La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Marguerite de Calages a esté baptisée ce jour

Ce quinziesme novembre 1671, par un calme jour d’automne, baigné d’un doux soleil blanc, une famille s’avance vers la cathédrale, marchant dans les feuilles tombées. Dieu l’a comblée de beaux enfants. Françoise de Plos porte le petite Marguerite dernière-née dans ses bras. Une petite fille, pour qui elle coudra encore de jolies robes, comme elle le fait pour Marie, cependant qu’elle n’en finit pas de retailler et de rapiécer des culottes pour quatre garçons. L’enfançon dort, chaudement emmitouflée d’une couverture brodée. Reconnaissable à sa haute stature, Henri de Calages marche fièrement à côté de son épouse. Dans ses bras, il porte le petit Jean François, qui ne marche pas encore. Les passants le saluent. C’est monsieur le receveur des gabelles et aussi monsieur le consul. Il échange chaque fois un bon mot avec les personnes de sa connaissance. Il aime à plaisanter. Derrière les heureux parents marchent les autres enfants, frères et soeur du bébé. Il y a Pierre Pol, Henry Alphonce, Marie, nés du premier lit d’Henri de Calages, et Jean, qui est affreusement jaloux de Jean-François, blotti dans les bras de son papa. Ils sont beaux, ainsi réunis 1.              ,   

Visible en silhouette sous les statues qui ornent le portail de la cathédrale, monsieur l’abbé Baron, vicaire de la paroisse, attend la famille. Il se réjouit d’accueillir une nouvelle enfant de Dieu.

Le cortège entre dans la cathédrale, éclairée par une nuée de cierges. Les enfants ont plaisir à marcher dans les flaques de couleur qui chatoient au pied des vitraux.

Du moins les grands. Jean s’inquiète de l’ombre qui règne dans la profondeur des chapelles.

Pierre Pol a 14 ans, Henry Alphonce 12 ans, Marie 10 ans, Jean 5 ans, Jean François 1 an.

Le parrin et la marrine s’avancent. Le parrin, c’est Henri Alphonse, prebstre, oncle du bébé Margueritte, frère d’Henri de Calages, le papa du bébé Margueritte. Magnifique dans sa robe moirée, la marrine, c’est damoiselle Margueritte de Gautier, qui donne son prénom au bébé. Un prénom de fleur des champs, symbole de la patience. Françoise de Plos imagine déjà sa petite Margueritte, épouse et mère, ange de patience, comme sont les femmes de l’Evangile.

Derrière les parrin et marrine, Alphonce Pech, oncle de Pierre Pol et Henry Alphonce, frère de Marie de Calages, la maman de Pierre Pol et d’Henry Alphonce, morte en 1661, est là, lui aussi. Henri de Calages aime bien ce beau-frère, joyeux drille. Il le renfloue régulièrement, car cette cigale est perdue de dettes. Et ils tirent tous deux des plans sur la comète pour relancer à Paris les ventes des exemplaires restants de Judith ou la délivrance de la Béthulie, le livre publié en 1660 par Marie de Calages 2. Il faut espérer que le jeune Henry Alphonce n’aura pas hérité du caractère impécunieux de son oncle Alphonce, dit souvent Françoise du Plos.

Margueritte de Gautier constate qu’elle s’y perd dans les prénoms. Elle ne sait jamais, dans la conversation, de quel Alphonce on lui parle. Elle se réjouit en revanche de transmettre le prénom de Margueritte à chacune des fillettes dont elle est marrine. Elle sème, pour honorer le Bon Dieu, un champ de marguerites.       

L’abbé Baron regarde la minuscule petite femme, enfouie dans le linge brodé. Comme les enfants de Dieu sont petits lorsqu’ils viennent au monde ! Il en voit pourtant tous les jours, mais d’un jour à l’autre, il oublie combien ces petits Jésus sont fragiles et tendres, semblables à des agneaux dans la bergerie. Il marque le front de l’enfant du signe de la croix et invite les parrin et marrine à faire après lui le même signe. Puis il récite la litanie des saints et lit un passage de la Sainte Ecriture :

"En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. Au moment où il sortait de l’eau, il vit les cieux s’ouvrir, et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Et une voix fit entendre des cieux ces paroles: Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute mon affection" 3.

– "Tu es ma Fille bien-aimée", telle est la parole que la voix fait entendre aujourd’hui dans cette église, observe tendrement l’abbé Baron. 

Puis il demande aux parrin et marrine ainsi qu’aux parents de l’enfant et à l’assemblée toute entière de renoncer à Satan au nom de la petite Margueritte : 

– Renoncez-vous à Satan, à toutes ses oeuvres, à tous ses anges, à tout son culte et à toutes ses pompes ?

– Nous y renonçons.

– Vous joignez-vous au Christ ?

– Nous nous y joignons.

– Croyez-vous en lui ?

– Nous croyons en lui. 

Le petit Jean, qui a cinq ans, se serre contre son papa. Il a très fort envie de pleurer. Marie frémit à la pensée que Satan peut se cacher n’importe où dans les coins sombres. 

L’abbé Baron verse doucement l’eau du baptême sur le front de Margueritte. Elle se réveille et pleure à petits cris d’oiseau.

– Margueritte, je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Puis l’abbé Baron marque le front de Margueritte du Saint-Chrême.

– Maintenant, Margueritte, tu es lumière dans le Seigneur. Vis en enfant de la lumière 4.

A la vue du grand cierge blanc que l’abbé Baron vient d’allumer pour célébrer l’entrée de la petite Margueritte dans la communion des saints, Henri de Calages se souvient tout à coup de Pierre Pol Riquet, parrain de Pierre Pol son fils premier-né, l’ami Pierre Pol Riquet, qui en 1657 répondait lui aussi aux questions du prêtre :

– Renoncez-vous à Satan, à toutes ses oeuvres… ?

– J’y renonce.

Il n’avait pas renoncé au Canal, le bougre. Henri de Calages, en cet instant, peine à se retenir de rire. Mais l’abbé Baron le regarde d’un air grave. Et pendant que l’abbé Baron le regarde, lui, Henri de Calages, receveur de la chambre à sel et consul de Mirepoix, il sent que sa manche est mouillée. Jean François a fait pipi dans sa culotte. La fête est complète.

Françoise du Plos, de son côté, s’est assise sur un banc pour donner la tétée à Marguerite. Jean est venu poser sa tête sur ses genoux. Parrin et marrine s’arrêtent un moment devant ce joli tableau. L’abbé Baron invite l’assemblée à réciter une dernière prière à Marie. Il confie la petite Margueritte à la Notre Dame.

Henri de Calages a rétrocédé le petit Jean François à son grand frère Pierre Pol. A la suite des parrin et marrine, il entre dans la sacristie pour signer le registre…

 

Ce quinziesme novembre 1671 a esté baptisée Marguerite de Calages fille de M. Henry de Calages receveur en la chambre à sel de la présente ville et premier consul et de damoiselle françoise de plos mariés, parrin henry alphonse calages prebstre fr….. marrine damoiselle Margueritte de Gautier, en foy de ce me suys signé 5

                                       Baron vicaire

Calages [père]                                                  Calages                                      Gautiere

                              Duranas   

 

Notes:

  1. Pour en savoir plus sur l’histoire de Margotton et de la famille Calages, voir sur La dormeuse blogue : A propos de la famille Calages – Un geste de Pierre Pol Calages ; A propos de la famille Calages – Une lettre de Pierre Pol Calages à Françoise de Plos ; A propos de la famille Calages – Une lettre de Françoise de Plos, ou le voyage d’hiver ; A propos de Marie de Calages – Une lettre curieuse ; Sous le signe de Marie de Calages – 11e journée d’hiver de l’histoire de Mirepoix ↩︎

  2. Cf. La dormeuse : A propos de Marie de Calages – Une lettre curieuse ↩︎

  3. Marc, I, 9-11 ↩︎

  4. Saint Paul, Epitre aux Ephésiens, V, 8 ↩︎

  5. Acte de baptême déchiffré et retranscrit par Martine Rouche er Claudine L’Hôte-Azéma ↩︎

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1 commentaires au sujet de « Marguerite de Calages a esté baptisée ce jour »

  1. Martine Rouche

    Quel régal ! Tu y étais donc, toi aussi, dans le cortège familial ? Tu es donc ensuite repartie vers la grande maison de famille, à quelques pas de là, dans la rue de Cournanel ? Tu as pu t’asseoir sur une des nombreuses chaises qui servent aussi pour les clients de la chambre à sel ? Tu as pu prendre un instant cette petite Marguerite dans ton giron ? Tu as partagé avec la famille quelques douceurs et quelques confitures ? Tu as souhaité bonne vie à cette nouvelle petite mirepoise ? Et tu as eu une pensée pour le grand génie Pierre Pol Riquet, revenu douze ans plus tôt pour être le parrain de Pierre Pol Calages,après avoir tenu cette même chambre à sel pendant douze ans ? Tu as vu le jardin auquel il accédait par trois marches de pierre, pour aller rêver son projet de canal, oubliant quelques instants  » la recepte du sel » ? Nous ne nous connaissions pas encore, toutes les trois, mais je crois que nous y étions déjà …
    Te lire est toujours un égal bonheur !