Ci-dessus : l’ancien château de Mirepoix, dit château de Terride, par un soir d’hiver.
Auteur essentiellement connu pour ses histoires de fantômes, Elliott O’Donnell (1872-1965) consacre à Jean Petit, « the Lord of the Bloody Hand », un chapitre de Strange Disappearances [1]Elliott O’Donnell, Strange Disappearances, ch. VIII, p. 185-203, John Lane The Bodley Head LTD, 1927. L’auteur consacre plusieurs chapitres de cet ouvrage à des personnages tirés de la … Continue reading, ouvrage publié en 1927. Il dit emprunter son sujet à « Legends and Traditionary Stories. Anonymous. Published 1843 ». On reconnaît en la personne de cet Anonymous, Amédée de Beaumont, auteur du Sire à la main sanglante, légende publiée dans Légendes et traditions populaires de la France en 1840 [2]Cf. La dormeuse, encore : A propos de Jean Petit, chef de la bande de routiers qui saccagea Mirepoix en 1362-1363.. Le récit d’Elliott O’Donnell constitue, en anglais, un décalque fidèle de celui d’Amédée de Beaumont. Il comporte toutefois in fine deux petits paragraphes dans lesquels, s’affranchissant ici de son modèle français, Elliott O’Donnell formule à propos de Jean Petit une conclusion bien à lui. Cette conclusion m’a intéressée. Je la rapporte ci-dessous, après avoir rappelé celle du récit d’Amédée de Beaumont.
1. Excipit du Sire à la main sanglante chez Amédée de Beaumont
— Il y a sept ans que celui que tu viens de voir [Jean Petit] subit le châtiment qu’il avait mérité par ses crimes. Lui, et tous ceux qu’il avait associés à sa vie, ne souffrent pas d’autre torture que de se trouver en présence de leur victime. Cependant le ciel a pris en pitié leurs souffrances ; la sainte Marie de Monségur a obtenu leur pardon, à condition qu’un légitime possesseur du château et de la ville de Mirepoix ferait bâtir un lieu de prières, en expiation des crimes du Sire à la main sanglante. Il peut refuser, ou consentir : Dieu lui en laisse la liberté.
Cela dit, l’esprit disparut.
Arrivé à Mirepoix, Philippe assembla les notables de la ville, et leur raconta ce qu’il avait vu. Tous décidèrent d’une commune voix que, puisque le ciel consentait au pardon des crimes dont ils avaient été victimes, il serait impie à eux de refuser ce pardon.
La même année (1370), les travaux furent commencés ; ils ne furent terminés qu’en 1402. Mais Philippe de Lévis ne borna pas sa munificence à l’érection d’une église, il y joignit un magnifique clocher, qui est bien supérieur à l’architecture de celle-ci. Il fit aussi construire un beau palais épiscopal. Ces trois édifices témoignent seuls aujourd’hui de l’ancienne importance de Mirepoix.
2. Excipit du Lord of the Bloody Hand chez Elliott O’Donnell
It may have been that Jean Petit, tired of town life, had gone off into the Forest of Bélène with certain of his followers, and having seized a castle, or built one there, for himself, lived in it till he was subsequently killed in some foraging affray.
Some such happening as this might, of course, explain the tradition relating to the existence of a phantom castle, but the suggestion on my part is simply an unsubstantiated theory. All that is known for an actual fact regarding the disappearance of Jean Petit. I have already stated, and I repeat, that while the town of Mirepoix was burning he was seen to enter the Forest of Bélène ; after that the annals of Mirepoix assert, he simply vanished, and what became of him none knew. [3]Elliott O’Donnell, « The Lord of the Bloody Hand », in Strange Disappearances, p. 203.
« Il se peut que ce Jean Petit, lassé de vivre dans la ville [de Mirepoix], soit parti dans la forêt de Bélène avec certains de ses partisans, et qu’ayant conquis, ou aménagé à son usage un autre château, il y ait vécu jusqu’à ce qu’il soit tué lors d’une rixe, dans sa recherche de subsistance. »
« Certains des événements rapportés plus haut participent évidemment de la tradition qui veut l’existence d’un château fantôme, mais il s’agit là, selon moi, d’une élucubration sans fondement. La seule chose que l’on sache, en l’état actuel des choses, c’est que Jean Petit a disparu. Je l’ai déjà dit, et je le répète, tandis que la ville de Mirepoix brûlait, on l’a vu entrer dans la forêt de Bélène ; après quoi, ce que disent les annales de Mirepoix, c’est qu’il a tout simplement disparu, et que personne ne sait ce qu’il est ensuite advenu de lui. »
Amédée de Beaumont voulait que l’histoire de Jean Petit prétendît à une conclusion édifiante. Le charme du récit de Elliott O’Donnell, c’est que, peu soucieux d’édification, cependant qu’il fait montre d’une ironie toute moderne quant à l’unsubstantiated theory des châteaux fantômes, il ménage une place insistante au romanesque de la disparition.
Je me suis demandé à cette occasion d’où vient que, moi-même, je sois si sensible à ce romanesque-là. Nombre des personnages à propos desquels je mène des recherches depuis de longues années déjà – Jean Petit, Guillaume Sibra, dit Jean Dabail, Jean Antoine Barthélémy Baillé, Abraham Louis -, partagent en effet, pour des raisons diverses, ce point commun : ils ont un jour disparu. Pourquoi le phénomène de la disparition m’intéresse-t-il tant ? Je n’en sais rien. Le goût du romanesque, le libre d’une suite à imaginer, l’énigme du blanc, se suffisent peut-être à eux-mêmes.
Notes
↑1 | Elliott O’Donnell, Strange Disappearances, ch. VIII, p. 185-203, John Lane The Bodley Head LTD, 1927. L’auteur consacre plusieurs chapitres de cet ouvrage à des personnages tirés de la petite histoire française : Rosalie de Béthune ; Martin Guerre ; etc. |
↑2 | Cf. La dormeuse, encore : A propos de Jean Petit, chef de la bande de routiers qui saccagea Mirepoix en 1362-1363. |
↑3 | Elliott O’Donnell, « The Lord of the Bloody Hand », in Strange Disappearances, p. 203. |