La dormeuse blogue

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A propos de Marie de Calages – Une lettre curieuse

Dans le cadre des recherches parallèlement menées à Mirepoix sur Pierre Pol Riquet et sur Marie de Calages 1, j’ai eu communication d’une lettre curieuse. Signée "Puech", datée du 12 juin 1665 à Paris,  elle semble adressée à Henri de Calages, époux en premières noces de Marie de Calages, née (de) Pech ou Puech. 

 

 A Paris ce 12 Juin 1665

Monsieur,

Malheureusement pour vous et pour moy Monsieu
Riquet a esté party de ceste ville le jour que jy arrivay
qui fust le 1er du courant. Je luy aurois donné vos deux
lettres sil fust esté icy, pour celle que vous envoyez
AMonsieur Prunet nous avons jugé quil nestoit pas
apropos de la donner AMadame acause que mondict
Sieur Riquet est déia en province et que vous
pourrez plus facillement obtenir deluy cé qué
vous désirez que madame vous pourroit randre du
servyce ny du secours en vostre affer.
Il faut assurément que le Sr Plos vous ayt vandeu
cé méchant office et Il faut aussi que vous soyez persuadé
quil nest point de vos amis en aucune façon car
cest lhomme le plus traistre du monde nous avons
avec ledict sieur Prunet déchiré vostre lettre comme vous
marquies Je me dispose pour aller randre vos
lettres de fauveur chacune aleur adresse nayant pas
voleu les donner, plustot que de scavoir le nom de nostre
rapporteur qu’y est Monsieur Vabeaux Me derequetes
Mon affer est consultée aujourdhuy par deux advocats
lun du conseil et lautre du parlement quy ont trouvé ma
cause fort bonne cepandant jay besoin des amis
pour emporter laffer promptement Jattandray
avec impattiance quelq lettre de R.P. Jésuistes
en ma faveur et sy vous vouliez en escrire un
mot en ma faveur au Révérend Père Annat vous
mobligerez sansiblement Jay esté voir avec
Monsieur le peul quy sans doubte cognoissez
par reputation ou autrement Mademoiselle
descudery laquelle est fortement informée
de lage de ma pauvre sœur desavie en ces murs
et ma prié de luy donner un exemplaire aussye
bien que deux ou trois Messieurs delaccademye
qui mont fait la mesme prière comme aussy
Monsieur le Pul lequel est cause quon amis dans
le livre de louanges aux plus beaux et rares esprits
de besiers madite sœur lequel je vous envoyerai
auplustot. Sy vous menvoyes un ordre pour retirer
les exemplaires de la poste je le feray et en distribueray
anos amis cella pourra causser assurément que nous
pourrions avoir plus promptement le gain de causse
que Jespere avec laccistance dubondieu. Je vous
assure qua vostre seule consideration Jaqiray
plus vivement que je naurois pas fait mais
Je nay autre passion au monde que de vous
satisfere le cautionnement fait pour moy
AMessrs les fermiers causeront que jy employeray
tous les soins immaginables pour votre indemnité
Cependant Je salue madlle ma mère et vostre
chère famille et avous aqui suis avec
tout le respect possible,

 

Monsieur,

vostre très humble tres obéissant
et tres obligé serviteur

Puech

Faites moy ladresse a laplace
dauphine ville de grenoble

Monsr prunet est icy et vous
baise les mains

 

La lecture de cette lettre indique que le signataire est ici l’un des frères de Marie de Calages, probablement Alphonce (sic), ailleurs orthographié Halphonce, et que la rédaction de la dite lettre est postérieure au décès de la jeune femme, "ma pauvre soeur ", survenu en 1661. 

Née en 1623, mariée en 1649 à Henri de Calages, officier de la chambre à sel, mère de trois enfants, dont l’aîné, Pierre Pol, baptisé en 1657, a pour parrain Pierre Pol Riquet, qui a vécu à Mirepoix de 1634 à 1646, Marie de Calages, fait imprimer en mars 1660 à Toulouse, chez l’éditeur Colomiez, Judith ou la délivrance de Béthulie, un poème épique, d’environ 5000 vers. Elle signe l’ouvrage de son nom de jeune fille, Marie de Pech" (ou de Puech), et le dédie à la "Reyne", l’Infante Marie-Thérèse d’Espagne, dont le mariage avec Louis XIV est célébré le 9 juin 1660 à Saint Jean de Luz.  C’est Henri de Calages qui se rend à Saint Jean de Luz afin de transmettre le poème, en guise d’épithalame, à la reine ainsi qu’à sa cour. C’est lui également, comme veulent les usages du temps, qui endosse la gratification de 10 000 livres destinée à l’auteur du poème. Marie de Calages meurt, hélas, des suites de ses quatrièmes couches, en 1661. 

De façon non documentée, l’historien Jules de Lahondès (1889-1914), lointainement apparenté à la famille de Calages, mentionne l’existence d’autres poèmes de Marie de Calages, poèmes qui auraient été primés à l’Académie toulousaine des Jeux Floraux 2. On n’a pu jusqu’ici retrouver aucune trace de ces autres poèmes, car les archives relatives aux Jeux Floraux du XVIIe siècle manquent.  

On sait seulement d’après Charles de Lagane, procureur du roi à Toulouse, ancien capitoul, auteur du Discours contenant l’histoire des Jeux Floraux et celle de Dame Clémence (1774), que, suite à la semonce de 1625, relative aux abus "qui s’étoient glissés dans cette Société [des Jeux Floraux] ; ces abus n’étoient pas légers ; on avoit délivré, malgré leurs oppositions, une Fleur à une Fille du Sieur Baron de Fourquevaux âgée de six à sept ans", les "femmes ou filles", jusqu’en 1695, furent exclues des trois fleurs, et que, semblablement à tous ceux qui entrent "à l’essai", elle durent "lire leur poème à haut voix". 

On sait également que, pour cause de dissensions internes, les Jeux furent annulés en 1655. 

 

Henri de Calages épouse, en secondes noces, Françoise de Plos, probablement au cours de l’année 1665, i. e. après l’enregistrement du contrat de mariage qui est signé à Revel et daté du 22 juillet 1665. Pierre Pol Riquet, qui se trouvait à Revel ce même 22 juillet, a-t-il assisté au mariage de Françoise de Plos et d’Henri de Calages ? Le premier enfant né de cette seconde union vient au monde le 18 août 1666. 

 

On retrouve les noms de Riquet et de Plos dans la lettre reproduite ci-dessus. Etrangement, puisque Henri de Calages est sur le point d’épouser Françoise de Plos, le nom du "Sr Plos" fait l’objet d’une mise en garde tranchante  : "Il faut assurément que le Sr Plos vous ayt vandeu cé méchant office et Il faut aussi que vous soyez persuadé quil nest point de vos amis en aucune façon car cest lhomme le plus traistre du monde". Cet "homme le plus traistre du monde", s’agit-il du père de Françoise de Plos, ou plutôt de Jean Plos, frère de la jeune femme, receveur à la chambre à sel de Limoux ? 

Sans doute requis par les affaires du Canal, "Monsieu Riquet" a quitté Paris le 1er juin de cette année 1665 pour se rendre "en province". "Madame", seule restée à Paris, ne saurait "randre du servyce ny du secours en vostre affer". Supposant que le destinataire de la lettre est bien Henri de Calages, de quelle affaire s’agit-il, qui puisse concerner, "malheureusement pour vous et pour moy", à la fois "Pech", frère de Marie de Calages, et Henri de Calages, veuf de cette dernière ?

La suite de la lettre semble indiquer que l’affaire a trait à la diffusion  du poème de Marie de Calages ainsi qu’à la défense des intérêts de cette dernière, ici représentée par son frère et par son époux, père de ses trois enfants. Sait-on, au chapitre des intérêts, ce qu’il est advenu de la gratification de 10 000 livres, dont Henri de Calages a requis et fait enregistrer devant notaire le droit de disposer de cette dernière en libre jouissance ? Sait-on si la diffusion du poème de Marie de Calages a donné lieu à d’autres gratifications qui permissent de compenser la dépense initialement consentie pour l’impression de l’ouvrage chez l’éditeur toulousain Colomiez ? Sait-on si l’éditeur pratiquait, même si le terme est anachronique, l’escompte sur recette ? Les données manquent ici cruellement. Sans doute reposent-elles aux archives municipales de Toulouse, ou bien aux archives départementales, dans le fonds Colomiez, si toutefois celui-ci a bien été conservé. 

 

Si "Puech" semble se démener ici pour diffuser, et en quelque sorte "placer", les exemplaires restants de l’édition de Judith ou la délivrance de Béthulie publiée en 1660 chez Colomiez, il semble également soucieux de défendre et d’illustrer le mérite littéraire, et, plus encore dirait-on, le caractère édifiant, voire "religieusement correct", de l’oeuvre de sa soeur. D’où vient qu’il ait besoin de s’appliquer à une telle défense ? D’où vient qu’il ait besoin de solliciter l’appui des "R.P. Jésuistes", et jusqu’à celui du "Révérend Père Annat", confesseur du roi ?   

Concernant le mérite littéraire de l’oeuvre de "madite soeur", "Puech" le sait acquis auprès des "plus beaux et rares esprits" de Béziers, par l’entremise de "Monsieur le Pul", gouverneur de Béziers, ami de Pierre Pol Riquet, qui était originaire de Béziers et qui, semblablement à Henri de Calages, exerçait la fonction d’officier de la chambre à sel. On voit ici comment s’opère la diffusion d’une oeuvre dans le cadre de la société du XVIIe siècle, qui ne dispose pas des moyens publicitaires actuels. Une telle diffusion se fait par le canal des réseaux sociaux. La notoriété littéraire de Marie de Calages, dans le Midi, doit ainsi beaucoup à la solidarité des officiers de la chambre à sel. Elle doit peut-être aussi à ce mode de diffusion inter pares de susciter, par effet de choc en retour, quelque conflit d’intérêt entre les familles Puech, Calages, Plos, voire certain conflit de personnalité entre deux représentants de deux juridictions rivales (chambre à sel de Limoux, chambre à sel de Mirepoix), à l’approche du contrat de mariage qu’Henri de Calages signe avec Françoise de Plos le 22 juillet 1665.  

La lettre signée "Puech" indique qu’un nombre non précisé d’exemplaires de Judith ou la délivrance de Béthulie ont été envoyés à Paris par la poste. On suppose qu’Henri de Calages est l’expéditeur de ces exemplaires, auquel cas il en est aussi le propriétaire ou le dépositaire. Les deux hommes semblent agir de façon coordonnée, puisque "Puech" attend "un ordre pour retirer les exemplaires de la poste" et pour tenter ensuite de "placer" l’ouvrage, conformément à une stratégie "publicitaire", censément débattue et discutée en amont, peut-être sous l’auspice de Riquet, mieux instruit du grand monde parisien. 

On notera toutefois que "Puech" invoque à cette occasion la possibilité de "vous satisfere le cautionnement fait pour moy", indiquant ainsi, de façon obscure, qu’il doit quelque chose à son correspondant, pour le moins un service, sinon le remboursement d’une dette. La "passion" que dit vouloir mettre "Puech" dans la distribution des exemplaires de Judith ou la délvrance de Béthulie envoyés par la poste serait donc obligée par quelque affaire inconnue de nous, affaire dans laquelle, sans que l’on sache à quel titre, le frère de Marie de Calages apparaît comme le débiteur du mari de cette dernière. On sait que les officiers de la chambre à sel exerçaient aussi la fonction de prêteurs. 

Un billet retrouvé dans le fonds Calages, non signé, daté du même jour que la lettre qui nous intéresse, porte la mention suivante :  

12 juin 1665
Alphonce Pech
Promet de me
Relever du
Cautionnement 

Ainsi diligenté par son interlocuteur en l’affaire, motivé par la "passion de le "satisfere le cautionnement fait pour moy", bien informé par ailleurs des "esprits" qui décident, dans le Paris de 1665, la fortune d’un ouvrage, "Puech" annonce s’occuper de faire porter, dès que possible, un exemplaire de Judith ou la délivrance de la Béthulie à "Mademoiselle descudery", auteur de romans fleuves tels que Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653), Clélie, histoire romaine (1654-1660), etc., reine d’un salon littéraire très couru, en son appartement du Marais, rue de Beauce, par ailleurs créditée, sous nom de Sapho, du titre de "perle des précieuses".  Le tout dernier roman de Madeleine de Scudéry publié à cette date s’intitule Almahide ou l’esclave reine (1660). 

De façon stratégiquement pensée, puisque en 1660 Marie de Calages, qui signe Marie de Pech, faisait porter son poème à la "Reyne" plutôt qu’au roi, et puisqu’elle invoquait dans le "Discours aux Dames" qui suit la dédicace à la "Reyne" l’exemple de "Mademoiselle d’Escudery, & ses semblables", Alphonse Puech, en 1665, choisit de faire porter Judith ou la délivrance de la Béthulie à l’illustre Madeleine de Scudéry, parangon des "Dames" précédemment invoquées par sa soeur.

 

Marie de Pech, puis son frère Alphonce, mesuraient, semble-t-il, la spécificité des résistances que risquaient de susciter l’incursion d’une femme dans le genre héroïque, frayé jusqu’alors par des auteurs masculins. Ils s’inquiétaient donc de prévenir les dites résistances. Ils avaient sans doute raison, car les critiques du XIXe siècle se plaisent encore à relever la troublante similitude que présente, au moins en une occurrence, les vers de Marie de Calages dans Judith ou la délivrance de Béthulie et ceux de Racine dans Phèdre, partant, à rappeler certain problème d’attribution relatif à l’auteur du vers en question. 

"Il y fait ses efforts, mais ils sont superflus,
Il se cherche luy mesme, & ne se trouve plus". 3 

"Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus" 4 

L’oeuvre de Marie de Calages a ainsi souffert de l’effet d’ombre portée auquel l’exposait a posteriori la comparaison avec celle de Jean Racine. De façon à la fois embarrassée et un peu condescendante, les auteurs de la Biographie toulousaine évoquent le problème d’attribution mentionné ci-dessus, qui intéresse, inégalement selon eux, l’oeuvre d’un "grand poëte" et celle d’une "dame" dont "on ignore l’époque de la mort" :   

"Il [le "galant" rédacteur de l’article "Marie de Calages" dans la Biographie universelle] prétend que Racine a pris plusieurs vers dans le poëme de Judith ; nous trouvons qu’on doit toujours accuser, avec défiance, un grand poëte d’un semblable plagiat : ne peut-il trouver dans son imagination les mêmes tournures de phrase, sans avoir besoin de les prendre ailleurs ? Les gens riches ordinairement prêtent, et n’empruntent pas ; nous croyons que c’est ici le cas. Une partie de ce poëme est imprimé dans le Parnasse des Dames. On ignore l’époque de la mort de cette dame" 5

Sachant que La Thébaïde, première pièce de Jean Racine, date de 1664, et que Phèdre, dans laquelle figure le vers litigieux, date de 1677, le problème d’attribution susdit tombe de lui-même. Mais il demeure symptomatique de l’incrédulité que suscitait naguère encore l’hypothèse du génie féminin possiblement plagié par son parèdre masculin. 

 

Marie de Calages, en 1660, ne pouvait en aucune façon apparaître comme la rivale de Jean Racine. Mais sa Judith ou la délivrance de Béthulie venait, entre autres, après la Judith de Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas (1574, in La Muse Chrétienne), après la Judic du poète Anne d’Urfé (1588), après la Judith ou l’amour de la patrie d’Antoine Girard Bouvot (1649). Elle se trouvait ainsi volens nolens placée dans une situation de rupture par rapport aux oeuvres qui la précèdent, issues chaque fois d’une plume virile, par là tributaires du regard génériquement autre que leur auteur porte sur l’héroïne du beau sexe. Fruit d’un regard génériquement même, d’une prime et profonde empathie, l’oeuvre de Marie de Calages, constitue en son temps une sorte d’OVNI, une curiosité littéraire qui, dans le genre auquel elle prétend, intrigue et en quelque façon dérange. Quand une femme se mêle de revisiter la Gallerie des Femmes Fortes du Père Le Moyne, de la Compagnie de Jésus, ouvrage édifiant, publié pour la première fois en 1647, dédié à la "Reyne Régente", constamment réédité par la suite, riche, entre autres, d’un article dédié à Judith. 

Auteur d’un poème consacré à la figure vétéro-testamentaire de "la Grande JUDITH", "femme forte" s’il en est,  Marie de Calages invoque dans le "Discours aux Dames" qui sert d’avant-propos au poème, "Mademoiselle d’Escudery, & ses semblables", présentées ici comme d’autres figures possibles de la "femme forte". Evoquant au passage sa propre condition, Marie de Calages révèle ainsi comme en creux ce qui caractérise à ses yeux la condition de la moderne "femme forte". Le propos mérite d’être cité un peu longuement :

DISCOURS AUX DAMES  

LA veneration que j’ay eu toute ma vie pour la Grande JUDITH me donna le desir, il y a quelque temps de faire cét ouvrage, & d’employer pour sa gloire le petit talent que j’ay receu du Ciel, pour la Poësie, & quoy que j’eusse borné mon dessein à quatre ou cinq cens vers seulement, la grandeur de mon sujet & ma propre inclination m’ont engagée dans une plus longue carriere, je ne sçay si je l’auray couruë avec succez, vous en jugerez s’il vous plaist, mes Dames, je sçay que parmy vous il y en a beaucoup de sçavantes, & peu qui ne soient charitables ; ainsi si vous y trouvez quelque chose qui ait le bon-heur de vous plaire, loüez en l’Esprit Eternel qui me l’a suggeré :  que si au contraire je n’ay rien fait qui soit de vostre goust, souvenez-vous qu’une femme tout-à-fait engagée dans l’ambarras d’une famille n’a pas toute la liberté d’esprit necessaire pour ces ouvrages, non plus que la politesse estant esloignée de la Cour, & de ces grands Genies qui inspirent les belles choses par la seule conversation.  Si j’avois eu la gloire d’aprocher quelquefois Mademoiselle d’Escudery, & ses semblables, je serois moins pardonnable dans mes deffauts, puis qu’il est bien difficile de s’aprocher du feu sans en ressentir la chaleur : Mais le Ciel m’a fait naistre dans une Region esloignée de ces grands Astres qui ne m’ont jamais esclairée que de leur reputation ; aussi manquant de ces lumieres qui sont necessaires pour ces grands ouvrages, je ne me suis jamais escartée du grand chemin de peur de m’esgarer, j’ay tousjours travaillé sur la Sainte Escriture, selon la traduction de l’Eglise ;  & si j’ay meslé quelque peu d’invention dans mon Poëme, je l ay fait pour donner quelques petits agréemens à ceux à qui possible la seule Histoire sembleroit trop serieuse pour leur divertissement. J’ay voulu plustot luy donner le Tiltre de Saint que d Heroïque, par ce que je n’ay point eu de combats à descrire, & que mon Heroïne ne l’a esté que dans la derniere action de mon ouvrage, qui en est le principal subjet, par tout ailleurs elle n’y paroist que comme une Vefve affligée, Pieuse, & Saincte, qui songe à tout autre chose qu’à des exploits guerriers.

 

N’ayant à la ville ni mari ni enfants, dotée d’une fortune suffisante, d’un grand nom, Madeleine de Scudéry mène alors en sa demeure parisienne une existence brillante, libre de toutes chaînes. "Femme forte" dans la vie, elle l’est aussi, par le truchement de ses héroïnes, dans les romans à succès qu’elle publie. Ceux-ci défendent et illustrent les valeurs d’une féminité glorieuse et déploient des accents parfois annonciateurs de l’actuel féminisme. Mais contrairement au poème de Marie de Calages, ils sont d’inspiration laïque et ne font aucune place à la religion. Les héroïnes de Mademoiselle de Scudéry cultivent librement le souci de leur gloire, le goût du Tendre, l’art de la conversation brillante, nullement la vocation de servir Dieu, un mari, des enfants, moins encore celle de libérer leur native "Béthulie".  

Double littéraire de Mademoiselle de Scudéry, le personnage de Sapho, dans Artamène ou le Grand Cyrus, fournit à Marie de Calages un modéle de vie heureuse, fort éloigné du sien propre :   

"J’avois tousjours crû, reprit Amithone, qu’il falloit que Sapho ne dormist point, pour avoir le temps de faire tout ce qu’elle fait, jusques à ce que j’aye eu fait un voyage à la Campagne avec elle : mais depuis cela je m’en suis desabusée : estant certain qu’elle regle si bien toutes ses heures, qu’elle a loisir de faire mille choses que je ne ferois point. Car enfin elle trouve le temps de dormir autant qu’il faut pour avoir le taint reposé, et les yeux tranquilles : elle trouve celuy de s’habiller aussi galamment qu’une autre : elle trouve, dis-je, celuy de lire, d’escrire, de resver, de se promener, de donner ordre à ses affaires, et de se donner à ses Amies : et tout cela sans estre empressée, et sans embarras. Je voudrois bien, dit la belle Athys, qu’elle m’eust enseigné son Secret : car si je le sçavois, je pense que je me resoudrois…" 6

Marie de Calages, quant à elle, mène en sa demeure de Mirepoix une vie tout autre. "Engagée", comme elle dit, "dans les embarras d’une famille",  maîtresse d’une demeure qui fait également office de chambre à sel et au sein laquelle on se presse tout le long du jour, puisque son époux y exerce directement sa charge, la jeune femme se plaint en conséquence de manquer de temps pour soi et surtout de "liberté d’esprit". Instruite, éprise de littérature, habitée par la soif de savoir, on devine qu’elle souffre du sentiment de végéter dans une "Region esloignée de ces grands Astres" dont elle quête les lumières et dont l’existence supérieurement policée, e longinquo reverentia, la fait rêver.        

Distinguant toutefois le rêve de la réalité, Marie de Calages opte, semble-t-il, pour une sorte de stoïcisme souriant, sous le couvert duquel, s’efforçant de ménager tout à la fois ses devoirs d’épouse et de mère et sa vocation d’écrivain, elle tente de fournir à une injonction moralement contradictoire une réponse modeste, lucide, sagement adaptée. On devine, dans le "Discours aux Dames", qu’elle se fait de cette dernière une discrète fierté, en particulier lorsqu’elle décline avec soin les raisons qui l’ont amenée à "travailler sur la Sainte Escriture, selon la traduction de l’Eglise", à envisager un poème de "quatre ou cinq cens vers seulement", et à développer finalement un poème de 5000 vers.

Travaillant sur "la Sainte Escriture, selon la traduction de l’Eglise", et dans la perspective de "quatre ou cinq cens vers seulement", elle se distinguait ainsi de la femme qui manque à ses obligations d’épouse et de mère en distrayant du temps qu’elle doit aux siens celui qu’elle perd à lire ou à écrire des poème profanes et, pis encore, des romans ; elle faisait en outre acte de cette piété chrétienne qu’elle sait prescrite aux épouses et aux mères, qu’elle nourrit en vertu d’une foi profonde, mais dont elle sait aussi qu’il convient de la publier, et ce, conformément à la "traduction de l’Eglise", dans une société toujours divisée par des questions religieuses. Travaillant sur "la Sainte Escriture", elle disposait enfin d’une trame solide, suffisamment riche et intéressante pour la soulager presque partout de la nécessité d’inventer  et par là lui permettre de se s’attacher à l’essentiel : la peinture d’un grand "caractère", qui préfigure celui de "la Mère de Dieu" et fait valoir "l’exemple & l’Amour de son sexe, comme elle en est la gloire & l’ornement".  C’est, ainsi soulevée par la force de "la Grande Judith", que Marie de Calages développe un immense poème dont elle croyait initialement qu’il pût se laisser contenir dans la limite de 400 vers. 

Cette force de Judith, Marie de Calages l’invoque en des termes empruntés au registre du "feu", de la "chaleur", des "Astres", des "lumières". Ce qu’elle dit de son "inclination" propre indique toutefois que la force lumineuse de Judith croît et se soulève en elle sur la base d’une force obscure, d’une pulsion, dont elle ne sait rien. 

"& quoy que j’eusse borné mon dessein à quatre ou cinq cens vers seulement, la grandeur de mon sujet & ma propre inclination m’ont engagée dans une plus longue carriere…"

Plus originaire que "le petit talent que j’ay receu du Ciel, pour la Poësie…", "l’inclination" dit ici le mystère de l’idiosyncrasie, – la façon des atomes -, qui fait l’écrivain, et la force de l’écriture qui dicte sa loi.

 

Marie de Calage frappait-elle à la "bonne porte" lorsqu’elle invoque dans son "Discours aux Dames, "Mademoiselle d’Escudery, & ses semblables", plaçant ainsi son poème sous l’auspice d’une grande dame, icône d’une certaine émancipation féminine, reine d’un salon littéraire sur lequel elle exercait un empire redouté ?   

Forte de son génie poétique, mais aussi d’une belle intelligence tactique, Marie de Calages prend soin d’entretenir, concernant la diffusion de son livre, en quelque sorte "deux fers au feu". Après avoir dédicacé son poème à la pieuse nouvelle "Reyne", Marie-Thérèse d’Espagne, elle adresse à Mademoiselle de Scudéry, "perle des précieuses", un compliment appuyé. On sait par la lettre de "Puech" reproduite plus haut que Mademoiselle de Scudéry se trouvait, en 1665, "fortement informée", peut-être par Riquet, "de lage de ma pauvre sœur desavie en ces murs" . L’était-elle déjà en 1660 ? Marie de Calages, dans le "Discours aux Dames", signale en tout cas qu’elle a fait hommage de son livre à cette grande "Dame" : "si j’eusse pris conseil de moy- mesme & de ma timidité, je n’aurois jamais donné conged à cét ouvrage;  Mais je l’ay donné pour une preuve d’amitié à qui je dois toute la mienne…"

Attendait-elle de Madeleine de Scudéry qu’en vertu de quelque solidarité de genre, qu’en vertu aussi de l’exemplarité propre au cas d’une femme, épouse et mère, qui écrit un poème héroïque de 5000 vers en sa maison de Mirepoix, celle-ci, en son salon, soumît Judith ou la délivrance de Béthulie à l’épreuve fameuse du "Samedi" : 

"Il y avait, raconte Madame de Sablé, un ordre du jour, un appareil presque académique, un procès-verbal des actes, une chronique, un secrétaire qui était Pellisson, et un conservateur des archives de la Société, Conrart. Les travaux littéraires produits par les membres étaient ainsi consignés sans correction par Pellisson dans la Chronique du Samedi" 7.  

Marie de Calages invoque dans son "Discours aux Dames"  précisément "Monsieur de Pelisson", censeur littéraire redouté, dont, glisse-t-elle, d’un ton de sage humilité, elle "pardonne" par avance la critique : 

"Je pardonne de bon coeur à la Censure de quelque façon qu’elle m’attaque, je n’ay pas fait ce que je devois faire, mais j’ay fait au moins ce que j’ay peu:  non-obstant cela si j’eusse pris conseil de moy- mesme & de ma timidité, je n’aurois jamais donné conged à cét ouvrage;  Mais je l’ay donné pour une preuve d’amitié à qui je dois toute la mienne:  Monsieur de Pelisson dit fort galamment dans le beau discours qu’il a fait sur les oeuvres de Monsieur Sarrasin, que l’on a souvent de grandes raisons pour exposer de petits ouvrages, & je dis que c’est la mienne.  Je ne doubte point, mes Dames que vous n’ayez le sentiment de ce grand Homme, & que vous n’approuviez mon dessein, si vous le faites je suis asseurée queles deffauts de cét ouvrage seront cachez par l’esclat que vous donnerez à ses beautez & ce me sera une tres-grande satisfaction de sçavoir que vous ayez voulu donner quelques heures de vostre loisir". 

De nos jours, même si le mot ne sied guère à Judith, on parlerait ici d’un "appel du pied".  

 

Il semble que Madeleine de Scudéry n’ait pas lu le livre de Marie de Calages en 1660, ou que celui-ci n’ait pas recueilli le suffrage de "Monsieur de Pelisson". Consacré à une héroïne de l’Histoire Sainte, inspiré par une foi profonde, l’ouvrage pouvait-il au demeurant  s’imposer dans un milieu déjà déchristianisé, indifférent aux liens que l’art entretient chez Marie de Calages avec le sacré ? Madeleine de Scudéry, quant à elle, s’intéressait sélectivement  aux héroïnes de l’Antiquité classique. 

On ne sait rien de l’accueil qu’a reçu Judith ou la délivrance de Béthulie auprès de la "Reyne", du roi, de leurs proches. L’Infante Marie-Thérèse d’Espagne ne parlait pas le français. Le roi nourrissait à cette date le goût de la comédie-ballet et ne prisait guère le sérieux du genre "saint". La gratification de 10 000 livres témoigne certes d’une considération sonnante. Mais que considérait-on ici ? Le génie de l’oeuvre ou l’exploit ? L’esprit ou la lettre ? Il ne semble pas en tout cas que la dite considération ait favorisé une large diffusion de l’ouvrage, puisqu’en 1665, Henri de Calages dispose encore d’une partie des volumes imprimés en 1660. On ne connaît, à ce jour, ni le nombre des volumes imprimés ni celui des volumes distribués.

 

La lettre signée "Puech" indique qu’en 1665, Alphonce Puech, frère de Marie de Calages, et Henri de Calages, veuf de cette dernière, envisagent de relancer la diffusion de Judith ou la délivrance de Béthulie. De façon probablement concertée avec Henri de Calages, "Puech" vise deux cibles : "Mademoiselle descudery" et  les "R.P. Jésuistes", parmi lesquels, tout spécialement, le "Révérend Père Annat", confesseur du roi. Il tente en 1665 une sorte de décalque de la stratégie initiée par sa soeur en 1660. On relève en effet chez "Puech" la même visée doublement sagittale, le même ciblage bifrons que chez Marie de Calages. Alphonce Puech et Henri de Calages témoignent là tout à la fois de leur intelligence du projet conçu en 1660 par la jeune femme, de leur adhésion à ce dernier, et de leur fidélité au dit projet. Ils avaient lu et relu le poème, la dédicace à la "Reyne", le "Discours aux Dames". Marie d’abord leur en avait donné lecture, peut-être au coin du feu, durant l’hiver 1659-1660. Ils avaient  parié sur l’avenir de Marie, discuté de son projet. Edition, diffusion… Elle avait son idée. Ils suivaient. Quatre ans après la mort de la jeune femme, ils se conformaient derechef à l’idée de 1659. 

Ce témoignage d’allégeance à l’idée de 1659 éclaire d’une lueur bienvenue le personnage de la jeune femme et le climat de la famille au sein de laquelle elle vivait. Marie était entendue ; son projet, respecté. Elle jouissait donc d’un crédit intellectuel qui faisait d’elle parmi les siens une "femme forte", un foyer d’influence. Elle eût sans doute voulu que la diffusion de son oeuvre lui permît d’être plus "forte" dans son statut d’écrivain. D’écrivain, tout court ? Ou bien d’écrivain(e), comme on dit aujourd’hui ? Elle seule aurait pu le savoir. Mais le savait-elle seulement ?

 

Alphonce Puech, en 1665, s’applique donc à mettre en oeuvre une réplique de la stratégie de diffusion initiée en 1660 par sa soeur. Il introduit toutefois dans cette dernière une variante, dont on observera qu’elle lui semblait alors parfaitement conforme à l’esprit du projet. De façon doublement sagittale, Marie de Calages s’adressait, en la personne de la "Reyne", aux âmes pieuses, et, en la personne de "Mademoiselle d’Escudery, & ses semblables", aux âmes sensibles. De façon tout aussi doublement sagittale, "Puech" prévoit de faire porter Judith ou la délivrance de Béthulie bis repetita à "Mademoiselle descudery", représentante du parti des âmes sensibles, et de prévenir en faveur de l’ouvrage les "R.P. Jésuistes", chefs de file du parti des âmes pieuses, fers de lance de la lutte contre l’hérésie janséniste, censeurs littéraires vigilants au chapitre de la droite catholicité. Il compte tout spécialement sur le "Révérend Père Annat", confesseur du roi, "jésuiste", pour des raisons qui se devinent et pour d’autres qu’il ne dit pas.  

Au titre des raisons qui se devinent, il y a l’influence que le confesseur exerce sur le roi, et, par le truchement du roi, sur la cour toute entière. Bouillant défenseur de la foi, exigeant directeur de conscience, en cela bien placé pour prescrire les lectures qui conviennent aux âmes pieuses et droitement catholiques, le "Révérent Père Annat" se trouvait à même de favoriser la diffusion du livre, droitement catholique (inspiré par "la Sainte Escriture, selon la traduction de l’Eglise"), de Marie de Calages, là où la reine Marie-Thérèse en 1660 ne l’avait pas pu, ou pas su. Nouvellement arrivée en France, la reine ne parlait pas le français. Le lisait-elle ? 

Au titre des raisons que "Puech" ne dit pas, il y a le lien de solidarité ordinale que le ‘Révérend Père Annat" entretenait avec le Père Le Moyne, membre lui aussi de la Compagnie de Jésus, auteur de l’édifiante Gallerie des Femmes Fortes. Alphonse Puech attendait peut-être du "Révérend Père Annat" que celui recommandât la lecture de Judith ou la délivrance de Béthulie après celle de la Gallerie des Femmes Fortes, qu’il la présentât comme un complément de cette dernière, plaçant ainsi un auteur méconnu dans le sillage d’un auteur à succès. Mais de l’Infante Marie-Thérèse d’Espagne au "Révérend Père Annat", les raisons tactiques d’Alphonse Puech demeuraient-elles ici parfaitement conformes à l’esprit du projet initialement conçu par sa soeur Marie ?

Marie de Calages s’adressait spécifiquement aux "Dames". Elle le faisait sous l’auspice d’une plus grande Dame, la "Reyne", elle-même placée sous l’auspice suprême de la Vierge Marie, Notre Dame. Marie de Calages confiait en somme la diffusion de son livre à la commune bénévolence des "Dames", de toutes les "Dames", des "Dames" seulement.  

"C’est elle mesme [Judith], MADAME, qui vient s’offrir à VOSTRE MAJESTÉ, & luy demander la gloire de sa protection.  Elle espere bien qu’estant une des plus chastes & des plus SainctesDames de son siecle, elle obtiendra cette faveur de la plus grande Dame de l’Univers, en qui toute sorte de Vertu est si Eminente;  & je me persuade aisement, MADAME, que celle qui a esté la figure de MARIE Mere de Dieu ne déplaira point à la plus Auguste MARIE qui serve aujourd’huy à ses Autels.  Aussi lors que je prens la hardiesse de comparer mon Heroïne à VOSTRE MAJESTÉ je ne crains point de passer pour profane, puis que la Reyne des Cieux souffre cette comparaison pour elle mesme.  Je passe bien plus outre, MADAME, & dis que lors que je considere VOSTRE MAJESTÉ entre la verentre MARIE & JUDITH, je trouve qu’elle a bien du raport à l’une & à l’autre…" 8 

Alphonce Puech mesurait-il le caractère impropre de l’inflexion qu’il imprimait au projet de Marie de Calages en soumettant la diffusion de Judith ou la délivrance de Béthulie à la médiation génériquement autre des Pères ? Le pouvait-il ? L’eût-il pu aujourd’hui seulement ? La question demeure dérangeante.        

Au titre des raisons que "Puech" ne dit pas, il y a enfin l’appui, les certifications ? que le "Révérend Père Annat" et les "R.P. Jésuistes" seraient susceptibles peut-être de lui fournir, dans le cadre de "mon affer", celle qui l’amène à consulter "aujourdhuy deux advocats l’un du conseil et l’aultre du parlement" et qui a pour rapporteur "Monsieur Vabeaux Me derequetes". "Puech" parle ici de "mon affer", "ma cause", sans autre précision. Henri de Calages, son correspondant, sait donc de quoi il s’agit, même si l’affaire est celle de "Puech", non directement la sienne. 

 

Quelle sorte d’affaire pouvait amener "Puech" à requérir devant les tribunaux, dans le cadre d’une opération complexe qui intéresse, en archipel, Henri de Calages, son beau-frère, Marie de Calages, sa soeur défunte et l’oeuvre de cette dernière, Jean Plos, frère de Françoise de Plos, qui est sur le point d’épouser Henri de Calages, Pierre Pol Riquet, ami de la famille Calages, Madeleine de Scudéry, l’une des destinaires du livre de Marie de Calages, les Révérends Pères Jésuite et le Père Annat, qui infirment ou confirment, entre autres, la droite catholicité de l’ensemble des ouvrages publiés dans le royaume ?  

Quel rôle joue, en l’affaire, certain "Monsieur Prunet" ? Pourquoi Alphonce Puech fournit-il à son beau-frère une adresse à Grenoble :"Faites moy ladresse a laplace dauphine ville de grenoble" ? Qu’allait-il faire à Grenoble ?  

Nous n’en savons rien.

 

Alphonce Puech semble avoir été un homme perdu de dettes, qui sollicitait régulièrement Henri de Calages, son beau-frère. Divers documents retrouvés dans le fonds Calages confirment qu’Alphonce Puech avait, en 1665, contracté une dette ou plusieurs dettes, qu’il avait obtenu le "cautionnement" d’Henri de Calages, qu’il peinait à "le relever de ce cautionnement", qu’il s’était improvisé agent littéraire pour le dédommager, et qu’il espérait le 12 juin de la même année y parvenir d’une façon ou d’une autre. 

 

Henri de Calages a noté, au revers d’une sorte de memento personnel, cette promesse, déjà rapportée plus haut : 

"12 juin 1665
Alphonce Pech
Promet de me
Relever du
Cautionnement"   

Il y a sûrement un lien entre le résultat escompté le 12 juin 1665 par Alphonce Puech dans l’affaire qui l’oblige à requérir auprès des tribunaux parisiens, et la promesse que celui-ci formule à l’intention d’Henri de Calages. "Mon affer", observe Alphonce Puech, "est consultée aujourdhuy par deux advocats lun du conseil et lautre du parlement quy ont trouvé ma cause fort bonne". Probablement Henri de Calages avait-il reçu la dite promesse de la bouche même d’Alphonce Puech, quelques jours plus tôt, avant le départ de celui-ci pour Paris. Il la note sous forme de memento le 12 juin 1665. Il sait donc que le jugement attendu par Alphonce Puech sera rendu autour de ce 12 juin et fonde probablement sur lui quelque espoir. Nous ne savons rien de la nature de ce jugement.

Datée du 10 mars 1666, une reconnaissance de dette signée "Puech" indique celui-ci a emprunté diverses sommes à Pierre Pol Riquet et qu’Henri de Calages, son beau-frère, l’a derechef cautionné : 

"Jay receu de Monsieur Ricquet
Baron de Bonrepos la somme
de deux cens vingt livres
suivant La lettre du cinq
febvrier dernier de Monsieur
Callages mon beaufrere laquelle
somme sera rembourséee audit
Sieur Ricquet par ledit Sieur de
Callages  fait Aparis
ce dixiesme mars 166
6" 

Po.’ n c. xxtt

Puech 

"Jay receu de Monsieur Riquet
la somme de soixante quatre
livres dix sols enconsequence
Delerlve sy deniere esnouéee
fait A paris ce 6me avril
1666" 

Puech

Po’  Lxmtt.x 

"Plus iay receu de Monsieur
Riquet la somme de soixante
quatre livres dix sols enconsequence
comme dessus fait aparis
ce xx6me avril 1666"

Po’ Lxmtt.x 

Puech

 

Tandis qu’il cautionnait inlassablement Alphonce Puech, son toujours impécunieux beau-frère, Henri de Calages préparait le contrat du mariage qui devait l’unir, en secondes noces, à Françoise de Plos. Jean Plos, frère de Françoise de Plos, assistait la jeune femme lors de la signature du contrat.  

"Ledict Sieur plos a icy presantement et Reallement et de 
comptant payee ausdicts Sieur de Callages et damoiselle de
plos fucteurs Maries en cens louis or cens
trente louis argent et monnoye faisant ladicte soume
des quinze cens livres receue et emboursee par ledict Sieur
de Callages en ma presence et desdicts tesmoins dont sen
contante et en acquitte et quitte ledict Sieur plos frere
de ladicte damoiselle sa fucteure Espouze et en sa faveur
Icy presante avecledict Sieur son frere acceptant Ledict
Sieur Callages fucteur Espous recognoit Ladicte soume de
quinze cens livres sur tous et chacuns ses biens presans
et advenir avec l’augmant de ladicte soume come sy dessus
Est dit et en faveur aussy et contemplation dudict
fucteur mariage en cas de predeces Ledict Sieur Callages…" 

Officier de la chambre à sel de Limoux, qualifié en droit, Jean Plos a probablement participé à l’élaboration du dit contrat et entrepris en la circonstance de se renseigner sur les comptes d’Henri de Calages. Il aurait pu ainsi s’enquérir auprès d’Henri de Calages de l’usage que celui-ci avait fait de la gratification de 10 000 livres dont, le 19 janvier 1661, Marie, sa femme aujourd’hui défunte, lui avait cédé la jouissance, et s’il en disposait encore.  

"Ce jourdhuy dix neufiesme jour
du mois de janvier mil six cens soixante
et ung apres Midi dans La ville de 
Castelnaudary au dioceze Sainct Papoul
et seigneurie de Lauragois regnant tres chrestien
Prince Louis par la grâce de Dieu roi
de france et de Navarre pardevan moi
notaire royal soubsignés et presens les tesmoings
Bas nommés Constitue en personne
Le Sieur henri Calages recepveur en
La Chambre a sel de Mirapoix, Lequel
a dict de son plein [gré] que damoiselle Marie de Pech
sa femme […]
lui aurait laissé
ladicte some pour lemployer comme
bon lui semblerait ala charge pour 
lui de la recognoistre sur tout et
chascun ses biens presan et advenir
pour la reporter le cas arrivans, a raison
de quoi ledict sieur Calages de son
bon gré plein et franche volonté a
recognu et par le Moien du presan
recognait et a signé en faveur
de ladicte damoiselle de Pech sa femme
abssante mais moi notaire pour
elle presan stipulant et acceptant
ladicte somme de dix mil livres
par lui receue come est dict ci
dessus, laquelle il consant quelle
reportera le cas y escherra
et sans prejudice d’autre recognoissance
par lui faisant en
faveur de sadicte femme pour ses cas dotaux
il oblige tous et chacun ses biens
presants et advenir qua soubmis
aux rigueurs et lois de ce royaume…" 

                                      Sauvet notaire 

Calages

 

La lecture de cet acte notarié semble indiquer que, "ala charge pour lui de la recognoistre sur tout et chascun ses biens presan et advenir pour la reporter le cas arrivans", Henri de Calages conservait la jouissance des 10 000 livres dans le cadre de son mariage avec Françoise de Plos. Il importait donc à Jean Plos de vérifier que la dite somme se trouvait notoirement comprise dans la corbeille du mariage et que, si toutefois Henri de Calages en avait fait antérieurement usage, il l’avait effectivement "reportée" avant le mariage. Si tel n’était pas le cas, qu’en avait-il fait ? 

Quelque chose donne à penser, dans les méandres de cette histoire, qu’Henri de Calages avait usé des 10 000 livres pour cautionner les dettes de son beau-frère, Alphonce Puech. Quelque chose donne à penser aussi que, nonobstant les incommodités de ce dernier, Henri de Calages avait de l’amitié pour son beau-frère et qu’il lui reconnaissait, de façon non écrite, une sorte de droit sur l’héritage laissé par Marie de Calages,  i. e. la gratification de 10 000 livres, les volumes restants de l’édition Colomiez, et la mémoire même de l’oeuvre. 

On retire de cette histoire l’impression que Marie de Calages, l’inconnue de Mirepoix, était digne du statut des Illustres, et qu’Henri de Calages, receveur des impôts, prêteur, était un homme bon, éclairé, tolérant, généreux. Ils constituent, à eux deux, un couple passionnant, hors du commun.      

        

NB : Tous les documents d’archives reproduits ci-dessus m’ont été communiqués par Martine Rouche et Claudine L’Hôte-Azéma, qui les ont longuement recherchés, puis minutieusement retranscrits. Je les en remercie ici de tout coeur. Je dois également à Claudine les photographies réalisées à partir de l’édition originale de Judith ou la délivrance de Béthulie

Notes:

  1. Cf. La dormeuse blogue : Sous le signe de Marie de Calages – 11ème journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix ↩︎

  2. Cf. aussi Étienne Léon Lamonthe-Langon, Jean Théodore Laurent-Gousse, Alexandre Louis Charles André Du Mège, Alexandre Du Mège, Biographie toulousaine, publication L.G. Michaud, 1823 : "Cette dame cultiva la poésie avec succès ; elle remporta plusieurs prix aux Jeux Floraux ; mais l’ouvrage qui lui a donné le plus de célébrité, est son poëme de Judith ou la délivrance de Béthulie". ↩︎

  3. Marie de Calages, Judith ou la délivrance de Béthulie, 1660, v. 4439-4440 ↩︎

  4. Jean Racine, Phèdre, 1677, II, 2 ↩︎

  5. Étienne Léon Lamonthe-Langon, Jean Théodore Laurent-Gousse, Alexandre Louis Charles André Du Mège, Alexandre Du Mège, Biographie toulousaine, publication L.G. Michaud, 1823 ↩︎

  6. Madeleine de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, p. 6969. Site Artamene. Institut de Littérature Française Moderne. Université de Neuchâtel. ↩︎

  7. Cf. Madeleine de Scudéry à la Bibliothèque Mazarine ↩︎

  8. Marie de Calages, Judith ou la délivrance de Béthulie, "A la Reyne" ↩︎

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1 commentaire au sujet de « A propos de Marie de Calages – Une lettre curieuse »

  1. Martine Rouche

    Que rêver de mieux que cet immense travail d’analyse, de réflexion et d’écriture,pour  » nostre Marie  » que Claudine et moi regrettons presque de n’avoir pas connue pour de vrai? Merci infiniment d’avoir si élégamment glissé tes pas dans les siens et ceux de son entourage, d’avoir démêlé pareil écheveau de références, d’avoir partagé notre amitié pour Marie de Calages, une des  » femmes fortes  » de Mirepoix au XVIIe siècle. Tu as réussi à boucler ce travail qui nous paraissait n’avoir pas de fin, tant la lettre d’Alphonce de Puech mentionnait de noms intéressants à étudier et de points à élucider.
    Tu sais que nous sommes encore en train de transcrire des documents de cette famille ? …

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  5. Francis

    Bonjour,

    Si cela peut vous intéresser, voilà ci-dessous quelques éléments sur la famille de Marie de Calages, issus d'un acte reçu par Me Hérail, notaire à Béziers.
    AD Hérault, registre 2E 14/133, ff.310-312 : transaction passée le 1er janvier 1663 à Béziers, devant Me Hérail, par Marguerite Devilla, veuve de Georges Puech, praticien, avec qui elle a passé contrat de mariage le 22 novembre 1620 ; Marguerite Devilla délègue le paiement d'une dette à son beau-fils Henri Calages, receveur des gabelles, habitant à Mirepoix. L'acte apprend également que Marguerite Devilla est fille de feue Marie de Simon, et soeur de feu Simon Devilla, bourgeois de Béziers.
    Cordialement,
    Francis