La dormeuse blogue

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A Pamiers, café littéraire : une soirée dédiée à Marie-Louise et Raymond Escholier

Organisé par les Appaméennes du Livre, le café littéraire, en l’occurrence Le Castella, recevait hier soir Bernadette Truno pour une soirée dédiée à Marie-Louise et Raymond Escholier. On ne présente plus Bernadette Truno dont les travaux relatifs au couple Escholier font autorité. Quant au couple Escholier, on ne le présente pas davantage : on sait qu’ils furent passeurs d’Ariège, dans l’oeuvre comme dans la vie. C’est l’aventure humaine et littéraire de Marie-Louise et Raymond Escholier que Bernadette Truno, avec beaucoup de saveur, nous a racontée hier soir.

Ci-dessus : sur la place, en face du café.

De l’oeuvre de Marie-Louise et Raymond Escholier, on ne retient généralement que Cantegril, le roman (1921) et le livret d’opéra comique (1931) qui célèbrent de façon truculente le bonheur de vivre à Mirepoix. Il faut lire ou relire les autres romans, observe Bernadette Truno. Bien que Raymond, qui signe volontiers sa correspondance du nom de "Cantegril", doive sa fortune littéraire à ce personnage emblématique de la légende mirapicienne, Marie-Louise et Raymond Escholier n’ont pas été les chantres du seul Mirepoix. Pamiers leur a fourni également le décor et les personnages de plusieurs romans, dont le très beau L’Herbe d’amour ou La Nuit, inspiré par le drame d’une famille appaméenne honorablement connue. Marie-Louise, durant son enfance, se rendait très souvent à Pamiers chez les Rigal, ses grands-parents maternels, dont elle adorait "la maison du bout du Pont". C’est à Pamiers encore que, par la suite, elle organise des rendez-vous secrets avec Raymond, qui n’a pas l’heur de plaire à son père et qu’elle épousera malgré tout, après trois ans de chastes et romantiques échappées. Bernadette Truno, qui prépare une édition de la correspondance du couple, évoque de façon drôlatique une lettre de Marie-Louise à Raymond dans laquelle celle-ci détaille l’itinéraire compliqué au terme duquel le prétendant peut espérer rejoindre sa belle dans la chapelle des Cordeliers, sans alarmer les commères. Et, précaution supplémentaire, elle lui recommande d’adopter, à fin d’incognito, "l’accent gascon". "Comment, disaient-ils, avec nos nacelles, fuir les alguazils ? – Ramez, disaient-elles" 1. Juste couronnement de ces amours romantiques, Marie-Louise et Raymond se marient en 1905 à Pamiers et Marc leur premier fils y voit le jour en 1906.

Rappelant que nous sommes au temps de la Chandeleur, Bernadette Truno nous invite ensuite à partager "une gourmandise littéraire : elle relit à notre intention, avec le délicieux accent qu’il faut, ce passage extrait de Gascogne :

Le jour du Mardi-Gras, la ménine casse beaucoup d’oeufs dans la grande gréselle de terre, rugueuse en dehors, vernie en dedans ; la farine voltige en nuage blancs, les parfums répandent leur arôme. 

Qu’est-ce que vous préférez ? Une peau de citron, une gousse de vanille, une rasade de rhum ?

Le feu brille clair comme un regard d’enfant, le velours noir de la suie est tout piqueté d’étincelles ; les blanches coquilles d’oeufs gisent sur la cendre du foyer… Ne les ôtez-pas ! Elles feront la lessive plus nette, le linge plus doux.

Les enfants ont fabriqué la poupée, une boule de linge fixée au bout d’un bâtonnet. La poupée, trempée dans la graisse d’oie, humectera la poêle.

Avant le soir, on aura des crêpes rondes, fines, au bords dentelés, et dans les corbeilles de la lessive, revêtues de linge blanc, s’entasseront les oreillettes rondes, croustillantes, si cassantes sous la dent que, pour faire moins de débris, les petits ouvrent grand la bouche et se mettent, d’une oreille à l’autre, de longues moustaches de sucre en poudre 2.

Après ce moment de gourmandise, Bernadette Truno s’arrête sur le problème d’attribution que pose la pratique de l’écriture à deux voix, caractéristique du travail de création mené toute leur vie durant par le couple Escholier. Ce problème intéresse spécialement les romans qui appartiennent au cycle ariégeois. Attribuant à Raymond les passages truculents, les scènes relatives aux plaisirs de la table, à la fête des sens, Bernadette Truno réserve à Marie-Louise l’écriture des scènes poétiques, celle du sentiment de la nature, de la quête du sens et de l’inquiétude des fins dernières. On reconnaît, selon elle, le style de chacun au rythme, à la couleur des chapitres.

Plus tard dans la soirée, Bernadette Truno nous fait la surprise d’une lecture polyphonique d’un passage de Cantegril. Assistée de quatre autres lectrices de l’ouvrage, elle entre dans le jeu des voix qui se répondent. C’est l’ineffable Bartissol qu’elle ressuscite. Prisonnier de guerre en Russie, devenu professeur de français des enfants de M. Ivanovtch, il est fier de leur avoir appris son parler. Jusqu’au jour où survient un Français venu de Paris. M. Ivanovitch invite ses enfants à faire montre de leur maîtrise de la langue de Descartes :

Il fit venir ses garçons et leur commanda de saluer le Parisien en français.
– Adisciatz, moussu, dit Boris.
– La santat bouï ba toutchoun pla ? demanda Nikita ?
Et Dmitri, brave comme un sou, lui offrit à boire :
– Bouletz la goutto ?
M. Ivanovtch se frottait les mains ; l’étranger ouvrait la bouche et secouait la tête, comme un âne, lorsqu’on lui frotte les oreilles
3.

Après ce moment d’hilarité (de nostalgie ?), Bernadette Truno se prête au jeu des questions. A l’un des convives qui s’étonne du relatif oubli dans lequel est tombée l’oeuvre des Escholier, elle répond que c’est "la faute au Surréalisme, puis au Nouveau Roman". Quelqu’un l’interroge sur l’oeuvre de Raymond Escholier critique littéraire et critique d’art. Elle rappelle le titre des ouvrages dédiés à Victor Hugo, Daumier, Delacroix, Goya, Greco, Matisse, à l’art italien, etc. Elle rappelle que Raymond Escholier a été à Paris le premier conservateur de la Maison de Victor Hugo, puis le conservateur du Petit-Palais. Elle raconte enfin l’incroyable odyssée à l’issue de laquelle en 1939, refusant l’idée que la collection du Petit-Palais puisse tomber aux mains des nazis, Raymond rapatrie la totalité des oeuvres à Mirepoix, dans sa demeure de Malaquit et reconstitue ainsi à l’intention de ses concitoyens une sorte de Petit-Palais aux champs. Quelques vieux Mirapiciens, qui ont connu cette époque, sont dans la salle. Les souvenirs terribles et les anecdotes fusent. Il y a le facteur de Monsieur Raymond, qui prenait le café tous les matins à Malaquit et qui a été reçu par les Escholier aux Champs-Elysées. Il y a ce membre du Conseil National de la Résistance, qui a été otage, menacé d’être fusillé au pied de la cathédrale. Un moment de gravité. Les témoins rappellent qu’en 1943, Raymond Escholier se voit mis à la retraite d’office à la demande de l’occupant. Le gouvernement de Vichy opère le rapatriement de la collection du Petit-Palais, et la famille Escholier demeurera sans ressources jusqu’en 1946. 

Bernadette Truno conclut la soirée en évoquant la puissance de travail et la productivité qui ont été, toute leur vie durant, celles de Marie-Louise et de Raymond Escholier. Ils ont oeuvré ensemble, dans le cadre d’un mariage exceptionnel et d’une aventure littéraire complémentaire, pour nourrir une famille nombreuse, pour perpétuer la tradition de l’hospitalité à l’intention d’une foule d’amis,  pour donner forme et réalité au rêve qu’ils avaient esquissés à la faveur des romanesques rendez-vous de Pamiers. 

"Aujourd’hui leurs deux noms sont tombés dans le purgatoire des écrivains disparus qu’on ne réédite guère. C’est du constat de cette singulière infortune littéraire qu’est né mon désir de ramener à la vie ce couple d’écrivains, pour leur redonner la place qui leur est due dans la vie culturelle de la première moitié du XXe siècle", dit Bernadette Truno dans Raymond et Marie-Louise Escholier – De l’Ariège à Paris, un destin étonnant 4.

Hier soir, au café littéraire, les convives ont demandé comment on peut se procurer les oeuvres de Raymond et Marie-Louise Escholier.

Réponse : sans problème chez les bouquinistes et les cyber-bouquinistes. 

Ci-dessus : au sortir du café…

 

Notes:

  1. Victor Hugo, Autre Guitare, in Les Rayons et les Ombres, 1840 ↩︎

  2. Raymond Escholier, Gascogne, Carnaval, pp. 28-29, Albin Michel, 1933 ↩︎

  3. Raymond et Marie-Louise Escholier, Cantegril ↩︎

  4. Bernadette Truno, Raymond et Marie-Louise Escholier – De l’Ariège à Paris, un destin étonnant, éditions Trabucaire, 2004 ; j’ai rendu compte de cet ouvrage en 2005 sur mon site La dormeuse : Raymond et Marie-Louise Escholier ↩︎

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1 commentaires au sujet de « A Pamiers, café littéraire : une soirée dédiée à Marie-Louise et Raymond Escholier »

  1. Martine Rouche

     » Février  »
    Notre-Dame des Candélous … La Chandeleur … A partir d’aujourd’hui, on ne mènera plus le troupeau paître dans les prés, parce que, sans qu’il y paraisse, l’herbe revient de mort en vie, les racines secrètement s’éveillent sous terre, la sève bouge au coeur des arbres.
    Ceux de la ville ne font guère attention à cette Notre-Dame qui arive, si petite, au milieu de l’hiver ; mais ceux des campagnes l’attendent, l’espèrent, ils savent que la lueur de ses pauvres petites chandelles annonce la résurrection de tout ce qui sera le printemps et l’été.  »

    Marie-Louise et Raymond, Raymond et Marie-Louise … Nous n’avons pas fini de nous interroger sur quelle main a écrit quoi … Ou de lire avec délices sans plus nous poser de questions !