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La triste histoire de Jean de Lévis Lomagne

Jean de Lévis, baron de Terride, seigneur de Roquefort, Tourtrol et autres petits fiefs, est le dernier des Lévis qui ait possédé et occupé à Mirepoix le château dit « de Terride », antique résidence de la lignée de seigneurs fondée en 1229 par Gui I. A partir de 1363, délaissant le château de Mirepoix, Roger Bernard I fait du château de Lagarde la nouvelle résidence des seigneurs de Lévis Mirepoix. Suite à divers partages, l’ancien château de Mirepoix devient, au fil de générations, la propriété d’Antoine de Lomagne, baron de Terride et de Gimonès. D’où le nom de « château de Terride », assigné à l’édifice ultérieurement.

En 1564, Jean de Lévis, vicomte de Montségur, plus tard seigneur de Mirepoix sous le nom de Jean VI, épouse Catherine Ursule de Lomagne, fille d’Antoine de Lomagne. En 1593, Antoine Guillaume de Lévis, deuxième fils de Jean VI et de Catherine Ursule de Lomagne, épouse Marguerite de Lomagne, sa cousine germaine. En guise de cadeau de mariage, Catherine Ursule donne à son fils la baronnie de Terride. Le don est assorti d’une clause stipulant que, conformément au testament d’Antoine de Lomagne, Antoine Guillaume de Lévis prendra « le nom et les armes de la maison de Lomagne Terride » 1. Suite à la mort prématurée (1603) de son frère aîné, Jean de Lévis, vicomte de Mirepoix, puis à la mort de son père Jean VI (1607), Antoine Guillaume de Lévis devient à son tour seigneur de Mirepoix. Révoquant alors les actes de la donation antérieure, Catherine Ursule de Lomagne donne la baronnie de Terride à un autre de ses fils, Jean, seigneur de Roquefort. Celui-ci prend le nom de Lévis Lomagne, baron de Terride. « Quand il n’est pas occupé à combattre dans les armées royales » 2, il vit, en compagnie de sa mère, au château de Mirepoix, dit désormais « château de Terride ».

Chaque fois que je vais me promener au bord de l’Hers et que je vois s’élever, sur l’autre rive, la haute silhouette du château de Terride, je songe à la triste histoire de Jean de Lévis Lomagne.Joseph-Laurent Olive la raconte, dans Mirepoix en Languedoc et sa seigneurie :

« Lorsqu’elle [Catherine Ursule de Lomagne] mourut en 1616, sa demoiselle de compagnie resta au service du baron et lui donna deux filles fort jolies et peu sages, qui se firent enlever, dans les premiers jours de novembre 1642, par François de Béon, seigneur de Cazeaux, en emportant du château des sommes d’or et d’argent, des bijoux… Le séducteur épousa clandestinement et incontinent l’aînée [Agnès], avec la connivence d’un chanoine. Le père bafoué envisagea d’abord de se marier à son tour avec une demoiselle Marguerite de Narbonne, ce qui ne fut pas du goût de François de Béon, et tout cela se concrétisa par un procès. Cependant, le jeune ménage vint s’installer en maître dans le château, commit toutes sortes d’excès contre les biens du malheureux baron, violentant même sa personne pour obtenir de lui une déclaration qui légitimerait ses enfants. Le vieillard impotent dut finalement céder sa place et se retirer à Mirepoix dans la maison de son valet de chambre ; mais la population, écoeurée de ces agissements et avec l’appui de Gaston Jean Baptiste de Lévis I, petit neveu de la victime, chassa du château le jeune ménage pour y ramener le baron de Terride. Celui-ci eut encore le temps de poursuivre force instances contre ses filles, puisqu’il ne mourut qu’en 1664, à l’âge de 96 ans, après avoir testé en faveur de son arrière-petit-neveu, Gaston Jean Baptiste de Lévis II » 3.

Sexe, argent, violence, huis-clos familial… L’histoire de Jean de Lévis Lomagne ferait un excellent scenario de film. Un film noir. Pervers comme un Chabrol. Riche et corrompu comme un Visconti. Le scenario souffrirait diverses lectures : un trio de Diaboliques, une machination élaborée, à la clarté des chandelles, dans le cadre ténébreux d’un château suspendu à flanc d’abîme ; un aristocrate imbu de sa supériorité, qui engrosse régulièrement sa demoiselle de compagnie, refuse de reconnaître ses deux bâtardes, et lègue finalement ses titres et biens à son seul arrière-petit neveu afin que les dits titres et biens reviennent exclusivement à ceux de son sang, bref un drame de l’orgueil nobiliaire, qui annoncerait la Révolution, la lutte des classes, ou la révolte des Bonnes ; une mère toute-puissante, un fils en mal d’Oedipe, des filles folles de leur corps, un mâle suborneur, bref un succédané de Théorème ; etc.

Une page du site Midi-Pyrénées.biz évoque brièvement l’histoire de Jean de Lévis Lomagne. Le style se distingue ici de celui de l’historien par un brin d’enrichissement romanesque. Le scénario d’un film que l’imagination se représente déjà, s’esquisse tout naturellement :

« La petite ville de Mirepoix fut à cette époque, secouée par la tragédie familiale de Jean de Lévis. Ce dernier était un cadet de Mirepoix, fils de Jean VI et de Catherine Ursule de Lomagne. Il hérita de sa mère la vicomté de Lomagne et la baronnie de Terride, qui donna son nom à l’antique château de Mirepoix. Il ne s’était pas marié et vivait avec sa mère, veuve, dans ce château. A la mort de cette dernière, il se mit en ménage avec Louise de Bertrandi qui avait été sa dame de compagnie. Il en avait eu deux filles, Agnès et Hippolyte, qu’il n’avait jamais voulu reconnaître. Ces dernières supportaient mal la situation. Une nuit de 1642, elles furent enlevées par François de Béon de Masses qui épousa secrètement l’aînée Agnès, bien évidemment consentante. Jean, furieux, s’opposa à ce mariage. La brouille était consommée.

Quelques années passèrent. Un jour de 1658, alors qu’il revenait en carrosse de Mirepoix, il vit ses filles sur le chemin. Elles le supplièrent tant qu’il céda et les autorisa à revenir s’installer au château de Terride. Mal lui en prit. Son gendre vint les rejoindre et il fut purement et simplement séquestré. Cette captivité dura deux ans. En 1660, malgré son grand âge (92 ans !), il s’enfuit nuitamment et alla se réfugier à Lagarde, chez son petit-neveu Gaston Jean Baptiste de Lévis. Sur l’intervention de ce dernier et des habitants de Mirepoix, il put regagner Terride. Toutefois, le conflit ne s’achèvera que par son décès ».

Ainsi finit, en 1664, la triste histoire de Jean de Lévis Lomagne. »A partir de la fin du dix-septième siècle », ajoute Joseph-Laurent Olive, « le château de Mirepoix ne sera plus entretenu comme forteresse ; il ne servira plus qu’au logement des gens de service et sera transformé en magasin » 4.

Le film des bizarres événements survenus entre 1616 et 1664 reste à imaginer ou à faire.

Aujourd’hui devenu une demeure privée, le château de Mirepoix, dit « de Terride », se visite, grâce à l’obligeance de son actuel propriétaire, lors de la Journée du Patrimoine. Publié le 25 septembre 2007 suite à la dernière visite, un article de La Dépêche rend compte du puissant intérêt et du charme que présente la découverte de ce lieu magnifique, si chargé d’histoire.

Mirepoix. Quand les pierres de Terride se mettent à parler

Notes:

  1. Joseph-Laurent Olive, Mirepoix en Languedoc et sa seigneurie, p. 115 ↩︎

  2. ibid. p. 124 ↩︎

  3. ibid. p. 124-125 ↩︎

  4. ibid. p. 125 ↩︎

Cette entrée a été publiée .
dans: Ariège, Lévis Mirepoix, Mirepoix.

1 commentaire au sujet de « La triste histoire de Jean de Lévis Lomagne »

  1. Martine Rouche

    Comme tu rends grâce au texte de Joseph-Laurent Olive! Cette triste histoire parle à l’imagination, et il est aisé d’imaginer ces chevauchées, nocturnes peut-être, sur la route de Mazerettes… Les temps étaient noirs, même pour les nobles!
    Quel bonheur de lire tes textes! Merci à toi!

  2. La dormeuse

    Merci de ce retour amical.
    Je suis allée hier me balader du côté du château. On a depuis la colline castrale une vue splendide sur la chaîne des Pyrénées.
    Mais déception, le sentier de randonnée GR7, qui annonce 8 km, se trouve interrompu au sommet de la colline, à gauche du château. Impossible d’aller plus loin. Je n’ai pas trouvé non plus la Croix de Terride, faute sans doute de mieux connaître les chemins. J’y reviendrai.

  3. Martine Rouche

    La « croix de Terride » est un petit mythe local. Il ne s’agit pas d’une croix, mais d’une clé de voûte, probablement détachée de la voûte de la chapelle du château de Terride, et qui fut longtemps considérée, à tort, comme une croix de chemin. Elle a réintégré la propriété.

  4. La dormeuse

    Voilà un mystère éclairci. C’est bien, quand une clé de voûte retrouve son lieu d’origine.

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