J’ai voulu savoir, lorsque j’ai lu cette lettre, d’où vient que cet amoureux de l’an IV se plaise à invoquer sa bien-aimée sous le nom de Soeur Annette et à se présenter lui-même sous le nom de Frère Lubin. On devine qu’il y a ici du sous-entendu. J’ai tenté d’en savoir un peu plus…
O toi que j’aime, que j’aimerai toujours, nonne charmante ! soeur Annette ! ô, mon amie, daigne songer quelque fois à ton amant qui languit loin de toi ou, si tu dois changer, n’aime au moins que frère Lubin et sois lui bien fidèle jusqu’à mon retour.
1. Frère Lubin
Aujourd’hui oublié, le sobriquet « Frère Lubin » se trouve attesté dans la littérature à partir du XIIIe siècle et il fait l’objet d’un usage courant jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
François Noel et L.J.M. Carpentier, dans Philologie française: ou Dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire, contenant un choix d’archaïsmes, de néologismes, d’euphémismes, d’expressions figurées ou poétiques, de tours hardis, d’heureuses alliances de mots, de solutions grammaticales, etc., pour servir à l’histoire de la langue française consignent à propos du mot « Lubin » les observations suivantes :
LUBIN, n. pr. m. du latin lupinus venu de lupus (loup). Ce sobriquet, donné à certains moines, se trouve déjà dans le Roman de la Rose, ouvrage du XIIIe siècle, et cette expression est probablement due à ce roman.
On a dit dans le même sens frère Louvel, également du latin lupus, lupulus, lupellus.
« Les écrivains satiriques », dit Le Duchat sur Rabelais (1741), in Prologue du 1er livre, « sont, il y a longtemps, en possession de traiter les moines généralement de frères Lubins ; nom qui pourtant semble convenir plus proprement aux Cordeliers, moins par rapport à leur habit couleur de gris de loup, qu’à ce qu’on dit de leur patriarche qui appeloit si bonnement son frère ce loup des dégâts duquel les habitans de Gubio se plaignoient si fort. L’histoire en est contée fort naïvement, feuillet 99 tourné, des Conformités, édit. de Milan. 1513 ; dans le Roman de la Rose, feuillet 69 tourné, de l’édit. de 1531, Faux-semblant, ou l’Hypocrisie parle en ces termes, sous l’habit d’un moine quêteur » :
Je m’en plaindray ? tant seulement
A mon bon confesseur nouvel
Qui n’a pas nom frère Louvel,
Car forment se courrouceroit
Qui par tel nom l’appelleroit.
« Il avoit été cordelier, j’entends de ces frères lubins dont on fait tant de bons contes, et qui eux-mêmes en font de si gras », dans Rabelais, liv. II , ch. 55 , et liv. III, ch. 18. Préface, en tête des Oeuvres de Rabelais, in-8°, 1732.
Lubiner : agir en frère lubin, en moine sournois et paillard. [1]François Noel et L.J.M. Carpentier, Philologie française: ou Dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire, contenant un choix d’archaïsmes, de néologismes, … Continue reading
Le caractère d’un frère lubin se trouve plaisamment peint par Clément Marot dans sa Ballade de Frère Lubin :
Pour courir en poste à la ville
Vingt fois, cent fois, ne scay combien,
Pour faire quelque chose vile,
Frère Lubin le fera bien ;
Mais d’avoir honneste entretien,
Ou mener vye salutaire,
C’est à faire à un bon chrestien,
Frère Lubin ne le peult faire.
Pour mettre (comme un homme habile)
Le bien d’autruy avec le sien,
Et vous laisser sans croix ne pile,
Frère Lubin le fera bien.
On a beau dire, je le tien,
Et le presser de satisfaire,
Jamaiz il ne vous tendra rien ;
Frère Lubin ne le peult faire.
Pour desbaucher par ung doulx style
Quelque fille de bon maintien,
Point ne fault de vieille [2]Vieille revenue de la bagatelle ; entremetteuse subtile.
Frère Lubin le fera bien.
Il presche en théologien ;
Mais pour boire de belle eau clere,
Faictes la boire à vostre chien,
Frère Lubin ne le peult faire.
Envoy
Pour faire plus tost mal que bien,
Frère Lubin le fera bien ;
Et si c’est quelque bon affaire,
Frère Lubin ne le peult faire.
2. Annette et Lubin
Annette et Lubin sont par ailleurs les héros d’un « conte moral » publié en 1769 par Marmontel. Ils vivent une idylle si touchante que le conte a connu auprès des lecteurs, et surtout des lectrices, un succès formidable en son temps.
ANNETTE ET LUBIN,
HISTOIRE VÉRITABLE.
S’il est dangereux de tout dire aux enfans, il est plus dangereux encore de leur laisser tout ignorer. Il y a des fautes graves selon les lois, qui ne sont point telles aux yeux de la nature ; et l’on va voir dans quel abîme celle-ci conduit l’innocence, qui a le bandeau sur les yeux.
Annette et Lubin étaient enfans de deux soeurs. Ces liens étroits du sang devaient être incompatibles avec ceux du mariage ; mais Annette et Lubin ne se doutaient pas qu’il y eût au monde d’autres lois que les lois simples de la nature. Depuis l’âge de huit ans, ils gardaient les moutons ensemble sur les bords rians de la Seine. Ils touchaient à leur seizième année ; mais leur jeunesse ne différait guère de l’enfance que par un sentiment plus vif de leur mutuelle amitié… [3]Jean François Marmontel (1723-1799), Annette et Lubin, in Contes moraux, volume 2, p. 201, chez J. Merlin Libraire, Paris, 1765.
Ci-dessus : gravure d’Hubert-François Bourgignon (1699-1773), dit Gravelot, pour Annette et Lubin, dans les Contes moraux de Marmontel.
3. A propos de l’épistolier de ventôse an IV et de sa destinataire
Inutile de faire un dessin. Suite aux diverses indications fournies ci-dessus, on aura probablement compris de quoi parle l’auteur de la lettre reproduite en tête de cet article, lorsqu’il formule à l’intention de sa destinataire cette prière instante : O toi que j’aime, que j’aimerai toujours, nonne charmante ! soeur Annette ! ô, mon amie, daigne songer quelque fois à ton amant qui languit loin de toi ou, si tu dois changer, n’aime au moins que frère Lubin et sois lui bien fidèle jusqu’à mon retour.
La lettre est datée de ventôse an IV, i. e. d’un jour non précisé du mois qui va du 20 février au 20 mars 1796. Il se peut que l’épistolier n’ait pas précisé le jour, parce que, s’il est familier du calendrier grégorien, il ne l’est point encore du nouveau calendrier révolutionnaire. Il n’est point familier non plus de l’orthographe des noms de lieu, puisqu’il écrit « Gardemon » en lieu et place de Gardemont, bastide autrement appelée Réalville, située dans le Tarn-et-Garonne.
L’auteur de cette lettre se nomme Jean Antoine Norbert Baillé. Né le 6 juin 1765, c’est l’un des treize enfants de Géraud Baillé, notaire royal, et de Dorothée Cairol ; d’où, le frère de Jeanne Marie Baillé, qui épousera le 8 Pluviôse an VI (samedi 27 janvier 1798) François Melchior Soulié et qui, le 23 décembre 1800, donnera le jour à Melchior Frédéric Soulié, le futur écrivain.
Engagé dans l’armée révolutionnaire depuis 1791, Norbert Baillé est depuis 1794 adjudant général dans l’armée d’Italie. Le certificat de civisme qu’il sollicite et obtient cette année-là auprès de la municipalité de Mirepoix, fournit à son sujet les indications suivantes : »âgé de trente ans, de la taille de cinq pieds quatre pouces [1m 73 environ], cheveux et sourcils châtains, bouche grande, nez moyen, menton rond, front moyen, visage ovale » [4]Cf. La dormeuse blogue 2 : A Mirepoix, quatre certificats de civisme en l’an II.. Il a 31 ans lorsqu’il écrit la lettre datée de ventôse an IV.
La lettre est adressée de « Gardemon » à la « citoyenne Belou Rouger, à Mirepoix », surnom familial de Marie Julie Elisabeth Jacquette Rouger, l’une des six filles d’Etienne Rouger, notaire royal. Sabine, l’une des soeurs de Belou, s’est mariée en 1793. Née le 14 juin 1776, Belou a en ventôse an IV bientôt 2O ans. Norbert Baillé est relativement à elle un cousin éloigné, par leur bisaïeule, Marie Eléonore Baillé, fille de Jean Baillé, docteur en Droit, juge Royal de Dun, qui a épousé circa 1637 Jean Rouger, notaire royal.
La lettre envoyée par Norbert Baillé à Belou Rouger en ventôse an IV est la première d’une suite de quarante lettres issues des archives de la famille Rouger et publiées en 1984 par Joseph Laurent Olive sous le titre suivant : Quarante lettres de Norbert Baillé, officier de la Grande Armée, à sa fiancée [5]Tirage limité, Imprimerie du Champ de Mars à Saverdun.. Les réponses de la fiancée manquent. On sait par la suite de cette correspondance que, toujours absent, car toujours en campagne, Norbert Baillé ne trouva jamais le temps d’épouser Marie Julie Elisabeth Jacquette Rouger, même s’il revint la voir quelquefois à Mirepoix. Il trouve malheureusement la mort, d’une blessure à la jambe, à l’hôpital de Santarem, en Portugal, le 29 novembre 1810. Désespérée, rongée par la consomption, Marie Julie Elisabeth Jacquette Rouger meurt à son tour le 27 novembre 1812. « Ma chère Belou est morte de faim après des souffrances continues », écrira Sabine, sa soeur, en 1836.
Notes
↑1 | François Noel et L.J.M. Carpentier, Philologie française: ou Dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire, contenant un choix d’archaïsmes, de néologismes, d’euphémismes, d’expressions figurées ou poétiques, de tours hardis, d’heureuses alliances de mots, de solutions grammaticales, etc., pour servir à l’histoire de la langue française, p. 196, Le Normant Père, 1831. |
↑2 | Vieille revenue de la bagatelle ; entremetteuse |
↑3 | Jean François Marmontel (1723-1799), Annette et Lubin, in Contes moraux, volume 2, p. 201, chez J. Merlin Libraire, Paris, 1765. |
↑4 | Cf. La dormeuse blogue 2 : A Mirepoix, quatre certificats de civisme en l’an II. |
↑5 | Tirage limité, Imprimerie du Champ de Mars à Saverdun. |
dans le 3ème couplet d' »au clair de la lune », l’aimable Lubin frappe chez la brune.
Ah! les chansons dites enfantines!
J’aime beaucoup la nature morte à la …. Lubin Baugin …