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La vie quotidienne sous l’Ancien Régime – 1e journée de printemps de l’histoire locale de Mirepoix

Le printemps hier faisait grise mine. Mais une journée d’histoire locale, à sa manière, fait aussi le printemps. C’est vif, comme un appel d’air. Tant de choses qu’on ne soupçonnait pas ! Chaque fois – comment dire ? – ça dépote. Il s’agissait cette fois de "la vie quotidienne sous l’Ancien Régime" dans notre région. Sur la belle affiche réalisée à l’intention de cette journée, on voit, dans son costume du temps passé, une jolie maman qui berce tendrement son enfant. Douce figure de la vie quotidienne sous l’Ancien Régime, image du bonheur, tel qu’on eût rêvé qu’il fût toujours. Le temps passé toutefois a tourné vers nous hier un visage moins rose. Marie-Rose Viala a évoqué le sort des enfants accueillis au XVIII siècle à l’Hôpital de Castelnaudary. Martine Rouche a présenté et commenté le cas de plusieurs "enfants à la marge", à partir de documents conservés aux archives de Mirepoix. Henry Ricalens a mis en lumière, via une étude de la maison, de l’ameublement et du vestiaire, l’extrême modestie de l’ordinaire qui a été celui des gens de métier du Lauragais sous l’Ancien Régime.     

En 1685, l’hôpital diocésain de Castelnaudary, qui existe déjà depuis la fin du XIVe siècle, se voit assigner par lettres patentes royales le statut d’Hôpital général. A la différence de l’hospice, qui assure l’accueil des malades, l’hôpital, tel qu’on le conçoit alors, se trouve chargé de recueillir les "laissés pour compte" et de "renfermer" les déviants afin de "faire cesser l’oisiveté, le libertinage, la corruption et le vice qui accompagnent la mendicité". A ce titre, l’Hôpital général de Castelnaudary accueille au XVIIIe siècle, de façon transitoire ou durable, un nombre mal connu d’enfants, d’âge et de statut divers.

Le nombre de ces enfants demeure difficile à chiffrer, faute de régularité dans la tenue des registres. Il serait à comparer avec les déclarations de grossesse, obligatoires depuis 1556. Mais nombre de grossesses échappent à toute déclaration. On sait seulement que l’hôpital, en 1711, compte 25 à 30 enfants "à charge", i. e. élevés  durablement aux frais de l’institution; il en compte, en 1747, 52 ; en 1789, 120. Les registres des nourrices, qui font l’objet d’un suivi plus strict, fournissent des renseignements hélas relatifs à la mortalité des enfants en bas-âge. Ils montrent qu’au fil du siècle, cette mortalité va croissant et qu’elle atteint à partir de 1760, période marquée par un début de pénurie, le chiffre de 273 décès annuels, soit un taux de 24,4%. A noter qu’à la même époque, la mortalité de tels enfants atteint à Paris le taux record de 45,93%. L’Hôpital parisien a pour politique d’envoyer les enfants à la campagne afin qu’ils y bénéficient du grand air. Il fait convoyer ces enfants en charrette. Le voyage dure plusieurs jours, parfois sous un soleil brûlant, ponctué de haltes fréquentes… 

D’où viennent ces enfants ? Il peut s’agir d’enfants légitimes, orphelins ou issus de familles en difficulté ; il s’agit plus souvent d’enfants illégitimes, qui ont été exposés ou abandonnés. Il peut s’agir enfin d’enfants "abonnés", i. e. bénéficiaires d’une prise en charge financée par un tiers.   

On expose en ce temps-là les enfants à la porte de l’Hôpital, parfois aussi devant la maison d’un particulier, ainsi désigné publiquement au soupçon. Plus tardif, l’usage du "tour" date du début du XIXe siècle. L’enfant, souvent un nouveau-né, porte quelquefois sur lui, attaché à ses vêtements, un billet indiquant son âge, son prénom, précisant qu’il a été baptisé, voire même qu’on viendra le reprendre un jour, – ce qui arrive en effet de temps à autre, lorsque les parents ont régularisé leur union ou que la famille a retrouvé un niveau de vie décent. L’abandon, quant à lui, se fait dans la rue, dans la nature, n’importe où, cette fois sans indication aucune, car toute mère convaincue d’un tel crime encourt la foudre des tribunaux.

La prise en charge de ces enfants nécessite l’emploi de plus de 800 nourrices que l’Hôpital recrute dans les quartiers populaires de la ville, et à la campagne pour l’air pur. Heureusement, l’air pur n’est pas aussi éloigné de Castelnaudary qu’il l’est de Paris. Il arrive que que l’Hôpital emploie des "filles de la débauche", lorsque l’arrivée concomitante de plusieurs nouveaux-nés nécessite l’intervention de "nourrices de secours". Ce sont les maris des nourrices, maîtres-valets, jardiniers, métayers, etc., qui viennent signer le contrat, qui embarquent les enfants dans leur charrette, et qui reviennent chaque mois percevoir les 10 livres dues à leur épouse. Progressivement augmentée, la rémunération des nourrices s’élève à la fin du siècle à 45 livres par mois, soit, en vertu d’une conversion hasardeuse, à environ 125 €.

En liaison avec l’évêque qui siège au bureau de l’Hôpital avec les représentants du Présidial et les consuls, les curés jouent un rôle prépondérant dans le suivi des enfants mis en nourrice. Ils se préoccupent de la santé des enfants, les visitent, dispensent des recommandations aux familles d’accueil. Ils se portent ensuite garants de l’honnêteté des ces dernières et permettent ainsi à certaines d’entre elles de passer de la rétribution mensuelle à la rétribution bimensuelle ou semestrielle.    

Que deviennent les enfants mis en nourrice ? L’examen des registres de l’Hôpital montre qu’entre 1749 et 1789, 233 enfants ont disparu des registres, 220 sont morts, 23 ont été repris par leurs propres parents, 20 ont été gardés par leurs parents nourriciers, 51 sont retournés à l’Hôpital. 21% des enfants de moins de 1 an meurent en nourrice, emportés surtout par les épidémies qui frappent chaque fois la famille nourricière toute entière. Ceux qui survivent sont rendus à l’institution lorsque la nourrice débute une nouvelle grossesse. Officieusement adoptés par leurs parents nourriciers, certains enfants servent plus tard de valet de ferme ou de remplaçant au tirage au sort qui décide du départ pour l’armée. Retournés à l’Hôpital, d’autres enfants apprennent un métier auprès des artisans employés sur le site de l’institution et, après cinq années de formation, ils reçoivent leurs lettres de maîtrise.

Ci-dessus : Cosette, vue par l’illustrateur Emile Bayard, circa 1860.

Marie-Rose Viala constate en guise de conclusion que si, comme en font foi L’Emile de Jean-Jacques Rousseau ou les portraits dédiés par Elisabeth Vigée-Lebrun à Marie-Antoinette entourée de ses enfants, "le XVIII siècle découvre l’enfance", l’enfance dont il s’agit n’est pas celle des "enfants de la maison", i. e. celle des enfants des Hôpitaux de Paris ou de l’Hôpital de Castelnaudary.

A la décharge de l’Hôpital de Castelnaudary, on notera que les enfants y meurent en moins grand nombre que dans les autres Hôpitaux du royaume  : entre 1770 et 1789, le taux de mortalité des enfants est de 19,45% à Castelnaudary ; de 25,4% dans l’ensemble du royaume.

La Révolution dépénalisera l’adoption, déclarera les enfants abandonnés pupilles de la Nation et tentera de mettre en oeuvre la gratuité de la prise en charge. Mais il faut attendre 1805 pour que l’Assistance publique commence à s’organiser.

Relayant le propos de Marie-Rose Viala, Martine Rouche, vice-présidente du Salon du livre d’histoire locale de Mirepoix, évoque ensuite quelques "enfants à la marge", dont elle retrouvé la trace modeste sur les pages des registres paroissiaux de Mirepoix. C’est d’abord le petit Germain, né le 25 février 1664 "a patre incognito" de "Marguerite de Rigaud". Partiellement biffée, une mention indique de façon transparente qu’il s’agit d’un fils d’Henri de Calages, officier de la chambre à sel de Mirepoix, alors veuf de Marie de Calages, bientôt remarié à Françoise de Plos.  Le registre des décès indique qu’est mort le 5 octobre 1664 un "fils baptisé de la fille de Rigaud". On lit, en marge de cet enregistrement, "bastard de la Rigaude". Martine Rouche évoque ensuite le sort de Anne, Jeanne, Marguerite, dites chacune "fille de …" laissé en blanc. A l’exception de Marie, qui, vingt ans plus tard, sera reconnue par ses parents, Anne, Jeanne, Marguerite, par la suite disparaissent. La seule trace qu’elles aient laissée sur la terre, c’est un acte de baptême expédié en deux lignes, et un blanc par en dessous, qui serre le coeur.

Sensible à la misère des enfants perdus, Anne d’Escale, veuve fortunée, qui a vécu à Mirepoix au XVIIe, a choisi d’être la marraine et l’ange gardien de 36 de ces derniers.      

Après une matinée consacrée aux enfants, Henry Ricalens, l’après-midi, entreprend de construire point par point le tableau de la vie ordinaire, comme elle pouvait aller chez les artisans  du XVIIIe siècle, à Mirepoix aussi bien que dans le Lauragais. Il rappelle d’abord quelques caractéristiques concernant les maisons du temps. La borde en pesai, ou maison en pisé, qui demeure jusqu’à la fin de l’Ancien Régime le logement des gens de peu, comporte seulement un rez-de-chaussée, un sol de terre battue, point de cheminée. Les archives des notaires indiquent qu’elle se négocie autour de 25 livres, soit trois fois moins cher qu’une paire de boeufs. Plus chère à l’achat, armée de colombages, la maison à solier, ou étage, confère à son propriétaire l’avantage du soleil. Profitant de ce que les techniques de construction s’améliorent, quelques riches négociants font édifier à Revel des garlandes à deux étages.  A la fin du XVIIIe siècle, les bordes en pisai de moins de 25 livres disparaissent. Mais le logement reste dans son ensemble confiné et inconfortable.  

Les inventaires des notaires ont, entre autres intérêts, celui d’indiquer le nombre de pièces habitées, observe Henry Ricalens. Ils indiquent que, sous l’Ancien Régime, on se contente généralement de une à deux pièces. C’est le cas par exemple d’un brassier. Il en va de même dans les maisons plus aisées, car, en raison des hivers interminables qui marquent la fin du XVIIe siècle, on vit uniquement dans les pièces chauffées.

Les pactes de mariage indiquent de façon très précise en quoi consistent, au XVIIIe siècle, l’ameublement et le vestiaire du ménage. L’épouse fournit le lit ainsi que la literie correspondante, i. e. le matelas de plumes d’oie ou de canard (1/2 quintal au moins), les draps de chanvre ou de lin, nommés linceuls, et la couverture de laine, d’abord appelée couverte (XVIe), puis flossade (XVIIe). Une lueur de volupté s’allume dans le regard d’Henry Ricalens lorsqu’il évoque l’usage de matelas remplis d’un quintal de plumes ! Le reste du mobilier, observe Henry Ricalens, demeure fruste et sommaire, mal entretenu, dégradé par les ans. Il s’agit de caisses en sapin, de coffres en noyer ou en hêtre, parfois d’un dressadou, ou buffet, dans lequel on range la vaisselle de terre, plus rarement d’étain. D’abord réservé aux maisons aisées, l’usage de la garde-robe, ou armoire à deux portes, remplacera peu à peu celui des coffres. La faïence n’apparaît qu’à la fin du XVIIe siècle.  Point de table ni de chaises chez, par exemple, 70% des meuniers. C’est la maie qui sert indifféremment de table et de chaise. Les chaises demeurent rares jusqu’au XVIIIe siècle. Elles constituent un signe de fortune. L"inventaire relève ainsi chez un riche marchand de la fin du XVIIe siècle 7 pièces habitées, 14 chaises paillées, peintes en rouge et vert, plus  6 fauteuils. Un luxe !

Pactes de mariage et inventaires après décès détaillent également le vestiaire dont disposent les familles sous l’Ancien Régime. L’épouse, par exemple, apporte en dot une robe, sa robe, qu’elle fera durer toute la vie et qu’elle léguera si possible à sa fille. Ainsi réduit à sa plus simple expression, le vêtement est la plupart du temps largement rapiécé, parfois "à plus de cent endroits". Le prix d’un vêtement neuf demeure en effet très élevé, et lorsqu’un vêtement dit en bon état figure dans l’inventaire après décès, il faut en déduire que son propriétaire n’a pas eu le temps de l’user, donc qu’il est mort jeune. On se vêt ordinairement de "guenilles", qui ne sont pas le vêtement des gueux, mais, usé jusqu’à la corde, celui de tout un chacun.

Les femmes vont vêtues d’une robe noire, et d’une jupe rouge, violette ou blanche, sous la robe. Le violet a un temps sa mode, puis l’on voit apparaître sous la robe le bleu céleste ou turquin, l’orange, le jaune et le vert.  

Les hommes sont vêtus au XVIIe siècle d’un pourpoint de raze ou de cadis, plus tard d’un justaucorps doublé de toile, d’un haut de chausse en toile ou en drap, de bas de laine ou de chanvre, et portent communément chapeau. La mode se répand au XVIII siècle, chez ceux qui en ont les moyens, du justaucorps en londrin, ou simili drap de Londres. L’inventaire ne mentionne pas les sabots, d’usage trop commun, mais plus rarement une paire de chaussures de gros cuir, éventuellement à boucles de métal.

Hommes et femmes se lèvent avec le soleil et, sans autre apprêt, i. e. sans se laver, vaquent aussitôt aux tâches du jour. On se lavait davantage au Moyen-Age. Mais la médecine a depuis lors déconseillé l’usage du bain, car ayant découvert l’existence des pores, elle suppose la perméabilité de la peau, qui exposerait l’organisme à la pénétration des miasmes.

Les journées de travail sont longues en été, d’où mieux rémunérées, plus courtes en hiver, d’où moins rémunératrices.  On se couche avec la nuit, dans la seule pièce chauffée où la famille toute entière s’entasse. L’espèrance de vie, dans le milieu des gens de métier, est d’environ quarante ans, même si certains de ces derniers atteignent parfois des âges avancés. Beaucoup de femmes, quant à elles, meurent en couches.

Entassés dans des maisons inconfortables, mal chauffés, mal vêtus, mal lavés, "étaient-ils heureux ?" questionne abruptement Henry Ricalens, dont l’air mi-figue mi-raisin indique qu’il n’a pas forcément l’avis attendu au regard d’une telle question. L’ancêtre d’Henry Ricalens, comme celui-ci aime à le rappeler lors de chacune de ses conférences, exerçait à Revel le métier de boulanger. On devine qu’Henry Ricalens ne parie pas sur le bonheur de l’homme d’aujourd’hui et qu’il fait hommage à son ancêtre d’avoir su en son temps être heureux.

Pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur l’ameublement et le vestiaire sous l’Ancien Régime, il faut lire le maître ouvrage d’Henry Ricalens :  Les gens de métier dans la vie quotidienne du Lauragais sous l’Ancien Régime – Contribution à l’histoire économique et sociale d’un pays du Languedoc, Presses de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, 2007.

Pour ceux qui s’interrogent sur le type d’enseignement dispensé aux enfants audois à la fin du XVIIIe siècle,  il existe deux rares études, signées de Marie-Rose Viala :  "Les petites écoles de l’ouest audois au XVIIIe siècle", in Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, 2000, vol. 100, pp. 63-72, Carcassonne ; "Les écoles de la Révolution et de l’Empire dans l’ouest audois", in Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, 2001, vol. 101, pp. 117-126).   

Comme je le disais plus haut, les journées d’histoire locale de Mirepoix, ça dépote ! ou plutôt non, je vais le dire mieux : c’est un moment de la mémoire vivante et de l’histoire au présent.

A gauche sur l’image, Max Brunet, président du Salon du livre d’histoire locale de Mirepoix, félicite Henry Ricalens.

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dans: archives, Ariège.

1 commentaires au sujet de « La vie quotidienne sous l’Ancien Régime – 1e journée de printemps de l’histoire locale de Mirepoix »

  1. Martine Rouche

    Merci de faire un aussi beau travail à la suite de cette journée. C’est ton texte qui dépote !!
    Tu rends vivant le contenu des conférences de Marie-Rose Viala et d’Henry Ricalens, et j’en suis heureuse pour eux. Tu vas nous attirer des auditeurs supplémentaires lors de la prochaine journée …
    Loin du misérabilisme et de l’incrimination, nous avons essayé d’apporter des informations et des éclairages, et posé de nouvelles questions. Certaines ont trouvé réponse : la minutieuse description (procès-verbaux du XIXe siècle) des vêtements et tissus qui enveloppaient les bébés exposés n’est pas étonnante, finalement, car à cette époque-là, toutes les femmes avaient une connaissance très grande du textile et de la couture. En revanche, pourquoi jugeait-on nécessaire de faire cette description alors que l’enfant est réduit à  » mâle  » ou  » femelle « , sans précision sur sa personne physique ?

    L’ordre royal de regrouper les petits établissements hospitaliers en une seule grande structure (au moins administrative) est bien sûr arrivé à Mirepoix aussi. L’évêque fut chargé de regrouper Caudeval et la Redonde, par exemple, avec l’hôpital de Mirepoix. Il fallut plus de vingt ans … et encore Caudeval fit de la résistance !
    Plus je vais, plus je me dis que rien ne vaut la plongée en archives : l’humain imparfait y est présent, physicaliter, dirais-tu. Parfois, l’émotion est présente aussi, comme ce fut le cas en découvrant un billet épinglé un jour de novembre 1793 au bonnet d’un bébé exposé. Mais l’émotion ne brouille pas la raison et n’empêche pas de réfléchir, analyser, questionner, et parfois répondre. Elle est une richesse supplémentaire dans notre recherche commune, n’est-ce pas, chère amie mirepoise ?
    Le livre d’Henry Ricalens est, dans son domaine, ce que j’appellerais une bible. On peut toujours s’y référer pour une question dans les domaines abordés : Henry Ricalens a déjà dépouillé plusieurs inventaires de notaire ou autres actes, et en a déjà tiré de la moëlle.