Je vis… quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme, vêtu d’une longue robe, et ayant une ceinture d’or sur la poitrine. Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine blanche, comme de la neige; ses yeux étaient comme une flamme de feu ; ses pieds étaient semblables à de l’airain ardent, comme s’il eût été embrasé dans une fournaise ; et sa voix était comme le bruit de grandes eaux… Et son visage était comme le soleil lorsqu’il brille dans sa force. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sur moi sa main droite en disant : Ne crains point ! Je suis le premier et le dernier, et le vivant. J’étais mort ; et voici, je suis vivant aux siècles des siècles 1.
Celui qui ressemble à un fils d’homme et dont le visage est comme le soleil lorsqu’il brille dans sa force, apparaît au coeur d’une mandorle 2 sur la voûte de la petite église de Vals. C’est le Christ en gloire, celui de la Seconde Venue, annoncée par l’apôtre Jean dans le livre de l’Apocalypse.
Celui qui est, qui était, et qui vient, vient ici dans une obscure église de campagne, aménagée au Xème siècle dans un bloc rocheux au coeur duquel on s’introduit via une faille naturelle.
A demi engagée dans le rocher, l’église comporte, en surélévation, une nef construite au XIIème siècle, rehaussée par la suite, et une tour (XIIIème siècle), d’allure militaire, qui répond à un souci de fortification.
L’ensemble paraît forclos, voué au lourd sommeil du monolithe. Rien ici, dirait-on, ne peut venir.
Il faut gravir un premier escalier créé au pied du rocher, pousser la porte qui ouvre sur la faille naturelle, gravir d’autres degrés ménagés à l’intérieur de cette dernière, pousser une seconde porte, traverser la nef primitive, toute petite, enfouie dans la roche obscure, gravir encore d’autres degrés, accéder à l’abside, tourner son visage vers la voûte, et voir…
Voir, à Vals, exige à la fois plus et mieux que l’exercice du regard ordinaire. On ne peut pas de contenter ici de balayer d’un regard distant les restes morcelés d’une fresque romane qui, bien que rafraîchie par un long travail de restauration, a gravement souffert du passage des ans.
Voir, à Vals, c’est se laisser atteindre par le regard des archanges, par celui de Pierre, André, Philippe, Barthélémy, apôtres, et, plus étrangement encore, par cet autre regard qui se déploie en sept ocelles vives sur chacune des six ailes d’un chérubin ou encore sur celles des quatre Vivants, le lion, le boeuf, l’homme et l’aigle, désignés dans l’exégèse sous le nom de Tétramorphe et rapportés, de façon symbolique, aux quatre épisodes de l’histoire de la Révélation : la voix qui crie dans le désert, les sacrifices, l’Incarnation, le règne du Verbe.
Autour du trône, il y a quatre êtres vivants remplis d’yeux devant et derrière. Le premier être vivant est semblable à un lion, le second être vivant est semblable à un boeuf, le troisième être vivant a la face d’un homme, et le quatrième être vivant est semblable à un aigle qui vole. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes, et ils sont remplis d’yeux tout autour et au dedans. Ils ne cessent de dire jour et nuit : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout Puissant, qui était, qui est, et qui vient 3!
Fixe, intense, ce regard concentre sans mots l’objet de la question qui se pose à chacun de nous : « Et toi ? ». Porteurs de notre prière, formulée sur la petitio 4, le parchemin sur lequel s’écrit le texte de notre espérance, les anges constituent nos intercesseurs.
Il faut cette intercession préalable des anges, ce regard profond des apôtres, pour que, tournant notre regard vers le Christ en gloire, nous voyions, et par là entendions, une voix forte, comme le son d’une trompette, qui dit « Je suis l’alpha et l’oméga, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant » 5.
Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, dit Jean.
Le moderne visiteur ne tombera sans doute pas par terre. Mais les fresques de Vals ne peuvent délivrer véritablement leur sens que dans la mesure où, aidé certes par un bagage culturel préalable, le visiteur se prête au possible de l’expérience que le lieu augure, et au titre ou peut-être même au regard de laquelle le déploiement des figures a été conçu. Comme du rocher peut jaillir la source, du coeur de l’homme peut s’élever la petitio sous le couvert de laquelle il se souvient chaque fois de ce qu’il sait déjà. Le peintre illustre ici, de façon qui se veut destinée, aujourd’hui comme hier, à quiconque s’y prête, cette attente tendue de la créature que Paul, dans l’Epitre aux Romains, nomme apokaradokia tês ktiseôs :
J’estime que les souffrances du temps présent sont sans poids face à la gloire qui se révélera en nous. Car l’attente tendue de la créature aspire à la révélation des enfants de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité, non de son gré, mais par égard pour celui qui l’y a soumise, et dans l’espérance, parce que la création sera libérée de la servitude de la corruption pour la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Car nous savons que la création, à l’unisson, gémit et souffre les douleurs de l’enfantement jusqu’à maintenant ; et non seulement elle, mais nous qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous gémissons en nous-mêmes, en attente de l’adoption, de la rédemption de notre corps 6.
Le pan de fresque qui illustre une scène de l’enfance Jésus, témoigne de la réalité de ce qui vient et montre que la dite réalité est source de joie.
Ci-dessus, en haut, Marie, nouvelle accouchée, qui repose, radieuse, sous une couverture chamarrée ; plus bas, l’Enfant au bain ; à droite, un Roi Mage.
On attribue les fresques de Vals au Maître de Pedret, du nom d’une petite ville de Catalogne. Auteur des peintures murales de l’église San Quirce à Pedret ainsi que des églises de Santa Maria de Taüll et de Sant Climent de Taüll, peintures aujourd’hui déposées à Barcelone, au Museu Nacional d’Art de Catalunya, le Maître de Pedret a également réalisé au XIIème siècle en Ariège, outre les fresques de Vals, celles de la cathédrale de Saint-Lizier et celles de l’église Saint Pierre de Montgauch.
De gauche à droite : restes des peinture originelles demeurés sur place à l’église Sant Climent de Taüll ; détail de la fresque de Saint-Lizier ; vue des fresques de Montgauch.
La Biblioteca de Catalunya conserve, dans la collection Salvany, une photographie des Pintures murals d’estil romànic a l’interior de l’església de Pedret 7.
Le cliché date de 1918. Il permet de voir la fresque in situ, avant la déposition au musée de Barcelone. On reconnaît, malgré le flou, la posture hiératique des témoins de la Révélation, le regard intense, l’attente tendue.
Exposée au Musée de Barcelone, la copie de la fresque de l’Église Sant Climent de Taüll montre que le Christ en Gloire, dit aussi Christ Pantocrator, tient dans sa main gauche un livre ouvert, sur lequel on peut lire, encadrée par les signes Alpha et Omega, une phrase qui figure dans l’Evangile de Jean : EGO SUM LUX MUNDI, Je suis la lumière du monde. On peut supposer que le Christ Pantocrator peint à Vals tenait dans sa main gauche le même Livre. La fresque, à l’endroit supposé, se trouve hélas très endommagée.
De gauche à droite : Christ Pantocrator de la basilique Sainte Sophie, Constantinople, XIIème siècle ; Christ Pantocrator de l’église Sant Climent de Taüll, Catalogne, XIIème siècle.
Hiératisme de la posture et fixité du regard, qui concentrent l’intention signifiante sur le fait de la Révélation et par là interdisent tout effet de portrait, font du Maître de Pedret un héritier de l’art byzantin.
Ci-contre : le Christ en gloire. Relevé du motif central de la première travée de l’intrados de l’église de Vals 8.
Bien visible sur la main droite du Christ, la position des doigts a une signification théologique. La triangulation du pouce, de l’annulaire et de l’auriculaire symbolise la Trinité ; le parallélisme du majeur et de l’index, la nature double, divine et humaine, du Christ.
Le Maître de Pedret peint, à la façon des icônes, des « images anticipatrices, prospectives, prophétiques », dérivées de « la pensée en Dieu de ce qui sera » 9, i. e. contemporaines de la Révélation, et, à ce titre, consubstantielles à cette dernière. De telles images ne représentent pas l’histoire de la Révélation ; elles la font venir, en inspirant, non sur le mur, mais dans l’âme de qui se tourne vers elles, la vision de ce qui vient, laquelle est per se acte, ou petitio.
Fortes d’un « contenu théologique élaboré » 10, ces images s’adressent à ceux d’entre nous qui ont appris à marcher dans la forêt des symboles, ou requièrent, sous l’auspice des apôtres et des anges, l’intervention de quelque exégète. Elles relèvent en tout cas d’une apologétique complexe à laquelle les Modernes cessent bientôt d’avoir recours, comme en témoignent, les tableaux et gravures dédiés, entre autres, par Rembrandt (1629) ou Gustave Doré (1866) à la rencontre du Christ sur la route d’Emmaüs.
L’espace habité par la fresque trouve, à Vals, par la superposition des niveaux, le moyen d’une culmination aérienne qui prolonge et approfondit la vision transcrite par le Maître de Pedret.
Après avoir contemplé la fresque, on gravit les degrés qui conduisent à la nef supérieure, et là, empruntant un vieil escalier de bois, on accède à la terrasse, au sommet de la tour.
Sur le mur, une croix discoïdale, dite aussi croix celtique, d’origine et de signification inconnues.
On la trouve dans les églises romanes d’Ariège, en particulier à St Jean de Verges, Unac, Axiat, Montgauch 11.
L’air est vif. Le paysage, immense. Plaine, champs, villages, rivières, bois, collines. Au loin, dans le bleu, la chaîne des Pyrénées. Le vaste monde. Une sorte de résumé des merveilles de la Création. Autre vision ? Non, c’est la même, mais illustrée par la nature, en son état doucement naturé.
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