La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

C’était une maison rose – Retour sur le futur

Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel)…
1

Hier, à Pamiers, je remontais l'ancienne rue du Collège et ces vers me revenaient en mémoire. Ils datent de l'époque du baron Haussmann et de la transformation de Paris, – "Paris embelli, Paris agrandi, Paris assaini".

Je remontais l'ancienne rue du Collège, oui, car je n'ai pu m'empêcher de retourner sur le lieu de la destruction.  Je me ressouvenais de la chanson…

C'était un petit jardin
Avec une table et une chaise de jardin
Avec deux arbres, un pommier et un sapin
Au fond d'une cour à la Chaussée-d'Antin

Mais un jour près du jardin
Passa un homme qui au revers de son veston
Portait une fleur de béton…
2

Malte Laurids Brigge, alias Rainer Maria Rilke, s'installe un jour de septembre rue Troullier, à Paris. Il sort, il regarde : C'est donc ici que les gens viennent pour vivre ?

Il raconte : 

Voilà ce que j'ai vu.

Croira-t-on qu'il y ait de pareilles maisons ? […] Maisons ? Mais, pour être précis, c'étaient des maisons qui n'étaient plus là. Ce qu'il y avait, c'étaient les autres maisons, celles qui s'étaient appuyées contre les premières, les maisons voisines, […] le sol encombré de gravats et la paroi dénudée. Je ne sais pas si j'ai déjà dit que c'est de cette paroi que je parle. Ce n'était pas, à proprement parler, la première paroi des maisons subsistantes (comme on aurait pu le supposer), mais bien la dernière de celles qui n'étaient plus. On voyait sa face interne. […] J'ai dit, n'est-ce pas, qu'on avait démoli tous les murs à l'exception de ce dernier. C'est toujours de celui-ci que je parle. On va penser que je suis resté longtemps devant ; mais je jure que je me suis mis à courir aussitôt que je l'eus reconnu. Car le terrible, c'est que je l'ai reconnu. Tout ce qui est ici je le reconnais bien, et c'est pourquoi cela entre en moi aussitôt ; comme chez soi. 3

Je le cite, car on ne saurait dire mieux la terrible banalité de la destruction : "Tout ce qui est ici, je le reconnais bien…" "C'était ainsi, voilà tout", ajoute Malte Laurids Brigge. "L'important était que l'on vécût. Oui, c'était là l'important".

La terrible banalité de la destruction… D'aucuns disent que "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".

D'autres, comme Baudelaire, ont pour étrange destin de vivre dans l'invisible des choses dont ils se souviennent :  

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

D'autres encore, comme Ronsard, tranchent dans le vif : La matiere demeure, et la forme se perd. 4. 

La terrible banalité de la destruction… De cette terrible banalité-là, on ne sait pas si elle appartient au visage de la fin ou à celui du recommencement.

A lire aussi :

A Pamiers – C'était une maison rose…
Visite à la chapelle du Carmel de Pamiers

Notes:

  1. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LXXXIX, Le Cygne ↩︎

  2. On aura reconnu la chanson de Jacques Dutronc. Les paroles sont de Jacques Lanzmann. Elles datent de 1972. ↩︎

  3. Rainer Maria Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge, 1910 ↩︎

  4. Ronsard, Elégies, XXIII, Contre les bucherons de la forest de Gastine, 1560 ↩︎

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1 commentaire au sujet de « C’était une maison rose – Retour sur le futur »

  1. Anne-Marie Dambies

    Il n'y a pas une chanson….   Nino Ferrer?.. c'était une maison…?
    inanité des choses,  belle leçon d'humilité, tout passe, une maison n'est pas une oeuvre d'art, c'est une construction… débat?

  2. Martine Rouche

    J'étais certaine que tes pas te porteraient à nouveau vers cette maison …