Charles d’Orléans – En la forêt de Longue Attente

 

Ci-dessus : détail la Chambre du Cerf au Palais des Papes, en Avignon. Il s’agit là d’un décor commandé par le pape Clément VI.
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That while the town of Mirepoix was burning he was seen to enter the Forest of Bélène ; after that the annals of Mirepoix assert, he simply vanished, and what became of him none knew. Tandis que la ville de Mirepoix brûlait, on l’a vu entrer dans la forêt de Bélène ; après quoi, ce que disent les annales de Mirepoix, c’est qu’il a tout simplement disparu, et que personne ne sait ce qu’il est ensuite advenu de lui. Entraînée par la rêverie qui est celle d’Elliott O’Donnell dans Strange Disappearances [1]Cf. La dormeuse, encore : L’histoire de Jean Petit revue par Elliott O’Donnell in Strange Disappearances en 1927., je me suis souvenue de cette ballade de Charles d’Orléans (1394-1465) : En la forêt de Longue Attente…

Je la reproduis ci-dessous, d’abord dans la graphie moderne, puis dans sa graphie ancienne.

BALLADE

En la forêt de Longue Attente
Chevauchant par divers sentiers
M’en vais, cette année présente,
Au voyage de Desiriers.
Devant sont allés mes fourriers
Pour appareiller mon logis
En la cité de Destinée ;
Et pour mon coeur et moi ont pris
L’hôtellerie de Pensée.

Je mène des chevaux quarante
Et autant pour mes officiers,
Voire, par Dieu, plus de soixante,
Sans les bagages et sommiers.
Loger nous faudra par quartiers,
Si les hôtels sont trop petits ;
Toutefois, pour une vêprée,
En gré prendrai, soit mieux ou pis,
L’hôtellerie de Pensée.

Je despens chaque jour ma rente
En maints travaux aventuriers,
Dont est Fortune mal contente
Qui soutient contre moi Dangiers ;
Mais Espoirs, s’ils sont droicturiers,
Et tiennent ce qu’ils m’ont promis,
Je pense faire telle armée
Qu’aurai, malgré mes ennemis,
L’hôtellerie de Pensée.

ENVOI

Prince, vrai Dieu de paradis,
Votre grâce me soit donnée,
Telle que trouve, à mon devis,
L’hôtellerie de Pensée.

* * *

BALADE

En la forest de longue actente,
Chevauchant par divers sentiers,
M’en voys, ceste année presente,
Ou voyage de desiriers ;
Devant sont allez mes fourriers,
Pour appareiller mon logis
En la cité de Destinée,
Et, pour mon cueur et moy, ont pris
L’ostellerie de Pensée.

Je mene des chevaulx quarente,
Et autant pour mes officiers,
Voire, par Dieu, plus de soixante,
Sans les bagaiges et sommiers.
Loger nous fauldra par quartiers,
Se les hostelz sont trop petis
Touteffoiz pour une vesprée
En gré prandray, soit mieulx ou pis,
L’ostellerie de Pensée.

Je despens chascun jour ma rente
En maints travaulx avanturiers,
Dont est Fortune mal contente,
Qui soustient contre moy Dangiers ;
Mais, Espoirs, s’ilz sont droicturiers,
Et tiennent ce qui qu’ilz m’ont promis,
Je pense faire telle armée,
Qu’auray malgré mes ennemis,
L’ostellerie de Pensée.

L’ENVOY

Prince, vray Dieu de paradis,
Vostre grace me soit donnée,
Telle que trouve à mon devis,
L’ostellerie de Pensée.