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Jacques Vidal astronome et coetera… De Mirepoix aux Pyrénées – 2ème journée de printemps de l’histoire locale à Mirepoix

Ci-contre : portrait de Jacques Vidal ; conception et réalisation : Jouch.
 
Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande, membre de l'Académie des Sciences en 1753, titulaire de la chaire d'astronomie au Collège de France en 1762, membre de la commission de création du calendrier républicain en 1793, créateur du Bureau des Longitudes avec l'Abbé Grégoire en 1795, auteur de l'Histoire céleste française (1789-1798), bref l'illustre Lalande, dont le nom est inscrit sur la tour Eiffel, a bien connu Jacques Vidal, encouragé sa carrière d'astronome, publié les résultats de ses observations, réalisées à Mirepoix le plus souvent, et déclaré hautement la valeur d'un "pareil homme". Les pyrénéistes savent par ailleurs qu'ils doivent à Jacques Vidal et à Henri Reboul, chimiste passionné de géodésie, le premier nivellement des sommets pyrénéens, par là l'invention des Pyrénées. Revenant aujourd'hui sur l'histoire de Jacques Vidal, Martine Rouche, vice-présidente de l'association SLHLM, Alain Bourneton, écrivain, pyrénéiste, et Stéphane Lecomte, représentant de la Société astronomique de France, ont évoqué tour à tour, à partir d'informations inédites, tirées des archives, la vie et l'oeuvre de l'homme, du citoyen, du savant, et tenté d'éclaircir la raison pour laquelle Jacques Vidal a versé ensuite dans la catégorie des inconnus célèbres, y compris dans sa ville natale.  

En fait de mémoire de Jacques Vidal, observe Martine Rouche, il reste à Mirepoix une petite rue sombre, baptisée "Astronome Vidal". Encore le prénom de l'homme a-t-il bizarrement disparu. Le stéréotype de l'astronome, au sens du rêveur stellaire, a eu raison du citoyen Jacques Vidal. 

Martine Rouche, suite à une patiente recherche menée aux archives de Mirepoix et aux archives départementales de l'Ariège, enrichit et renouvelle le souvenir, au demeurant très pauvre, que la ville a conservé de Jacques Vidal.  

Le peu de souvenir qui subsiste de Jacques Vidal à Mirepoix, c'est, hormis une plaque de rue, la légende forgée dans les années 1900 par le chanoine Ferrand, historiographe local. Né de parents "pauvres mais honnêtes", homme au caractère difficile, retranché dans son observatoire, uniquement préoccupé de ses chères étoiles, l'astronome serait mort, l'oeil rivé à sa lunette, dans la nuit glaciale du 2 au 3 janvier 1819. Martine Rouche montre que cette légende ne résiste pas à l'examen des divers documents consultables aux archives de Mirepoix.

Né le 30 mars 1747 sous le règne de Louis XV, Jacques Vidal n'est pas un "enfant de pauvres", mais le descendant d'une lignée de maîtres cordonniers qui exerçaient leur pratique depuis le début du XVIIe siècle, qui en recevaient solennellement  le droit à la cathédrale, dans la chapelle Saint Crépin, qui savaient par ailleurs lire et signer. Outre la maison du couvert de la Porte de Laroque, dont le rez-de-chaussée était occupé par la boutique, la famille possédait des terres au-dessus de Mazerettes, comme l'indique aujourd'hui encore l'existence du lieu-dit "Vidal". On remarque enfin que François Vidal, père de Jacques Vidal, a fait partie des administrateurs de la ville de Mirepoix en tant que quatrième consul.  

Paule Pons, mère de Jacques Vidal, était quant à elle fille d'un maître bastier. Elle ne savait signer, mais c'est là le lot de la plupart des femmes du temps.

Membre d'une fratrie de neuf enfants, Jacques Vidal peut-il avoir été cet être solipsiste, étranger aux réalités de la vie sociale, dont le chanoine Ferrand, en son temps, s'est plu à accréditer la légende ?

Elève doué, Jacques Vidal obtient au terme de ses études, en 1770, le titre d'ingénieur du corps du Languedoc. Passionné d'astronomie depuis son enfance, il développe une intense activité d'observation auprès de François Garipuy, astronome, directeur des travaux publics, Antoine Darquier de Pellepoix, astronome, et Amable de Bonrepos, astronome, procureur général, qui disposent chacun d'un observatoire privé. Il bénéficie là d'un accueil propre aux sociétés savantes du temps, qui rassemblent des gens de talent sans considération de l'origine sociale. Jean Baptiste Mercadier (1750-1818), originaire de Bélesta, ingénieur, maître d'oeuvre du pont de Mirepoix, rencontre un accueil semblable auprès des cercles toulousains.

Sapere audere, "oser connaître", dit Kant à propos de l'esprit des Lumières. Trouvant auprès de ses amis toulousains le milieu favorable à l'épanouissement de son génie, Jacques Vidal a incarné de façon typique l'homme des Lumières, qui, au-delà du savoir scientifique et technique, aspire à la connaissance sur le mode encyclopédique et se sent, au regard de cette dernière investi d'une mission auprès de ses concitoyens. Jacques Vidal, le moment venu, ne manquera pas de mettre ses compétences au service de la communauté mirapicienne.

Le début de sa carrière est marqué, auprès de François Garipuy et d'Antoine Darquier de Pellepoix, par des travaux d'observation relatifs à la comète de Messier et aux taches solaires. Sollicité ensuite par Amable de Bonrepos pour diriger son observatoire, Jacques Vidal y développe une  méthode d'observation très novatrice de Mercure. Régulièrement transmises à Lalande, les observations obtenues par une telle méthode nourrissent les articles publiés par ce dernier dans le cadre de l'Encyclopédie ; puis elles seront intégrées dans l'Histoire céleste française. Bien placé pour mesurer la valeur de l'exploit, Lalande dira plus tard de Jacques Vidal : "Il a vu Mercure !". En association avec Jean Baptiste Mercadier, Jacques Vidal dans le même temps mène des recherches sur le magnétisme terrestre. A la mort d'Amable de Bonrepos, en 1791, il hérite d'une rente à vie ainsi que des précieux instruments naguère attachés à l'observatoire.  

On sait moins que parallèlement à ses activités astronomiques, Jacques Vidal, accompagné de son ami Henri Reboul, arpente les sommets pyrénéens afin d'en relever les hauteurs et d'en déterminer le point le plus élevé. En 1770, ils déterminent ce dernier dans le massif de la Maladeta. En 1787, ils réalisent, avec l'ascension du Turon de Néouvielle, la première d'un sommet de plus de 3000 mètres. 

Ci-contre : Henri Gaussen, Turon de Ramon, pic du Néouvielle, 26-27 août 1925.

Elevé en 1793 au poste de directeur de l'observatoire de Toulouse, Jacques Vidal y poursuit ses observations en même temps qu'il y exerce une charge d'enseignement. Sans doute par manque de temps, il refuse en 1803 la présidence de l'Athénée, société savante, héritière du mouvement "lanterniste". Cette présidence sera toutefois laissée vacante une année durant, en guise d'hommage. Après avoir quitté son poste de directeur de l'observatoire de Toulouse une première fois en 1796, renommé à ce poste en 1800, il le quitte définitivement en 1808, faute d'avoir obtenu l'emploi du temps aménagé qui lui eût permis de continuer à mener tout à la fois, de façon harmonieuse, ses travaux d'observation et sa tâche d'enseignant.

Attaché à sa ville natale, resté en contact avec cette dernière comme le prouve le rôle de conseil qu'il remplit en 1808 auprès du conseil municipal lors de l'achat et de la restauration de la maison Rabinel, qui a été choisie pour servir de nouvelle mairie ; comme le prouvent aussi les certificats de civisme qu'il obtient à Mirepoix dans les années 1790 – certificats sur lesquels figurent les éléments d'identification qui ont permis la réalisation du portrait figurant sur l'affiche de la présente journée d'histoire locale – ; comme le prouve encore l'intervention qu'il déploie le 23 fructidor an VII auprès du conseil municipal de Mirepoix pour sauver de la prison son oncle et homonyme Jacques Vidal, prêtre alors très âgé, "retombé en enfance" ; attaché disais-je à sa ville natale, Jacques Vidal s'installe définitivement à Mirepoix en 1808, dans la maison familiale du couvert de la Porte de Laroque, où vivent également sa soeur et son frère Jean Jacques, professeur de mathématiques. Il y fait aménager, sur le toit, un petit rehaussement qui lui servira d'observatoire de fortune. Tout en poursuivant ses observations astronomiques, il assiste par la suite la plupart des travaux d'urbanisme initiés par la ville. Il intervient ainsi, au titre d'ingénieur conseil, dans la mise en oeuvre de la fontaine dite "de Cambacérès", qui nécessite, outre l'implantation de canalisations depuis la prise d'eau située au confluent du Countirou et du Béal, l'installation d'une machine élévatrice et d'un système de filtrage localisés dans ce que l'on appelle encore aujourd'hui la tour des filtres, au Rumat. Il intervient, au même titre, dans l'établissement du plan voyer. 

Parallèlement à ces activités de conseil scientifique et technique, Jacques Vidal se préoccupe de rédiger un mémoire Sur les vieux monumens du pays de Foix, témoin d'un souci patrimonial qui reste pionnier pour l'époque, dans cette contrée si éloignée des instances culturelles nationales. C'est au demeurant à l'homme de grande culture que la ville de Mirepoix demande en 1817 de vérifier l'authenticité des armoiries qu'elle revendique. Jacques Vidal les asserte de la façon suivante : "de gueules à un poisson d'or posé en fasce, et un chef cousu d'azur chargé de trois étoiles d'or".

Le 2 janvier 1819, en début d'après-midi, Jacques Vidal reçoit Jean Charles Vigarosy, son médecin et ami. Après le départ du médecin, alors que la servante prépare le repas du soir, Jacques Vidal gagne pour un moment son observatoire. Inquiète bientôt de ne point le voir redescendre, la servante monte à l'observatoire. Elle trouve Jacques Vidal, étendu par terre, sans connaissance. Il respire encore. On le porte dans son lit, on rappelle Jean Charles Vigarosy. Le médecin ne pourra ranimer son illustre patient. Il constate la mort à 5 heures de l'après-midi.

Durant le mois qui suit la mort de Jacques Vidal, les instruments et la bibliothèque de l'astronome font, sous le couvert du préfet de l'Ariège et du maire de Mirepoix, l'objet d'un important échange de correspondance entre le duc Decazes, ministre de l'intérieur et de l'instruction, et Jean Jacques Vidal, héritier de son frère. Le ministre, qui organise l'exposition nationale de 1819 et projette de créer un musée à Libourne, réclame au plus tôt l'inventaire de la bibliothèque et des instruments astronomiques.

L'inventaire mentionne 31 instruments, dont 7 légués par Amable de Bonrepos.

Manque dans cet inventaire l'astrolabe créé au début du XIIIe siècle par l'astronome arabe Abou Bakr, instrument dont Jacques Vidal a été l'ultime possesseur, et que le chanoine Vidalat-Tornier, lui aussi astronome, ami de Jacques Vidal, associé aux travaux de ce dernier, responsable de l'inventaire Vidal, lèguera plus tard au musée Dupuy de Toulouse.

L'inventaire mentionne également 174 ouvrages, tous dédiés à l'astronomie et aux mathématiques correspondantes, dont une Dissertation intéressante sur les mathématiques par M. Chabaud de Mirepoix actuellement professeur à Bordeaux.

L'Etat français finalement ne fera pas valoir son droit sur les instruments, au motif que ceux-ci sont déjà dépassés. Jean Jacques Vidal fera savoir qu'il entend les conserver, en mémoire de son frère. On ne sait trop ce qu'il advient des livres, ni plus tard des instruments conservés jusqu'à sa mort par Jean Jacques Vidal. 

Resté jusqu'alors célibataire, Jean Jacques Vidal se marie un mois après la mort de son frère. Ce mariage sera bientôt suivi d'une descendance. Il s'agit là toutefois d'une autre histoire. 

Précisant d'abord qu'il est lui-même ariégeois de naissance et de coeur, Alain Bourneton, auteur de nombreux ouvrages dédiés aux Pyrénées, contributeur de diverses revues spécialisées 1, revient sur l'aventure de Jacques Vidal pyrénéiste, pionnier du nivellement des Pyrénées.

La montagne demeure jusqu'à la fin du XVIIIe siècle un milieu qui fait peur, remarque Alain Bourneton. Lacs et grottes, "monts affreux" passent aux yeux des populations riveraines pour fertiles en dragons et autres créatures maléfiques. A ce titre, ils inspirent l'imagination des légendes, l'effroi des mondes inconnus. C'est à l'initiative de Jacques Vidal et d'autres pyrénéistes de la première heure, que les Pyrénées passeront bientôt du statut de "monts affreux" à celui de "monts sublimes", ceux que chanteront la génération romantique.        

Ci-dessus : détail d'une carte du XVIIe siècle.

Sapere audere – Jacques Vidal et Henri Reboul ont voulu savoir quel est le plus haut sommet des Pyrénées, quelle est sa hauteur ainsi que celle des autres, et ils ont osé explorer la chaîne afin d'en entreprendre pour la première fois le nivellement, permettant ainsi l'établissement d'une carte plus exacte. On doit à ces deux audacieux le passage de la cartographie des taupinières à celle des niveaux que nous connaissons actuellement.   

Ci-dessus : premier nivellement des Pyrénées.

La hauteur des Pyrénées a de longue date suscité l'intérêt des scientifiques. Ceux-ci, faute de mesures exactes, ont émis au cours des siècles passés diverses hypothèses plus ou moins fantaisistes. Le plus grand mont supposé a été longtemps le pic de Tenerife. Le pic du Midi d'Ossau concentre ensuite l'intérêt. Riccioli, père jésuite, lui prête à vue 100 kilomètres de haut.

On teste successivement différents moyens de mesure, fondés par exemple sur le temps de marche rapporté à la pente moyenne, ou sur la longueur de l'ombre, ou encore sur la distance de visibilité par rapport à l'horizon. Le Canigou, vu de loin par les marins, semble ainsi la montagne la plus haute. On tente au XVIIe siècle la méthode géométrique pour le nivellement à courte distance, la méthode trigonométrique  pour le nivellement à longue distance, ou encore, en 1643, la méthode barométrique par mesure du point d'ébullition de l'eau.

On use encore successivement du bâton de Jacob ou arbalestrille, puis des octants, des quarts de cercle. En 1740, la mesure du méridien permet à Cassini d'établir pour la première fois la hauteur du Canigou. A la fin du XVIIIe siècle, l'usage du cercle répétiteur de Borda s'impose, dans le cadre des travaux confiés en 1789 par la Commission des Limites à Louis Philippe Reinhart Junker et à Vincente de Heredia. A noter que la campagne de nivellement entreprise par d'autres moyens et sans soutien officiel par Vidal et Reboul précède de quelques années celle de Junker et Heredia. 

Ci-dessus : cercle répétiteur de Borda ; source : Musée de l'Observatoire de Marseille : arpentage et géodésie.

Jacques Vidal et Henri Reboul se sont probablement rencontrés à Toulouse, lors des séances de l'Académie des Sciences. Leur entreprise de nivellement des Pyrénées débute en 1786, comme indiqué par une lettre de Jacques Vidal adressée à Jean Baptiste Mercadier. Ramond de Carbonnières, secrétaire particulier du cardinal de Rohan, a été le témoin direct du travail des deux hommes.

Parti avec le cardinal, en 1787, prendre les eaux à Barèges, Ramond de Carbonnières profite de l'occasion pour tenter l'ascension du pic du Midi de Bigorre. Arrivé au sommet du pic, il trouve là Vidal et Reboul, occupés à une séance de mesure. Ceux-ci, à partir du point fixe que leur fournit le pic du Midi de Bigorre, tiennent encore que, d'après la mesure établie par visée, le second sommet des Pyrénées, ou le premier du côté français, est le Mont Perdu. Ramond de Carbonnières n'aura de cesse dès lors de réussir l'ascension du Mont Perdu. Repris en 1789, le travail de nivellement montrera au vu d'une suite de mesures plus complètes que la hiérarchie des sommets pyrénéens s'établit de la façon suivante : 1. Aneto ; 2. Posets ; 3. Mont Perdu ; etc.   

Aquarelles réalisées par les officiers géodésiens. De gauche à droite : la cabane des campagnes de nivellement ; les géodésiens au travail.

Le témoignage de Ramond de Carbonnières fournit quelques indications concernant la méthode de Vidal et Reboul. Jacques Vidal est l'homme des mesures ; Henri Reboul celui de la recension écrite. Jacques Vidal utilise deux niveaux à bulle d'air, voisins du bâton de Jacob, qui lui servent à  déterminer la mesure des angles, et une lunette achromatique 2, de grossissement x 20. Il s'agit là d'instruments construits tout exprès par ses soins.  

L'aventure pyrénéenne de Jacques Vidal et d'Henri Reboul se termine dans les années 1790, lorsque Jaques Vidal est appelé à la direction de l'observatoire de Toulouse, et Henri Reboul, requis comme administrateur par Bonaparte, dans le cadre de la campagne de Lombardie.

Achevé en 1817, soit trente ans après les travaux de Vidal et Reboul, le nivellement des Pyrénées mis en oeuvre par la Commission des Limites fera l'objet d'un mémoire dans lequel on peut vérifier que les mesures réalisées par les deux pionniers présentaient une marge d'erreur très faible. Calculés à la faveur de telles mesures, les coefficients de valeurs établis par Jacques Vidal en 1786-1787 servent toujours. 

Jacques Vidal et Henri Reboul, durant l'été 1786, ont eu l'émotion de pouvoir coucher, pour la première fois dans l'histoire du pyrénéisme, au sommet d'un pic des Pyrénées. Leur émotion n'a probablement d'égale que celle d'Horace Bénédict Saussure, alpiniste pionnier, qui, en août de la même année, effectue la première ascension du Mont Blanc. La cabane de Vidal et Reboul a connu un destin historique. A la place de cette cabane, on peut admirer aujourd'hui le profil bien connu de l'observatoire du Pic du Midi. 

Membre de la Société Astronomique de France, opticien comme John Dollond, Stéphane Lecomte rappelle que l'astronomie est la plus ancienne des sciences, la science princeps, celle qui a servi depuis toujours et à la religion, et à la mesure du temps et de l'espace, d'où très anciennement à l'agriculture et à la navigation. Il revisite ensuite l'histoire de l'astronomie et de ses instruments depuis Galilée afin de montrer comment s'y inscrit la figure de Jacques Vidal astronome.

Les découvertes astronomiques sont largement tributaires du progrès des instruments, observe Stéphane Lecomte. De Galilée (1564-1642) à Herschel (1738-1822) en passant par Hevelius (1611-1687) et Cassini Ier (1625-1712), i. e. de l'invention de la lunette à celle du télescope, il détaille l'évolution des instruments ainsi que quelques unes des nombreuses avancées rendues possibles par le progrès des dits instruments : établissement de la carte de la lune (1671-1679) par Giovanni Domenico Cassini, découverte de la planète Uranus (1781) par William Herschel, observation des comètes par Caroline Herschel, soeur du précédent ; etc.  

Stéphane Lecomte montre à la faveur de tels exemples que l'astronomie demeure jusqu'au XIXe siècle une activité largement ouverte à la catégorie des amateurs savants, capables de fabriquer ou d'améliorer eux-mêmes leurs instruments, dotés d'un observatoire privé, ou du moins d'un accès à un observatoire ami.

Ci-contre : monture parallactique ou équatoriale, qui doit être alignée parallèlement à l'axe Nord-Sud et inclinée en fonction du lieu d'observation. La valeur de l'inclinaison correspond à celle de la latitude.

Il évoque ainsi le cas de Charles Messier (1730-1817), dit "le furet des comètes", qui nous a laissé le catalogue toujours en vigueur des "objets de Messier" ; le cas de Jean Louis Pons (1761-1831), initialement concierge à l'observatoire de Marseille, découvreur de 37 comètes, co-découvreur des comètes 7P/Pons-Winnecke et 12P/Pons-Brooks ; le cas de Samuel Heinrich Swabe (1789-1875), pharmacien, qui, à partir d'une lunette gagnée dans une loterie, découvre l'activité solaire et devient le relais du grand Humboldt.  

Jacques Vidal, à certains égards, fait partie de cette catégorie d'amateurs savants, bien qu'il ait dirigé l'observatoire de Bonrepos, puis par deux fois celui de Toulouse. Formé par ses lectures et par la fréquentation des sociétés savantes, point passé par le moule de l'institution, moule dans lequel, par la suite, il refusera toujours de se couler, il a pratiqué l'astronomie par pure passion sans chercher à en tirer gloire ni même à en faire carrière, il ne s'est point soucié de publier, et l'on remarque qu'il n'était point attaché à la propriété de ses découvertes, puisque il a laissé l'exploitation de ces dernières, des années durant, à Lalande, représentant de l'institution. Il n'était pas davantage attaché à sa charge de directeur de l'observatoire de Toulouse, puisqu'il démissionne une première fois en 1796, puis, après une nouvelle nomination en 1800, démissionne à nouveau, cette fois sans retour, en 1808.  

Avant même son intégration au corps des ingénieurs du Languedoc, Jacques Vidal participe déjà à l'observation de la comète de 1779, simultanément découverte par Méchain, Messier et Darquier de Pellepoix. Son intérêt pour les comètes par la suite ne se dément pas, puisqu'on sait qu'il a observé la grande comète de 1807 et, peu avant avant sa mort, la comète dite "de 1819". Très habile de ses mains, il doit à la qualité des instruments fabriqués par ses soins, d'avoir pu mener tout au long de sa vie des observations d'une précision remarquable. C'est ainsi qu'il met au point, lors de son séjour à Bonrepos, une méthode d'observation exceptionnelle qui permet de voir Mercure de jour, à proximité immédiate du soleil. Cette méthode nécessitait l'aide d'un assistant. Il semble qu'après Amable de Bonrepos en son château éponyme, le chanoine Vidalat-Tornier ait été à Mirepoix cet assistant lui aussi.   

Parallèlement à l'observation des comètes et de la planète Mercure, Jacques Vidal redécouvre en 1804 l'existence de la planète Cérès, signalée pour la première fois en 1801 par Giuseppe Piazzi. Il communique cette découverte à Jean Baptiste Joseph Delambre, successeur de Lalande à la chaire d'astronomie du Collège de France. Delambre exploite l'information sans jamais mentionner le nom de Jacques Vidal. Celui-ci songe dès lors à quitter pour la seconde fois la direction de l'observatoire de Toulouse. En 1808, Jean Jacques Vidal, frère de Jacques Vidal, adresse une lettre à Delambre dans laquelle, au nom de son frère, il se plaint du vol de la découverte de Cérès. Delambre veille désormais à ce que Jacques Vidal pâtisse de conditions de travail détestables à l'observatoire de Toulouse. En 1808, Jacques Vidal démissionne de son poste de directeur de l'observatoire de Toulouse. C'est alors qu'il rentre définitivement à Mirepoix.

Selon Stéphane Lecomte, Jacques Vidal astronome doit probablement son statut d'inconnu célèbre à son origine provinciale et à l'inimitié que lui voue plus tard Jean Baptiste Joseph Delambre. L'astronomie est "une science essentiellement parisienne", dixit Stéphane Lecomte. Jacques Vidal a certes bénéficié à Toulouse du soutien de François Garipuy, d'Antoine Darquier de Pellepoix  et d'Amable de Bonrepos, puis à Paris de la protection de Lalande. Mais il perd en 1782 Garipuy, en 1791 Amable de Bonrepos, en 1802 Darquier de Pellepoix,  en 1807 Lalande, suite à quoi il se heurte à l'inimitié définitive de Delambre. Il n'a par ailleurs presque rien publié, mais laissé à d'autres le soin d'exploiter ses coefficients de valeur et ses découvertes techniques, de telle sorte que l'histoire des sciences a peu à peu oublié son nom.

Quant à la raison pour laquelle Mirepoix a oublié aussi son grand homme, Stéphane Lecomte ne saurait rien en dire. La question reste ouverte. L'oubli en tout cas requiert d'être corrigé. Cette deuxième journée de l'histoire locale à Mirepoix, quant à elle, a tenté de s'y employer, dans la mesure de ses moyens propres. On espère que d'autres actions suivront.   

Quelques drôles d'images de la belle journée… Cliquez sur les images pour les agrandir.

Max Brunet, président de la SLHLM, et Stéphane Lecomte, en fantômes.

De gauche à droite : un peu fatigués, Alain Bourneton et Stéphane Lecomte, sous les applaudissements de la salle ; Claude Bourneton, au centre, raconte ; à midi, les membres de cette journée déjeunent joyeusement sous les couverts. Au fond, toute blonde, Martine Rouche, vice-présidente de la SLHLM.

Une bien belle journée, disais-je. Bravo et merci à l'association SLHLM !

A lire aussi :

La dormeuse blogue : Jacques Vidal astronome, « un pareil homme dans l’enceinte de cette petite ville »

    

Notes:

  1. Cf. Alain Bourneton, "Jacques Vidal, Henri Reboul et les Pyrénées", in Pyrénées, n° 215 ; "Instrument de découverte ou alibi ? Le baromètre à l'assaut des Pyrénées", Pyrénées, n° 226-227. ↩︎

  2. Mise au point par l'ingénieur opticien John Dollond, la lunette achromatique est pourvue d'un objectif à double lentille qui évite la dispersion de la couleur. ↩︎

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1 commentaire au sujet de « Jacques Vidal astronome et coetera… De Mirepoix aux Pyrénées – 2ème journée de printemps de l’histoire locale à Mirepoix »

  1. Jouch

    Merci beaucoup! Une fois de plus! 🙂

  2. La dormeuse

    Ce portrait est superbe, et d’ailleurs tout le monde le veut !

  3. Anne-Marie Dambies

    Magnifique réhabilitation, que celle de cet oublié de l'histoire !
     Tout le mérite en revient à Martine et à notre journaliste !

  4. La rêveuse

    C'est toujours pour moi un plaisir de vous lire … mais aujourd'hui "l'esprit" de Jacques Vidal est venu vous visiter, – à preuve les photos – pour remercier les orateurs et vous-même d'avoir rappelé son existence. Exemple du scientifique honnête homme, sans doute doté d'un tempérament sportif pour avoir accompli ses mesures du relief pyrénéen in loco, il méritait d'être exhumé des archives. Fera-t-il des émules dans sa ville natale et obtiendra-t-il d'avoir au moins son prénom sur la plaque d'une petite rue? Possesseur d'un magnifique astrolabe, collectionneur émérite d'objets et de livresremarquables, dédaignés semble-t-il par des médiocres, il  avait observé Mercure et redécouvert Cérès. La tête dans les étoiles, il n'avait que faire de la mesquinerie des hommes. Honneur à sa mémoire !

  5. Martine Rouche

    Merci à toi pour ce compte-rendu exhaustif , enrichi de ta réflexion et de ta sensibilité personnelles, merci aussi aux auteurs des comments qui précèdent : notre petite association se sent comprise dans sa démarche et sa détermination, et vivement encouragée à poursuivre. L'écho de cette journée est très favorable, et de nombreuses personnes ont découvert Jacques Vidal avec curiosité, intérêt et plaisir. Notre propos était donc fondé, et notre but est atteint, pour l'instant du moins ! En effet, nous n'avons pas abordé tous les aspects du parcours de Jacques Vidal : restent à étudier, en particulier,  ses travaux de longue haleine, en compagnie de Jean-Baptiste Mercadier, sur le magnétisme terrestre, et le rôle joué en ce temps-là par les sociétés savantes.
    Dès samedi, de fructueux échanges avec Alain Bourneton et Stéphane Lecomte nous ont permis d'échanger des sources et des documents, et cette mise en commun des connaissances est un fantastique encouragement à poursuivre et à croiser nos recherches. Il y a encore des lettres et manuscrits de Jacques Vidal non exploités, et il n'est pas impossible que de nouvelles découvertes et conclusions permettent d'envisager une autre proposition de journée dans un avenir assez proche !

  6. Jacques Gironce

    Félicitations à Martine pour son magistral exposé sur notre savant mirapicien Jacques Vidal.L'astrolabe du compte-rendu,que je connais parfaitement pour l'avoir moi-même restauré voici déjà plusieurs années à Paul-Dupuis,est malheureusement incorrectement prèsenté:en effet,l'alidade de visée ne doit pas être visible sur la face de l'araignée.Elle est normalement attachée en face arrière.
    Il est à savoir aussi que l'ingénieur-mécanicien ABADIE dont il a été question pour l'adduction d'eau à Toulouse et Mirepoix,était aussi horloger .Il est l'auteur de l'horloge du palais de justice de Toulouse ,conservée au musée Paul-Dupuis,dans ses réserves,et de celle de la cathédrale de Mirepoix visible dans la galerie d'exposition de celle-ci.
    Il serait peut-être intéressant de voir si la tour de Mirepoix ne garde pas encore ses machineries…

  7. Martine Rouche

    En réponse rapide à Jacques Gironce :
    > Hélas, il n'existe plus de machinerie dans la tour dite des clarifications. Elle fait  partie d'une propriété privée, depuis plusieurs années, et a été totalement réaménagée pour la rendre habitable. De même, les bassins de clarifications ne sont plus visibles, ils ont été " absorbés " dans les fondations de nouvelles habitations.
    > Effectivement, Jean Abadie, horloger, mécanicien, ingénieur, est l'auteur de l'horloge commandée pour le clocher en janvier 1831 par le maire de l'époque, Antoine Benoît Vigarosy.  Le même maire, Antoine Benoît Vigarosy, voulant se défaire de la " vieille horloge ", apparemment hors d'état de fonctionner ou même d'être réparée, tenta vainement de la vendre aux communes environnantes, qui n'en voulurent point : soit elles avaient déjà une horloge, soit elles n'avaient pas les moyens financiers. Selon le registre des délibérations du conseil municipal, séance du 29 janvier 1832,  " seule la commune de Vals paraît disposée à se charger de la vieille horloge que la Ville de Mirepoix est dans l'intention de vendre. "