Ci-dessus : circa 1900, vue de l’ancienne maison forte, qui fut à Mazerette la résidence de Philippe de Lévis en 1533.
Et ledit evesque [Philippe de Lévis] a édifié si très bien et somptueusement ladite maison tout à neuf, que ung peu avant son trépas, messeigneurs les enfants de France et les Roy et Reyne de Navarre y logeaient ensemble tout leur train…
C’est Joseph Laurent Olive, dans Mirepoix et sa seigneurie, qui rapporte, sans citer sa source, cette information empruntée à une vieille chronique. Le même Joseph Laurent Olive ajoute que cette visite de « messeigneurs les enfants de France et les Roy et Reyne de Navarre » a eu lieu « probablement en novembre 1533 » [1]Joseph Laurent Olive, Mirepoix et sa seigneurie, p. 100.. Les fresques de l’église de Mazerette, qui est immédiatement voisine de la maison de Philippe de Lévis, ont tout aussi probablement été réalisées à l’intention de cette visite. On lit en marge des fresques, deux fois répétée, la date de 1533. Assurée ainsi de l’année 1533, j’avais admis jusqu’ici, sur la foi de Joseph Laurent Olive, la date de novembre 1533 comme étant celle du passage de « messeigneurs les enfants de France et les Roy et Reyne de Navarre » à Mazerette.
Mais, suite à diverses conversations avec mes complices, Claudine L’Hôte-Azéma et Martine Rouche, concernant le mois de novembre le doute s’est insinué. Ceux que la vieille chronique nomme les « deux enfants de France » sont ici Marguerite, 10 ans, et Henri, quatorze ans, enfants tous deux de François Ier. Ils voyagent en compagnie de Marguerite de Navarre, soeur de François Ier, leur tante, et de Jean d’Albret, roi de Navarre, leur oncle par alliance. Tous deux cheminent par des chemins de traverse en direction de Marseille où seront célébrées le 28 octobre 1533, en présence du pape Clément VII, les noces d’Henri avec Catherine de Médicis, quatorze ans, elle aussi. On sait par le journal d’Honorat de Valbelle, bourgeois de Valbelle, qu’après la célébration de ces noces princières, les jeunes époux, le roi et sa cour remontent par la vallée du Rhône vers Paris. Il semble donc peu plausible que la visite de « messeigneurs les enfants de France et les Roy et Reyne de Navarre » à Mazerette ait pu avoir lieu en novembre 1533.
Ci-dessus : Jean Clouet, portrait de François Ier, 1525.
J’ai voulu savoir si cette visite avait été possible en 1533 à une autre date. J’ai épluché à cette fin le Catalogue des actes de François Ier pour l’année 1533 [2]Catalogue des actes de François Ier, tome 2.. En 1533, François Ier profite du rendez-vous des noces prévues en octobre à Marseille pour entreprendre à partir du mois de juin l’un de ces grands voyages qu’il affectionne. Il réalise à cette occasion le pèlerinage à Notre Dame du Puy-en-Velay et à la basilique Saint-Sernin, qu’il avait fait voeu d’accomplir lorsqu’il était prisonnier à Madrid (1524-1526), et aussi une sorte de tour de France qui lui permet de visiter les provinces de son royaume.
J’emprunte au journal de Mercier [3]Entrée de François Ier dans la ville de Béziers, publiée et annotée par Louis Domairon, chez Auguste Aubry, Paris, 1866., greffier de la maison consulaire de Béziers, la liste des membres de la suite royale :
Le roy très crestien François, premier de ce nom, filz de feu monseigneur Jehan, duc d’Angomoys et Poytou, issu de la vraie progéniture du feu bon roy Charles cinquiesme et de madame Loyse de Savoie.
Madame Aliénor d’Espaigne, sa compaigne, royne de France, seur de Charles cinquiesme, empereur et roy des Espaignes.
Les très illustres et très excellens sustenteurs de la foy François de Valoys, daulphin de Viennoys, duc de Bretaigne, 15 ans ; Henri de Valoys, second dauphin, duc d’Orléans, 14 ans ; Charles de Valoys, duc d’Angolesme et de Poytou, 11 ans, et mesdames Madeleine, treize ans, et Marguerite, dix ans, tous cinq fils et filles du roy.
Le roy de Navarre, mari de Marguerite de Valois, reine de Navarre, soeur de François Ier. — Le chroniqueur de Béziers fait observer que cette princesse ne suivit point la cour par suite de son état de grossesse (cf. infra).
Le duc de Vendôme.
Le comte de Saint- Fol.
Le comte de Nevers.
Le duc de Longueville.
Le marquis de Koechlin.
Le duc de Nemours, et autres princes du sang royal.
Monseigneur Antoine du Prat, archevêque de Sens, légat et chancelier de France.
Le cardinal de Lorraine, l’archevéque de Narbonne, le maréchal de Montmorency, Charles de Genoilhac, grand maître de l’artillerie; le seigneur de Barbezieux et plusieurs autres gros seigneurs.
Parmi les dames de la suite le greffier Mercier signale la duchesse de Vendôme, la comtesse de Nevers, la grande maîtresse, fille de feu le bâtard de Savoye, la maréchale de Châtillon, madame de Roye.
Et le greffier Mercier d’ajouter : Lesquels princes et princesses, seigneurs et dames, menoyent quant à eux grand nombre de gros seigneurs et evesques, dames et damoyselles, que je laisse à réciter pour obvier prolexité.
Le Catalogue des actes de François Ier fournit la liste des actes signés par François Ier en 1355. Il mentionne également pour chacun de ces actes le lieu de la signature. Il permet ainsi de suivre les déplacements du monarque. Mais il ne mentionne pas le nom des communes dans lesquelles le roi est passé sans y avoir signé d’actes. Je me suis fondée sur ce catalogue pour reconstituer l’essentiel du trajet royal en 1533, et, concernant les étapes de ce trajet qui ne sont pas mentionnées dans ce catalogue, j’ai glané des informations dans les chroniques des communes concernées.
Avant de se lancer dans le vaste tour de France qui le conduira à Marseille en octobre 1533 pour y marier son fils, François Ier entreprend un premier voyage en direction de l’Aisne et de la Champagne. Parti de Paris le 2 mars 1533, il parcourt les étapes suivantes : Villemomble 3 mars ; Nantouillet 4 mars-5 mars ; La Ferté-Milon 7 mars ; Longpont 9 mars-10 mars ; Fère-en-Tardenois 10-mars14 mars ; Soissons 15 mars ; Coucy 17 mars ; La Fère 20 mars ; Ribemont 21 mars ; Guise 22 mars-24 mars ; Marle 25 mars-26 mars ; Saint-Marcoul 28 mars ; Cormicy 29 mars ; Reims 1er avril ; Courville 1er avril ; Fère-en-Tardenois 3 avril ; Château-Thierry 4 avril-6 avril ; Jouarre 6 avril ; Meaux 7 avril-14 avril. Il est de retour à Vanves le 17 avril 1533.
Deux jours plus tard seulement, le 19 avril 1533, il entame à partir de Fontainebleau un second voyage, celui qui le conduira à Marseille en octobre de la même année. Suivi de sa cour, dont les principaux représentants ont été mentionnés ci-dessus, il se dirige d’abord vers Lyon, au rythme des étapes suivantes :
Ci-dessus : Montargis 26 avril ; Châtillon-sur-Loing 27 avril ; Gien-sur-Loire 27-29 avril ; Aubigny-sur-Nère 29-30 avril ; Neuvy-sur-Barangeon 30 avril-1er mai ; Mehun-sur-Yèvre 1er mai ; Bourges 2 mai-4 mai.
Ci-dessus : Montargis 26 avril ; Châtillon-sur-Loing 27 avril ; Gien-sur-Loire 27-29 avril ; Aubigny-sur-Nère 29-30 avril ; Neuvy-sur-Barangeon 30 avril-1er mai ; Mehun-sur-Yèvre 1er mai ; Bourges 2 mai-4 mai ; Le Coudray 5 mai ; Issoudun 6 mai-7 mai ; Lignières 8 mai-10 mai ; Meillant 11 mai ; Ainay-le-Château 12 mai ; Cérilly-en-Bourbonnais 13 mai ; La Chaussière 13 mai-14 mai ; Bourbon-L’Archambault 14 mai ; Moulins 16-19 mai ; Varennes-sur-Allier 19 mai.
Ci-dessus : La Palisse 19 mai ; Argentières 22 mai ; Saint-André les Roanne 22 mai ; Roanne 22 mai-23 mai ; L’Arbresle 24 mai ; Lyon 28 mai.
Arrivé à Lyon le 28 mai, François Ier y stationne jusqu’au 8 juillet, avec mention d’une courte sortie à Colombier en Dauphiné le 5 juin. Le roi entend se rendre ensuite au Puy-en-Velay conformément au premier des voeux qu’il a formés lorsqu’il était prisonnier à Madrid. Mais, dixit Mercier dans compte tenu de ce que les routes du Massif Central ne sont pas, ou rarement, carrossables, le cortège royal se divise à partir de Lyon.
La route de Lyon au Puy étant trop montueuse, le cortège royal se divisa en deux fractions à partir de Lyon. Le roi gagna, avec partie des grands seigneurs, et Henri d’Albret, son beau-frère, les montagnes du Velay, et la reine, avec ses dames, se dirigea vers les plaines du pays de la langue d’oc. Le vingt-cinq juillet la reine, avec sa suite particulière, arriva à Béziers, et alla loger, sans démonstration publique, dans l’hôtel épiscopal. Après une station de vingt-quatre heures, elle poursuivit son chemin pour aller rejoindre le roi à Toulouse. [4]Entrée de François Ier dans la ville de Béziers, publiée et annotée par Louis Domairon, chez Auguste Aubry, Paris, 1866.
Sorti de Lyon le 8 juillet 1533, le roi, « avec partie des grands seigneurs, et Henri d’Albret, son beau-frère », gagne à cheval le Puy-en-Velay au fil des étapes suivantes :
Ci-dessus : Clermont 9 juillet-10 juillet ; Riom 10 juillet ; Issoire 12 juillet ; Dussay en Auvergne 12 juillet ; Vic en Auvergne 12 juillet-14 juillet ; La Chaise-Dieu 14-18 juillet ; Allègre 18 juillet ; Le Puy-en-Velay 18 juillet.
Flanqué de ses trois fils, et de sa brillante escorte, François Ier entre dans la ville du Puy le vendredi 18 juillet 1533. Après avoir remercié Notre Dame à la cathédrale, il se rend chez Armand XVI de Polignac, comte du Velay, dans l’antique forteresse que celui-ci tient de ses ancêtres, non loin de la ville du Puy. Là, il reçoit la visite de Cériphe Rays, représentant de la maison de de Khayr al Dinin, dit Barberousse, qui règne sur l’Afrique du Nord et vient d’être nommé Kaptan pacha, commandant en chef de la flotte ottomane. Puis il repart en direction de Toulouse, seconde étape du pèlerinage qu’il s’est promis d’accomplir en action de grâce à la Notre Dame.
Ci-dessus : Montgieux 20 juillet ; Langeac 20 juillet ; La Grange de Lanzac 24 juillet ; Rodez 24 juillet ; Gaillac 26 juillet ; Montréal 28 juillet ; Balma 31 juillet ; Toulouse 1er août-7 août.
Visible sur la carte reproduite ci-dessus, le crochet par Montréal attire l’attention. Mazerette, village satellite de Mirepoix, se trouve à 29 kilomètres de Montréal. Il se peut que Jean d’Albret, Marguerite de Navarre, son épouse, ainsi qu’Henri et Marguerite de Valois, les deux enfants royaux, se soient rendus à Mazerette à partir de Montréal le 28 juillet 1533, avant de rejoindre Balma le 31 juillet. Un peu plus loin dans cet article, je reviendrai sur cette question.
Ci-dessus : entrée du Dauphin, François de Valois, duc de Bretagne, fils de François 1er, dans Toulouse, en 1533 ; calque d’une vignette des annales manuscrites de la ville, t. I, n°35, fonds Ancely.
Le premier août 1533, après que le cortège de la reine est arrivé de Béziers, l’ensemble du cortège royal entre triomphalement dans Toulouse.
Ci-dessus : Antoine Rivalz (1667-1735), Entrée d’Eléonore d’Autriche, épouse de François 1er, à Toulouse en 1533. Source : musée Dupuy, Toulouse.
Le roi se rend à la basilique Saint-Sernin afin d’y satisfaire encore une fois à son voeu de Madrid. Le 3 août, en présence du cardinal du Prat, il reçoit l’hommage de Philippe III de Lévis, successeur de Jean V à la tête de la seigneurie de Mirepoix [5]Cf. Georges Martin, Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 33, Imprimerie Sud Offset, 42150 La Ricamarie, 2007.. Le 4 août, il tient un lit de justice. Le soir du même jour, il se rend à dîner chez Jean de Bernuy, vicomte de Lautrec et de Senès, baron de Villeneuve, qui a servi de caution pour la rançon nécessaire à sa libération en 1526 à Madrid.
Bernuy, par reconnaissance, fit placer la statue de ce grand prince, de grandeur naturelle, dans une niche décorée d’ornements, pratiquée dans le mur de face de sa cour, et il plaça son propre buste sur une petite fenêtre inférieure de l’escalier de la tour ; il fit peindre à fresque, vis-à-vis la statue de François Ier, un aigle entre deux salamandres : on en voit encore quelques vestiges. La statue de François Ier et le buste de Bernuy ont été brisés à la fin du 18e siècle [6]Jean-Pierre-Casimir de Marcassus Puymaurin, Mémoires sur différens sujets relatifs aux sciences et aux arts, p. 20, chez J. M. Douladoure, Toulouse, 1811.. L’ancien hôtel de Bernuy est devenu aujourd’hui le lycée Pierre de Fermat.
Si on sait par divers témoignages, dont celui du greffier Mercier, agent du consulat de Béziers, qu’Henri d’Albret, roi de Navarre, beau-frère de François Ier, a accompagné le roi durant la totalité de son voyage, on manque d’informations concernant la présence de Marguerite de Valois, son épouse, reine de Navarre, soeur de François Ier, à Toulouse, lors de la visite historique d’août 1533.
Le greffier Mercier dit que « cette cette princesse ne suivit point la cour au départ de Fontainebleau, le 19 avril 1533, par suite de son état de grossesse ». Il s’agit probablement d’un état de grossesse avancée, partant, d’une grossesse qui s’est terminée au plus tard en juin ou juillet, à Nérac probablement, où Marguerite avait sa cour et où elle se plaisait à vivre bien plutôt qu’à Paris. Cette grossesse a été malheureuse, car la reine donne naissance alors à deux fillettes jumelles qui, « prévenues de la mort, furent privées de baptême » [7]Cf. R. Anthony, Identification et étude des rois de Navarre inhumés dans la cathédrale de Lescar, 1931 : D’après Le Ferron [Bernard de Girard Du Haillan et Arnauld le Ferron, Histoire … Continue reading.
Après la fin de cette grossesse malheureuse, Marguerite de Navarre a probablement rejoint son époux ainsi que le cortège royal à Toulouse afin d’illustrer son statut de reine de Navarre, lors de l’entrée dans la ville, le 1er août 1533, au côté de François Ier, son frère. Auquel cas, elle a dû quitter Nérac et gagner la région toulousaine quelques jours avant ce grand événement. Sa présence n’est ensuite pas requise dans le cadre des activités royales prévues pour les jours qui vont du 2 au 7 août. Marguerite de Navarre a donc pu se rendre à Mazerette avec Jean d’Albret, son époux, et les deux enfants royaux, soit du 28 au 31 juillet, avant l’entrée triomphale dans Toulouse, soit entre le 2 et le 7 août, durant la semaine toulousaine de François Ier. On sait du reste que les villes dans lesquelles le cortège royal s’arrêtait, peinaient à loger intra muros, outre princes et princesses, grand nombre de « gros seigneurs et evesques, dames et demoiselles », qu’on « laisse à réciter », comme dit le greffier Mercier, « pour obvier prolexité ».
Il se trouve au demeurant qu’à l’époque de son séjour toulousain, François Ier avait diverses bonnes raisons de dépêcher Jean d’Albret et Marguerite de Navarre auprès de Philippe de Lévis à Mazerette, qui, alors âgé et mal portant, n’a peut-être pas pu assister à l’entrée du roi dans Toulouse.
Frère de Philippe de Lévis, Jean V de Lévis, seigneur de Mirepoix, ancien conseiller et chambellan du roi Charles VIII, sénéchal de Carcassonne, lieutenant général au au gouvernement du Languedoc, ambassadeur de France en Espagne, est mort le 8 mai 1533. Il a été en secondes noces l’époux de Francoise d’Estouteville, fille de Louise d’Albret, qui est elle-même en tant que fille de Jean d’Albret Ier, comte de Tartas, et soeur d’Alain d’Albret, vicomte de Tartas, la grand-tante d’Henri d’Albret.
Ci-dessus : portrait d’Henri d’Albret (1503_1555) par un peintre anonyme.
Henri d’Albret apparaît donc ici comme la personne toute désignée pour aller présenter à Philippe de Lévis, suite à la mort de Jean V, non seulement les condoléances de la maison d’Albret, mais aussi celles de François Ier, désireux sans doute d’honorer la mémoire d’un seigneur qui a été un grand serviteur de l’état. Philippe de Lévis assure alors la passation des pouvoirs entre son défunt frère Jean V et Philippe III, son neveu, nouveau seigneur de Mirepoix, peu informé encore des affaires de sa seigneurie. Il se trouve informé à ce titre de ce que « le Roy étant à Lyon a donné au seigneur de Clermont l’office de seneschal de Carcassonne et Béziers vaccant par le trespas de messire Jehan de Lévis » [8]Entrée de François Ier dans la ville de Béziers, publiée et annotée par Louis Domairon, chez Auguste Aubry, Paris, 1866.. Il se trouve probablement aussi rappelé à la question du paréage, i. e. du contrat d’association, impliquant le partage des fonctions de justice, conclu en 1390 entre le roi de France Charles VI et Roger Bernard Ier de Lévis, seigneur de Mirepoix, contrat auquel Jean V peu avant sa mort, contre la volonté des habitants de Mirepoix, avait tenté de mettre fin et dont Philippe III obtiendra de François Ier la suppression en 1543, au prix d’un versement de 2000 livres au trésor royal [9]Cf. Georges Martin, Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 33..
Ci-dessus : portrait de Marguerite de Navarre (1492-1549) par François Clouet vers 1530.
Marguerite de Navarre, qui accompagne son époux à Mazerette, se plaît sans doute aussi à exercer en la circonstance, au moins pendant quelques jours, la fonction de gouvernante de Marguerite, 10 ans, et d’Henri, quatorze ans, les « enfants de France ».
Ci-dessus : François Clouet, portrait de Marguerite de France (1523-1574) enfant, fille de Francois Ier, duchesse de Savoie.
Après les cérémonies de l’entrée dans Toulouse, auxquelles ces enfants ont participé, un bref séjour à la campagne les soulagera un peu des fatigues et des contraintes qu’ils endurent depuis le départ de Fontainebleau. On sait par ailleurs que Marguerite de Navarre a beaucoup souffert de l’absence de Jeanne d’Albret, sa propre fille, enlevée à ses soins par François Ier, dès l’âge le plus tendre, pour être élevée à la cour de France. Elle n’aura par la suite, malgré ses espoirs, malheureusement jamais mis au monde aucun autre enfant. Touchée par la grâce de la petite Marguerite, elle aura sans doute vécu par le truchement de cette dernière, lors du court séjour de Mazerette, quelques jours avec sa propre fille, au moins en pensée.
Ci-dessus : Corneille de Lyon, portrait d’Henri de France, circa 1536.
Marguerite de Navarre vient de publier par ailleurs, entre 1531 et 1533, le Le Miroir de l’âme pécheresse, recueil de poèmes d’inspiration religieuse qui, dans le contexte de la lutte contre le protestantisme naissant, vient d’être censuré par la Sorbonne mais qui se trouve défendu par François Ier, son frère. Elle fait pourtant montre de la plus droite catholicité dans ce recueil dédié au don de Foy, Par lequel seul l’homme a la connaissance De la Bonté, Sapience et Puissance. Et aussi tost qu’il congnoit Verité, Son cœur est plein d’Amour et Charité Ainsi bruslant, perd toute vaine crainte, Et fermement espere en DIEU sans feinte. Mais, horresco referens, elle est femme, et qui écrit ! Et elle prône la lecture personnelle de la Bible ! De quoi susciter l’anathème chez ces messieurs de la Sorbonne. Philippe de Lévis était grand lecteur, grand bibliophile, très au fait des dernières publications. J’imagine que Marguerite de Navarre s’est enquise auprès de Philippe de Lévis du jugement que celui-ci portait sur l’orthodoxie du Miroir de l’âme pécheresse, et qu’au-delà de cette question, laissant Henri d’Albret à son indifférence assez manifeste, ils ont dû s’entretenir plus largement des choses de la foi.
Habitué par François Ier, son frère, au faste décoratif et spécialement au goût italien, Marguerite de Navarre a trouvé en outre en la personne de Philippe de Lévis un pionnier du goût Renaissant, passionné par les dernières techniques venues d’Italie, et le maître d’oeuvre de la magnifique restauration qui a fait de l’ancienne « Tour Madame » de Mazerette, un château, avec l’aide d’artistes, tels Blaise Olivier qui a créé, représentant l’Incarnation et la Passion, Saint Maurice et d’autres saints, les précieux vitraux de la chapelle [10]Cf. Jeanne Bayle, Les peintres-verriers toulousains au XVIe siècle, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome LXV, 2005..
Le 7 août 1533, François Ier et sa cour quittent Toulouse. Marguerite de Navarre, dont on ne signale pas la présence, rentre probablement à Nérac, où elle accueillera peu de temps après Jean Calvin et Gérard Roussel, tous deux humanistes persécutés par la Sorbonne. Le cortège royal, pendant ce temps, parcourt ensuite les étapes suivantes : Carcassonne 9 août ; Narbonne 13 août ; Béziers 14 août ; Montpellier 19 août-25 août ; Nîmes 26 août-28 août ; Avignon 29 aout-14 septembre ; Arles 15 septembre ; Martigues 21 septembre ; Marignane 22 septembre ; Gardanne 2 octobre. Il arrive à Marseille 4 octobre. Le roi passe les journées du 5 octobre-7 octobre en pélerinage à Saint-Maximin-La-Sainte-Baume, et il voit à cette occasion, parqué sur l’île d’If, le rhinocéros indien que Manuel Ier de Portugal avait offert au pape Léon X [11]Le bateau qui transportait le rhinocéros ayant fait naufrage, l’animal avait été recueilli sur l’île.. Il se rend également à Aubagne le 11 octobre. Il demeure le reste du temps à Marseille afin d’y accueillir le pape Clément VI et de veiller aux préparatifs du mariage de son fils Henri avec Catherine de Médicis.
Après le mariage, qui est célébré le 28 octobre 1533 et suivi de plusieurs semaines de fêtes somptueuses, François Ier quitte Marseille le 14 novembre. Il regagne l’Ile-de-France, ainsi que les jeunes mariés et la cour, au fil des étapes suivantes : Avignon 15 novembre ; Caderousse 17 novembre ; Donzère 18 novembre ; Romans 21 novembre ; Saint-Antoine de Vienne 22 novembre ; La Côte Saint André 25 novembre ; Bourgoin 29 novembre ; Crémieu 5 décembre ; Pont de Chéruy 6 décembre ; Lyon 8 décembre-14 décembre ; Mâcon 15 décembre ; Chalon 18 décembre ; Pagny 21 décembre. Il arrive au château de Fontaine-Française à Vergy, le 30 décembre, où le roi se trouve accueilli par Françoise de Longwy, sa nièce, épouse de Philippe Chabot-Brion, comte de Charny, grand amiral de France et gouverneur de Bourgogne. Ainsi se termine en 1533 l’année de voyage de François Ier, le roi nomade, et de sa cour itinérante.
On voit que pour « messeigneurs les enfants de France et les Roy et Reyne de Navarre », dans cette année d’itinérance, il n’y a place pour une visite à Mazerette qu’à l’étape de Toulouse, soit entre le 27 juillet et le 9 août 1533. C’est dans ce laps de temps, et non en novembre de la même année, qu’ils ont rencontré Philippe de Lévis, évêque de Mirepoix. Je me suis plu ici à éclairer les circonstances de cette visite. Elle se pare d’un éclat plus sourd, plus secret, mais tout aussi émouvant, il me semble, que celui du cortège de François Ier entrant dans Toulouse.
Ci-dessus : date mentionnée en marge des fresques de l’église de Mazerette, Ariège.
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Notes
↑1 | Joseph Laurent Olive, Mirepoix et sa seigneurie, p. 100. |
↑2 | Catalogue des actes de François Ier, tome 2. |
↑3 | Entrée de François Ier dans la ville de Béziers, publiée et annotée par Louis Domairon, chez Auguste Aubry, Paris, 1866. |
↑4 | Entrée de François Ier dans la ville de Béziers, publiée et annotée par Louis Domairon, chez Auguste Aubry, Paris, 1866. |
↑5 | Cf. Georges Martin, Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 33, Imprimerie Sud Offset, 42150 La Ricamarie, 2007. |
↑6 | Jean-Pierre-Casimir de Marcassus Puymaurin, Mémoires sur différens sujets relatifs aux sciences et aux arts, p. 20, chez J. M. Douladoure, Toulouse, 1811. |
↑7 | Cf. R. Anthony, Identification et étude des rois de Navarre inhumés dans la cathédrale de Lescar, 1931 : D’après Le Ferron [Bernard de Girard Du Haillan et Arnauld le Ferron, Histoire générale des roys de France: contenant les choses mémorables…, tome II, livre XXXIII, pages 1476 et 1477, chez Claude Sonnius, Paris, 1627], la reine aurait, en 1542, accouché d’une môle. Nous savons, d’autre part, par Olhagaray [P. Olhagaray, Histoire de Foix, Béarn et Navarre, p. 488, Paris, 1609 ; autre édition, 1629, in-4], qu’elle accoucha également, à une époque indéterminée, de « deux filles qui, prévenues de la mort, furent privées de baptême ». En ce qui concerne la môle, sa venue serait non de 1542, mais de 1543 ; en effet de nombreuses lettres de Marguerite nous apprennent qu’elle était enceinte à la fin de 1542 et au début de 1543 (dates établies par Jourda [P. Jourda, Marguerite d’Angoulême, Paris, H. Champion, 1930, 2 vol. ; plus un volume-répertoire, in-8] qui s’est appuyé sur les plus solides arguments. Voir Jourda, tome I, pages 279 et 280, et répertoire, pages 198 à 208, n03 898, 899, 901, 906, 912, 914, 919, 928, 930, 934, 939). Le terme de cette grossesse, qui semble avoir été de durée normale, dut, comme le dit Jourda, arriver en juin 1543. En ce qui concerne les jumelles, en raison de ce que la grossesse qui aboutit à la môle semble avoir été la dernière de Marguerite, il convient d’adopter la date de 1533, proposée par Jourda, tome I, page 172, aucune autre grossesse que celle de 1533 n’étant indiquée par les contemporains entre 1530 et 1543. Il n’y a donc aucune raison de croire Genin [F. Genin, Lettres de Marguerite d’Angoulême, Soc. de l’Histoire de France, page 76, Paris, 1841, in-8] qui place la naissance des jumelles en 1540. |
↑8 | Entrée de François Ier dans la ville de Béziers, publiée et annotée par Louis Domairon, chez Auguste Aubry, Paris, 1866. |
↑9 | Cf. Georges Martin, Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 33. |
↑10 | Cf. Jeanne Bayle, Les peintres-verriers toulousains au XVIe siècle, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome LXV, 2005. |
↑11 | Le bateau qui transportait le rhinocéros ayant fait naufrage, l’animal avait été recueilli sur l’île. |
Tu contes divinement bien cette épopée, ce qui fait presque oublier la somme colossale de travail que tu as accomplie en amont … En tout cas, à titre personnel, je te dis merci : tu as enfin réglé cette sorte de doute autour de la date de la visite, doute qui nous gênait aussi pour parler des fresques. Hélas, tu ne me donnes pas le nom des convives pour lesquels Philippe de Lévis a passé commande à son pâtissier Gerbois de pâtés de saumon, pâtés de lamproie, pâtés de millet et tourtes aux poires … Mais c’était en mars 1533, pendant le Carême …
J’allais oublier : les gravures des entrées dans Toulouse sont de toute beauté !
Ce sont des pages d’histoire que l’on aimerait plus souvent lire, donnant libre cours à notre imagination sur le branle-bas que devaient occasionner ces périples.
J’ai été d’autant plus sensible aux lignes relatant la réception à l’Hôtel de Bernuy, j’ai lu aussi que Jean de Bernuy avait trouvé la mort dans cet Hôtel lors d’un combat entre un taureau et des dogues ?
Les cours royales ne craignaient pas les voyages, rencontrer leurs sujets mais aussi profiter de quelques étapes gastronomiques !!!!
Remarquable travail d’historienne. L’histoire ne « récite » pas les heures de recherche et de mise en forme nécessaires à ce résultat.
J’aurais bien prisé l’écoute de l’entretien de Marguerite et de l’évêque Philippe ! Toute la théologie a dû y passer…mais avec poésie. On ne peut pas en douter, entre gens du Livre.
Par contre, cette qualité surplombe de haut celle de la si fameuse fresque. Il est probable que le vieux prélat s’est laissé abuser quant au choix de »l’artiste ».
Tu écris : » Henri d’Albret apparaît donc ici comme la personne toute désignée pour aller présenter à Philippe de Lévis, suite à la mort de Jean V, non seulement les condoléances de la maison d’Albret, mais aussi celles de François Ier, désireux sans doute d’honorer la mémoire d’un seigneur qui a été un grand serviteur de l’état. »
Je viens de lire, dans un article de revue d’histoire et d’archéologie du XIXe (dont j’ai omis de relever les références … ) que Jean V avait levé la majeure partie de la rançon destinée à libérer les deux fils de François Ier retenus à Madrid à la place de leur père. Je précise que je n’ai pas pris le temps de vérifier cela, mais si cette petite information est exacte, c’est peut – être une raison supplémentaire pour les quatre visiteurs royaux de rendre une visite de condoléances et de reconnaissance au frère du défunt Jean V ?
Voilà une corroboration de mon propos qui me donne à penser que nous tenons dans l’affaire, comme on dit, « le bon bout ».
Intéressante documentation
Pour plus de précision sur la visite au Puy-en Velay, consulter De Podio d’Etienne Médicis BNF page 338 à 368. La visite à Polignac a eu lieu avant l’arrivée au Puy.
Sur les cartes ne pas confondre Vic sur Cère très éloigné et Vic le Comte, retenir ce dernier.
Le catalogue des actes ne signifie pas présence du roi mais des membres de sa suite.
La reine est dite présente à La Chaise-Dieu, a t’elle rejoint la vallée du Rhône ?
Il n’y a pas d’hébergement connu entre Le Puy et Aubrac, Langeac ?
Merci de ces observations, conseils. Je vais revenir sur le sujet.