La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

De la Porte d’Aval au cours Louis Pons-Tende

J’ai repris aujourd’hui, comme chaque dimanche, le tour de Mirepoix en passant par quelques brocantes. Je suis partie cette fois de la Porte d’Aval, afin de contourner la bastide par l’Ouest et le Nord. Peu avant d’arriver à la Porte d’Aval, je me suis arrêtée, rue Monseigneur de Cambon, devant ce pilier de balustre, vestige du bel aménagement qui fut autrefois celui de l’Hôpital, créé au XVIIème siècle par Louise de Roquelaure, marquise de Lévis Mirepoix. Adossé à la paroi interne du rempart dont un pan subsiste de chaque côté de la Porte d’Aval, ce pilier fait partie d’une balustrade, aujourd’hui partiellement détruite, qui courait jadis, lisière légère, entre la rue et le jardin de l’Hôpital. Désormais transformé en Maison de Retraite, l’Hôpital a été défiguré par une restauration sans esprit. Non, je ne photographie pas l’entrée moderne, visible hélas ! derrière un reste de balustrade ancienne, rue Monseigneur de Cambon.

Au sortir de la Porte d’Aval, avant de tourner à droite, je traverse le Cours du Maréchal de Mirepoix afin d’apercevoir une nouvelle fois, derrière l’autre pan de rempart qui jouxte la Porte d’Aval, la Tour de Montfaucon. Toute ronde, avec son petit chapeau de tuiles rousses, elle ressemble à un pigeonnier, lieu idéalement fait pour la méditation du philosophe : « puis, en place d’oiseaux, nous figurer des savoirs… » 1. Elle fut pourtant, au XVIème siècle, le siège des guetteurs et autres archers attachés au service du puissant seigneur de Montfaucon.

A l’ouest de la Porte d’Aval, le Cours Maréchal de Mirepoix, qui part du Monument aux Morts, se poursuit sous les platanes jusqu’au Béal, quartier situé jadis hors les murs, au bord du canal (béal). J’irai musarder au Béal un autre dimanche. Je me contente aujourd’hui de considérer les arbres, les vieux murs, une belle porte, – qu’est-ce qu’il y a derrière ? Considérations simples, nourries par la couleur des pierres, la mélancolie d’une fenêtre close, la grâce d’une arche un peu penchée. Il y a ici une douceur des choses, – comme une pente -, caractéristique du Midi, de ses petites villes, qui demeurent préservées de l’ostentation actuellement régnante.

Vous irez par le coche en [la] petite ville,

Qu’en oncles et cousins vous trouverez fertile,

Et vous vous plairez fort à les entretenir.

D’abord chez le beau monde on vous fera venir;

Vous irez visiter, pour votre bienvenue,

Madame la baillive et Madame l’élue,

Qui d’un siége pliant vous feront honorer.

Là, dans le carnaval, vous pourrez espérer

Le bal et la grand’bande, à savoir, deux musettes,

Et parfois Fagotin et les marionnettes…

… dit Dorine à Marianne 2, qui est ici Parisienne, amoureuse d’un Parisien. Le charme des petites villes, loin des théâtres de cour, tient justement à la scène plus petite, aux acteurs familiers, aux anguilles sous roche, aux compils qui t’ariègent la tronche 3, … aux marionnettes aussi.

Festival de marionnettes et reconstitutions médiévales, avec les Fêtes de la Saint Maurice et de la Pomme, les Journées de l’Histoire locale, des Arbres, des Potiers, du Swing, le Salon de la carte postale ancienne, etc., c’est Mirepoix, Ariège.

Quittant le Cours Maréchal de Mirepoix, je contourne la Maison de retraite Louise de Roquelaure et je m’engage sur le Cours du Colonel Petitpied.

Né à Mirepoix en 1814, Jules François Petitpied est un héros de la guerre de 1870. Lors du siège de Strasbourg, il réussit à soustraire à l’ennemi le drapeau de son régiment et à le faire porter dans son propre logement, avant de partir en captivité à Coblence. En 1895, vingt ans après la mort du Colonel, « sa femme retrouva le drapeau et le remit officiellement au Président de la République Félix Faure 4.

Ci-contre  : couverture du Petit Journal, Supplément illustré, n°244, « Un Souvenir Patriotique – Mme Veuve Petitpied remet au Président le Drapeau ».

Jules François Petitpied est également l’auteur d’un Manifeste destiné aux citoyens électeurs de l’Ariège. Publié en 1848, « ce manifeste servira de profession de foi aux futurs candidats députés, dont Louis Pons-Tende » 5.

Rien ne rappelle, sur le Cours du Colonel Petitpied, antérieurement nommé Cours Saint Antoine, le souvenir du héros de 1870. Le Cours va comme il peut, sans chercher à se donner l’air rupin ni l’air historique. Les trottoirs, qui servent de terrasse aux diverses enseignes, sont encombrés de rôtissoires, accessoires de jardin, fleurs, etc., auxquels s’ajoutent les voitures, garées n’importe où, et l’abri, en forme de chalet miteux, destiné aux clients du bus Toulouse >< Lavelanet. Mais si l’on regarde mieux, on peut voir, par-dessus le mur d’un jardin, d’anciennes vasques de fonte sur lesquelles volette un pigeon, ailleurs, sur la façade d’un immeuble occupé jadis par une association musicale, un balcon garni d’une ferronnerie à motifs de lyre, ailleurs encore telle belle porte, telle petite fenêtre, et la Croix Verte, qui affiche la température et l’heure, et l’enseigne d’un pâtissier amoureux de la lune…

Peu avant d’arriver à la hauteur de la rue Vigarozy, je m’engage furtivement dans le Courrédou dé lou Ré Artus, petit passage qui s’ouvre entre deux maisons très anciennes et débouche sur une cour, encombrée de gravats et fertile en fougères. Le passage est sombre ; la cour, abandonnée. On y éprouve, de façon mystérieusement physique, le sentiment d’une présence absente, d’un manque. Il y a des culs-de-sac dans le tunnel du temps.

On se risque ainsi quelquefois dans un passage qui baille. En quête de quoi ? Je n’en sais rien. La quête vaut mieux ici que l’X chargé d’aura au devant de quoi, sans prévision possible, on se porte, – i. e. une cour ingrate, dans laquelle il n’y a, en définitive, rien à voir.

Forte chaque fois de sa nécessité propre, laquelle n’implique aucunement celle de l’objet transitairement élevé au rang de terminus ad quem, la quête se déploie, sans se laisser elle-même derrière soi, au gré des formes causatives que lui propose l’imagination.

Nous ne cherchons en somme que la confirmation de ce que vous entrevoyons, comme en rêve, dans le secret de l’intime. Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé.

La réalité toutefois se montre rarement la soeur du rêve

Après ce moment de léger égarement, dû à une crise de métaphysique impromptue, je m’engage à droite sur le Cours Louis Pons-Tende.

Toujours des platanes. J’aime la lumière douce de ce Cours tranquille. Les trottoirs ici ne sont pas encombrés, mais étroits et de niveau inégal. Point d’enseignes, sinon, au fond du Cours, celle d’un boulanger, puis celle de la Poste.

Je longe parmi de petites maisons la façade arrière de la maison médiévale, jadis propriété de la famille Lévis-Mirepoix, et celle de l’hôtel particulier édifié au XVIIIe par la famille Malroc de Lafage, transformé actuellement en hôtel de luxe. Il s’agit de hautes bâtisses, dotées d’un bel appareil de pierre et de murs qui tombent d’aplomb en pans sévères, en somme qui en imposent. Tout le contraire des petites maisons de bois qui se bousculent sous les couverts et qui ressemblent à des jouets posés de guingois.

Ci-contre, de gauche à droite : entrée de l’ancien hôtel Malroc de Lafage, au carrefour de la rue Maréchal de Clauzel et du Cours Louis Pons-Tende ; terrasse, qui jouxte une maison des années 30, Cours Louis Pons-Tende.

Je traverse la chaussée pour voir, depuis le trottoir d’en face, la tour, de forme carrée, qui, au fond d’un obscur entremis, s’élève par-dessus la maison des Lévis-Mirepoix. Munie de fenêtres qui ressemblent à des meurtrières, cette tour confère à la maison l’allure d’une forteresse. Elle témoigne de la relation que l’architecture entretient avec la puissance politique. Elle témoigne aussi, vu l’état de délabrement dans lequel elle se trouve, de la finitude des règnes qui se croyaient immortels. Ils passent. On les oublie. Sic transit

La ville, en revanche, n’oublie pas Louis Pons-Tende. Né à Mirepoix en 1814, Louis Pons-Tende exerce d’abord le métier de journaliste à Paris. Il revient ensuite à Mirepoix, entre au Conseil Municipal en 1846, d’abord comme conseiller, puis en tant que maire-adjoint. Elu député de l’Ariège en 1849, il fait partie de la gauche républicaine. Après avoir dénoncé publiquement le coup d’état fomenté en 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte, il est arrêté, puis renvoyé en Ariège où il se trouve soumis à un étroit contrôle policier. Raymond Escholier, l’époux de Marie-Louise Pons-Tende Escholier, petite-fille de Louis Pons-Tende, évoque cet épisode dans le roman intitulé Quand on conspire (1925). Après 1870, date de la chute du Second Empire, Louis-Pons Tende est élu maire de Mirepoix. Il retrouve son siège à l’Assemblée nationale en 1885 et meurt en 1889 6.

Ardent défenseur de l’Ariège et de la République, il incarne ce goût têtu de la liberté, cette passion de la justice et de l’égalité aussi, qui caractérisent sa ville, son département, en quelque sorte son pays natal.

Marie-Louise Escholier, qui l’admirait, tenait fortement de lui. Elle évoque dans Les saisons du vent, son journal des années 1914-1915, le monde pittoresque qui se pressait jadis dans le salon de son grand-père.

J’arrive maintenant au carrefour du Cours Louis Pons-Tende et de la rue du Gouverneur Laprade. Je rentre chez moi. A bientôt.

Notes:

  1. Platon, Théétète, 197e ↩︎

  2. Molière, Tartuffe, II, 3 ↩︎

  3. Cf. La dormeuse blogue, La compil qui t’ariège la tronche ↩︎

  4. Arlette Homs, Essai sur la toponymie des rues de Mirepoix, p. 30 ↩︎

  5. ibid. ↩︎

  6. Cf. Bruno Labrousse et Didier Martinez, Les Politiques ariégeois, édition à compte d’auteur, imprimerie Chauvin, Toulouse, p. 214. La photographie de Louis Pons-Tende reproduite ci-dessus est empruntée à l’ouvrage cité. ↩︎

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dans: Ariège, Mirepoix.

1 commentaires au sujet de « De la Porte d’Aval au cours Louis Pons-Tende »

  1. Martine Rouche

    Il y a longtemps que je n’avais pas lu un texte me remettant dans ce que la littérature anglaise appelle « stream of consciousness ». Le lecteur est à sa place de lecteur, mais il a en même temps l’illusion gratifiante d’être celui qui a écrit. A plus forte raison quand les lieux décrits sont connus et les émotions partagées. La porte cochère au bleu fané clôt une propriété qui s’appelait « le Pigeonnier », souvenir d’un rang perdu? La rue Carmontel, s’appelait autrefois « rue des Oustalets », et celle du maréchal Joffre portait le nom de « rue de derrière la rue des Oustalets »…
    Le coupe-gorge du « ré Artus » ne renvoie pas au roi Arthur mais au roi Arctus, et à toutes sortes de légendes pyrénéennes. N’y a-t-il pas là matière à se promener encore et à chercher, aussi?… Bonnes quêtes! Et merci pour cette très belle promenade!