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Sous le signe de Marie de Calages – 11ème journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix

Je me suis rendue aujourd’hui à la 11ème journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix. Accès libre, ambiance sans flaflas, conférences passionnantes, assurées par des spécialistes. Le savoir, ici, est une fête. Dédiée à "Marie de Calages, femme de lettres à Mirepoix au XVIIe siècle", jusqu’alors inconnue, oubliée, la journée comprend, de façon inattendue, une conférence relative au mariage de Louis XIV avec l’Infante Marie-Thérèse d’Espagne à Saint Jean de Luz, en 1660. Le charme de cette journée est dans la surprise que constitue la découverte d’un écrivain dont on ignorait tout, et celle de la relation qu’un tel écrivain entretient avec un moment historique, certes décisif pour la France, l’Europe, mais qui ne consonne en rien, ou si peu, semble-t-il, avec le moment mirapicien.

En mars 1660, Marie de Calages fait imprimer à Toulouse, chez l’éditeur Colomiez1, Judith ou la délivrance de Béthulie, un poème épique, d’environ 5000 vers. Elle signe l’ouvrage de son nom de jeune fille, Marie De Pech. Elle confie à son époux, Henri de Calages, le soin de se rendre à Saint Jean de Luz afin d’offrir le poème au couple royal, en guise d’épithalame, le 9 juin 1660. Le poème est bien reçu et vaut à son auteur des gratifications importantes.

Nathalie Grande, maître de conférence à l’université de Bordeaux III, spécialiste de la littérature féminine au XVIIe siècle, fournit d’intéressants éclairages sur les conditions de production ainsi que sur les intentions qui ont pu être celles de l’ouvrage publié par Marie de Calages. Née en 1623, mariée en 1649, Marie de Calages a probablement bénéficié de l’enseignement dispensé à ses frères et, tardivement mariée pour l’époque, profité de ce délai pour épanouir sa personnalité propre. Elle meurt en 1661, à la naissance de son quatrième enfant. "Femme grosse, un pied dans la fosse", dit l’adage du temps, invoqué par Nathalie Grande.

Le Caravage, Judith et Holopherne, 1599 Dans Judith ou la délivrance de Béthulie, Marie de Calages développe une variation sur un épisode de l’Ancien Testament, rapporté dans la Bible catholique, mais absent de la Bible protestante. Judith, jeune veuve juive à la vertu soupçonnable, séduit et tue Holopherne, le roi des païens, afin de libérer son peuple opprimé. L’iconographie symboliste et décadentiste, ou encore de style Art Nouveau, a préféré voir en Judith une femme fatale, avatar de la féminité éternellement castratrice, jumelle de la célèbre Salomé. Marie de Calages s’attache, au contraire, à "chanter la valeur d’une sainte héroïne". Ménageant la pudeur de la sainte, elle fait, conformément à la façon classique, qu’en un soir, en un seul tête-à-tête opportunément chaperonné par un ange, et non à l’issue de quatre nuits d’amour comme veut le récit biblique, l’action aille à son terme sans rien donner à voir qui contrevienne à la bienséance, i. e. sans cultiver la touffeur asphyxiante propre à l’original néo-testamentaire. Marie de Calages ne donne pas à voir non plus la décapitation d’Holopherne, mais seulement le sac dans lequel l’héroïne emporte son trophée. Elle observe en somme, dans le cadre de l’épopée, les règles de la tragédie classique. "Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli…"

De gauche à droite : Gustav Klimt, Judith I, 1901 ; Gustav Klimt, Judith II, 1909

On peut, non sans anachronisme, créditer le style de Marie de Calages d’une certaine proximité avec celui de Racine dans Esther (1689) ou Athalie (1691). Mais on remarquera, de façon plus sûre, que Marie de Calages emprunte à l’esthétique baroque les effets d’excursus et de mise en abîme ainsi que les figures du merveilleux chrétien, dont le personnage de l’ange, gardien de la pudicité de Judith. Dans la tente d’Holopherne, une tapisserie illustre l’histoire de Sémiramis qui tue son époux Onnès afin de pouvoir épouser son amant Ninos. Ailleurs, un long excursus déroule, à la façon d’une fresque, l’histoire du peuple juif. L’effet obtenu est complexe, issu du jeu des significations à la fois parallèles et concurrentes.

Nathalie Grande prête à Marie de Calages, auteur de Judith ou la délivrance de Béthulie, un faisceau d’intentions dont elle souligne le caractère plausible quoique difficilement vérifiable, puisqu’ici, faute d’autres documents, les preuves font cruellement défaut.

Relevant le climat de "spiritualité douce" qui baigne le propos de Marie de Calages, Nathalie Grande voit d’abord en cette dernière une lectrice de l’Introduction à la vie dévote, partant, une possible émule de Saint François de Sales. Marie de Calages ferait ainsi de Judith, sur le mode de l’exemplum, une figure sublime de la vertu dévote.

Nathalie Grande voit ensuite en Marie de Calages une possible admiratrice des Précieuses, dont elle partagerait les aspirations intellectuelles, les ambitions littéraires et le questionnement relatif à la condition des femmes. Elle s’inquiète toutefois de savoir comment Marie de Calages, dans sa petite ville de province, pouvait être informée des débats qui agitaient alors les salons parisiens.

Nathalie Grande postule enfin que Marie de Calas représente sous le couvert de Judith la femme qu’elle aspire à être dans la vie, partant, l’équilibre qu’elle recherche entre modestie et affirmation de soi, dépassement de sa condition ou soumission à cette dernière. L’équilibre ainsi recherché éclairerait les noeuds d’une problématique personnelle. Nathalie Grande cite à ce propos, non sans malice, le catéchisme d’Arnolphe concernant les femmes, lequel catéchisme témoigne de l’esprit du temps, ou plutôt de celui des hommes du temps :

 

"Non, non, je ne veux point d’un esprit qui soit haut ;

Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut.

Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime,

Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;

Et, s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon,

Et qu’on vienne à lui dire à son tour: "Qu’y met-on"?

Je veux qu’elle réponde: "Une tarte à la crème" ;

En un mot, qu’elle soit d’une ignorance extrême ;

Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,

De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre, et filer".

 

Henri de Calages, fort heureusement, ne fut point de cet esprit-là, puisqu’il permit à Marie de faire imprimer Judith ou la délivrance de Béthulie et transmit l’ouvrage au couple royal. On ne manquera de se demander quelle réception, la jeune reine, objet d’un mariage dicté par la raison d’état, a pu réserver, dans le secret de l’intime, à un texte si évidemment porteur de valences, comment dire ? héroïco-féminines ? au-delà de son caractère bienséant.

 

Hubert Delpont, créateur de l’association Les Amis du Vieux Nérac, auteur de Parade pour une infante, observe plaisamment par la suite que le cortège royal, lors du périple qu’il poursuit durant une année avant d’arriver à Saint Jean de Luz, est bien passé à Nérac, mais point à Mirepoix. Après avoir narré le royal périple et détaillé avec beaucoup de verve les raisons politico-protocolaires qui retardent la signature du traité des Pyrénées et le mariage subséquent, il concède que si le roi ne vient pas à Mirepoix, c’est Mirepoix qui vient aux nouveaux époux, en la personne d’Henri de Calages, porteur de l’exemplum dédié à la reine par une obscure mirapicienne qui sait ce que c’est qu’une rime, et compose, et fait montre d’un esprit haut.

A noter que la redécouverte de l’oeuvre et de la brève existence de Marie de Calages suit de celle du séjour mirapicien de Pierre-Paul Riquet, l’illustre maître d’oeuvre du Canal du Midi. Les archives révèlent en effet que Riquet a vécu de 1634 à 1646 à Mirepoix et qu’il a, en 1657, assisté en tant que parrain au baptême de Pierre Pol, fils d’Henri et de Marie de Calages.

:-)

J’en reviens à la 11ème journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix. Elle se termine par une "lecture polyphonique" de quelques extraits de Judith ou la délivrance de Béthulie. C’est la Compagnie du Chat Noir qui prête voix au texte de 1660. Puis vient le très attendu vin d’honneur. La journée de printemps sera consacrée, en mars, aux grands tableaux classés, conservés à Mirepoix. C’est Martine Rouche, vice-président de l’office de tourisme de Mirepoix, qui commentera les tableaux. Elle ne résiste pas, dit-elle, aux portraits d’évêques

 

A lire aussi :
La dormeuse :
A propos de Marie de Calages – Une lettre curieuse

Notes:

  1. L’éditeur Colomiez "publie à Toulouse des ouvrages catholiques et a dans son atelier de beaux jeux de caractères et de lettrines" ; Jacqueline Plantié, Université d’Aix-en-Provence, in Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVIIe ? ↩︎

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dans: Ariège, Calages, littérature, Mirepoix.

1 commentaire au sujet de « Sous le signe de Marie de Calages – 11ème journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix »

  1. Martine Rouche

    Je ne peux laisser cette entrée privée des compliments et des remerciements que j’y avais inscrits dès lecture!! Nous ne laisserons pas une panne informatique nous priver de convivialité!
    Le binôme qui s’est pris d’amicale passion pour Marie de Calages vous remercie à nouveau pour avoir si bien su rendre compte de la brillante conférence de Nathalie Grande. Nous avons eu la joie de pouvoir vous emmener dans notre promenade « en amitié » avec Marie de Calages. Nous poursuivons nos recherches et il y a ample matière!

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