Siméon Olive – Dissensions entre Jean de Lévis II, seigneur de Mirepoix, et Roger Bernard, son fils aîné, à partir de 1351

 

Ci-dessus : d’or à trois chevrons de sable, blason de la maison de Lévis.

Siméon Olive, extrait de Archives du château de Léran, Inventaire historique et généalogique des documents de la branche Lévis Mirepoix, p. 94, tome III, Privat, Toulouse, 1909

Le maréchal de Mirepoix eut beaucoup à souffrir du caractère jaloux et mal équilibré de son fils aîné, Roger-Bernard ; prévoyant qu’après sa mort il y aurait des désaccords entre ses enfants issus de ses deux mariages, il obtint du roi, en 1351, l’autorisation de leur partager ses biens de son vivant. Le 29 mai, il signa un accord avec son fils aîné ; en présence et sur les conseils du cardinal de Boulogne, il lui donna la jouissance de la seigneurie de Mirepoix, se réservant la seigneurie de Lavelanet et quelques autres places.

Loin de prévenir les discussions d’intérêt, cette condescendance du père ne fit qu’augmenter les exigences du fils ; leurs discordes eurent pour résultat d’occasionner le soulèvement des habitants de la seigneurie de Mirepoix, qui entrèrent en lutte à main armée contre leur seigneur Jean de Lévis II. Le roi, instruit de ces faits, appela le fils et le père à Paris pour les faire comparaître devant son conseil ; celle juridiction, après s’être enquise des griefs réciproques, reconnut que les procédés de Roger-Bernard envers son père, tout en étant très répréhensibles, pouvaient mériter quelques circonstances atténuantes. En effet, Jean de Lévis, au détriment de son fils aîné, montrait une préférence pour les frères germains de ce dernier. Aussi le conseil posa les bases d’un nouvel accord que le roi sanctionna par ses lettres patentes du 7 août 1353.

Roger-Bernard fut contraint de demander pardon à son père à genoux, à lui restituer les linges et la vaisselle d’argent qu’il avait pris ; on ordonna que les biens seraient partagés en quatre parts, dont trois reviendraient au fils aîné et la quatrième serait attribuée aux enfants issus du second mariage. Jean le Bon décida que, pour les jouissances présentes, l’accord du 29 mai 1351, passé sous l’arbitrage du cardinal de Boulogne, aurait son plein effet ; il imposa le serment au père et au fils de s’engager à respecter la sentence, sous peine de 10,000 livres tournois d’amende en sa faveur. Le 8 décembre 1351, le maréchal de Mirepoix el Roger-Bernard de Lévis s’accordaient encore sur un débat survenu entre eux au sujet d’un fief dans la juridiction d’Auneau, en Beauce, que le maréchal prétendait lui appartenir comme ayant le bail de Gaston de Lévis II, seigneur de Léran, son neveu, mineur, qui avait des droits sur cette terre. Il fut convenu que la mainmise pratiquée par Jean de Lévis serait levée, que Roger-Bernard percevrait les revenus, en attendant la sentence arbitrale de l’évêque de Paris et du comte de Vendôme auxquels les parties s’en étaient remises.

Pendant quelques années, le père et le fils vécurent en paix, mais un incident vint de nouveau mettre le trouble dans leurs rapports. Lors de la guerre que le comte de Foix, Gaston Phoebus, entreprit contre le comte d’Armagnac et Jean, comte de Poitiers, fils et lieutenant du roi en Languedoc, le maréchal de Mirepoix, mal inspiré, prit le parti du comte de Foix ; son fils Roger-Bernard s’unit avec le lieutenant du roi, qui le favorisa dans les démêlés qu’il eut avec son père.

Offusqué de la défection du maréchal, le comte de Poitiers marcha contre lui en avril 1360 et arriva dans Mirepoix avec une troupe d’hommes d’armes sous le commandement de Nicolas de Lettes, son maître d’hôtel. Le 10 avril, par lettre datée de Mirepoix, il lui donna l’ordre d’aller à Montréal et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la subsistance de ses hommes avec les ressources de la seigneurie. Quand le comte de Poitiers fut de retour à Mirepoix, le 4 mai, il chargea Aymeri de Félenz, son autre maître d’hôtel, de prendre possession de cette seigneurie au nom du roi, et lui ordonna de confier la garde des places à Roger-Bernard de Lévis ; celui-ci fut investi de ce gouvernement le 15 mai, en donnant comme hommage une paire de gants.

Dans les lettres adressées à Aymeri de Félenz, le prince faisait remise aux rebelles de Mirepoix des peines qu’ils pouvaient avoir encourues à la suite de leur sédition. Il se montrait exigeant et défiant envers Jean de Lévis II, qui, tout en remettant la seigneurie à son fils déjà chargé de l’administration, fut astreint de faire acte de soumission et de donner des gages de fidélité. Lui, ses officiers et vassaux furent obligés de prêter serment au roi, de s’engager à défendre le pays, de ne reconnaître que les agents du roi. Le délégué du comte de Poitiers avait mission de destituer les officiers suspects et de mettre à leur place des hommes dévoués à la cause royale.

La dépossession de Jean de Lévis paraissait provisoire, elle devint définitive deux années plus tard ; le malheureux père fut obligé de souscrire de nouveaux accords avec son fils, le 19 janvier 1361 et de lui abandonner tous ses droits sur ses seigneuries, moyennant le payement de son entretien, du salaire de ses officiers (médecin, apothicaire, etc.) et d’une pension annuelle de 500 florins. Roger-Bernard fut chargé d’entretenir son jeune frère germain, Jean de Lévis, à l’Université, jusqu’à ce qu’il fût pourvu d’un bénéfice, et de payer les arrérages de la dot de sa soeur Eléonore de Lévis. Jean de Lévis II se réserva l’administration des domaines qu’il avait hérités de feu Raymond de Durfort, dans le cas où il serait reconnu que leur gouvernement n’aurait pas été accordé à son fis Roger-Bernard par les lettres du comte de Poitiers. Ce traité fut confirmé par le sénéchal de Carcassonne, le 14 juin 1362.

L’exécution de la convention de janvier offrait des difficultés ; mais grâce au bon concours de Thomas de Bruyères, seigneur de Puivert, de Gaston de Lévis II, seigneur de Léran, et de Philippe de Bruyères, de Rivel, elles furent aplanies. Le 8 mars 1361, il fut convenu au château de Mirepoix : 1° que tant que la guerre durerait entre les comtes de Foix, d’Armagnac et de Comminges, Jean de Lévis II ne pourrait s’absenter du château plus de huit jours et que, pendant ses absences, il devrait séjourner à Lagarde, Léran, Puivert ou Rivel ; 2° que la garde de la dot d’Eléonore de Lévis serait confiée aux arbitres; 3° que Jean de Lévis II recevrait les actes le concernant lui et ses enfants du second lit, les autres documents devant rester entre les mains de Roger-Bernard ; 4° que, s’ii y avait doute sur la propriété de certains actes, ils seraient enfermés au château de Mirepoix dans un meuble dont la clef sera remise aux arbitres.

Le 28 juillet 1362, Jean le Bon approuva les accords des 19 janvier et 8 mars précédents. Un autre traité eut lieu encore entre le père el le fils, le 14 mars 1366, par l’intermédiaire et les soins de Bertrand de Terride, vicomte de Savoie, par lequel Roger-Bernard céda à son père le château et la terre de Lavelanet, en déduction de la pension alimentaire qu’il lui faisait.

On peut dire qu’à partir de ce moment finit la vie active du maréchal de Mirepoix ; il survécut encore quelques années à sa malheureuse situation et mourut le 31 janvier l369. Dans le martyrologe du couvent des Frères Mineurs de Mirepoix où il fut enseveli, sa mort est fixée à cette date ; le Père Anselme prétend sans autre indication qu’il décéda en 1872.