La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Le bonheur est une idée neuve…

En parcourant aux archives de Mirepoix divers documents administratifs datés de la période du Directoire et du Consulat, j’ai été frappée de constater qu’après Thermidor, de façon très politique, la nouvelle administration cultive dans son discours l’argument du bonheur. Je me suis intéressée à l’usage qu’elle fait d’un tel argument, sachant que plane sur cet usage le souvenir de Saint-Just et de sa déclaration augurale : "Le bonheur est une idée neuve en Europe".  

Datée du 15 ventôse an II (3 mars 1794), la déclaration est fameuse, mais on en rappelle rarement les tenants et l’on en questionne encore plus rarement les aboutissants. Il est vrai que Saint-Just est mort guillotiné le 10 thermidor (28 juillet) de la même année, et que suite au changement de régime, les tenants n’ont pas connu leurs aboutissants.  J’ai voulu malgré tout en savoir davantage. J’ai consulté à cette fin l’Histoire parlementaire de la Révolution française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’en 1815, ouvrage monumental qui reproduit les discours proférés à l’assemblée par les principaux acteurs de la Révolution.

Le 15 ventôse an II (3 mars 1794), Louis Antoine Léon Saint-Just, né de Saint-Just, représentant du Comité de salut public, se rend à la Convention nationale afin de soumettre à cette dernière le texte d’un décret formulé à l’encontre des ennemis de la Révolution. Lors de la présentation du "mode d’exécution" de ce décret, il développe une vision grandiose du but que la Révolution doit atteindre et il conclut lapidairement son propos par la formule qui est entrée dans l’histoire : "Le bonheur est une idée neuve en Europe". Voici le texte intégral de cette présentation : 

Citoyens, je vous présente, au nom du comité de salut public, le mode d’exécution du décret rendu le 8 de ce mois, contre les ennemis de la révolution. 

C’est une idée très généralement sentie, que toute la sagesse du gouvernement consiste à réduire le parti opposé à la révolution, et à rendre le peuple heureux aux dépens de tous les vices et de tous les ennemis de !a liberté.

C’est le moyen d’affermir la révolution que de la faire tourner au profit de ceux qui la soutiennent et à la ruine de ceux qui la combattent. 

Identifiez-vous par la pensée aux mouvemens secrets de tous les coeurs ; franchissez les idées intermédiaires qui vous séparent du but où vous tendez, il vaut mieux hâter la marche de la révolution que de la suivre et d’en être entraîné. C’est à vous d’en déterminer le plan et d’en précipiter les résultats, pour l’avantage de l’humanité. 

Que le cours rapide de votre politique entraîne toutes les intrigues de l’étranger ; un grand coup que vous frappez d’ici retentit sur le trône et sur le cœur de tous les rois. Les lois et les mesures de détails sont des piqûres que l’aveuglement endurci ne sent pas. Faites-vous respecter en prononçant avec fierté les destins du peuple français. Vengez le peuple de douze cents ans de forfaits contre ses pères. 

On trompe les peuples de l’Europe sur ce qui se passe chez nous. On travestit vos discussions, mais on ne travestit point les lois fortes ; elles pénètrent tout à coup les pays étrangers, comme l’éclair inextinguible. Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre, qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur. Le bonheur est une idée neuve en Europe. 1

Saint-Just obtient de la sorte, à l’unanimité et sans discussion, l’application du décret suivant : 

1. Le comité de sûreté générale est investi du pouvoir de mettre en liberté les patriotes détenus. Toute personne qui réclamera sa liberté rendra compte de sa conduite depuis le premier mai 1789. 

2. Les propriétés des patriotes sont inviolables et sacrées. Les biens des personnes reconnues ennemies de la révolution seront séquestrés au profit de la République ; ces personnes seront détenues jusqu’à la paix, et bannies ensuite à perpétuité. 

3. Le rapport, ainsi que le présent décret, seront imprimés et envoyés sur-le-champ par des courriers extraordinaires aux départemens, aux armées et aux sociétés populaires.  

De façon surprenante, en cela caractéristique de la manière du jeune tribun, dans le discours qu’il tient auprès de la Convention sur le "mode d’exécution" du décret, Saint-Just traite en réalité des raisons qui motivent l’exécution d’un tel décret, et plus encore de l’avenir dont le présent décret a pour fonction de "hâter" l’avénement. De l’avenir ainsi hâté par la "sagesse du gouvernement" et dérivé de "l’idée très généralement sentie", il augure que cet avenir rendra "le peuple heureux". 

Ce qui fait selon lui un "peuple heureux" se résume à la jouissance du droit à la liberté et à la propriété. Le gouvernement se charge de garantir la dite jouissance. Mais il réserve cette garantie aux "patriotes", i. e. au "peuple", entendu ici dans une acception qui ne comprend pas les "personnes reconnues ennemies de la révolution", et il subordonne le possible de la France heureuse à la séquestration des biens jadis appartenant à ces personnes, ainsi qu’à l’incarcération, puis au bannissement de ces dernières.

Saint-Just, comme il s’en ouvre ailleurs auprès de la Convention, tient que le statut du "patriote" n’appartient en droit qu’à ceux-là seuls qui en assument pleinement les devoirs. Qui manque aux devoirs du patriote, ne saurait en conséquence se réclamer des droits réservés à ce dernier. Saint-Just ne dit pas en quoi consistent les devoirs du "patriote", car il va de soi que c’est le gouvernement qui le sait, en vertu de la "sagesse " mentionnée plus haut, ""sagesse inspirée entre autres par la philosophie du Contrat social, dont on reconnaît ici l’influence au lien de subordination spécifiquement établi par Saint-Just entre devoir et droit.

Deux ans plus tard, le 20 frimaire an 4, un message des Administrateurs de l’Ariège à leurs concitoyens vient annoncer à ces derniers que le Directoire va rendre le peuple "libre et heureux", conformément au voeu de Saint-Just, mais sans lui, et sans "l’anarchie révolutionnaire", pourvu toutefois qu’ils opinent à la nouvelle constitution, promulguée le 5 fructidor an 3 (22 août 1795).

Elle est enfin terminée cette grande révolution qui a brisé nos chaînes, & dont les fastes ont été, tour à tour, souillés par des crimes, & illustrés par des vertus.

La Constitution, Citoyens, a substitué des pouvoirs réguliers à l’anarchie révolutionnaire, &, sous les auspices, à l’ombre des Lois, nous allons voir renaître les douceurs de la sécurité, les charmes de l’union, l’éclat des lumières, les fruits des arts, les délices de l’abondance.

Appelez par votre choix à maintenir cette Constitution Républicaine, gage de votre bonheur […]. Les Français, unis par les liens d’une douce fraternité, doivent présenter désormais le spectacle d’un Peuple libre & heureux. 

Concernant les heureux effets de la réaction thermidorienne, les archives de Mirepoix conservent un intéressant message adressé par le ministère de l’Intérieur, le 21 fructidor an 5 (7 septembre 1797) "de la République française, une & indivisible", aux "Citoyens, Commissaires du Directoire-Exécutif près les Administrations centrales".  Le ministre s’y plaint de ce jusqu’ici "la correspondance qui devait être régulère, constante, habituelle, entre mon ministère & le Commissaire central de chacun des départemens, cette correspondance n’a pas été suivie, par la plupart des Commissaires avec l’exactitude que leur avaient prescrite les premières instructions du Directoire-Exécutif, ni avec le courage que l’on devait attendre des organes du Directoire". Il comprend les raisons qui, au lendemain de la réaction thermidorienne, ont fait craindre aux commissaires de poursuivre la dite correspondance. Mais il invite ces "citoyens pénétrés de la dignité de leurs fonctions" à remplir désormais leur devoir :

Heureusement pour la France, le 18 fructidor a révélé au Directoire le secret de sa force, & aux conspirateurs royaux celui de leur faiblesse. Les conjurés ont disparu ; la République a triomphé ; la Constitution est devenue inébranlable, & vous devez reprendre avec une nouvelle ardeur l’exercice du ministère dont elle vous a revêtus.

Aujourd’hui, Citoyens, plus de crainte pusillanime & plus de négligence. Pénétrés de la dignité de vos fonctions importantes, vous devez les remplir hautement, avec la fermeté, l’impartialité sévère qui ne sait rien dissimuler. Souvenez-vous qu’un Commissaire du Directoire exécutif doit être, en quelque sorte, une glace pure & fidèle où le Gouvernement doit voir se réfléchir les objets tels qu’ils sont.

Pénétrez-vous bien de l’importance & de la dignité de vos fonctions, considérez qu’il faut recréer l’esprit public, ressusciter le Patriotisme & le maintenir, démasquer les hypocrites & annihiler leurs perfides manoeuvres, encourager, protéger les amis de la Constitution, faire en un mot reprendre aux Français leur allure Républicaine. N’oubliez jamais qu’un Commissaire du Directoire exécutif doit être, en quelque sorte, une glace pure & fidèle où le Gouvernement doit voir se réfléchir les objets tels qu’ils sont.

A la date du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), devançant ainsi, disent-ils, les menées de François de Barthélémy, Directeur du Conseil législatif, celles des royalistes, et celles des modérés, soupçonnés également de royalisme, les trois Directeurs exécutifs, Barras, Reubell et La Reveillière, font boucler Paris par le général Augereau et procèdent à un coup d’état. François de Barthélémy, responsable du vote qui avait permis tout dernièrement la suppression de la loi contre les émigrés et les prêtres réfractaires, est déporté en Guyane, ainsi que d’autres "ennemis de la République". On parle à ce propos de "guillotine sèche".

Le pouvoir exécutif l’emporte ici sur le pouvoir législatif, conformément au possible d’une répartition inégale des pouvoirs que Saint-Just n’a sensément  jamais thématisée, puisque pouvoir exécutif et pouvoir législatif, selon lui, se confondent au titre, supposé unanime, de l’expression de la volonté générale, ou, mieux disant, de "l’idée très généralement sentie", "sentie" équivalant ici à "votée".  Mis par les Directeurs au compte de la "sagesse" du gouvernement, le recours au coup d’état s’inscrit toutefois dans le droit fil de la gouvernance panvolontariste défendue et illustrée par Saint-Just auprès de la Convention, le 15 ventôse an II. La déportation des "ennemis de la République" vers la Guyane s’opère, quant à elle, en vertu du décret entériné trois ans plus tôt par la Convention. L’exécution de ce dernier revêt toutefois ici une forme "neuve". 

C’est suite à de tels événements que le ministre de l’Intérieur adresse aux Commissaires du Directoire-Exécutif près les Administrations centrales le message reproduit ci-dessus. Héritier de l’idéologie équarrie par Saint-Just, le ministre de l’Intérieur  du nouveau gouvernement mobilise l’essentiel de cette dernière au service d’un pouvoir qui entreprend de dicter à la République son "allure", à la patrie son "patriotisme", au "public" son "esprit", et qui fait devoir aux citoyens de "démasquer les hypocrites" de telle sorte que qui de droit puisse se charger au plus tôt "d’annihiler leurs perfides manoeuvres". Le ministre rêve d’une administration miroir, et, pourquoi pas, d’une société miroir. "N’oubliez jamais qu’un Commissaire du Directoire exécutif doit être, en quelque sorte, une glace pure & fidèle où le Gouvernement doit voir se réfléchir les objets tels qu’ils sont".  Les "objets", quant à eux, ainsi réfléchis par la "glace pure & fidèle" des Commissaires, constitueraient sur le mode fantôme le "peuple heureux" à l’avénement duquel Saint-Just pensait se vouer. Le ministre, au demeurant, parle ici de surveiller et punir ; point du tout de faire le bonheur. L’idée sans doute demeure encore trop "neuve".

A noter que le signataire du message reproduit ci-dessus n’est pas François de Neufchâteau, titulaire officiel du ministère de l’Intérieur depuis le 16 juillet 1797, mais Raimond Bellouguet, anciennement procureur, chargé en 1793 d’épurer les conseils municipaux en Gironde. François de Neufchâteau quitte son ministère le 14 septembre 1797 pour remplacer Lazare Carnot comme membre du Directoire. Il retrouve son ministère en mai 1798, puis le quitte, cette fois définitivement, en 1799.

Les archives de Mirepoix conservent également un message du "Commissaire du Pouvoir-Exécutif près l’Administration Centrale du Département de l’Ariège", adressé aux "Commissaires du Directoire-Exécutif près les Administrations Municipales du même Département" et signé cette fois "François de Neufchâteau", bien que celui-ci ait alors déjà quitté son ministère depuis quinze jours. Le message est daté du 10 Vendémiaire, an 6e (1er octobre 1797) "de la République française, une & indivisible". Il suit de moins d’un mois le message précédent. Le Commissaire du Pouvoir-Exécutif s’y plaint toujours du manque de suivi dans la correspondance. Les Administrations Municipales de l’Ariège tardent à être ces "glaces pures & fidèles" réclamées par le ministre de l’Intérieur. Le Commissaire du Pouvoir-Exécutif se fait donc plus pressant :

Je dois vous le déclarer franchement, s’il en est quelqu’un qui ne me fasse point parvenir, avec exactitude, les rapports indiqués par le Ministre, ou qui néglige de me faire connaître les Fonctionnaires de son canton, placé sous sa surveillance, qui ne seraient point actifs & vraiment Républicains, je provoquerai sa révocation sans ménagement, car j’ai aussi la volonté ferme, sincère & constante d’éclairer le Gouvernement, de coopérer au bonheur des Administrés, d’assurer à jamais l’exécution des lois, le maintien de la tranquillité générale, le triomphe de la République & des Républicains qu’il faut enfin faire honorer & respecter partout.

Les Fonctionnaires inciviques avaient mis ce Département à deux doigts de sa perte, malgré que la masse du Peuple soit essentiellement bonne & Républicaine. Il importe donc, pour relever l’esprit public & prévenir une nouvelle décadence, que les fonctions publiques ne soient désormais occupées que par des hommes probes, attachés à l’état actuel des choses, à la Constitution de l’an 3, par principes & par affection ; c’est assez vous dire quels sont vos devoirs à cet égard…

Le message du Commissaire du Pouvoir-Exécutif vient rappeler l’objectif du gouvernement et préciser le champ sur lequel doit se concentrer le zèle des administrations municipales de l’Ariège. Il s’agit d’assurer "le triomphe de la République & des Républicains", et, pour ce faire, de traquer, au titre des "ennemis de la République", non plus la nébuleuse des "hypocrites", mais, de façon administrativement ciblée, "les Fonctionnaires qui ne seraient point actifs & vraiment Républicains". Il va de soi, dans le discours du Commissaire, que la République, c’est "l’état actuel des choses", i. e. le régime directorial institué à la faveur du coup d’état par Barras, et que le dit "état actuel des choses", induit et légitimé par la constitution de l’an III, est digne de "l’attachement de principe et d’affection" exigé ici du "Fonctionnaire vraiment Républicain".  

L’idée du bonheur, telle que définie par Saint-Just en l’an II, trouve sous la plume du Commissaire sus-cité sa première expression repérable dans les documents administratifs conservés aux archives de Mirepoix. On remarque que, là où Saint-Just parlait de rendre "le peuple heureux", le Commissaire, plus administratif, d’où moins lyrique, parle de "coopération au bonheur des Administrés". Du "peuple heureux" au "bonheur des Administrés", le champ du bonheur promis aux patriotes a fondu ; restent, en lieu et place de la "liberté" attendue par le peuple de 1789 et vécue lors de la Révolution sur le mode de la fête collective, "l’exécution des lois" et "le maintien de la tranquillité générale". Dormez, bonnes gens ; l’Etat veille sur votre sommeil. Déjà le gouvernement distingue dans le peuple, à la forme passive, les "Administrés" en tant que figure paradigmatiquement vide de la citoyenneté heureuse, figure au regard de laquelle le peuple-même, considéré  en tant que "masse" lui apparaît  comme une entité malcommode, certes essentiellement bonne & Républicaine", mais possiblement autre, d’où incapable de répondre aux réquisits du bonheur administré,  puisqu’il y a lieu en l’an VI de "relever l’esprit public & de prévenir une nouvelle décadence". De ce peuple considéré en tant que "masse" sortiront plus tard les "classes laborieuses, classes dangereuses" sur lesquelles Adolphe Thiers, chef du pouvoir exécutif de la IIIe République fera donner la troupe.  

L’idée du bonheur trouve encore une nouvelle expression dans un message adressé par Pierre-Simon Laplace, autre ministre de l’Intérieur, "Aux Administrations Centrales de Département, & aux Commissaires du Gouvernement placés près ces Administrations". Le message est daté du 25 frimaire an 8 (16 décembre 1799) "de la République Française, une & indivisible", i. e. de la période qui a suivi le coup d’état du 18 brumaire.

Invoquant un possible soulèvement de la population parisienne, Bonaparte, qui est alors général en chef de l’armée, fait déplacer les assemblées à Saint-Cloud et boucler la capitale, le 18 brumaire. Le lendemain, il se rend à Saint-Cloud, y accuse les Directeurs d’avoir violé la constitution de l’an III et mené la France à sa perte, force la démission des Directeurs, et obtient des assemblées d’être élevé au titre de Consul, en même temps qu’Emmanuel Joseph Sieyès et  Roger Ducos. Il fait voter le 22 frimaire la nouvelle constitution, dite de l’an VIII.  Le message de Pierre Simon Laplace suit de quelques jours le vote de cette constitution. 

Citoyens, les événements mémorables des 18 et 19 brumaire ont répandu dans toute la France l’alégresse, & fait naître les plus douces espérances. Si quelques factieux y ont vu le terme de leurs manoeuvres criminelles, la masse imposante des bons citoyens a vu luire enfin l’aurore du bonheur qui lui est promis depuis si longtemps. De tous les points de la République, des adresses de félicitations ont manifesté, de la manière la plus solemnelle, le voeu du Peuple pour une Constitution qui fît cesser tant d’agitations politiques.

Citoyens, la confiance des Français dans la sagesse & le génie des hommes célèbres qui ont été mis à la tête du Gouvernement provisoire n’a point été trompée. Cette Constitution, qui était attendue avec tant d’impatience, va être mise sous les yeux de la Nation entière, & tous les hommes de bonne foi y appercevront le germe de la félicité publique. Les bases de l’association politique, la liberté civile, la sûreté des personnes & des propriétés, l’indépendance des pouvoirs respectifs, seront assises enfin sur des fondemens immuables. Les causes des convulsions qui, chaque année, tourmentaient la France & la menaçaient des plus imminens dangers, vont pour toujours disparaître. Tout nous promet désormais la tranquillité & la paisible jouissance des bienfaits inséparables d’un Gouvernement libre heureusement organisé.

Pierre Simon Laplace, au nom de Bonaparte, premier consul, promet derechef de rendre "le peuple heureux", i. e. "la masse imposante des bons citoyens", diminuée des "factieux", qui ont vu seulement "le terme de leurs manoeuvres criminelles" en lieu et place de "l’aurore du bonheur" jadis augurée par Saint-Just.  Il n’est toutefois question de liberté que dans l’exercice du gouvernement, dit – sans virgule – "libre heureusement organisé", ou, plus exactement, dans le cadre de la "sagesse & du génie des hommes célèbres qui ont été mis à la tête du Gouvernement provisoire", – dont le premier consul, Napoléon Bonaparte. Ainsi convoquée au spectacle de sa "félicité publique", la "Nation" se contentera de jouir "paisiblement" de ce dernier, d’autant qu’on lui promet, de façon désormais "immuable", la "séparation des pouvoirs respectifs". Les "personnes", quant à elles, jouiront de leur "sécurité" et de celle de leurs "biens". Pierre Simon Laplace, ministre de l’Intérieur aux ordres du premier consul, par ailleurs célèbre astronome, décline sur le mode virtuose la rhétorique du bonheur.

Le 28 floréal an 12 (18 mai 1804), Bonaparte proclame l’Empire et devient sous le nom de Napoléon Ier empereur des Français. Heureuse de cet avénement, la ville de Mirepoix adresse à l’empereur un message de félicitations et l’assure de sa parfaite soumission. Le bonheur, chaque fois, – j’allais dire heureusement -, reste une "idée neuve"…  

Notes:

  1. Philippe-Joseph-Benjamin Buchez (1796-1865) et Pierre-Célestin Roux-Lavergne (1802-1874), Histoire parlementaire de la Révolution française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’en 1815 : contenant la narration des événements… précédée d’une introduction sur l’histoire de France jusqu’à la convocation des États-Généraux, tome 31, pp. 311-312, Editions Paulin, 1834-1838 ↩︎

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1 commentaires au sujet de « Le bonheur est une idée neuve… »

  1. autissier colette

    le bonheur!!! c’est vrai que c’est toujours une idée neuve, car il change à tous les moments de la vie. Il est multiple en lui-même, mais il est toujours relié à des états de passion, chance, bien-être, pensées positives, et liberté bien entendu. Très bel article, christine. Merci pour tout cela.