16 août 1294. À Mirepoix, franchise du transport des produits de l'agrier (sauf du raisin)
Après la catastrophe de 1289, Gui III de Lévis séjourne durablement à Mirepoix afin de veiller à l'installation de la nouvelle ville de Mirepoix sur la rive gauche de l'Hers. Il dispose d'un nouveau sénéchal pour l'aider dans son administration. Il s'agit du chevalier Guillaume de l'Estandard 1 († après 1300), seigneur de Bellegarde-du--Razès, Aude).
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Guillaume de l'Estandard est fils de Guillaume L’Estendart aîné, chevalier, seigneur de La Serpent (Aude) et de Bellegarde, qui a été déjà sénéchal de Gui Ier de Lévis, seigneur de Mirepoix, et qui descendait lui-même de Galeran de Beynes († après 1163), vassal de Simon de Montfort pour ses fiefs de Beynes (Yvelines), Plaisir, Flexanville et autres fiefs près d’Épernon et Gambais, en Normandie et Île-de-France. Armes : « D’argent, au lion de sable armé & onglé de gueules », puis « D’argent, au lion de sable à la queue fourchée. »
L'Estandart. Blason originel.
Guillaume de l'Estandard se trouve apparenté à Gui III de Lévis par Gallet de Beynes dit « L’Estendart », son oncle, puisque Gui ou Guillaume ou Guillaume Bernard de Beynes dit «L’Estendart», fils de Gallet, a épousé en 1235 Mabille de Marly, fille de Bouchard Ier († 1226), seigneur de Marly, lui-même père de Bouchard II de Marly († 1250), lui-même beau-père de Gui III, puisque Gui III de Lévis a épousé Isabelle de Marly, fille de Bouchard II de Marly. Guillaume de l'Estandard se trouve être de la sorte un neveu par alliance de Gui III.
Vue simplifiée de la parenté qu'entretiennent par alliance Guillaume de l'Estandard et Gui III de Lévis.
Dans la charte qu'il concède aux serfs de Mirepoix au nom de Gui III, Guillaume de L'Estandard tente de ménager tout à la fois les intérêts du seigneur et une certaine amélioration de la pénible condition dont souffrent ces serfs. Il formule d'ailleurs à l'endroit de ces derniers les mots d'une sorte de compassion retenue. D'où le caractère circonspect de son propos, qui se développe pour l'essentiel au décours méandreux d'une seule longue phrase, encombrée de remarques incises, de renvois et de redites.
Je n'ai pas voulu, dans ma traduction, couper cette longue phrase ; mais, pour faciliter la compréhension générale du propos, j'ai aéré ladite phrase en distinguant ses diverses propositions par effet de retour à la ligne après un point-virgule, retour annoncé chaque fois par des points de suspension en début de ligne.
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Bible, Troyes, abbaye Saint Loup, Assomption, ca 1185-1195, Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 0010.
L'an du Seigneur mille deux cent quatre-vingt quatorze, régnant Philippe roi des Français, lundi (die lune), lendemain de l'Assomption de la Sainte Vierge Marie, il se trouve ici annoncé à tous, présents et à venir, que moi, Guillaume de l'Estandard, homme d'armes, sénéchal du seigneur noble homme Gui de Lévis, seigneur de Mirepoix, soucieux de ménager les sentiments de bonne intelligence (gratia), d'amour et d'affection que les serfs (homines domini) du seigneur de la ville de Mirepoix entretiennent à l'endroit dudit seigneur comme à celui de ses prédécesseurs, soucieux aussi de ménager les profits appréciables et les services gratuits que ces serfs rendent au seigneur et ont rendu à ses prédécesseurs ; considérant par ailleurs la pauvreté de ces serfs, voulant faire acte de miséricorde à leur endroit, sensible à leur pauvreté, au nom et en lieu et place dudit seigneur, et en vertu d'un mandat spécial de ce dernier, je concède auxdits hommes de Mirepoix, présents et à venir, et toi, notaire ci-dessous, avalisant et recevant cette concession à leur place, franchise (francalicia) et liberté concernant les gerbes (parts de récolte revenant au seigneur) relatives aux blés (blada), donc au froment, à l'orge, au millet, au esshéné (blé germé ?) 2, aux fèves, aux pois, aux noix, au lin, et à toutes les autres céréales et légumineuses [et autres juglandacées], dont ils sont tenus de donner au seigneur et à ses successeurs une certaine part [dite agrier, ou champart] ; part donnée audit seigneur aux dépens de leurs propres terres et champs, lesquels champs et terres sont tous frappés d'arrentement 3 à Mirepoix ; part qu'ils doivent transporter sur l'aire du seigneur ;
Psautier cistercien, Moisson, ca 1260, Besançon, BM, ms. 0054.
... [moi, Guillaume de l'Estandard, homme d'armes, sénéchal du seigneur noble homme Gui de Lévis, seigneur de Mirepoix... je concède...franchise et liberté] du transport de ces gerbes (garbae) de froment, orge, millet, blé germé (esshéné), fèves, pois, noix, lin, et autres légumineuses et céréales, quel que soit le genre ou l'espèce dont elles relèvent dans cet arrentement ; et les serfs susdits ainsi que leurs héritiers et leurs successeurs, au nom dudit seigneur, je les absous et acquitte à perpétuité [du transport des gerbes, mentionné plus haut] ; de telle sorte, au demeurant, qu'ils ne seront plus tenus de transporter eux-mêmes leur part de l'agrier jusqu'à l'aire dudit seigneur ;
... en vertu toutefois de l'arrentement propre à la vendange des parcelles de vigne qui demeurent propriété exclusive du seigneur, ils auront toujours à transporter une part de cette vendange jusqu'au cellier dudit seigneur ou de ses successeurs, à Mirepoix, comme par le passé ;
Psautier cistercien, Vendange, ca 1260, Besançon, BM, ms. 0054.
... voulant et concédant que les règles (instrumenta) des prélèvements dont les serfs se trouvent passibles sur leurs terres, demeurent inchangées, sauf en ce qui concerne le susdit transport des gerbes, ce dont je les absous et acquitte, comme je l'ai déclaré plus haut ; et, bien que, en vertu de la permanence de ces règles, lesdits serfs aient été tenus jusqu'ici de transporter les gerbes de l'agrier jusqu'à l'aire dudit seigneur, je les en acquitte et absous, comme dit plus haut.
Et tout ce qui a été dit plus haut au bénéfice des serfs, je le concède par la grâce du seigneur , afin que les mêmes serfs, ou leurs héritiers ou leurs successeurs, n'aient pas matière ou occasion de quitter la terre dudit seigneur et de transférer leur domicile hors de sa juridiction à cause de la coutume qui les oblige au transport des gerbes susdites, coutume dont, d'après ce que l'on rapporte de leurs plaintes, ils ont été jusqu'alors si fortement accablés ; te concédant à toi, notaire ci-dessous, de pouvoir faire et refaire à propos des serfs mentionnés ci-dessus, deux ou plusieurs règlements.
Témoins de cet acte sont maître Guillelmus de Gozenchis [de Gouzens], juge du conseil de Mirepoix, Michael Marie, procurateur dudit seigneur de Mirepoix, maître Guillelmus Audivini, aîné, notaire de Mirepoix, et moi, Guillelmus Helie, notaire public de la ville et de la terre de Mirepoix, qui ai écrit cette charte et signé de mon seing.
Ceci est la transcription du document original faite par moi, Guilhemus Helie, notaire public de Mirepoix. 4
L'Estandard, L’Estendart, Lestandard, Lestendart, Etendard, Estendart, etc., la graphie demeure incertaine.↩︎ esshéné : s'agit-il de ce même blé germé dont on fait aujourd'hui le pain dit « essène », ou « essénien » ?↩︎ Arrentement : action de donner ou de prendre à rente.↩︎ Texte en latin, in Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, t. II, Toulouse, Imprimerie et librairie Edouard Privat, 1921, p. 27-28. Traduction Christine Belcikowski.↩︎