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Jean François Rancurel expose à Mirepoix

Ce qui se reflète ici comme dans une eau verticale, c'est l'image flottante de trois toiles de Jean François Rancurel, accrochées dans la salle des métiers d'art de l'office de tourisme de Mirepoix, à côté d'une vitrine laissée vide. On ne voit pas clairement ce que les toiles représentent, mais seulement qu'il y a là d'autres images, qui aspirent à devenir visibles et qui affluent obliquement vers nous. 

Le propre des images de la peinture est de se présenter ainsi, comme surgies de la profondeur d'une eau improbable, de se laisser appeler par notre regard à leur apparaître jamais le même, par là d'atteindre à leur destin de grandissement. Echappant à la toile, à la matière, à la forme et à la couleur, elles déploient dès lors le possible de leur existence propre, qui est tout de liberté et de pure vision. Le peintre voue les images à ce destin d'échappée dès l'instant qu'il entreprend d'en figurer l'avénement sans commencement ni fin.

Jean François Rancurel, dans la salle des métiers d'art de Mirepoix, évoquait l'autre jour à propos de la toile reproduite ci-dessus le souvenir d'une rue de son enfance à Nice. L'image, en vertu de son destin de grandissement, fait venir, dans la profondeur, sans issue certaine, étroitement ménagée par l'élévation des façades, l'énigme d'une situation : le chemin d'une femme et d'un enfant va croiser celui d'un homme qu'un rai de lumière, tombé du ciel lointain, encadre et  isole comme derrière une porte de verre. L'image figure, à sa manière, le laps de silence qui précède le franchissement de la porte. Il appartient au spectateur du tableau d'imaginer ce qui advient au-delà de la porte. Toute image née de l'art a ainsi fonction de porte. 

Jean François Rancurel, à propos de cette toile, parle du bleu de la nuit qui vient, des façades closes, de l'ombre froide. Il montre les traînées de rouge qui s'attardent en arrière-plan ou s'accrochent au flanc des barques. Le calme de la lumière qui bleuit ne va pas sans déclencher dans sa tombée silencieuse le drame du rouge. A l'événement du ciel répond une sorte de paroxysme terrestre. Quelque chose se joue ici, qui ne se raconte pas. Il y faut l'antagonisme du bleu et du rouge. L'enjeu du drame demeure, quant à lui, cosa mentale. L'essentiel se joue ailleurs, sur l'autre scène.

Autres poussées du rouge, du cadmium, qui couve ou flambe de sa pulsion fauve, sous le retirement nuagé des lointains, l'ouvert des paysages d'Occitanie. 

Ailleurs, la violence des effets terrestres se résorbe dans les rides de l'eau, peintes au couteau, et jusque dans le vide du ciel monochrome.

L'enjeu est ici tout d'immobilité et de mouvement.

L'ombre projetée sur la toile par le jour d'une fenêtre située un peu plus loin dans la salle d'exposition magnifie l'énergie de la composition.

Jean François Rancurel, qui est à la ville ingénieur chimiste, voue aux secrets de la matière-couleur un intérêt passionné. La connaissance des pigments et des liants s'allie chez lui à l'imagination des puissances propres à l'être même des couleurs. D'où le caractère exploratoire de son esthétique, qui joue de telles puissances pour en figurer la dramaturgie de façon presque abstraite, même si les tableaux représentent des paysages et, à ce titre, continuent d'appartenir à l'ordre figuratif.  

Le détail ci-contre est emprunté à une toile représentant, de façon très classique, le marché de Mirepoix.

On distingue ici, sous le Grand Couvert, deux formes vagues, correspondant à une porte et à une fenêtre, derrière lesquelles s'ouvre un logis dont on ne voit rien, et au première plan une lanterne. Posée librement à même cette lanterne, une extraordinaire touche de bleu vif. Une fois qu'on l'a vue, on ne peut  plus la quitter des yeux. C'est la liberté d'une telle touche, absoute de toute préoccupation de la représentation exacte, qui fait, il me semble, l'âme secrète du tableau. Derrière le pittoresque d'un lieu typique, il y a une réalité plus secrète, un monde de couleurs et de formes qui sans le peintre demeurerait invu.   

Je rentrais d'une promenade dans la campagne lorsque je suis allée voir l'exposition Rancurel. Sur la toile reproduite ci-dessus, dont Jean François Rancurel me disait que c'était l'une de ses débuts en peinture, j'ai reconnu, même si le paysage n'est pas le même, les puissances de la terre et du ciel, le jeu des forces en travail, et l'abîme de proximité que la matière du monde entretient avec la matière-couleur. La peinture n'imite pas le monde. Elle le continue et l'approfondit.  

Exposition Jean François Rancurel Office de tourisme de Mirepoix – Salle des métiers d'art Jusqu'au 31 mai 2010.

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dans: Ariège, art, Mirepoix.

1 commentaire au sujet de « Jean François Rancurel expose à Mirepoix »

  1. Martine Rouche

    Seras-tu étonnée si je te dis que, dans cette exposition que je suis allée voir longuement ce matin, j'ai retenu la marine immobile et vide, en réalité ni immobile ni vide, le paysage méditerranéen au crépuscule (souvenir des retours de plage à travers ces couleurs contrastées qui apportent la sensation que la journée et l'agitation sont finies, que le repos arrive), la ruelle et cet effet de " through the looking-glass " ,  et surtout les extraordinaires touches bleues sur " nos " lanternes ?
    Je n'ai pas eu l'opportunité de parler avec M. Rancurel, car il discutait avec une aquarelliste de questions de perspective. J'ai donc poursuivi ma visite en toute discrétion !

  2. Geneviève de la Motte

    seras-tu étonnée si je trouve ta présentation mille fois plus intéressante que l'exposition elle-même que j'ai vu mais où je n'ai pas su voir ce que tu y voyais, tu sais voir ! et ta façon de voir crée à partir de ce que tu vois quelque chose d'autre que j'ai plaisir à voir ! voir voir voir…