Claire Dournier – Land Art – Le noyer au bord de l’eau

A Camon. Le noyer au bord de l’eau sera verni le 28 novembre à 15h30.
Depuis le pont longer la rivière à pied pendant environ quinze minutes jusqu’à un pré aux peupliers

 
Claire Dournier m’adressait la semaine dernière cette invitation mystérieuse. Il y avait comme un esprit de jeu dans son geste. Je suis allée à Camon, j’ai longé la rivière depuis le pont jusqu’à un pré aux peupliers. Il faisait froid. L’abbaye trouait le ciel avec un discret croassement de corbeau derrière les arbres.

Le chemin était à boire comme un fond de tasse mal lavée.

Au tournant du chemin, soudain, le pré aux peupliers.

Trois silhouettes, menues, comme trois pissenlits qui auraient confondu l’automne avec le printemps.

Un arbre bleu.

Claire Dournier et ses deux fillottes.

Le noyer au bord de l’eau.

 

Un jour, le grand noyer est tombé. Les entrailles pourrissent. L’os seul se conserve. Les pluies l’ont lavé. Ici, mystérieusement, la substance se perd, mais la forme demeure, grande, forte de sa longitude superbe, au point qu’il faut à l’oeil, pour la voir entière, la soumettre au lit de Procuste.

L’arbre n’a plus de tête, plus de bras. Quelque chose de vivant, de vultueux, pousse encore cependant dans le pli inguinal des racines.

Avant la scie du propriétaire, avant la découpe, la gouge ou le feu, l’arbre connaît ici par effet de passage au bleu le moment de transmutation qui veut – Solve et coagula, disent les alchimistes -, qu’à l’oeuvre de la nigredo, ou passage au noir comme processus de réduction à quia, succède l’oeuvre de l’albedo, ou passage au blanc comme devenir-visible d’un invu des choses, demeuré jusqu’alors sous-jacent à la matière en tant que substrat.

C’est ainsi l’invu de l’être que le bleu fait venir là maintenant au bord de l’eau via le geste de l’artiste, – physicaliter via l’usage de la tempera, i. e celui d’une peinture à base d’oeuf – pour le liant – et de pigment pur. Yves Bonnefoy dit de la poésie et de la peinture qu’elles sont « acquiescement à la terre, à l’instant, à la couleur des choses ». La façon d’un tel acquiescement là maintenant au bord de l’eau, c’est le geste du bleu, et l’usage de la tempera. Via le geste du bleu, l’artiste montre, non point que l’arbre est bleu, mais plus originairement qu’il y a de l’invu dans l’arbre, et que là seulement, dans le secret de l’invu, s’entretient la véritable « couleur des choses ».

« Vers l’immatériel », ainsi Yves Klein désignait-il le sens auquel prétend son oeuvre propre. Claire Dournier, l’autre jour au bord de l’eau, parlait justement d’Yves Klein…

L’hiver est là. L’arbre attend « maintenant la neige », dit Claire Dournier. Vers l’immatériel. L’albedo

 

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Samedi dernier, j’ai eu la chance d’être invitée à une visite surprise…

« J’avoue que ce samedi-là je suis entré par hasard…
Dans, dans, dans… » ((Charles Trenet, Le Jardin Extraordinaire, 1957))

J’ignorais tout de la destination. Je me suis retrouvée dans la campagne, aux abords de Lieurac.

Devant nous des champs, des collines, des bois, et, reconnaissable seulement à d’étranges formes de boyaux ondulants, un jardin. Nous sommes entrés dans l’un de ces boyaux.

Les boyaux dont je parlais tout à l’heure sont des tunnels de coloquintes ! Poussés sur des arceaux de bois léger, les feuillages forment une voûte sous laquelle des coloquintes de toutes formes et de toutes tailles forment des pendeloques, des girandoles, des lustres étranges, dans des chambres de clair-obscur, animées seulement par un flux changeant d’ombres ocellées.

Ailleurs les coloquintes forment des visages qui regardent !

J’ai la berlue ! Nous sommes entrés dans les pages d’une BD de mon enfance.

Nous sommes entrés, dirait-on, dans les pages d’un album de Spirou et Fantasio. ((Images extraites de Spirou et Fantasio – Le prisonnier du Bouddha, par Franquin, Jidéhem et Greg ; éd. Dupuis, 1960.))

De temps à autre, une trouée spatio-temporelle qui s’ouvre dans le treillis du tunnel, nous rappelle au souvenir de ce que nous cheminons dans la verte campagne de Lieurac.

Mais il pousse ici, à Lieurac, de grands haricots violets !

Et il y a, au sortir du tunnel de coloquintes, des choses dans l’herbe – ce miroir, cette Vénus d’annonce nouvelle – qui invitent à passer through the looking-glass

Nous longeons désormais un ruisseau, qui coule, invisible, derrière la ligne d’arbres. Les signes d’eau se multiplient dans le feuillage.

« Dans un coin de verdure, les petites grenouilles chantaient… » ((Charles Trenet, Le Jardin Extraordinaire.))

 

Les visages se multiplient aussi dans les branches ou au sol.

Une perspective soudain s’ouvre dans le bois : le ruisseau apparaît. Dans l’eau et sur ses rives, tout un peuple de pierres, surpris dans le naturel de sa vie silencieuse. L’idée me vient, baroque, renversée, d’une fête muette dans les jardins de Versailles, au bord du grand canal.

 

 

En marge du peuple des pierres, l’eau s’amuse d’un rien, manche de binette, petit moulin, morceau de bambou. La lumière s’en mêle. La fête est zen.

Puis les fleurs et les couleurs reviennent. L’image change dans le kaléidoscope. Nous nous dirigeons vers une nouvelle région du jardin.

Au passage, nous croisons ce curieux couple de promeneurs du dimanche qui donne spectacle de ses menus plaisirs, les pieds dans l’eau.

Nous abordons maintenant, de l’autre côté de l’eau, puis de l’autre côté de la route, les pentes d’une colline boisée au pied de laquelle poussent des massifs de fleurs étranges qui habillent le paysage de couleurs saturées.

Allons, allons, soyons sérieux ! Je soupçonne une nouvelle expérience fantaisiste de monsieur de Champignac !

Un peu plus haut, une porte, soluble dans l’air, s’ouvre sous les arbres. Nous la franchissons, et, entrant dans le bois, nous commençons à gravir la pente de la colline, sous le regard d’un drôle de petit bossu, qui se souvient peut-être d’avoir été Philémon dans sa vie antérieure.

Quand Philémon est dans le bois, Baucis…

Mais qu’est-il arrivé à Baucis !

Plus inquiétants, des visages apparaissent dans les arbres. Vus de plus près, il s’agit de masques, moulés en creux.

Nous longeons maintenant le campement d’une moderne communauté d’hommes des bois.

 

Les tranquilles occupations de ces néo-bons sauvages montrent que le postulat de Rousseau vaut toujours :

Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant… ((Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755.))

 

Façon comics, une autre vision du naturel… Quid du naturel toutefois, malgré Rousseau ?

L’origine du monde…

 

Il a neigé en été ! Je reconnais ici la poétique des plumes issue de la rêverie de Claire Dournier ((Cf. La dormeuse blogue : Entre la parenthèse – Claire Dournier et Gertrudis Vercauteren exposent ; La dormeuse blogue 2 : Land Art – Claire Dournier et les arbres.)). Le chemin de plumes se perd, dirait-on, dans un taillis. Quelque part cependant, il y a un nid.

Nous montons toujours. Là encore soluble dans l’air, une seconde porte s’ouvre devant nous.

Passant cette porte, nous entrons dans le mystère léger d’un sous-bois peuplé de bizarres figures végétales, qui d’abord se distinguent à peine du fond sur lequel elles semblent poussées, et dont ensuite la truculence vous saute aux yeux, en vertu du genre de formes qu’on leur trouve et qu’on reconnaît sans bouder son plaisir. Le principe est archimboldesque. Il fait dans ce bois l’objet d’une variation… comment dire ? Plantureuse…

Nous approchons du sommet de la colline. Sur la crête, les visages d’on ne sait quels Grands Anciens font une sorte de mont Rushmore.

 

Sur le sentier qui redescend vers la vallée, nous croisons diverses figures des temps et des mondes qui ont péri ou qui reviennent pour demander justice.

 

Sur le sentier de l’homme blanc ou de la femme blanche, il y a tous les hommes et toutes les femmes, de tous les pays et de toutes les couleurs, qui nous attendent pour nous rappeler au souvenir de notre commune destination, humaine et terrestre.

A l’issue du sentier des peuples, deux personnages grommellent sous le couvert des arbres ; un autre nous interpelle depuis son tipi. Pourquoi sont-ils là ? Que nous veulent-ils ? Le Jardin Extraordinaire réserve ainsi partout d’autres secrets. Nous reviendrons… L’an prochain…

L’an prochain, oui ! car les portes du Jardin Extraordinaire ne s’entrouvrent que le premier week-end de septembre, une fois par an ! Rendez-vous l’année prochaine, à la même date !

Le Jardin Extraordinaire fêtait le week-end dernier ses dix ans d’existence. Organisé par l’association Artchoum, le parcours se déroule dans le cadre d’une propriété agricole dédiée à la culture des fleurs et à la production de graines. Les artistes qui contribuent à l’installation de ce parcours demeurent presque tous anonymes. Je suis loin d’avoir montré ici tout ce que j’ai vu. J’ai eu dans le Jardin Extraordinaire le sentiment de voyager, comme Alice, au Pays des merveilles. Mais je n’ai pas rêvé. Outre une palanquée de photos, j’ai rapporté un sachet de graines. Je tenterai l’aventure des coloquintes géantes dans mon petit jardin, au printemps prochain.

A voir aussi :
Ici et Maintenant : Le Jardin extraordinaire à Lieurac (09)
Panoramio/DBart : Untitled photo
Life in Laroque – Our day-to-day life in a small town in the Ariège, Southern France : For Two Days Only: Le Jardin Extraordinaire at Lieurac

Land Art – Claire Dournier et les arbres

Je me trouvais la semaine dernière au Vernet d’Ariège afin de voir dans le parc d’Accrobranche une installation de Land Art. L’auteur de cette installation est Claire Dournier. Elle présentait l’an dernier, à Pamiers, une exposition intitulée Entre la parenthèse. Elle passe ici, en fantôme, dans le parc.
 
Elle dit qu’une installation de Land Art constitue pour elle l’aboutissement d’un travail intérieur, qui implique la participation du corps, et qui se donne pour enjeu le franchissement d’une limite obscure, en tout cas difficile à dire. L’installation, telle qu’elle se présente dans sa mise en oeuvre effective, figure, sans volonté de représentation, l’invu d’un autre possible de la réalité, d’une surprise de soi et du monde.

Sensible à la beauté des grands arbres qui peuplent le parc d’Accrobranche, l’artiste doit à ces derniers la forme causative de l’action qu’elle imagine, laquelle suppose ici d’avoir le corps de l’accrobranche afin d’aller en altitude figurer dans les arbres le possible d’une réalité invue. Cette figure de l’invu, l’artiste entreprend d’être le lieu et le moment de son devenir visible. L’installation peut être considérée comme la mémoire éphémère de cette aventure sans pourquoi.

Les accents d’un jazz oriental s’élèvent en cet instant sous les arbres. Un petit groupe de musiciens donne concert, dans un halo rouge. Autres figures du jeu partagé de l’art et des puissances de la terre et du ciel, de l’heure, des choses. Land Art.

 

A lire aussi :

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