Jean Avezorgues, Alaman, dit Petit Mesqui, est-il le Jean Petit du saccage de Mirepoix en 1362-1363 ?

 

Albrecht Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable, 1513.

Paul Hay, seigneur du Chastelet, dans son Histoire de Bertrand Du Guesclin, connestable de France…, mentionne la présence d’un certain Jean Hanezorgue, parmi les capitaines des Grandes Compagnies avec lesquels Henri de Trastamare signe le 23 juillet 1362, à Clermont-en-Auvergne, un traité stipulant que, moyennant finances, ils « vuideront et iront à sa suite hors du royaume de France, sans jamais retourner à iceluy pour y faire guerre » :

 

Justin Édouard Cénac-Moncau, Histoire des Pyrenées et des rapports internationaux de la France avec l’Espagne, tome 3, p. 418-419, Amyot, Paris, 1854.

 

Histoire de Bertrand Du Guesclin, connestable de France… ; par Paul Hay, seigneur du Chastelet, p. 313, chez Charles de Sercy, Paris, 1666.

D’autres chroniqueurs rapportent que le 23 août 1362, Johan Avezorgues, ainsi que Espiotte et Pierre de Montaud, tous deux Gascons, capitaines de deux autres compagnies, passèrent à Saint-Martin de Prunet (quartier de Montpellier), et qu’ils allèrent ensuite loger à Miravals (Mireval), à Vic (Vic-la-Gardiole), à Lavérune (près de Sète), et à Pinhan (Perpignan) :

 

Le Petit Thalamus de Montpellier, p. 361, Société archéologique de Montpellier, Jean Martel Aîné Imprimeur, 1840.

 

Ibidem.

 

Froissart, dans ses Chroniques, nomme ce Johan Avezorgues, Annesoige. Il rapporte qu’entre le 13 et le 20 septembre 1363, Annesoige et sa bande ont rejoint à Brioude, en Auvergne, Seguin de Badefol, l’un des principaux chefs des Grandes Compagnies, après que celui-ci se soit emparé de la ville « par escalade et trahison » :

 

Oeuvres de Jean Froissart (1338 ?-1410 ?) ; texte et notes de Joseph Marie Bruno Constantin, baron Kervyn de Lettenhove, et par Auguste Scheler (1819-1890 ) ; Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, volume 20, p. 234, V. Devaux et cie, Bruxelles, 1875.

Arnaud Esquerrier et le cordelier Miégeville, dans les Chroniques romanes des comtes de Foix, parlent, quant à eux, d’un certain Jonas Orgas, guerroyant dans le cadre de la guerre qui a repris à partir de 1375 entre Gaston Phoebus et le comte d’Armagnac. Sur l’édition établie en 1895 par Félix Pasquier et Henri Courteault, une main anonyme mentionne qu’en lieu et place de Jonas Orgas de Alamanha, alias lo petit Mesqui, il faut comprendre Annesoige, ou Johan Hanesorgues, ou Jean Hanezorgue, ou Johan Avezorgues :

 

Chroniques romanes des comtes de Foix, composées au XVe siècle par Arnaud Esquerrier et par Miégeville (cordelier de Morlaas), pp. 60-61 ; publiées pour la première fois, par Félix Pasquier et Henri Courteault, Gadrat Aîné Editeur, Foix ; A. Picard et Fils Editeurs, Paris ; 1895.

Félix Pasquier remarque dans une note en bas de page que ce petit Mesqui Jonas Orgas de Alamanha ne saurait être le célèbre Petit Meschin, capitaine d’aventure lui aussi, puisque, convaincu de complot contre Louis d’Anjou, lieutenant du roi en Languedoc, ledit Petit Meschin a été exécuté à Toulouse, par noyade dans la Garonne, en mai 1369. On devine que, chez Arnaud Esquerrier et Miégeville comme précédemment chez Froissart, le nom de l’Alaman a été altéré.

 

Chroniques romanes des comtes de Foix, p. 61.

Le surnom de Petit Mesqui suggère toutefois, par effet de proximité sémantique, que le dit Jonas Orgas de Alamanha a pu être considéré en son temps comme une sorte de double, de second ou de rival du Petit Meschin. Mesqui ou meschin, le surnom dénote chaque fois un quidam d’origine obscure ou d’extraction meschine, « mesquine », au sens de « basse », et, dans le cas du petit Meschin, le statut initial de meschin, au sens de « valet d’armes ».

Mais le surnom de Mesqui, variante catalane du « mezquito » castillan, signale dans le cas de Jonas Orgas de Alamanha la précédence de quelque engagement antérieur de l’autre côté des Pyrénées dans la guerre que le comte de Trastamare mène alors contre son demi-frère, Pierre Ier de Castille, dit le Cruel. Il se trouve en l’occurrence que « mesqui », ou « mezquito », signifie dans son acception ancienne « desdichado », i.e. né sous une mauvaise étoile, ou, de façon plus directement menaçante, propre à faire venir le malheur.

Il se trouve encore qu’en vertu de la graphie adoptée par les auteurs de la Chronique des comtes de Foix, le nom de Jonas Orgas dénote, au moins aux yeux des deux savants chroniqueurs, le bouillonnement orgastique [1]Orgas, ὀργάς, en grec : soulèvement de la vie, bouillonnement vital. qui est au principe de la vie violente dans laquelle s’est jeté Johan Avezorgues. A noter que, caractéristique d’une origine flamande, le suffixe « zorg » désigne indifféremment le « souci » et le « soin », plaçant ainsi l’homme qui porte un tel patronyme sous le signe de l’effroi, qu’il inspire, et du dol qu’il réserve à ses adversaires ou victimes.

Annesoige, ou Jean Hanezorgue, ou Johan Avezorgues, alias lo petit Mesqui Jonas Orgas de Alamanha, c’est, autrement dit, le petit Funeste, le petit Mauvais, le petit Violent. Si Jean Hanezorgue ou Johan Avezorgues, alias lo petit Mesqui Jonas Orgas de Alamanha est bien le nom du capitaine d’aventure qui, avec ses hommes, a occupé Mirepoix de novembre 1362 à septembre 1363, les Mirapiciens, par pente simplificatrice, et probablement aussi par souci de conjuration, l’auront dénommé, quant à eux, Jean Avezorgues Petit Mesqui Jonas Orgas, tout court.

Telle que rapportée par les divers chroniqueurs, la chronologie des apparitions qui furent celles de Annesoige/Jean Hanezorgue/Johan Avezorgues/Jonas Orgas/lo Petit Mesqui, sur le théâtre de la guerre en France, laisse une place suffisante pour, de novembre 1362 au 5-9 septembre 1363, la quasi année de saccage de Mirepoix.

Le 23 juillet 1362,après avoir participé sans doute à la bataille de Brignais, au saccage du Lyonnais et de l’Auvergne, puis à celui de Pont-Saint-Esprit, Jean Hanezorgue et sa compagnie sont présents à Clermont d’Auvergne où ils co-signent avec Henri de Trastamare et Gaston Phoebus le traité stipulant que, moyennant finances, ils quittent le territoire français pour aller servir tras los montes les intérêts de la Catalogne. Le 23 août 1362, descendant vers le sud, Johan Avezorgues et les siens passent à Saint-Martin de Prunet (quartier de Montpellier), à Miravals (Mireval), à Vic (Vic-la-Gardiole), à Lavérune (près de Sète), et arrivent à Pinhan (Perpignan). Mais comme les 10 000 florins attendus du traité conclu avec Henri de Trastamare ne viennent pas, ils refluent alors vers le Carcassès, le Razès, le Lauragais, et le pays de Mirepoix, afin de se payer sur le territoire. C’est ainsi qu’en novembre 1362, ils s’emparent du château des Pujols, puis s’attaquent à Mirepoix, qu’ils occupent jusqu’en novembre 1363.

Le 5 septembre 1363, les arbalétriers que le maréchal d’Audrehem a fait venir de Narbonne, interviennent à Mirepoix et ils obtiennent le 9 septembre l’évacuation de la ville. Les routiers, qui vont à cheval, sont connus pour la rapidité de leurs déplacements. Le 20 septembre 1363, soit onze jours après avoir quitté Mirepoix, Annesoige/Jean Hanezorgue/Johan Avezorgues/Jonas Orgas/lo petit Mesqui, et les siens, arrivent à Brioude, où ils retrouvent, entre autres, maîtres de la ville, Seguin de Badefol, Espiotte, et le Petit Meschin.

En 1375, Annesoige/Jean Hanezorgue/Johan Avezorgues/Jonas Orgas/lo petit Mesqui reparaît, en silhouette, dans le cadre de la guerre qui a repris en France entre le comte de Foix et le comte d’Armagnac ; puis le 3 avril 1367 à la batalla de Nájera, autrement appelée batalla de Navarrete, qui oppose Henri de Trastamare à son frère Pierre le Cruel ; puis le 4 février 1369, à Borja, dans l’hommage lige d’Olivier de Mauny au roi de Navarre, hommage à la suite duquel ledit Hanesorgues se trouve mentionné, en première position, comme faisant partie des « basaillos et omnes liges del seynnor rey don Karlos [Charles II de Navarre, dit Charles le Mauvais], et autres « cavaylleros et escuderos », qui, tous, « prometieron lur fe e lealtad de servir al dicho seynnor de todo lar poder en sus guerras et aferres contra todas personas, salvo que alguno exceptan los reales de Anglaterra ».

 

Hommage lige d’Olivier de Mauny au roi de Navarre (Cartulaire II, pp. 106-108), Documents des archives de la Chambre des comptes de Navarre (1196-1384), pp. 169-171, Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes, fascicule 84, Emile Bouillon Libraire-Editeur, Paris, 1890.
A noter qu’on trouve ici, rarement indiqué ailleurs, le vrai nom du célèbre Petit Meschin, ou « Petit Machin ». De naissance, celui-ci s’appelait « Helies » [2]Certains chroniqueurs le disent Gascon. Mais on trouve un « Hélie Mechin le june, de son essart », en 1345, dans le censif de la châtellenie de Mornac, dû à Robert II de Matha, seigneur de … Continue reading.

Ensuite, on ne sait plus rien de l’Alaman. De quoi douter qu’à l’exemple de quelques-uns de ses semblables plus chanceux que lui, il ait fini, doté de lettres de rémission, dans son lit.

Notes

1 Orgas, ὀργάς, en grec : soulèvement de la vie, bouillonnement vital.
2 Certains chroniqueurs le disent Gascon. Mais on trouve un « Hélie Mechin le june, de son essart », en 1345, dans le censif de la châtellenie de Mornac, dû à Robert II de Matha, seigneur de Matha et de Mornac, in Archives de la Saintonge et de l’Aunis.

3 réflexions sur « Jean Avezorgues, Alaman, dit Petit Mesqui, est-il le Jean Petit du saccage de Mirepoix en 1362-1363 ? »

  1.  » Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
    Où la main ne passe et repasse.  »

    C’est un peu ce que tu as fait sur cette question, me semble – t – il … Considères – tu que tu es au bout et que tu as trouvé le trésor que tu nous proposes ici ? Or else …
    En tout cas, bravo, si je puis me permettre, ou plutôt, merci : c’est un régal de suivre l’enquête minutieuse que tu as menée, à partir de presque rien.
    Et quelle gravure !
    Bonne lecture à tous ceux qui viennent ici !

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