La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Didier Lapène expose au musée de Pau

Ainsi mise en abîme sur deux toiles de Didier Lapène, c’est, au pied de l’escalier qui conduit à l’étage, la grande salle du rez-de-chaussée du musée de Pau. Contrairement au reste du musée, qui a fait l’objet d’une rénovation complète, cette salle a conservé l’ameublement et le type d’accrochage d’antan. Elle témoigne du style de muséographie dans le cadre duquel le peintre a nourri ses premières admirations, pris conscience de sa vocation. Né à Aureilhan dans les Hautes-Pyrénées, étudiant à l’école des Beaux-Arts de Pau en 1982-1983, Didier Lapène rend ici hommage au musée natal, matrice d’une vocation exceptionnelle, matrice aussi d’une expérience qui est pour chacun d’entre nous celle de la rencontre avec l’art, ses chefs d’oeuvre, ses maîtres, son histoire, sa leçon.

Conformément à la tradition ancienne, Didier Lapène s’est voulu disciple avant de devenir maître. Recueillant la leçon des grands Anciens, il s’est approprié les secrets de la lumière, de l’eau, de la transparence, des plis, du regard qui suit le spectateur, et autres merveilles. D’où, chez lui, la pratique résolue, éclairante, inventive, de la copie, pratique à la faveur de laquelle la peinture se fait dialogue entre tradition et modernité, jeu de de l’art et de la manière partagés. 

Diego Velasquez, deux versions du Portrait de l’Infante Marie-Thérèse, future reine de France, vers 1654

Didier Lapène, deux versions du Portrait de l’Infante Marie-Thérèse, d’après Velasquez, 2007.

De gauche à droite : Théodore Géricault, Vieille paysanne italienne ; Didier Lapène, La Vieille Italienne, d’après Géricault, 2007. 

Francisco Goya, Retrato del Marqués de San Adrián ; Didier Lapène, Le Marquis de San Adrian, d’après Goya, 1999.

Léon Bonnat, Portrait de madame Léopold Stern, 1879 ; Didier Lapène, Madame Stern, d’après Bonnat, 1998-2007. 

Au jeu de l’imitation, Didier Lapène excelle. Au fil des variations qui s’en suivent, toutes dédiées au portrait, le copiste éclaire les visages d’une lueur qui lui est propre, et certaine pâte humaine, dont il rend le modelé de façon tactile, au point que l’étoffe et le tombé des vêtements participent de l’expression corporelle et font valoir l’éclat, la matérialité de la chair. Il y a de la bonté dans ces variations sur le portrait, une sorte de regard tendre ou complice, qui s’adresse aussi bien à l’infante caparaçonnée, qu’à la rude servante, au jeune marquis un peu fat, à la vieille dame bijoutée. Le peintre sait voir la grâce là où, semble-t-il, celle-ci a manqué. Il la relève, et délègue au non finito le soin de la laisser respirer. La taille de la copie est chaque fois légèrement supérieure à celle de l’original. "Toute image a un destin de grandissement", dit d’un mot profond Gaston Bachelard.

Il y a une sorte de mystère qui s’attache au traitement des bras et des mains chez Didier Lapène. C’est volontairement que l’artiste a laissé sans bras le marquis de San Adrian. Ainsi rendue à sa sinuosité essentielle, l’expression du personnage s’en trouve magnifiée. Déjà l’Infante d’Espagne, telle que l’a peinte Velasquez, nous est parvenue bras coupés à la naissance des poignets. Réitérant cette coupe étrange, Didier Lapène, contre toute attente, prête à l’enfant-tronc, le regard de la vie qui brille, l’éclair du dedans, irrépressible. Madame Stern, peinte par Bonnat, pose sur sa jupe de belles mains de morte. Peinte par Didier Lapène, elle retrouve des mains vives, rhabillées d’une chair à la fois plus molle et plus douce, plus tendre aussi, qui exprime le fonds d’humanité un peu lasse sous la superbe de la douairière. Christine enfin, dont le portrait se trouve reproduit ci-dessus, surgit du non finito de la matière humaine, à peine ébauchée au niveau des bras, des mains, et elle incarne de la sorte le moment de la vie, éternellement jeune, éternellement commençant, cependant hanté par l’énigme de l’heure, comme l’indique ici la pose penchée, le regard noyé d’ombre.

Ci-dessus : Didier Lapène, Christine, 2006.       

Didier Lapène, Etude pour la grande vue de Madrid, 2004.

De 2002 à 2004, Didier Lapène est pensionnaire de la Casa Velasquez à Madrid. Il parcourt en Castille le massif de la Pedriza, hante les villes du bord de la Méditerranée, multiplie les vues de Madrid, réalise une copie de la Sainte Catherine de Zurbarán au Prado. L’Ambassade de France à Madrid fait l’acquisition de la Grande Vue de Madrid

Didier Lapène, Madrid, Casa de Campo, 2002.

De façon non conventionnelle,  Didier Lapène choisit de montrer la grande ville dans ce qu’elle a de monumentalement banal. Fuyant le pittoresque des quartiers historiques, il peint Madrid vu de loin, côté cités, sans ménager de solution de continuité entre le paysage naturel et le paysage urbain. C’est le rouge qui signe, au soleil couchant, le caractère espagnol et, plus mystérieusement, la nature à la fois terrestre et aérienne de la capitale.        

Didier Lapène, Cadiz, le matin, 2003.

Fasciné par les villes blanches du bord de la Méditerranée, Didier Lapène peint ici le moment où Cadiz, le matin, s’éveille mirage. Gagnée par la transparence de l’eau, du ciel, la ville toute semble sur le point de disparaître. L’architecture fond. La fluidité de la courbe qui ride à peine la toile est aussi celle de la matière qui redevient lumière, de la forme qui redevient sable. Un rêve de peintre : saisir la pente du moment où la matière redevient lumière, tandis que la forme commence de se perdre.   

Didier Lapène, La Pedriza, 2002.

Le moment de la terre rouge, de la matière couleur. La nature fournit la grammaire des signes. Traités comme des hiéroglyphes, les arbres ourlent les formes rocheuses de leurs écritures secrètes. 

Didier Lapène, de gauche à droite : Edificio, 2002-2004 ; Edificio España, 2002 ; Edificio, 2002-2004.

Lorsqu’il s’intéresse à un édifice, comme il le ferait d’un rocher en montagne, Didier Lapéne s’attache à en représenter la paroi abrupte, le front muet. Espaces de circulation alentour, lampadaires, accusent en contrebas, par effet de recul, le mystère de ces édifices silencieux, au sein desquels les fenêtres témoignent d’une vie, parfois d’une présence, – laquelle ? La présence aime à se cacher.

Admirateur de l’oeuvre de Edmund Hopper, Didier Lapène a été de 1992 à 1994 l’assistant de Guy Peellaert 1, avec qui il a travaillé pour Alain Resnais et pour le festival de Cannes.  

Didier Lapène, Noche, 2002 ; Alicante, la nuit, 2003.

Didier Lapène, Edificio Vitalicio, 2003.

Lorsque, comme ici, la présence ne se cache pas, elle demeure arrêtée au soleil, et comme emportée par la pente, ou suspendue au bord du précipice… La petite place est pourtant si jolie, les passants, les assis, tellement tranquilles…    

Didier Lapène : à Pau, de gauche à droite, Palmeraie, le soir, 2008 ; Palmeraie, 2007-2008 ; Le Pavillon des Arts, l’hiver, 2007.

Depuis 2006, Didier Lapène a entrepris de faire retour  au lieu du coup d’envoi qui a été pour lui celui de la peinture. Il développe ainsi une tentative de description exhaustive du quartier du musée et du boulevard des Pyrénées vu de la gare, i. e. à contresens des vues habituelles qui font la part belle à la montagne, au château d’Henri IV, et boudent le reste. Là encore, Didier Lapène confère à la ville le statut de monde naturel, dans lequel, entre ciel et terre, le minéral s’allie au végétal, le rythme des façades à la vibration des palmes, l’immobilité au mouvement, l’ordre géométrique à la simple poussée comme elle va. Il y a une sorte de pétition heureuse dans ce projet de célébration du lieu du commencement, élevé ici à la dignité de lieu de la fin initiale. Départ-retour. Née du musée, la vocation de Didier Lapène y reconduit, par effet de mise en abîme, à la faveur de l’exposition qui en donne à voir la force à partir de ses sources profondes.    

Didier Lapène, à Pau, de gauche à droite : Façade, 2007 ; Façade, 2008. 

Notes:

  1. Guy Peellaert : graphiste, auteur de bandes dessinées, peintre, illustrateur, affichiste et photographe belge, qui a travaillé pour Robert Altman, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Wim Wenders, David Bowie, etc. ↩︎

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1 commentaires au sujet de « Didier Lapène expose au musée de Pau »

  1. Martine Rouche

    * Quelle belle et intéressante découverte ! Ne vas-tu pas rajouter un post à tes Analogies ?

    * Hospice de Sainte-Christine et Portrait de Christine …

    * En écho aux Traverses :
     » …
    Trop heureux si je puis, en somme,
    Reproduire le sens du manuscrit poudreux.
    On laissera la forme, on prendra la matière,
    Et quelque conteur plus heureux,
    Habile en l’art d’instruire autant qu’en l’art de plaire,
    Pourra de mon récit faire un récit fameux.
    Moi, je m’exprime à ma manière
    Et je conte comme je peux.  »

    Antoine Benoît Vigarozy, Fables, La cigale, la fourmi et l’abeille.