La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Deux Mirepoises, passionnées d’histoire locale et d’archives

Je les ai rencontrées il y a un peu plus d’un an, alors que je venais de m’installer à Mirepoix. Inquiets de savoir ce que j’allais bien pouvoir faire "dans ce trou", les amis de ma vie antérieure me serinaient les mots de Dorine :  

Vous irez par le coche en sa petite ville,
Qu’en oncles et cousins vous trouverez fertile,
Et vous vous plairez fort à les entretenir.
D’abord chez le beau monde on vous fera venir ;
Vous irez visiter, pour votre bienvenue,
Madame la baillive et Madame l’élue,
Qui d’un siége pliant vous feront honorer.
Là, dans le carnaval, vous pourrez espérer
Le bal et la grand’bande, à savoir, deux musettes,
Et parfois Fagotin et les marionnettes… 1

Une semaine après mon arrivée à Mirepoix, attirée par l’affiche qui annonçait une conférence sur "Marie de Calages, femme de lettre à Mirepoix au XVIIe siècle", je me suis rendue à la 11ème journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix. Je n’avais, durant mes études de lettres, jamais entendu parler de Marie de Calages. On a éteint les lumières dans la salle, et une petite dame blonde, toute de noir à volants vêtue, a raconté, en même temps qu’elle affichait les images d’un diaporama, comment elle avait formé équipe avec une amie pour retrouver aux archives la trace de Marie de Pech, épouse d’Henri de Calages, receveur des gabelles à Mirepoix, et comment, à elles deux, elles avaient découvert que Marie de Calages était l’auteur d’un ouvrage oublié intitulé Judith ou la délivrance de Béthulie, écrit à Mirepoix, publié à Toulouse en 1660, offert la même année à l’Infante Marie-Thérèse d’Espagne lors de son mariage avec Louis XIV à Saint Jean de Luz, récompensé par une gratification de 10 000 livres. Cependant qu’elle affichait les diapos, la petite dame blonde sollicitait de temps à autre l’avis d’une autre dame, assise au premier rang parmi les spectateurs de la conférence, reconnaissable à ses pendants d’oreille en cristal de roche, et dont j’ai compris qu’elle s’était occupée de réaliser les clichés reproduits sur les diapos.  

 

Captivée par le récit de cette recherche, étonnée par la beauté du texte de Marie de Calages, j’ai rendu compte du programme de la 11ème journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix sur mon blog. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un mail de Martine Rouche, guide conférencier, vice-président de l’Office de Tourisme de Mirepoix, vice-président de l’ANPEI (Association Nationale Pour l’Elargissement de l’Information). Nous nous sommes retrouvées dans un café sous les couverts : c’était la petite dame blonde. Elle m’a présenté, à ses côtés, Claudine L’Hôte-Azéma : c’était la dame aux pendants d’oreille. Comment s’étaient-elles rencontrées ? De la même façon que je les ai rencontrées. Claudine s’était rendue à une visite guidée de l’église Notre-Dame-et-Saint-Michel lors de la journée d’hiver 2007 de l’histoire locale de Mirepoix. Elle a eu envie de s’associer aux recherches de Martine. Martine est originaire de Mazères ; Claudine est une mirapicienne "pur jus". Comme l’adectif "mirapicien" ne sonne pas de façon très heureuse, elles ont choisi, pour le charme, de s’intituler "les Mirepoises", du nom  de la congrégation de régentes fondée par Catherine de Caulet pour l’instruction des jeunes filles.

Martine est à la ville professeur d’anglais ; Claudine a longtemps exercé la fonction d’archiviste chez Total. Passionnées d’histoire depuis l’enfance, de vieux papiers, et d’abord du papier, de sa matière, de ses couleurs, de ses filigranes, de ses sceaux, de ses rousseurs et autres marques du temps,  elles joignent à la patience de l’archiviste la passion des obscurs, des oubliés, dont le souvenir demeure inscrit dans les actes de l’état-civil ou dans les notices du compoix. Martine a en outre l’intuition, le génie des associations d’idées ; Claudine, l’expertise de la veille sur Internet et de la méthodologie archivistique. A elles deux, elles forment une équipe étonnamment productive, compte tenu de l’éloignement dans lequel elles se trouvent relativement aux grandes bibliothèques universitaires, puisqu’elle ont retrouvé la Judith ou la délivrance de la Béthulie de Marie de Calages ; établi le séjour de Pierre Pol Riquet à Mirepoix de 1634 à 1646, comblant ainsi un blanc de 12 ans dans l’existence de l’illustre créateur du Canal du Midi ; localisé l’emplacement de l’ancienne chambre à sel de Mirepoix ; etc.

J’ai donc rencontré les Mirepoises un jour au café sous les couverts de Mirepoix, et alors qu’elles ne me connaissaient pas depuis une heure, elles m’ont invitée à partager leurs recherches. J’ai accepté avec joie. Elles m’ont amenée aux archives, dont jusqu’ici j’ignorais tout. Elles m’ont montré où se trouvent les registres des baptèmes et ceux des décès, les compoix (cadastres) du XVIIe et du XVIIIe siècle, les plans. J’ai été et je demeure encore pour elles un boulet, car, faute d’habitude, j’ai du mal à déchiffrer les écritures, l’orthographe, les abréviations du XVIIe siècle. Les Mirepoises font preuve à mon égard de charité patiente. Elles m’ont appris à déchiffrer dans le compoix 2 le sens des mentions les plus courantes, telles que les indications de position et de direction : "confront" (terrain limitrophe) ; "autan" ou "auta" (est), "cers" (ouest), "aquilon" (nord), "midi" ou "midy" (sud). Je me suis passionnée à mon tour. Attention, le goût des archives est hautement contagieux ! Il faut reconnaître qu’à Mirepoix, nous jouissons d’un grand privilège : les archives de la ville sont restées à l’hôtel de ville, de telle sorte qu’il suffit de sortir de chez soi et de traverser la place pour s’y rendre. On ne peut rêver mieux.

Ci-dessus : page du compoix du XVIIe siècle

Les Mirepoises m’invitent régulièrement à les rejoindre au café sous les couverts pour discuter des recherches en cours, de nos méthodes, et plus généralement de la méthode de l’histoire. J’entends ici la méthode au sens grec de "chemin". Consulter les archives, compulser le compoix, les registres des baptêmes et ceux des décès, c’est explorer l’océan. Les données sont inscrites comme elles viennent, au mieux dans l’ordre de l’espace et du temps ; jamais classées. Il faut savoir ce que l’on recherche, puis tout lire. Les généalogistes savent ce qu’ils recherchent ; mais nous autres, rêveuses en quête d’histoires de vie, demeurons disponibles à la suggestion d’un prénom qui revient,  d’un détail émouvant, d’un petit rien, d’un grain de sable qui semble avoir eu des effets sur le destin d’une famille, parfois d’une communauté entière. Martine Rouche m’a dit qu’elle suit ainsi des pistes dans les registres sans savoir si celles-ci la mèneront quelque part, si l’histoire qu’elles semblent esquisser prendra suffisamment consistance pour fournir ensuite matière à récit ; bref, sans savoir, observe Martine, si de telles pistes mènent quelque part, ou nulle part. C’est le jeu !

Martine Rouche se demande par ailleurs si les recherches en histoire locale menées par des amateurs peuvent être utiles aux historiens de métier, partant, trouver grâce aux yeux de ces derniers. Elle se réclame en tout cas de la micro-histoire, et, de façon plus audacieuse, quoique récemment avalisée par certains historiens, de "l’histoire subjective", i. e. de l’histoire regardée du point de vue de Fabrice, ou envisagée dans le cadre des déictiques qui sont ceux du sujet historien. Je la suis volontiers dans cette direction, qui correspond à ma sensibilité et parle à mon imagination.

C’est à la lumière du coeur que Martine et Claudine ont remarqué et collationné peu à peu les documents relatifs à l’histoire de la famille Calages, histoire dont j’ai tiré la substance de quelques articles récemment publiés ici. La recherche qui s’exerce sous un tel éclairage fournit l’exemple de ce que l’on désigne sous le nom d’histoire subjective

Notes:

  1. Molière, Tartuffe, Acte II, Scène 3 ↩︎

  2. Cf. Livre des sources médiévales : Compoix et taille en Languedoc ↩︎

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dans: Ariège, gens d'ici, Mirepoix.

1 commentaires au sujet de « Deux Mirepoises, passionnées d’histoire locale et d’archives »

  1. Martine Rouche

    A la troisième Mirepoise dans l’ordre chronologique seulement, les deux Mirepoises disent un immense merci ! Et les recherches continuent, mesdemoiselles, allons, allons …