La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Rendez-vous à Bilbao

Après une passionnante visite au Musée d’Angoulême, changement de cap. Je me suis retrouvée samedi au pied du Chien de Jeff Koons, en plein coeur de Bilbao. Par quelle magie ? En bus. Point de tapis volant.

J’adore les voyages en bus. Ils cadrent des paysages, des pics, des crêtes, des immeubles rouges sur les pentes, des usines dans les vallées. On regarde comme au cinéma.

Dernier plan : le Chien de Jeff Koons crève l’écran, par effet de travelling avant.

Jeff Koons, Puppy
Stainless steel, wood (at Arolsen only), soil, geotextile fabric, internal irrigation system, live flowering plants
486 x 486 x 256 inches
1234.4 x 1234.4 x 650.2 cm
Installations at Arolsen 1992, Sydney 1995-96, Bilbao 1997 (permanent installation), New York Rockefeller 2000, private collection (permanent installation) 19921.

Puppy mesure 12 mètres. C’est un chien à fleurs. Créé par Jeff Koons en 1992 pour une exposition temporaire, il n’a pas voulu s’en aller. Le coin lui plaisait. Les habitants de Bilbao en tout cas l’ont adopté. On se donne ici rendez-vous au pied du Chien de Jeff Koons.

A un journaliste qui l’interrogeait au sujet de Puppy, Jeff Koons parle d’un certain lâcher prise :

« Puppy, je le crois en rapport avec la fertilité, la vie. Et avec le pouvoir. Vous pouvez avoir un chien, lui témoigner beaucoup d’amour, en prendre soin, mais vous pouvez aussi avoir un chien pour lui faire porter le journal. Dans l’exercice du pouvoir, il existe des domaines où on s’abandonne. C’est le cas avec Puppy où la tension relative à l’exercice du pouvoir diminue »2.

Ci-contre : Jeff Koons, Inflatable Flower and Bunny (Tall White, Pink Bunny), vinyl, mirrors, 32 x 25 x, 18 inches, 81.3 x 63.5 x 45.7 cm, 19793.

Je le constate, moi aussi, chaque fois. Auprès de Puppy on s’abandonne. On se laisse quitter, une heure, un jour au moins, par la volonté de puissance.

Derrière Puppy, il y a le Musée Guggenheim, tout de guingois, coiffé de crêtes en titane, qui culbutent le ciel et l’eau. De Frank Gehry ou de la Reine de Coeur, lequel des deux a soufflé sur ce château de cartes renversé ? Cet effet de souffle me ravit chaque fois. Il augure le possible des villes invisibles, celles que Marco Polo raconte au Grand Khan. « Toute chose en cache une autre », dit l’auteur des Villes invisibles. Tout point de vue, au Musée Guggenheim, en cache merveilleusement un autre, imprévisible, renversant. Le renversement, ici, fait loi. Loi de la surprise, loi du sans pourquoi, qui informe une esthétique, une morale, bref une vision du monde.

« La fertilité, la vie », on en voit l’effet dans le superbe panorama qu’offrent, en arrière-plan du Musée Guggenheim, les rives du Nervión. Un musée d’architecture contemporaine à ciel ouvert, disent les guides touristiques. Un musée ? Plus encore. Ou mieux encore. Un lieu pour tous, gratuit, ouvert, où le vent court, les nuages passent les enfants jouent, les parents rêvent. Plusieurs fois dans la journée, des couples m’ont demandé de les photographier au bord de l’eau, tout petits, sur le fond mosaïqué que constituent, dans leur vibration rythmique, le rouge et le brun profonds des immeubles situés sur l’autre rive. Le moderne voisine l’ancien, le modeste jouxte le coruscant. Tous les styles se rencontrent. J’aime cette bigarrure, comble, pour moi, d’une harmonie qui, dans une sorte de baroquisme revisité, a su demeurer composite. Fleurs de ce baroquisme d’annonce nouvelle, le Musée de Frank Gehry, l’Arc Rouge récemment installé par Buren sur le pont de la Salve, l’hôtel Sheraton de Legorreta, Zubizuri, la voile-passerelle de Calatrava, le métro-langouste de Norman Foster, le Palais de la Musique (Euskalduna) de Sorian, et autres objets en cours de réalisation, n’oblitèrent pas, mais rehaussent et subliment le charme du Bilbao plus ancien. Ils profitent aussi de ce charme-là, par effet de solidarité organique.

J’aime beaucoup l’esprit qui anime cette expérience urbaine. Déplaçant les enjeux politiciens qui furent jadis ceux de la querelle des Anciens et des Modernes, il insuffle à la ville une énergie neuve, une sorte d’alegría, que l’on ressent partout, spécialement bien sûr dans les bars à tapas. J’ai fini la journée, avec des amis, dans l’un de ces bars. Tapas, vino tinto… Carpe diem.

Je reviendrai à Bilbao. Rendez-vous au pied du Chien de Jeff Koons.

NB : A l’exception de la photo du Pink Bunny de Jeff Koons, toutes les autres photos reproduites ici ont été prises par mes soins, y compris les photos dont les valeurs lumineuses ont été inversées (petit truc permettant d’illuminer des photos très sombres, réalisées sous un ciel très noir, par très mauvais temps).

Notes:

  1. Jeff Koons/Puppy ↩︎

  2. Le Monde 30/08/05 ↩︎

  3. Jeff Koons/Puppy ↩︎

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