De Mirepoix à Pamiers, on change de pays – 5. Du côté de la Bouriette et de la gare SNCF

 

Cheminant, de lessive en lessive, au bord des jardins de la rue des Cendresses – adresse bien connue de l’hôtel des impôts ! -, songeant à la commune pratique des dites lessives, j’allais ce jour-là au rendez-vous de Guillaume Sibra, dit Jean Dabail, l’un des héros des recherches que je mène aux archives depuis bientôt sept ans [1]Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014.., dont je savais que, changeant de pays le 25 mars 1800, il était parti de Mirepoix avec sa bande afin de rejoindre à Pamiers la bande à Marré et d’attendre en compagnie de cette dernière, au lieu dit la Bouriette, le gendarme Rives, également venu de Mirepoix, porteur de dépêches à destination des autorités du district.

A noter que le gendarme arrivait de Mirepoix par l’ancien chemin de Pamiers, sis sur la rive droite de l’Hers, emprunté depuis le Moyen-Age par les pèlerins de Saint-Jacques, tandis que Jean Dabail et sa bande avaient préféré la nouvelle route, sise sur la rive gauche de l’Hers.

 

 

Ci-dessus : trajet de la bande à Dabail.

 

Ci-dessus : trajet du gendarme Rives et de son compagnon de route, Abraham Louis, marchand mercier.

Voici, d’après les archives, le procès verbal des événements survenus « dans les vignes, près de la métairie de la Bouriette », le 25 mars 1800 :

Aujourd’hui quatre du mois germinal an huit [mardi 25 mars 1800] de la République, vers quatre heures du soir, je soussigné Barthélémy Rives, gendarme à la résidence de Mirepoix, portant des dépêches à Pamiers, accompagné du citoyen Louis, marchand à Mirepoix, ai été attaqué et invectivé dans les vignes près de la métairie de Bouriette par un individu qui est Jean Dabail, qui m’a tiré deux coups de fusil, dont n’ayant pas été atteint, j’ai voulu le charger de suite, mais étant à sa poursuite, d’autres individus que je n’ai pas connus, cachés derrière un mur de pierre sèche, m’ont tiré aussi deux coups de fusil, dont un m’a légèrement atteint à la cuisse droite avec du petit plomb, alors je me suis retiré sur la grande route de Pamiers où j’ai aperçu trois individus armés qui traversaient le chemin & fuyaient à toutes jambes du côté de Verniolle. [2]Archives nationales, F/7/7724.

Je descendais donc par la rue des Cendresses en direction de l’avenue de la Bouriette, dans le but de photographier ce qui reste du paysage dans lequel Jean Dabail est réputé avoir « assassiné », le quatre du mois germinal an huit, le gendarme Rives. Le mot « assassiné » est de Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège, qui a inauguré son préfectorat avec l’affaire Dabail et qui a eu alors, dans des conditions difficiles, à asseoir son autorité débutante. [3]Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014.

J’allais avenue de la Bouriette, chercher la « métairie de la Bouriette », sachant que, dérivé de l’antique bòria, le mot « bouriette » désigne per se en occitan « un domaine agricole, une grosse ferme, une métairie » [4]Cf. Louis Alibert, Dictionnaire Occitan-Français, p. 171, Institut d’Estudis Occitans, 1966 ; Wikipedia, Borie..

Je tombe avenue de la Bouriette sur la ZAC du même nom…

 

 

Avenue de la Bouriette, la plaque qui indique le nom de la dite avenue, a perdu deux lettres…

 

Je m’avance dans une avenue toute neuve, neuve à perte de vue… Où, Dabail et le gendarme Rives ?

 

Un peu plus loin, toujours sur la droite, bingo ! un vieux mur de pierres sèches, une trouée derrière les arbres…

 

Voici la Bouriette ! [5]Pour d’autres photos du bâtiment, cf. La dormeuse blogue 3 : A Pamiers – Vestiges de la Bouriette.

 

Derrière la Bouriette, ce qu’on voit des vignes de l’année 1800…

 

A côté de la Bouriette, bis repetita, ce qu’on voit des vignes de l’année 1800…

 

C’est là, au débouché de l’avenue de la Bouriette, du côté de la D119, que les « trois individus armés » aperçus par le gendarme Rives ont « fui à toutes jambes du côté de Verniolle ». Pourquoi Verniolle ? Parce que Dabail et les siens y pouvaient trouver refuge chez Laurent Bec, maître maréchal ferrant, ou chez François Bec, maréchal ferrant, respectivement grand-père maternel et oncle maternel de Dabail.

Ce paysage de ZAC a été le théâtre de l’espèce de western politico-crapuleux consigné par l’archive du quatre germinal an huit ! Un exemple d’image dialectique encore, au sens où l’entend Walter Benjamin dans Paris Capitale du XXe siècle. Le livre des passages [6]Cf. La dormeuse, encore : De Mirepoix à Pamiers, on change de pays – 3. Quand l’Autrefois rencontre le Maintenant, ou l’étincelle dialectique..

Il me faut songer maintenant à gagner le quartier de la gare SNCF. Je rentre en bus à Mirepoix. Le bus passe à la gare vers 17h15.

 

Chaque fois que je passe au bord de cette maison, je vois derrière la baie vitrée cet homme assis, en train de lire. Que lit-il ? Mystère des vies dont on ne sait rien…

 

Mystère d’une autre maison, toujours fermée…

 

Ici, la façade d’un cabinet de médecin.

 

Un superbe exemple d’Art Déco !

 

Je tiens particulièrement à cette photo déformée. C’est alors que je la prenais que mon APN préféré, un Nikon Coolpix S 3100, m’a lâchée. J’ai entendu un drôle de cliquetis, j’ai vu s’afficher le message suivant : « L’optique de cet appareil a un problème », et… PLUS RIEN.

On voit le problème en effet sur cette toute dernière image, l’ultime, prise à l’aide de mon appareil défunt. Il se trouve que j’aime beaucoup la déformation induite par le problème en question. Ensuite, j’ai dû terminer ma balade avec l’iPhone en lieu et place de mon vieux Nikon. Celui-ci avait six ans, quand même. Mais je soupçonne ici l’obsolescence programmée.

 

Peu avant d’atteindre la place de la gare, un ancien dépôt-vente, dont la façade a conservé le style des années 1930.

 

Pour l’amour des ruines et de la photo pauvre, vue de l’intérieur de l’ancien dépôt-vente.

 

Pour l’amour de la ferronnerie et des jeux de ligne éblouis, vue de l’intérieur d’un restaurant près de la gare.

 

En face de la gare, toujours fermé, toujours à vendre, très dégradé, l’ancien hôtel Baurès, créé en 1912, superbe exemple de style Art Nouveau, rare dans la région.

 

La gare, vue dans la vitrine de l’ancien café, naguère vilainement aménagé au rez-de chaussée de l’ancien hôtel Baurès.

 

Abords de la gare, dans la lumière vermeille d’une belle après-midi d’automne.

 

Au sol de la place nouvellement aménagée devant la gare, reproduction du sceau de Pamiers. Celui-ci représente la barque miraculeuse de Saint Antonin.

Né vers 453, fils de Frédéric, seigneur de Frédélas, ancien nom de Pamiers, et neveu de Théodoric II, roi wisigoth de Toulouse, Antonin rompt précocement avec l’hérésie arienne dans laquelle donne son oncle, et quitte sa région natale. Devenu chrétien, ordonné prêtre, il se consacre à l’évangélisation d’autres régions. Puis il revient clandestinement à Pamiers. Mais dénoncé par les tenants de l’arianisme, il est décapité, entre 498 et 506, au Mas Vieux, autrement appelé Cailloup, sur l’autre rive de l’Ariège. Son corps démembré est alors enseveli en ce même endroit. Sa tête et son bras droit cependant se trouvent un peu plus tard transportés à Nobleval, en Rouergue, dans une barque miraculeuse, guidée par un ange représenté ici sous la forme de deux oiseaux.

 

Vue du nouvel aménagement végétal de la place de la gare. Quelqu’un a songé ici aux tableaux du Douanier Rousseau, du moins à la saison verte.

 

Dernière vue de la place de la gare, à 17h15, avant de monter dans le bus.

… tu veux aller chez toi en bus
Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances

Adieu Adieu

Soleil cou coupé [7]Détourné d’Apollinaire dans Zone, in Alcools, 1912.

Notes

1 Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014..
2 Archives nationales, F/7/7724.
3 Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014.
4 Cf. Louis Alibert, Dictionnaire Occitan-Français, p. 171, Institut d’Estudis Occitans, 1966 ; Wikipedia, Borie.
5 Pour d’autres photos du bâtiment, cf. La dormeuse blogue 3 : A Pamiers – Vestiges de la Bouriette.
6 Cf. La dormeuse, encore : De Mirepoix à Pamiers, on change de pays – 3. Quand l’Autrefois rencontre le Maintenant, ou l’étincelle dialectique.
7 Détourné d’Apollinaire dans Zone, in Alcools, 1912.

1 réflexion sur « De Mirepoix à Pamiers, on change de pays – 5. Du côté de la Bouriette et de la gare SNCF »

  1. Passé un bon moment en t’accompagnant au cours de cette promenade. De l’humour, j’ai ri, je te sentais en forme.

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