On ira à la campagne !

 

La belle affaire ! s’écria Musette, ce n’est point la première fois que j’aurais acheté, taillé, cousu et porté une robe le même jour. Et d’ailleurs nous avons la nuit. Nous serons prêtes, n’est-ce pas, Mesdames ? !

Nous serons prêtes ! s’écrièrent à la fois Mimi et Phémie.

Sur-le-champ elles se mirent à l’œuvre, et pendant seize heures elles ne quittèrent ni les ciseaux, ni l’aiguille.

Le lendemain matin était le premier jour du mois de mai. Les cloches de Pâques avaient sonné depuis quelques jours la résurrection du printemps, et de tous les côtés il arrivait empressé et joyeux ; il arrivait, comme dit la ballade allemande, léger ainsi que le jeune fiancé qui va planter le mai sous la fenêtre de sa bien-aimée. Il peignait le ciel en bleu, les arbres en vert, et toutes choses en belles couleurs. Il réveillait le soleil engourdi qui dormait couché dans son lit de brouillards, la tête appuyée sur les nuages gros de neige qui lui servaient d’oreiller et il lui criait : Ah ! hé ! l’ami, c’est l’heure ! et me voici ! vite à la besogne ! Mettez sans plus de retard votre bel habit fait de beaux rayons neufs, et montrez-vous tout de suite à votre balcon pour annoncer mon arrivée.

Sur quoi, le soleil s’était en effet mis en campagne, et se promenait fier et superbe comme un seigneur de la cour. Les hirondelles, revenues de leur pèlerinage d’Orient, emplissaient l’air de leur vol ; l’aubépine blanchissait les buissons la violette embaumait l’herbe des bois, où l’on voyait déjà tous les oiseaux sortir de leurs nids avec un cahier de romances sous leurs ailes. C’était le printemps en effet, le vrai printemps des poëtes et des amoureux, et non pas le printemps de Mathieu Laënsberg ((Cf. Antoine Court, Le populaire à retrouver, p. 11, CIEREC – Etudes LXXXVII, Publications de l’Université de Saint-Etienne : « Le plus vivant, le plus ancien des almanachs du XIXe siècle reste L’Almanach Liégeois, dit Le Liégeois ; il date de XVIIe siècle : en 1636, un chanoine de Liège, Laënsberg, crée Le Laënsberg, almanach imprimé, sur papier bleu foncé ; les colporteurs ne cessent guère de le transporter au XIXe siècle. Il comporte beaucoup de dessins de figurines populaires en bois ; les thèmes dominants sont les images du Temps, du temps qui passe et du temps qu’il fait. De la vulgarisation scientifique, surtout médicale. Thématique inépuisable des maladies : elles menacent tout le monde, plus encore les pauvres que les riches. Cet almanach primordial traverse tout le XIXe siècle ; il est imprimé en France, notamment en 1828, à Rouen, où il s’appelle Le Nouveau Mathieu Laënsberg. On l’appelle souvent du nom simplifié et célèbre Le Mathieu Laënsberg« .)), un vilain printemps qui a le nez rouge, l’onglée aux doigts, et qui fait encore frissonner le pauvre au coin de son âtre, où les dernières cendres de sa dernière bûche sont depuis longtemps éteintes. Les brises attiédies couraient dans l’air transparent, et semaient dans la ville les premières odeurs des campagnes environnantes. Les rayons du soleil, clairs et chaleureux, allaient frapper aux vitres des fenêtres. Au malade ils disaient : Ouvrez, nous sommes la santé ! et dans la mansarde de la fillette penchée à son miroir, cet innocent et premier amour des plus innocentes, ils disaient : Ouvre, la belle, que nous éclairions ta beauté ! nous sommes les messagers du beau temps ; tu peux maintenant mettre ta robe de toile, ton chapeau de paille et chausser ton brodequin coquet : voici que les bosquets où l’on danse sont panachés de belles fleurs nouvelles, et les violons vont se réveiller pour le bal du dimanche. Bonjour, la belle ! ((Henry Murger (1822-1861), Scènes de la vie de bohème, XVII, La toilette des grâces, pp. 212-213.)).

La quintessence du texte romantique ! Pour commencer le joli mois de mai…