remarque ici Charles Peytavie. Raymond Roger Trencavel meurt d’abord de n’avoir point été secouru par Pierre II d’Aragon ni par Raimond VI de Toulouse, qui a préféré en 1209 se soumettre aux injonctions du pape. Il meurt aussi, plus étrangement, de n’avoir point répondu aux avances de la belle Etiennette, dite la Louve de Pennautier, qui se plaisait à faire chasser par ses chiens le poète Pèire Vidal déguisé en loup, et qui, irritée par la résistance du beau vicomte de Béziers, facilita sa capture par Simon de Montfort.

Le roman qui fait suite au Vicomte de Béziers s’intitule Le Comte de Toulouse. Son héros toutefois n’est pas, comme attendu, Raimond VI, qui fut effectivement comte de Toulouse de 1195 à 1222, mais Albert de Saissac, personnage inventé par Frédéric Soulié, qui, découvrant à son retour de Terre Sainte que sa soeur a été tuée, son fief ruiné par les armées de Simon de Monfort, décide de se venger de ce dernier. Le personnage de Simon de Montfort polarise au demeurant le projet narratif de Frédéric Soulié, de façon qui d’un livre à l’autre va croissant.

Tandis que Raimond VI balance entre résistance à l’envahisseur et recherche de tortueux compromis, tandis que Baudoin de Toulouse, son frère, opte pour Monfort, ce qui lui vaut finalement d’être enlevé de son château de Lolmie et pendu sur l’ordre de Raimond, Albert de Saissac fraie irrésistiblement son chemin de vengeance. Mu par une force qui va sans souffrir aucune prudence ni considération des liens qu’elle brise, il risque moralement de s’y perdre, d’autant qu’au cours de son entreprise, qui l’amène à passer d’un camp à l’autre, il découvre que fausseté et démesure sont du côté Montfort comme du côté raimondin la chose du monde la mieux partagée. Fertile en travestissements, rencontres bizarres, scènes étranges qui hésitent au bord du fantastique, le récit réserve une fin saisissante. Charles Peytavie ne dévoile rien de cette dernière. Je n’en ferai rien non plus.

Frédéric Soulié, succès oblige, projetait de consacrer un troisième roman à l’histoire de la Croisade. Eugène Sue entre temps rafle l’attention des lecteurs avec Les Mystères de Paris. Frédéric Soulié craint alors peut-être que le succès de la veine cathare ne se démente. Publié en feuilleton à partir de 1841, Le Comte de Foix est resté en tout cas inachevé. Le roman toutefois se lit très bien en l’état. L’action se situe au château de Terrides, près de Mirepoix, et à Toulouse, provisoirement libérée de la présence de Simon de Montfort. Elle a pour héros le seigneur Othon de Terrides, dans les quelques heures qui précèdent, de façon augurée, à Terrides la prise du château par les troupes de Guy de Lévis, et à Toulouse le retour des armées de Simon de Montfort, l’incendie, le sac de la ville, et le massacre de la population. Charles Peytavie observe qu’en un lieu, en un jour, comme au théâtre, un seul fait, une tragédie, s’accomplit ici. Et comme au théâtre, horror et voluptas se confondent devant le spectacle de la force surpuissante qui précipite les uns et les autres vers leur destin. Le dénouement fait défaut. Frédéric Soulié est mort avant d’avoir pu achever son ouvrage. Mais cette absence de dénouement a au fond quelque chose de mystérieusement nécessaire. L’Histoire, jusqu’à preuve du contraire, n’a elle-même pas de fin.

Dans la perspective d’une suite dont l’horizon demeure impossible à prévoir, Charles Peytavie relève que la matière cathare a inspiré encore Les Hérétiques, opéra de Charles Levadé, créé en 1905 à Béziers, et Trencavel et la Louve de Pennautier, un beau livre de Jean Girou, publié aux éditions de La Colombe en 1955.

2 réponses sur “Charles Peytavie – Et si Ivanhoé avait été occitan ?”

  1. Je t’envoie en photo deux cartes postales anciennes des classeurs de mon père, représentant une scène des Hérétiques, et un Souvenir des Fêtes de Béziers de 1905, avec toute la distribution des Hérétiques.
    Tu reconnaîtras sur cette dernière : M. Jambon, responsable des décors grandioses de cet opéra, (André) Ferdinand Herold, auteur du poème, mis en musique par Charles Levadé, F. Castelbon de Beauxhostes, exceptionnel mécène qui permit de présenter aux arènes de Béziers de nombreux opéras de qualité, Jean Nussy-Verdié, chef d’orchestre, et les principaux interprètes, dont Dufranne, baryton basse de renommée internationale et Billot, basse chantante de l’Opéra comique, également très réputé.
    L’histoire de ces opéras donnés l’été dans les années précédant la Première Guerre Mondiale est absolument fascinante, la personnalité de F. Castelbon de Beauxhostes aussi. Je dois de m’y être intéressée au journal de jeune fille de ma grand-mère Rose : ses parents lui avaient promis de l’emmener assister à la représentation de  » Les Esclaves  » d’Aymé Kunc. Ma curiosité n’a pas résisté …

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