Au Carmel de Pamiers

 

 

 

Le Carmel de Pamiers est aujourd’hui déserté. Lorsque j’ai visité pour la première fois la chapelle, les soeurs n’étaient plus que cinq. L’une d’entre elles, qui faisait office de tourière, nous a dit qu’elle prierait pour nous. Puis les soeurs sont parties rejoindre un autre Carmel. Elles ne pouvaient plus entretenir un ensemble de bâtiments conventuels beaucoup trop vaste pour elles cinq. J’ai appris avec tristesse que la petite soeur tourière, soeur Mélanie, est morte depuis lors. Le Carmel de Pamiers désormais est à vendre.

Michel Detraz, historien, membre de la commission diocésaine d’Art Sacré, proposait dernièrement une visite guidée de l’ensemble du couvent. J’ai été heureuse de pouvoir découvrir à sa suite ce lieu chargé d’âme, où certaines religieuses ont vécu plus de soixante ans. L’espace y demeure – pour combien de temps encore ? – empreint d’une profonde sérénité.

Deux des ailes du couvent datent du XVIIe siècle. Les deux autres ailes, qui ferment le quadrilatère autour du cloître, ont été construites au XIXe siècle et dotées de façades à l’identique. La belle simplicité du style classique s’est trouvée ainsi parfaitement conservée.

 

 

Derrière ses façades classiques, le couvent abrite de belles voûtes d’ogive. Ici laissées nues, les croisées sont ailleurs soulignées par un simple parement de briques. Point d’autres ornements. La simple perfection des formes suffit à la beauté du lieu.

 

Le couvent se trouve placé sous la protection de Saint Joseph. Celui-ci, portant l’Enfant, figure au dessus des portes principales et, comme on le verra dans la suite de cet article, au-dessus du grand retable qui fait face à la grille de la clôture, dans la chapelle principale du couvent.

 

Deux vues prises dans une galerie du cloître. On foule dans la galerie les pierres tombales des soeurs qui sont mortes ici et ont été enterrées là où elles ont vécu.

 

Cette salle date du XIIIe siècle. C’est celle de la petite maison médiévale dans laquelle les soeurs se sont installées au XVIIe siècle, lors de leur arrivée à Pamiers. Suite à l’achat de cette première maison, les soeurs ont acquis peu à peu d’autres maisons du même type, jusqu’au moment où disposant d’une superficie suffisante, elles ont fait bâtir le couvent en y intégrant ces maisons initiales. La salle photographiée ci-dessus a servi plus tard de resserre.

 

Dans le jour tamisé qui tombe des persiennes, la cuisine du Carmel.

 

Fait du bois coupé dans les forêts du marquis de Gudannes, père d’une fille entrée en religion au Carmel de Pamiers, l’escalier date du XVIIe siècle. Il conduit à l’étage où se trouvent les cellules habitées par les soeurs. Le couvent a pu accueillir, dans le passé, jusqu’à trente religieuses.

 

Vues de la première chapelle du couvent. On a enseveli ici les supérieures de la communauté qui sont mortes durant le temps de leur charge.

 

Vu depuis les fenêtres du Carmel, le clocher, de style gothique toulousain, de l’église Saint Antonin, ancienne cathédrale de Pamiers. François de Caulet, évêque de Pamiers de 1644 à 1680, y est enterré. Homme de sensibilité janséniste, il a mené combat pendant treize ans, dans le cadre de l’affaire de la Régale, contre la politique gallicane de Louis XIV. Persécuté par l’administration royale, il meurt dans le plus grand dénuement en 1680.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : 1. Une autre salle ancienne, servant de réserve ; 2. La salle de travail des religieuses et la grande table à coudre, sur laquelle les religieuses confectionnaient des aubes pour les communiantes.

 

Voici le portail et la façade de la chapelle baroque construite au XVIIIe siècle. Compte tenu de la pente descendante du terrain, la chapelle a dû être surélevée afin que le choeur atteigne à la hauteur des bâtiments conventuels. Cette surélévation a pour effet de porter la façade très haut dans le ciel, par là d’en magnifier le surgissement pour qui, montant vers elle, la voit paraître en contre-plongée.

 

 

La chapelle, en hommage au Christ de la Transfiguration, ruisselle d’or. Derrière le maître autel, copie de la Transfiguration peinte par Raphaël en 1519-1520, une toile de Jean-Baptiste Despax (1710-1773) invite le regard des fidèles à s’élever jusqu’à la Pietà surplombante.

 

L’or des autels et des tabernacles ourle d’un éclat ciselé les symboles de l’Agneau et de l’Esprit Saint.

 

 

Installé perpendiculairement au maître autel, le retable de Saint Joseph fait face à la grille de la clôture. Les précieuses plaques d’or représentent des scènes de la Nativité et de la Fuite en Egypte. Au-dessus du retable, Saint Joseph figure en statue, portant l’Enfant.

 

En dessous du retable, un bas-relief représente la Sainte Famille, dans un climat de simplicité tendre et touchante.

 

 

Je me suis attardée devant la grille de la clôture. Le maillage plus serré que l’on voit dans la partie supérieure de cette grille était autrefois celui de la grille toute entière. J’ai scruté un moment l’espace qui s’ouvre derrière la grille. La vie s’en est un jour retirée. Reste l’absence, le vide. L’impression d’étrangeté vient ici de ce que la solitude d’un tel lieu demeure désormais impossible à consoler.

 

C’était la porte d’entrée du Carmel de Pamiers.

A lire aussi : Visite à la chapelle du Carmel de Pamiers

A Laroque d’Olmes – Dans la maison Sage

 

L’histoire de la famille Sage est indissociable de celle de Laroque d’Olmes. La famille Sage a donné en effet à la commune, depuis la Révolution, une longue suite de maires, d’instituteurs, de juges de paix. Elle s’est illustrée ensuite dans le domaine de l’industrie textile. Dite « maison Sage », la demeure qui fut autrefois celle de la famille éponyme constitue aujourd’hui un pôle important de la mémoire locale. Les propriétaires actuels de cette maison l’ouvrent régulièrement au public désireux de la visiter. Ils y organisent ou y accueillent des expositions relatives au patrimoine industriel du pays d’Olmes. C’est en vertu de cette généreuse politique d’ouverture que, le dimanche 19 juin, j’ai pu visiter la maison Sage à mon tour. J’y ai admiré tout particulièrement l’élégance sans ostentation qui fit, à la fin du XIXe siècle, le style d’une grande famille de Laroque d’Olmes.

 

Il en va de la maison Sage, me disais-je, comme au Charmettes, la demeure où Jean-Jacques Rousseau a vécu en Savoie, auprès de Madame de Warens. L’impression heureuse naît d’abord du charme suranné des anciens papiers peints.

 

 

 

 

 

Les beaux parquets, les encadrements de cheminée, les miroirs, font ensuite l’essentiel du luxe de la maison Sage. Sobres et de bon aloi, ils font valoir la fluidité d’un espace composé d’une suite de grands volumes qui courent en enfilade parallèlement à un grand corridor au centre duquel démarre, éclairée par un haut puits de jour, ourlée par une plinthe comme on n’en fait plus, la volée de l’escalier en direction des étages.

 

A l’étage, l’aménagement d’une chambre perpétue, dans un style très féminin, le souvenir de l’âge romantique.

 

Au fond du couloir, toujours à l’étage, une fenêtre donne sur le jardin, planté ici d’un labyrinthe de buis.

 

La maison abrite aujourd’hui une exposition dédiée au jais. Voyez d’abord ci-dessus, pour mémoire, un morceau de jais à l’état sauvage, trouvé par hasard dans la forêt.

 

Voici maintenant, divers morceaux de jayet, ou jais, extraits respectivement d’un gisement audois et d’un gisement ariégeois ; puis diverses plaques de boutons, perles et autres colifichets obtenus après façonnage et polissage du jais. Issues de l’entreprise Morel, jadis propriétaire d’une usine de façonnage à Sainte-Colombe, ces plaques faisaient le contenu de la « marmotte », i. e. celui du panier de l’ancienne colporteuse de jais.

 

L’exposition comporte également un riche assortiment de cartes et de vues aériennes, relatives aux régions du piémont pyrénéen qui ont abrité, avant épuisement, des gisements de jais. Renonçant à obtenir une photo lisible des cartes sous plastique, je me suis fait plaisir : j’ai photographié ici l’effet de reflet.

Marc Meurisse, actuel propriétaire de la maison, géologue, propose aux visiteurs intéressés, outre ce bel ensemble de cartes et de vues aériennes, une étude, d’environ une heure, consacrée à l’histoire et à la géographie de la formation du jais. La formation du jais résulte, dit Marc Meurisse, de la sédimentation et de la compression des diverses matières végétales apportées au pied des Pyrénées dans la mer ancienne par les fleuves des premiers âges du monde. Elle s’est opérée plus spécialement au front des anciens deltas, là où, repoussées par le flot de la mer entrante, les matières végétales charriées par les fleuves se sont amassées pendant des millénaires, en bancs jour après jour recommencés.

 

Voici enfin le schéma du fameux moulin à jayet. Animé par un « tournail », ce moulin pouvait occuper jusqu’à six ouvriers/ouvrières. Il comportait une arrivée d’eau à destination des meules et un circuit de récupération de l’eau via une rigole qui circulait au pied des meules.

 

La maison Sage abrite par ailleurs nombre de documents relatifs aux anciens moulins à farine ou à huile, ainsi qu’aux « caquières », ou tanneries à l’ancienne. J’y ai beaucoup appris sur les méthodes de ces dernières, en particulier sur l’usage du redoul, dite « herbe des tanneurs », ou corroyère.

Il y aura d’autres ouvertures de la maison Sage. Surveillez les dates !

Espèces d’espaces

 

Ci-dessus : Toulouse, gare routière, 23 juin 2011.

Espèces d’espaces… ((Les mots sont de Georges Perec. Ils servent de titre au livre éponyme, paru en 1974.)), qu’on aperçoit par hasard, n’importe où – dans le vide d’une gare routière, dans la vitre d’une porte qu’on n’ouvre jamais, sur le ciment d’un trottoir ou sur le caillebotis d’un balcon.

L’étendue cartésienne conserve ainsi, dans sa fuite rapide, des espaces flous, des zones ignorées des cartes, où il y a seulement quelque chose plutôt que rien, – quelque chose d’à peine étant et cependant étant ; quelque chose comme un « bruit de fond » ((Le mot est de Georges Perec, toujours dans Espèces d’espaces)).

J’aime, plus que le spectacle des choses tangibles, le mystère de ce bruit de fond. Je tente le photographier, chaque fois que je le peux. Parler de photographier un bruit peut sembler étrange. Mais comment nommer ici ce qui a espace et temps comme toute autre chose, et point de matière ?

Ci-dessus : Toulouse, chose vue sur une porte du café de la gare Matabiau, 23 juin 2011.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Londres, Heather Green, balcon voisin, 24 juin 2011 ; ombre de la dormeuse sur le caillebotis de notre balcon.

Ci-dessus : Londres, Heather Green, ombre d’un arbre au pied de l’immeuble, 24 juin 2011.