La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Le chemin des breils

A Mirepoix comme ici dans mon village, quand il s’agit de la rivière, on ne manque pas d’invoquer les breils. Je n’ai jamais entendu ce mot qu’en Languedoc. Il est de consonance ancienne. Encore usité dans la langue orale, il demeure d’orthographe flottante dans ses occurrences écrites. Je l’ai retrouvé dernièrement sous la plume de l’un de mes lecteurs, à propos de l’embouchure du canal du moulin d’embas de Mirepoix :  
 
Le canal se perd ensuite dans une zone touffue avec des bras multiples et des eaux dormantes : Le « breilh  » c’’est cette partie entre l’’Hers et la civilisation. Un refuge pour une faune et flore rares que seuls quelques initiés observent. Chaque saison les plages de galets changent de forme. Des amas de branchages arrachés à la terre s’’amoncellent comme des barrages de castors géants. Le breilh, ici, un peu nulle part, pour personne, l’’idée du rien s’’invite, ni eau ni terre. 1

Je me suis souvenue par suite que le mot figure aussi dans le Cantegril de Raymond et Marie Louise Escholier :

Accompagné de Boucabelle, le fils du tuilier, Philou ne tarda guère à reprendre le chemin des breils ombreux et enchantés, ce paradis aux vieux arbres vêtus de clématite, de vigne sauvage et de houblon […].

A la hauteur de la métairie de Fleurizel, Francézine, la petite cousine de Cantegril, et Dolorès, la fille d’Amandine la buvetière, venaient retrouver nos deux drolles. A la vérité, on ne s’occupait plus de tailler des flûtes naïves dans l’écorce des saules, ni de tresser avec des joncs la cage légère de quelque grillon mordoré ; pourtant, la curiosité naissante des deux gamines se contentait d’agaceries, de luttes pour rire, de grandes bourrades, de barbotages dans la rivière, le fin gravier fuyant sous les pieds, l’eau miroitante mettant des bracelets froids aux chevilles, puis aux mollets. Les jupes haut troussées encourageant certaines audaces, on passait de l’autre côté de l’eau, chacun emportant, pendue à son cou, la petite, cramponnée de toutes ses forces, effrayée, disait-elle, à la pensée du gouffre qui était tout près de là. 2

Au village, j’ai consulté ma voisine, agricultrice, afin de savoir comment elle définit le breil. "Tu le connais, notre breil. Tu y passes lorsque tu descends te baigner. C’est l’espace planté d’arbres qui se situe entre les terres labourables et la rivière. Des arbres qui aiment l’eau, des peupliers". Et comme je lui demandais si l’on associe nécessairement les arbres au breil : "on ne parle pas de breil s’il n’y a pas d’arbres".

J’ai eu la curiosité de vérifier dans les dictionnaires le sens exact du mot breil ou breilh. Je n’ai trouvé qu’une fois la forme breil, mais un peu partout la forme breuil, qui est propre à la langue d’oil. 

1. Breil, in Adolphe Chéruel, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, 1899 :  "(Histoire) Au Moyen Âge, partie de forêt, ou bois taillis." 

2. Breuil, in Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) : "Bois, taillis fermé (de murs ou de haies), fourré (servant de refuge aux bêtes)" ; in Dictionnaire de L’Académie française, p. 215, 4e Edition (1762) : "Terme d’Eaux & Forêts. Bois taillis ou buisson enfermé de haies, où les bêtes se retirent" ; in Littré : "Terme d’eaux et forêts. Bois taillis ou buissons fermés de haies, servant de retraite aux animaux".

Et [je] chant sovent com oiselet en broel, dit Thibaut de Champagne dans une chanson du Roi de Navarre.

A ce stade, j’ai sollicité les lumières de Robert A. Geuljans, le savant auteur du Dictionnaire étymologique de l’occitan. Peu de temps après, Robert A. Geuljans m’envoyait le message suivant :

Je me suis régalé avec les "breilhs" et j’ai fait un petit tour de l’Europe en suivant leurs traces : 

Breilh

Robert A. Geuljans
"Parcourir le temps c’est comprendre le présent."

http://etymologie-occitane.chez-alice.fr/

J’ai cliqué sur Breilh… et vous verrez vous-même la puissance de l’étymologie ! Science merveilleuse.

 

A lire aussi :

A propos du Dictionnaire Etymologique de l’Occitan de Robert A. Geuljans
Quand Pantasaron et Pantagruel sont dans un bateau
Oves marranos, moutons marranes
Le canal du moulin – 2. Du pont de Raillette au moulin

 

Notes:

  1. Samdeparla, Le canal du moulin – 3. Vers l’embouchure ↩︎

  2. Raymond et Marie-Louise Escholier, Cantegril, II, "L’Oarystis ou l’amour inconstant" ↩︎

Cette entrée a été publiée .
dans: Ariège, rivière.

1 commentaire au sujet de « Le chemin des breils »

  1. Robert Geuljans

    Et j’ai continué ma promenade étymologique en écoutant un disque de Jacques BREL et je suis arrivé à DEN BRIEL en Hollande. La prise de cette ville le 1 avril 1572 par les Gueux marins est à la base de la fondation de la République des Provinces Unies, comme la prise de la Bastille en 1789 est le symbole de la fondation de la République française. J’ai trouvé un joli tableau de J. Keller fait en 1752 qui pourrait illustrer l’une comme l’autre.

  2. Martine Rouche

    Le ruisseau et le bassin

    Au printemps, un bassin limpide,
    Au sein des verts bosquets, réfléchissant les cieux,
    Et des rameaux penchés les baisers amoureux,
    Attirait une foule avide
    D’y voguer et de s’y mirer.
    Chacun venait pour admirer
    Cette onde tranquille et dormante
    Qu’à peine ridait quelquefois
    L’haleine des zéphyrs qui, s’échappant des bois,
    Répandaient alentour leur vapeur odorante.
    Non loin serpentait un ruisseau ;
    Sa source était dans la montagne ;
    Elle était abondante, et, loin dans la campagne
    Elle versait la plus belle eau.
    Mais du ruisseau fécond la course est inégale :
    Il bondit sur le roc et s’endort doucement
    Sur le bord plus heureux où la fleur nationale
    Se penche mollement.
    Suivant les lieux, il hâte, il ralentit sa course.
    Là, par un obstacle arrêté,
    Il gronde, il s’enfle !… et cette source
    Qui mêlait aux parfums de ce bord enchanté
    Un murmure de volupté,
    En flots bruyants se précipite,
    Entraînant à sa suite
    Mille débris qu’il heurte et brise en son courant…
    – Quel mauvais voisin qu’un torrent !
    (S’écrie un passant débonnaire),
    Oh ! vive le bassin dont toujours l’onde claire
    Rappelle la candeur, les bienfaits d’un coeur pur ! –
    Mais trop tôt vint l’été ! Le bassin si limpide,
    Qui des cieux réflétait l’azur,
    Et, dans son eau paisible, en son miroir liquide,
    Offrait à tous les coeurs ainsi qu’à tous les yeux,
    Des images d’amour, des prestiges heureux,
    Ne fut plus qu’un bourbier répandant à la ronde
    De miasmes impurs la méphitique odeur.
    Cependant le ruisseau dont l’imprudent censeur
    Maudit la course furibonde,
    Verse toujours au loin les bienfaits de son onde,
    Et, jusques sur les bords flétris
    Du bassin qui naguère eut seul tous les suffrages,
    Ranime la nature et se fait des amis
    De tous ceux dont naguère il reçut les outrages
    Et que l’épreuve a mieux instruits.

    Le bassin nous offre l’image
    De ces fourbes profonds dont l’aimable visage,
    Dans la prospérité, nous charme, nous séduit.
    Le ruisseau libre, dans son lit,
    Mais qu’on voit quelquefois, grossi par un orage,
    Ou heurté dans son cours, bondir sur le rivage,
    Rappelle l’homme franc, sensible, impétueux,
    Que touche le malheur, qu’irrite l’orgueilleux,
    Et qu’attache surtout l’humble ainsi que le sage.

    O Dieux ! donnez-moi pour voisin
    Un ruisseau, non pas un bassin.

    Alors ? Qui devine l’auteur de cette jolie fable que je dédie au Douctouyre, à l’Hers et à la Dormeuse ?

  3. samdeparla

    « une fleur tombée
    est revenue à sa branche!
    Non, c’était un papillon »
    Arakida Moritake

    « l’objet n’existe que parcequ’il y a un observateur » dit la physique .

    « le chemin des breils » et
    « Tout paysage est une experience onirique » sont un fleuron de l’experience de l’Eveil .Etrange pour une dormeuse …?

    Alors le paradis est dans le breilh, aussi.

  4. La dormeuse

    Les espaces du sommeil sont aussi ceux du rêve…

  5. La dormeuse

    Je sèche 🙁

  6. La dormeuse

    Je peux ajouter le tableau de J. Keller au commentaire.
    Il suffit de demander. Est-ce le cas ?
    🙂

  7. Martine Rouche

    Antoine Benoît Vigarosy, bien sûr !!

    in Fables, Livre deuxième, 9e fable.

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