Haro sur le style esclave !

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Gravure de Philibert Louis Debucourt, 1794.

Le 6 octobre 1793 (15 vendémiaire an II), la Convention substitue le calendrier républicain au calendrier grégorien. Cette substitution s’applique de façon rétrospective à partir du 22 septembre 1792, 1er vendémaire an I de la liberté. Le « nouveau style » du calendrier républicain entend faire pièce au « style esclave » du calendrier grégorien, le « style de la superstition », lequel voulait auparavant qu’on parlât de l’an de Jésus Christ ou de l’an de grâce.

Le calendrier républicain comporte 12 mois de 30 jours, soit un total de 360 jours. Pour atteindre les 365¼ de l’année solaire, on ajoute 5 jours au calendrier, et un sixième jour supplémentaire les années sextiles, i. e. les ans III, VII, et XI. Il s’agit là de jours festifs, dits « sans-culottides » :

Jour de la vertu (17 septembre)
Jour du génie (18 septembre)
Jour du travail (19 septembre)
Jour de l’opinion (20 septembre)
Jour des récompenses (21 septembre)
Jour de la révolution (22 septembre, seulement les années textiles)

Le calendrier républicain ménage un nouveau découpage de l’année. Celle-ci court du mois de vendémiaire au mois de fructidor, conformément à la déclinaison suivante :

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Chaque mois comporte 3 décades, ou semaines de 10 jours, qui se suivent chronologiquement ainsi :

Primidi, Duodi, Tridi, Quartidi, Quintidi, Sextidi, Septidi, Octidi, Nonidi et Décadi.

Le décadi est chômé. La plupart des sans-culottes ayant continué d’observer le repos de l’ancien dimanche, la France révolutionnaire a chômé ainsi, sans exclusive, et de façon décadaire, et de façon hebdomadaire.

A Mirepoix, Jacques Sutra, François Laffont, Dominique Jalabert, Jean Sibra Dabail [sic] et Paul Planet profitent gaillardement du repos de l’ancien dimanche, le 28 vendémiaire an III (19 octobre 1794). Arrêtés pour tapage et ivresse, ils sont déférés devant le très jacobin Marc Fontès, citoyen maire :

« Et comme le citoyen maire aurait observé aux ci-dessus dénommés que d’après l’arrêté du représentant du peuble [sic] il était défendu à tous citoyens d’aller dans les cabarets les jours des ci-devant dimanches et que le dit arrêt avait été proclamé publiquement dans toutes les rues et carrefours et lus plusieurs fois aux fêtes décadaires, il leur était observé qu’ils étaient contrevenants aux dispositions du dit arrêté ; à quoi le dit Sutra aurait répondu que cela lui était indifférent et que c’était du Berlu, ce qui est un terme de mépris, et que n’ayant point de travail aujourd’hui, il avait été boire bouteille avec ses collègues. » 1Cf. Registre municipal de Mirepoix.

Anciennement dédiés aux saints de l’ère « esclave », les jours de l’année portent désormais des noms de fruits, de légumes, d’animaux, d’instruments, etc.

« Nous avons pensé que la nation, après avoir chassé cette foule de canonisés de son calendrier, devait y retrouver en place tous les objets qui composent la véritable richesse nationale, les dignes objets, sinon de son culte, au moins de sa culture ; les utiles productions de la terre, les instruments dont nous nous servons pour la cultiver, & les animaux domestiques, nos fidèles serviteurs dans ces travaux ; animaux bien plus précieux, sans doute, aux yeux de la raison, que les squelettes béatifiés tirés des catacombes de Rome.

En conséquence, nous avons rangé par ordre dans la colonne de chaque mois, les noms des vrais trésors de l’économie rurale. Les grains, les pâturages, les arbres, les racines, les fleurs, les fruits, les plantes, sont disposés dans le calendrier, de manière que la place & le quantième que chaque production occupe est précisément le temps & le jour où la nature nous en fait présent. » 2Philippe-François-Nazaire Fabre, dit Fabre d’Eglantine, Rapport fait à la Convention nationale, dans la séance du 3 du second mois de la seconde année de la République Française, au nom de la Commission chargée de la confection du Calendrier, Imprimerie nationale, 1793.

 

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La laïcité, ou du moins le « nouveau style », a ses ridicules…

Mirepoix a pratiqué les prénoms révolutionnaires principalement en l’an II, et encore un peu en l’an III.

 

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17 thermidor an II, acte de naissance de Fer Lin Betterave Combes.

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6 fructidor an II, qcte de naissance de Cire Potiron Tubéreuse Arnaud. Ces prénoms seront modifiés plus tard, sur demande des parents.

Outre Lin Fer Betterave Combes, ou Cire Potiron Tubéreuse Arnaud, on trouve aussi à Mirepoix, dans le registre des naissances de l’an II, Réglisse Coriandre Gélade, Argile Mélisse Tubéreuse Amouroux, Cardière Ellébore Pierre Picou, Lentille François Marie Gibert, François Vergedor Bourgès, Paule Corbeille Bourdil, Pierre Eglantier Taillefer, Paule Noisette Sarrail, François Anne Pastèque Amiel, Jeanne Opinion Piquemal (« née ce cinquième jour sans-culottide de l’an II »), etc. etc.

La laïcité a ses ridicules bis repetita.

Suite au sénatus-consulte de Napoléon qui abroge le 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805) le calendrier républicain, la France retourne au calendrier grégorien le 1er janvier 1806. Le calendrier républicain sera brièvement réutilisé par la Commune dans le Journal officiel en l’an LXXIX (1871).

References

1 Cf. Registre municipal de Mirepoix.
2 Philippe-François-Nazaire Fabre, dit Fabre d’Eglantine, Rapport fait à la Convention nationale, dans la séance du 3 du second mois de la seconde année de la République Française, au nom de la Commission chargée de la confection du Calendrier, Imprimerie nationale, 1793.

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  • Martine Rouche at 17 h 55 min

    Hihi … Je suis née un 17 septembre, quand même ! Vaste programme !
    Plus sérieusement, il est clair que le Conseil Général tenait à l’application du calendrier  » nouveau style  » à Mirepoix, ce que je n’ai trouvé dans aucun autre registre d’état – civil de la période, en tout cas pas dans ceux des communes que j’ai pu consulter. S’appeler  » tubéreuse  » , je veux bien, mais  » fumier  » ou  » bitume  » … Quel que soit l’argument ! Il me semble me souvenir de jumeaux appelés  » panier  » et  » corbeille  » …