A Saint-Jean de Verges & à Manses – De l’art du vitrail

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Matin de givre. La nature est de la partie. Nous nous rendons à Saint-Jean de Verges, chez Pierre Rivière, maître verrier.

Dans la zone artisanale de Saint-Jean de Verges, voici l’atelier de Pierre Rivière.

Equipés de grandes baies vitrées, deux des murs de l’atelier reçoivent la lumière plein jour. Quelques vitraux sont exposés là. On voit ainsi resplendir les couleurs qui peuplent leur substance diaphane.

Les autres murs de l’atelier sont couverts ici de croquis, éléments d’une sorte de bibliothèque des formes ornementales, ailleurs équipés d’étagères chargées de boîtes numérotées dans lesquelles sont rangés les pigments et autres substances nécessaires à la peinture, à l’assemblage et au nettoyage des vitraux. L’atelier respire l’ordre, le soin, la patience, l’amour de la belle ouvrage. Pierre Rivière y travaille en collaboration avec deux compagnons.

Le verrier, dit Pierre Rivière, est plus exactement un « peintre verrier ». Tous les détails des vitraux, traits des visages, motifs des vêtements, animation des paysages, sont réalisés en « grisaille », type de peinture qui nécessite ensuite, comme celle de la porcelaine, une cuisson au four. On voit ci-dessus les outils du peintre. L’art de la grisaille, ajoute Pierre Rivière, c’est, après avoir déposé la couleur, de l’alléger le plus possible afin de laisser la lumière librement la traverser et jouer avec elle.

La reconstitution d’un vitrail endommagé commence par la réalisation d’un patron en papier sur lequel on dimensionne côte à côte les différentes pièces, sans tenir compte de l’épaisseur de l’âme du plomb. Après avoir numéroté chacune de ces pièces, on les découpe une à une à l’aide d’une paire de ciseaux spéciaux qui calibrent cette découpe à la mesure de l’épaisseur propre à l’âme du plomb. Les pièces ainsi découpées servent ensuite de gabarits pour la taille des verres. Celle-ci s’effectue à l’aide d’une roulette pourvue d’un diamant.

Le verre arrive chez le maître verrier sous forme de « bouteilles », soufflées à l’ancienne. Il doit sa couleur à différents oxydes métalliques, tels l’oxyde de cobalt pour le bleu, le cuivre et le fer pour le vert, le sesquioxyde de fer ou le bioxyde de manganèse pour le jaune, l’oxyde de manganèse poussé à son maximum d’oxydation, avec quelques apports de fer et de cuivre, pour les pourpres, les bruns et le violet. L’adjonction de tels oxydes demeure minimale, faute de quoi elle donne un verre noir.

Après leur arrivée à l’atelier, les « bouteilles » sont chauffées au four jusqu’à ce qu’elles se déroulent, s’aplanissent et revêtent la forme de feuilles. Une fois refroidies, ces feuilles peuvent être découpées. C’est le cas de la feuille rouge que l’on voit ici.

Pierre Rivière montre ici comment il assemble et peint les pièces d’un vitrail sur une grande table en bois. Pour réaliser certains détails ornementaux, il se sert de pochoirs, découpés dans les feuilles polyester des clichés radio. C’est, dit-il, « le meilleur support ».

Le verrier modèle ensuite le réseau de plomb, maintenu par des clous fichés dans la table, autour des pièces de verre.

Le maître verrier modèle ce réseau à l’aide de barres de plomb dites « en H », dont l’épaisseur varie en fonction de celle du verre.

Le verre se glisse dans les « chambres » entre les deux « ailes », vient buter contre le « coeur », ou « âme », et trouve de la sorte les conditions de son maintien.

Lorsque le réseau dans lequel entrent les pièces de verre est entièrement modelé, le maître verrier soude les connexions à l’aide d’un fer à souder. Il procède ensuite à l’adjonction d’un mastic afin d’assurer l’étanchéité du réseau.

Après que le vitrail a été installé dans son lieu de destination, le plomb se patine rapidement. Perdant son brillant initial, il revêt cette apparence de linéarité noire que nous lui connaissons le plus souvent, au front chenu des cathédrales.

D’ailleurs le plomb s’use bien plus tôt que le verre, remarque Pierre Rivière, et il doit être restauré ou refait environ une fois par siècle.

 

Le verre au fil des siècles s’use lui aussi, constate Pierre Rivière. Il devient poreux et se feuillette, plus spécialement aujourd’hui sous l’effet des pluies acides ou de la prolifération micro-organique engendrée par le chauffage des églises. Il souffre en outre des tensions causées par l’oxydation et le gonflement progressifs de la serrurerie qui assure son support.

Les vitraux doivent en conséquence, de siècle en siècle, être nettoyés, restaurés ou refaits, conclut Pierre Rivière. Lorsqu’on dit d’un vitrail qu’il « date du XIIIe siècle », on parle d’un vitrail qui a été restauré maintes fois, dans lequel il ne reste plus qu’une seule petite pièce de verre du XIIIe siècle, voire même qui a été totalement refait. L’art du maître verrier spécialisé dans la conservation du patrimoine consiste donc à refaire le vitrail à l’identique, à partir de ce qui subsiste, ou à partir des documents qui ont pu être conservés.

Il y a ainsi une déontologie du maître verrier qui exige de lui qu’il soit à la fois artiste et archiviste et historien d’art. La même déontologie veut encore qu’après une restauration ou une réfection, il laisse à destination de ses successeurs un dossier relatif au travail effectué, afin que celui-ci puisse être repris plus tard sans solution de continuité.

« Des secrets du vitrail au mystère des vernis de violons, des canons de la fugue à la fonte de la cire perdue », Paul Valéry dit l’admiration qu’il voue à « l’infini indénombrable des techniques » ((Paul Valéry, Variété IV, 1938)). La visite à l’atelier du maître verrier suscite ce type d’admiration. Inchangée depuis le Moyen Age, la technique de fabrication et de restauration des vitraux participe des secrets et mystères dans lesquels s’enveloppe la beauté de l’intelligence humaine.

C’est à l’atelier de Pierre Rivière que la commune de Manses a confié en 2008 la restauration du grand vitrail horizontal offert à son église en 1894 par le marquis de Pardailhan de Portes ((Cf. La dormeuse blogue : A l’église de Manses, réinstallation du grand vitrail)). Après avoir visité l’atelier de Pierre Rivière, nous nous rendons l’après-midi à l’église de Manses afin de revoir le grand vitrail, entrer dans sa lumière bleue et dans celle des vitraux latéraux, qui ruissellent de couleurs sous l’effet du jour oblique.

Réalisé en 1894 au Carmel du Mans, le grand vitrail est l’oeuvre du maître verrier Ferdinand Hucher. On ne sait rien de l’auteur ni de la provenance des autres vitraux installés dans l’église. L’ensemble des vitraux illustre toutefois un thème commun, l’histoire de Saint Jean Baptiste, qui est le saint patron de l’église, et la devise de la famille de Pardailhan de Portes, Per pla aire, figure sur chacun des vitraux.

Invitée à Manses par Simone Verdier, maire de la commune, et par Gabrielle Cambus, présidente de l’Arema (Association pour la Rénovation de l’Eglise de Manses), Karine Bergeot, spécialiste du vitrail en pays sarthois, évoque l’histoire de l’atelier créé au Carmel du Mans, initialement connu pour sa pratique du « carmin » (procédé de transposition du « carton » (dessin) sur le verre, et l’oeuvre du peintre verrier Eugène Hucher, d’abord collaborateur, puis propriétaire de cet atelier, dont il achète le nom, « Carmel du Mans », en 1876, sans reprendre toutefois la technique du « carmin ».

Collectionneur passionné, directeur du Musée Archéologique du Mans de 1863 à 1889, Eugène Hucher est à ce titre l’auteur de diverses publications savantes consacrées aux vitraux et aux médailles, dont, entre autres, l’opus intitulé Calques des vitraux peints de la cathédrale du Mans : école primitive de peinture sur verre au Mans.

 

En 1889, suite à la mort d’Eugène Hucher, Ferdinand, son fils, lui succède à la direction de l’atelier. Excellent dessinateur comme son père, il fait montre d’une particulière expressivité dans la décollation de Saint Jean Baptiste figurée sur le vitrail de l’église de Manses.

L’entreprise Carmel du Mans disparaît en 1903, après la mort de Ferdinand Hucher.

Le monopole dont elle a joui de 1853 à 1903 dans sa région d’origine fait que celle-ci concentre le grand nombre de très beaux vitraux dont Karine Bergeot a réalisé l’inventaire et dont elle évoque aujourd’hui la très grande qualité. Le marquis de Portes séjournait une partie de l’année à Paris. C’est sans doute dans le contexte de sa vie parisienne que le marquis a eu connaissance des vitraux du Carmel du Mans et conçu le projet du grand vitrail dédié à la mémoire de ses parents.

Gabrielle Cambus, présidente de l’Arema, enquête désormais sur la provenance des autres vitraux, non signés, offerts par la marquise de Portes à l’église de Manses. Affaire à suivre, donc.

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Manses aux champs

4 réponses sur “A Saint-Jean de Verges & à Manses – De l’art du vitrail”

  1. Très belle journée pour Manses et grande récompense pour le travail inlassable de Gabrielle Cambus et Simone Verdier ces dernières années.
    Très belle rencontre avec le maître verrier (presque l’anagramme de son nom ! ) Pierre Rivière. Il a insisté sur l’art de la translucidité …
    Comme il a également travaillé aux vitraux de Fontfroide, j’ai retrouvé ceci, concernant les vitraux de l’abbaye, dans le libre de Jean Girou,  » Des lignes et des couleurs « , éd. Collège d’Occitanie, Toulouse.
     » Les Fayet [propriétaires de l’abbaye de Fontfroide qu’ils avaient rachetée au début du XXe siècle] s’intéressaient en dilettantes à toutes les créations de l’art, peinture, musique ; c’est le rendez-vous chez eux de tous les artistes. Odilon Redon, familier de la maison, se lie à cette époque avec le verrier Richard Burgsthal. […]
    A Pâques 1912, Burgsthal s’isole et trouve la formule de son four pour la coulée du verre ; il transforme, dans le Var, une vieille ferme en usine, et de la verrerie des Filagnes sortiront les joyaux colorés qui orneront la cathédrale d’Albi, le Palais des Papes, l’abbaye de Fontfroide. Burgsthal fait tout dans ce travail, du tas de sable originel à la pose même du vitrail dans le plomb ; l’originalité de Burgsthal réside dans l’unité de l’oeuvre, il conçoit et dessine, exécute, coule, sertit ; l’artiste se complète de l’ingénieur ; s’il est remonté au Moyen Age pour lui arracher ses procédés, ses secrets, il est aussi l’homme le mieux informé de l’industrie moderne. Traditions et progrès, telle est sa devise pour transformer la matière sous le souffle du feu. Le travail de la flamme qui crée la lumière, Burgsthal l’a noté dans un livre introuvable, paru en 1937, intitulé  » Les précieux vitraux qui ornent ses fenêtres  » , phrase inspirée du  » Schedula diversarum artium  » du moine Théophile.
    […]
    Le livre commence par la phrase de saint Jean, dans l’Apocalypse, quand il décrit le Trône de Dieu :  » Au-devant du Trône, il y avait une mer de verre semblable à du cristal « . pages 200 & ff
    Le maître verrier Pierre Rivière a travaillé dans maints lieux où Richard Burgsthal avait lui-même pratiqué son art. Quelle merveilleuse continuité !

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