Félix Pasquier – Dissensions entre Roger Bernard de Lévis I, seigneur de Mirepoix, et Jean de Lévis III, son fils, à partir de 1375

 

Félix Pasquier, extrait de Cartulaire de Mirepoix, tome 1, p. 71 sqq., Privat, Toulouse, 1921.

Après le traité de Brétigny [1]Conclu le 8 mai 1360, le traité de Brétigny met fin à la captivité de Jean II le Bon qui est prisonnier des Anglais depuis la défaite de son armée à Poitiers en 1356., conclu en 1360, les rois de France et d’Angleterre congédièrent leurs troupes qui, au lieu de se disperser, formèrent des groupes régionaux. Ces bandes, qu’on appela les routiers ou les grandes compagnies, se répandirent dans le pays, vivant de pillage, rançonnant villes et châteaux, laissant des ruines partout où elles passaient. Formées dans le courant du quatorzième siècle, elles persistèrent jusqu’à la fin de la guerre de Cent ans. Le Languedoc ne fut pas épargné ; la terre de Mirepoix fut en proie aux ravages des brigands pendant les premières années qui suivirent le traité de Brétigny. Le Languedoc, comme le reste de la France, avait contribué au paiement de la rançon du roi Jean et à d’autres dépenses de guerre. Il lui fallut, en outre, sur ses propres ressources, fournir les sommes promises aux grandes compagnies pour leur éloignement ; on les envoya en Espagne aider Henri de Transtamare à enlever à son frère, Pierre le Cruel, la couronne de Castille.

Dans la sénéchaussée de Carcassonne, le seigneur de Mirepoix, Roger-Bernard de Lévis Ier fut désigné comme receveur général des recettes à recouvrer sur la noblesse.

La terre de Mirepoix, comme nous l’avons vu, venait de ressentir le contrecoup des dissensions survenues dans la famille du seigneur, ce qui avait été une autre cause d’appauvrissement. Néanmoins elle fut comprise dans la répartition des nouveaux impôts sans aucun allégement ; rien que pour les subsides à fournir au comte de Transtamare, sa quote-part fut portée à 2.000 florins. Il ne suffisait pas de décréter la levée des subsides ; il importait d’en assurer la rentrée. Quand arriva le moment de l’échéance, il y eut mécompte. Le receveur, dans son exposé, ne manqua pas de faire observer que la circonscription n’avait rien payé, parce qu’elle était la proie des grandes compagnies.

Installées à Mirepoix, elles avaient, en 1862, détruit le couvent de Notre-Dame de Beaulieu, fondé par Constance de Foix, femme de Jean I. La plus grande partie de la population s’était enfuie en Catalogne, d’où on espérait bientôt la faire revenir. Des mesures énergiques allaient être prises pour débarrasser le pays des pillards qui, après avoir reçu l’argent « à eux avancé pour l’expédition d’Espagne », ne se pressaient pas de se mettre en route.

En 1363, au mois de septembre, le maréchal Arnould d’Audehenam, lieutenant général du roi en Languedoc, prit le parti de les réduire par la force. Dans cette intention, il convoqua à Fanjeau les milices locales et fit venir douze arbalétriers de Narbonne. Un des résultats de la campagne fut la prise du château des Pujols qui servait de refuge aux routiers. La garde de la forteresse fut remise à Roger-Bernard, mais il fut contraint de payer une indemnité pour les frais de la guerre ; on lui reprochait la négligence dont il avait fait preuve dans la surveillance de la région, et on l’accusait d’avoir été cause de l’occupation des Pujols. Pour ce fait seul, on lui réclamait 3. 000 livres, avancées par le trésor royal, afin de pourvoir aux frais de l’expédition. En 1371, la somme était encore due ; le duc d’Anjou, gouverneur du Languedoc, chargea le viguier de Carcassonne de faire payer le débiteur par la saisie de ses biens.

A cette époque, la seigneurie était dans un tel état de décadence, le dépeuplement avait été si considérable que le nombre des feux était tombé à 789. Afin de faciliter aux habitants le relèvement de leurs finances, le duc d’Anjou leur permit d’établir une imposition sur le vin.

Si les gens du fisc étaient amenés à constater que le loi devait perdre ses droits dans un pays épuisé, les gens d’église ne trouvaient pas moins de difficultés, d’abord pour le recouvrement des dîmes et d’autres revenus, ensuite pour le paiement des subsides qu’ils avaient à fournir au Saint-Siège. L’évèque et le clergé de Mirepoix s’adressèrent au pape et lui exposèrent la situation à laquelle la guerre et la peste [2]Il s’agit de la peste noire qui sévit dans le milieu du quatorzième siècle et fit de grands ravages en Europe, elle s’ajouta aux autres fléaux qui accablaient la France à cette … Continue reading les avaient réduits. Grégoire XI, par une bulle datée d’Avignon, le 9 novembre 1373, prit leur requête en considération et réduisit pour l’avenir, à la moitié, la taxe des décimes que le clergé séculier et régulier du diocèse était tenu, en certaines circonstances, de verser au trésor pontifical. L’ancien taux ne pourrait être rétabli que par décision du Saint-Siège. S’il était question de la réduction en faveur du clergé, les fidèles soumis à la dîme ne furent point compris dans ce dégrèvement.

Après une accalmie de quelques années, les discussions recommencèrent dans la famille du seigneur et eurent leur répercussion dans les affaires publiques. Roger-Bernard 1er fut traité par son fils d’une façon analogue à celle dont lui-même avait usé envers son père : mêmes causes, mêmes effets, circonstances semblables. 11 voulut déshériter son fils au profit de son cousin Gaston de Léran. Les compétitions entre les maisons d’Armagnac et de Foix se renouvelèrent avec vigueur. Roger Bernard prit parti pour la première, tandis que Jean III, son fils, s’attachait à la seconde. Le comte d’Armagnac vint, en 1375, s’établir au château de Mirepoix. En 1380, Gaston Phoebus [3]Par suite du mariage de Constance de Foix avec Jean de Lévis Ier, Gaston Phoebus était cousin des seigneurs de Mirepoix., victorieux de ses ennemis, s’empara de la seigneurie, occupa la région et força ses adversaires à subir les conditions d’un accord onéreux et humiliant. Jean III profita de la détresse de son père pour se livrer à des excès sur sa personne et sur ses biens. Il s’empara de diverses localités et, en 1387, essaya de pénétrer dans le château de Mirepoix, dont il avait ravagé les environs. Le roi fut obligé d’intervenir pour mettre fin à ces querelles ; elles avaient eu pour conséquences d’occasionner des troubles dans le pays et de brouiller davantage le seigneur avec ses vassaux. Malgré les événements, qui n’étaient pas favorables à la reprise du travail et à la vie normale, la seigneurie offrait un aspect de prospérité plus satisfaisant qu’en 1370 ; à cette époque, le nombre de feux, qui avait été de plusieurs milliers, s’était abaissé à 789 ; en 1388, il était remonté à 1217.

[…]

Nous avons vu que, pendant l’occupation du pays par les grandes compagnies, une partie de la population, laissant le champ libre aux pillards, était allée chercher asile en Catalogne. Profitant d’un calme relatif, les habitants commencèrent à rentrer et à regagner leurs maisons abandonnées. Ils ne furent pas sans doute reçus avec l’empressement auquel ils croyaient avoir droit. Peut-être exigea-t-on des arrivants le paiement de certains droits, comme s’ils avaient été des étrangers venant s’installer a Mirepoix. Il y eut des résistances qui se traduisirent par des procès. En 1882, on profita de la transaction qui, du reste, était nécessaire pour favoriser le retour des fugitifs et, par contre, accroître le nombre des vassaux et des contribuables. Le seigneur permit à ceux qui jadis avaient eu un domicile dans la ville, d’y retourner avec leurs familles et leurs biens sans rencontrer d’obstacle.

Notes

1 Conclu le 8 mai 1360, le traité de Brétigny met fin à la captivité de Jean II le Bon qui est prisonnier des Anglais depuis la défaite de son armée à Poitiers en 1356.
2 Il s’agit de la peste noire qui sévit dans le milieu du quatorzième siècle et fit de grands ravages en Europe, elle s’ajouta aux autres fléaux qui accablaient la France à cette époque.
3 Par suite du mariage de Constance de Foix avec Jean de Lévis Ier, Gaston Phoebus était cousin des seigneurs de Mirepoix.