A Mirepoix – Sur les pas de Frédéric Soulié

 

 

Dans le département de l’Ariège, en suivant une route bordée de chaque côté de collines qui laissent voir à droite les hautes Pyrénées, on aperçoit, au bout de l’horizon, un clocher, gracieux et effilé, dentelé, depuis le bas jusqu’à son sommet, de gueules, de loup artistement travaillées. Ce clocher, c’est celui de Mirepoix. ((Frédéric Soulié, Le sire de Terrides, in Le Port de Créteil, 1835.))

Lorsque vous approcherez de ma cité par la route que je viens de vous dire, vous passerez sous une porte gothique où demeure encore parfaitement intacte la large coulisse par où descendait la herse qui fermait la rue de l’Hôpital… ((Ibidem.))
 

 
Ci-contre : vue de la Porte d’Aval par Clément Serveau, illustrateur du Gascogne de Raymond Escholier.
 
Ci-dessous, au centre : aspect actuel de l’ancien hôpital.
 
Créé au XVIIe siècle par Louise de Roquelaure, veuve d’Alexandre de Lévis-Mirepoix ; rénové au XVIIIe siècle par François Tristan de Cambon, dernier évêque de Mirepoix, cet hôpital est aujourd’hui transformé en maison de retraite.

 

Ci-dessus, à droite : vue de la Porte d’Aval, depuis l’entrée de l’ancienne rue de l’Hôpital, aujourd’hui renommée rue Monseigneur de Cambon.

 

Ci-dessus : la maison d’enfance de Frédéric Soulié.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : maison de la famille Clauzel ; portrait du Maréchal Clauzel, conservé à la mairie de Mirepoix.

Voisine de la rue Monseigneur de Cambon, la rue Maréchal Clauzel abrite la maison d’enfance de Frédéric Soulié et celle de la famille Clauzel qui habitait la maison voisine et qui dispensa au petit Frédéric, puis à l’homme et à l’écrivain une amitié jamais démentie. Lointainement apparenté à Frédéric Soulié, le Maréchal Clauzel s’est voulu « oncle » de l’illustre écrivain.

 

 

 

 

Si vous continuez tout droit, vous arrivez sous le Couvert, vieille place faite de maisons de bois, avec de larges porches pour abriter la promenade de nos compatriotes. ((Ibidem.))

 

Le marché se tient, à Mirepoix, sur cette place : c’est un espace entouré de maisons dont le premier étage est élevé sur des arcades en bois, comme peut être le Palais-Royal à Paris, si ce n’est que l’espace libre qui se trouve sous ces arcades est beaucoup plus large.

Sur l’un des côtés de cette place s’élève un petit amphithéâtre, et sur cet amphithéâtre, de vastes setiers en pierre, où se mesurent le blé et les grains qui se vendent dans le marché. ((Frédéric Soulié, Deux séjours – Province, Paris, p. 279 (272), 1835))

Situé devant la cathédrale, cet amphithéâtre a probablement disparu au moment de la construction de l’actuelle halle.

 

 

Un peu collet monté peut-être, un peu douairière sans doute, mais balayée assez souvent, et dotée de fontaines et de réverbères : ma chère ville… ((Frédéric Soulié, Le sire de Terrides, in Le Port de Créteil, 1835.))

Vous arrivez à la rue du Pont, qui tourne à gauche. ((Ibidem.))

 

Frédéric Soulié enfant venait jouer rue du Bord de l’eau (aujourd’hui rue du Béal), chez sa tante Pauline et son oncle Pierre Soulié, prêtre assermenté, alors curé de la cathédrale de Mirepoix.

 

Si vous faites comme la rue, en quelques pas vous voici sur un des ponts les plus élégants de France, un pont plat, aussi plat que le pont d’Iéna, et plat bien longtemps avant le gros pont de Neuilly… ((Ibidem.))

 

 

Une fois sur le pont admirable dont je vous ai parlé, levez les yeux, et tout en face de vous vous verrez, incrustée aux flancs de la colline, une immense et formidable ruine. Le Llers, torrent qui borde la ville , coule au pied de cette colline, et devait servir autrefois de défense au château auquel appartenaient ces murs prodigieux et ces constructions indélébiles. C’est le château de Terrides… ((Ibidem.))

A quelques centaines de pas du bourg de Mirepoix , de l’autre côté du Llers, torrent qui traverse dans presque toute sa longueur la riche vallée qui s’étend de ce bourg jusqu’à la ville de Pamiers, s’élève une colline qui domine non seulement le cours de cette petite rivière, mais encore le Chemin qui la borde et qui va vers Castelnaudary. Aux deux tiers à peu près de cette colline commençait un château, dont les ruines existent encore. Adossé au flanc de la montagne, il montait avec elle, atteignait son sommet, et le dépassait par quatre grandes tours que l’on apercevait à plusieurs lieues de distance… ((Frédéric Soulié, Le comte de Foix, 1843))

Ci-dessus, de gauche à droite : tour actuellement conservée ; restes de l’une des trois autres grandes tours.

 

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Frédéric Soulié, Ariégeois mal-aimé, Ariégeois quand même
Arthur Young à Mirepoix et le pont de Jean Rodolphe Perronet

Charles Peytavie – Et si Ivanhoé avait été occitan ?

 

Toujours à l’occasion de la quatorzième journée d’hiver de l’histoire locale organisée le 29 janvier 2011 par l’association Salon du Livre d’Histoire Locale à Mirepoix, Charles Peytavie vient l’après-midi donner conférence avec un titre-mystère : Et si Ivanhoé avait été occitan ? Le sous-titre toutefois fournit un indice : Frédéric Soulié s’y trouve qualifié de « Walter Scott des Guerres albigeoises ». Gasp ! Their Walter Scott, nostre Soulié, non ? Quoique…

« Frédéric Soulié, romancier de la croisade albigeoise, c’est le Walter Scott du Midi ». Ainsi débute la conférence de Charles Peytavie. Invoquant ici les droits de l’ego histoire, Charles Peytavie salue en la personne de Walter Scott et de Frédéric Soulié, qu’il rapproche dans son souvenir, deux des grands romanciers romantiques qui lui ont inspiré dès l’enfance sa passion de l’histoire. Il constate qu’ainsi rapprochés, Walter Scott et Frédéric Soulié figurent à la façon de Janus le septentrion et le midi, le pays d’oil et le pays d’oc, en quelque sorte les deux pôles du champ énergétique dans lequel se déploie l’imaginaire de l’histoire. Telle que figurée par Walter Scott et par Frédéric Soulié, c’est cette bipolarité première qui confère au roman historique à la fois sa part de vérité et son magnétisme.

Je mêle ici au propos de Charles Peytavie quelques unes des petites pensées qui me sont venues tandis que je l’écoutais, frappée par son caractère stimulant. D’un coup, d’un seul, en invoquant le nom de Walter Scott tête-bêche avec celui de Frédéric Soulié, Charles Peytavie replaçait sous le signe de la gigantomachie éternelle des contraires le souvenir de ses grands-parents originaires de l’antique métairie de Terride, puis l’évocation de la passion qu’il nourrit pour l’ensemble des textes de la geste languedocienne, depuis la Canso de la Crosada au XIIIe siècle jusqu’aux romans de Frédéric Soulié, et autres maîtres du genre.

Bien avant la lecture de la Canso de la Crosada, se souvient ici Charles Peytavie, c’est celle de Napoléon Peyrat qui lui découvre l’histoire des Albigeois et par là lui désigne le champ de guerre et de mémoire qui fera désormais l’objet de sa passion. Cette passion embrasse de façon méthodique la vaste littérature qui va des textes fondateurs aux livrets d’opéra qui déploient dans les années 1900 les dernières figures de la geste initiale.

Lorsque, durant l’été 1833, Frédéric Soulié romancier entreprend d’écrire sur le Languedoc, il se saisit d’une matière demeurée jusqu’ici inédite. A ce titre, observe Charles Peytavie, c’est lui, tout le premier, qui rend populaires les histoires de la Croisade. Il a toutefois dans le genre deux prédécesseurs moins courus :

Étienne-Léon de Lamothe-Langon publie le premier volume de L’ermite de la tombe mystérieuse, ou les Fantômes du vieux château en 1815. Il fait passer son récit pour une traduction d’Ann Radcliffe ; Charles Mathurin, romancier anglais, auteur du célèbre Melmoth, publie The Albigenses en 1824. Le récit ne semble pas avoir fait l’objet d’une traduction française.

Parallèlement à la publication du Vicomte de Béziers (1834), du Comte de Toulouse (1835), du Comte de Foix (inachevé), des Romans historiques du Languedoc (1836), et de Sathaniel (1837), Frédéric Soulié donne en feuilleton la suite nombreuse de ses « drames inconnus », ou romans familiaux, ainsi que ses très sulfureux Mémoires du Diable. L’écriture du roman historique a sans doute bénéficié chez lui de l’expérience du feuilletoniste, qui sait composer un récit à épisodes et ménager chaque fois le cliffhanger comme on dit aujourd’hui à la TV, littéralement « l’homme suspendu à la falaise », de façon à aiguiser la curiosité de la suite.

Après son séjour de 1831 en Ariège, Frédéric Soulié, qui est conscient d’être resté méridional de coeur, use des moyens de la littérature de divertissement pour écrire la « geste du Midi martyr ». Empruntant faits et dates à l’Histoire générale du Languedoc, publiée au XVIIIe siècle par dom Claude Devic et dom Joseph Vaissète, il retrace dans le cadre de cette histoire, les grandes heures du conflit qui se livre entre le Nord et le Sud, entendus ici comme figures des contraires, la liberté contre le despotisme, la lumière contre les ténèbres.

Le premier des héros qu’il met en scène est Raimond Roger Trencavel, vicomte de Béziers, qui fournit le titre du roman éponyme. Raimond Roger Trencavel, point cathare, mais adepte de la tolérance envers toutes les religions, incarne dans son château de Carcassonne la fine fleur de la civilisation du Midi. Jeté en prison sur ordre de Simon de Montfort après la prise de Carcassonne du 15 août 1209, il y meurt à l’âge de 24 ans, le 19 novembre de la même année. D’aucuns voient dans cette mort la main de Simon de Montfort. Martyr d’une juste cause, Raimond Roger Trencavel aurait été lâchement empoisonné.

Le poison est à vrai dire dans le Midi lui-même, remarque ici Charles Peytavie. Raymond Roger Trencavel meurt d’abord de n’avoir point été secouru par Pierre II d’Aragon ni par Raimond VI de Toulouse, qui a préféré en 1209 se soumettre aux injonctions du pape. Il meurt aussi, plus étrangement, de n’avoir point répondu aux avances de la belle Etiennette, dite la Louve de Pennautier, qui se plaisait à faire chasser par ses chiens le poète Pèire Vidal déguisé en loup, et qui, irritée par la résistance du beau vicomte de Béziers, facilita sa capture par Simon de Montfort.

Le roman qui fait suite au Vicomte de Béziers s’intitule Le Comte de Toulouse. Son héros toutefois n’est pas, comme attendu, Raimond VI, qui fut effectivement comte de Toulouse de 1195 à 1222, mais Albert de Saissac, personnage inventé par Frédéric Soulié, qui, découvrant à son retour de Terre Sainte que sa soeur a été tuée, son fief ruiné par les armées de Simon de Monfort, décide de se venger de ce dernier. Le personnage de Simon de Montfort polarise au demeurant le projet narratif de Frédéric Soulié, de façon qui d’un livre à l’autre va croissant.

Tandis que Raimond VI balance entre résistance à l’envahisseur et recherche de tortueux compromis, tandis que Baudoin de Toulouse, son frère, opte pour Monfort, ce qui lui vaut finalement d’être enlevé de son château de Lolmie et pendu sur l’ordre de Raimond, Albert de Saissac fraie irrésistiblement son chemin de vengeance. Mu par une force qui va sans souffrir aucune prudence ni considération des liens qu’elle brise, il risque moralement de s’y perdre, d’autant qu’au cours de son entreprise, qui l’amène à passer d’un camp à l’autre, il découvre que fausseté et démesure sont du côté Montfort comme du côté raimondin la chose du monde la mieux partagée. Fertile en travestissements, rencontres bizarres, scènes étranges qui hésitent au bord du fantastique, le récit réserve une fin saisissante. Charles Peytavie ne dévoile rien de cette dernière. Je n’en ferai rien non plus.

Frédéric Soulié, succès oblige, projetait de consacrer un troisième roman à l’histoire de la Croisade. Eugène Sue entre temps rafle l’attention des lecteurs avec Les Mystères de Paris. Frédéric Soulié craint alors peut-être que le succès de la veine cathare ne se démente. Publié en feuilleton à partir de 1841, Le Comte de Foix est resté en tout cas inachevé. Le roman toutefois se lit très bien en l’état. L’action se situe au château de Terrides, près de Mirepoix, et à Toulouse, provisoirement libérée de la présence de Simon de Montfort. Elle a pour héros le seigneur Othon de Terrides, dans les quelques heures qui précèdent, de façon augurée, à Terrides la prise du château par les troupes de Guy de Lévis, et à Toulouse le retour des armées de Simon de Montfort, l’incendie, le sac de la ville, et le massacre de la population. Charles Peytavie observe qu’en un lieu, en un jour, comme au théâtre, un seul fait, une tragédie, s’accomplit ici. Et comme au théâtre, horror et voluptas se confondent devant le spectacle de la force surpuissante qui précipite les uns et les autres vers leur destin. Le dénouement fait défaut. Frédéric Soulié est mort avant d’avoir pu achever son ouvrage. Mais cette absence de dénouement a au fond quelque chose de mystérieusement nécessaire. L’Histoire, jusqu’à preuve du contraire, n’a elle-même pas de fin.

Dans la perspective d’une suite dont l’horizon demeure impossible à prévoir, Charles Peytavie relève que la matière cathare a inspiré encore Les Hérétiques, opéra de Charles Levadé, créé en 1905 à Béziers, et Trencavel et la Louve de Pennautier, un beau livre de Jean Girou, publié aux éditions de La Colombe en 1955.

A Mirepoix, quatre certificats de civisme en l’an II

 

Ci-dessus : Jacques Louis David, Le Serment du Jeu de Paume, détail.

Aujourd’hui douzième prairial 2e année [31 mai 1794] de la république une et indivisible à six heures du soir en séance publique & ordinaire

nous soussignés maire officiers municipaux & membres du conseil général de la commune de Mirepoix, réunis en conseil général de la commune dans la grande salle de la maison commune de Mirepoix à l’effet de délibérer si c’est le cas d’accorder un certificat de civisme aux citoyens Jean François Vincent Baillé capitaine au 4e Bataillon de l’Ariège, Norbert Baillé adjudant général à l’armée d’Italie ((En 1793, l’armée d’Italie cantonne son théâtre d’opération au littoral et à l’arrière-pays des Alpes-Maritimes. Le 19 décembre 1793, elle remporte le siège de Toulon. Le 21 septembre 1794, elle sort victorieuse du premier combat de Dego. Son chef d’artillerie est un certain Bonaparte…)), Melchior Soulié adjoint à l’état major de la même armée, Maurice Vincent Baillé Secrétaire général du district de Mirepoix tous de la présente commune, après nous être assuré que les noms des dits Jean François Vincent Baillé, Norbert Baillé, Melchior Soulié, Maurice Vincent Baillé ont demeuré affichés sur la porte de la maison commune de Mirepoix pendant trois jours consécutifs sans qu’il nous soit parvenu aucune réclamation & [barré] après avoir mis la matière en discussion & entendu l’agent national

Ci-dessus : Le siège de Toulon fin août-19 décembre 1793, in Les guerres de la Révolution (1884) de Camille Pelletan, p. 84. A la fin du mois d’août 1793, la ville s’est livrée à la flotte anglaise. Bonaparte, d’août à décembre, mène le siège.

Le conseil Général a unanimement délibéré d’accorder un certificat de civisme au citoyen Jean François Vincent Baillé âge de … de la taille de … ((1 pied = 32,48 cm ; 1 pouce = 27,07 mm)) cheveux & sourcils …

Bouche moyenne, menton mo… les yeux … nez …
front grand, visage ovale ;
2°. au citoyen Norbert Baillé âgé de trente ans, de la taille de cinq pieds quatre pouces [1m73 environ], cheveux et sourcils châtains, bouche grande, nez moyen, menton rond, front moyen, visage ovale ; 3°. au citoyen Melchior Soulié, âgé de 30 ans, de la taille de cinq pieds trois pouces [1m69 environ], cheveux et sourcils noirs, les yeux noirs, bouche grande, nez relevé, menton aplati, front grand, visage ovale ; 4°. enfin au citoyen Maurice Vincent Baillé, âgé de vingt-six ans, taille de cinq pieds deux pouces [1m68 environ], boiteux, cheveux et sourcils châtains, bouche grande, les yeux châtains, nez moyen, front moyen, menton carré, visage ovale, en conséquence nous certifions à qui il appartiendra que les dénommés de l’autre part ont donné depuis le commencement de la révolution et tout le temps qu’ils ont resté dans notre commune des marques de civisme le plus pur & le plus grand attachement à la révolution, en témoignage de quoi nous avons délivré le présent certificat de civisme…

[Signatures] : Boudouresques, Vidalat, Donnezan, Clauzel, Cairol, Bertrand, Gorguos…

Les quatre certificats de civisme délivrés par la commune de Mirepoix le 12 prairial an II [31 mai 1794] intéressent, comme on l’aura reconnu, quatre ascendants de l’écrivain Frédéric Soulié. (François) Melchior Soulié épouse le 8 pluviôse an VI [27 janvier 1798] Jeanne Marie Baillé, soeur de Jean François Vincent, de Norbert et de Vincent Maurice Baillé. Melchior Frédéric Soulié naît de (François) Melchior Soulié et de Jeanne Marie Baillé, le 23 décembre 1800 à Foix.