En 1273, Guy III de Lévis concède à la population de Mirepoix divers nouveaux privilèges

Rédigé par Belcikowski Aucun commentaire
Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

philippe_III_couronnement.jpg

Miniature figurant vers 1375-1380 le couronnement de Philippe III, dit le Hardi, fils de Louis IX, dit Saint Louis, le 15 août 1271 à la cathédrale de Reims ; in Grandes Chroniques de France, folio 307r.

Né en 1242, Gui III de Lévis, en 1273, est âgé de 31 ans. Il tient la seigneurie de Mirepoix de Gui II, son père, depuis 1261 au plus tard, mais il s'y est montré pour le moment peu présent, car pris ailleurs par la défense d'intérêts relatifs aux autres biens hérités de son père, puis par sa participation à la huitième Croisade à la suite de Louis IX, dont celui-ci le remercie en le nommant gouverneur du Languedoc. Pendant ce temps, il délègue au sénéchal de Carcassonne et à divers capitaines le soin d'administrer sa seigneurie de Mirepoix et d'y asseoir son pouvoir, qui est loin encore d'être effectivement reconnu par les habitants de la ville, comme en attestent les troubles mentionnés dans la charte ci-dessous, datée de 1273 et traduite du latin par mes soins. Dès 1272 toutefois, Gui III prend soin de valider à Mirepoix l'implantation des frères Cordeliers, initiée en 1216 ou 1217 par Gui Ier. Sans doute faut-il voir là un signe de ce qu'il commence à s'intéresser de plus près aux affaires de la cité.

gui3_postcard.jpg

Vue ici du profil gauche du gisant de Gui III de Lévis (1242-1299), relevé avant le milieu du XVIIIe siècle contre le mur nord du chœur de la chapelle de l'abbaye Notre-Dame de la Roche. Pierre. Hauteur : 2 mètres environ. Figure mutilée à la Révolution et très restaurée au plâtre (jambes, buste, tête). Traces de polychromie signalées au XIXe siècle. Photo Henri Deneux (1874-1969).

* * *

*

Cette charte de 1273 vient compléter celle de 1207 que Raimond Roger de Mirepoix et les nombreux autres coseigneurs la ville ont déjà accordée à ses habitants 1. De façon quasi théâtrale, elle ménage ses effets en deux actes qui se succèdent sur le mode du bâton et de la carotte. Le premier acte acte intéresse, sur le mode du bâton, les fauteurs de troubles qui empoisonnent la vie des habitants de Mirepoix en l'absence du seigneur. Le second acte promet auxdits habitants de Mirepoix, sur le mode de la carotte, l'attribution de privilèges nouveaux.

* * *

*

I. Premier acte. Mise au pas des fauteurs de troubles

Au nom de Dieu amen. L'année de l'Incarnation 1273, Philippe, roi des Francs régnant, parce qu'il y a un ennemi du genre humain qui sème la zizanie au moyen de la discorde, alors que la plupart des gens ont le souci de cultiver entre eux, comme il se doit, la bonne concorde, entre noble Gui de Lévis, seigneur de Mirepoix, et les habitants de Mirepoix s'est levée la volonté de discorde, et certains de ces derniers ont commis beaucoup d'exactions contre ledit seigneur, exactions à la suite desquelles les conseillers du seigneur ont engagé diverses enquêtes, comptant surtout par là intimider les fauteurs de troubles. Et afin de reconduire cette discorde à la bonne concorde, diverses transactions ont eu lieu, dans lesquelles sont intervenus, en tant que parties prenantes, le tout nouveau seigneur Gaufredus de Varans, homme d'armes, et le seigneur Raimundus de Rippa Alla, docteur en droit, et le représentant du seigneur de Mirepoix, Johannis de Cultura, homme d'armes, sénéchal de Carcassonne et de Béziers.

Ceux-ci ont décidé d'un commun accord que tous les habitants de Mirepoix soient appelés par la voix du crieur public à une seconde séance de débat, séance à laquelle participeront les trois parties susdites, et que cette séance se tiendra à Mirepoix dans la grange 2 dudit seigneur Gui, sachant que, dans le débat proposé, chacun pourra s'exprimer librement à l'endroit des volontés du seigneur, déjà connues au demeurant en tous points.

Et les habitants de Mirepoix ont formulé leurs doléances contre le seigneur Gui, non point exactement contre le seigneur lui-même, mais contre tous ceux qui, se disant missionnés par le seigneur et faisant entre eux front commun, se montrent menaçants ; usent de leur autorité propre pour se constituer en syndics alors même qu'ils n'en ont jamais demandé ni obtenu la licence auprès du dudit seigneur Gui ; ne respectent ni les ordres ni les interdictions du seigneur Gui ou de ses conseillers ; tiennent pour négligeables les préconisations, édits et peines édictés par ledit seigneur ou lesdits conseillers.

Ces hommes ont promis et garanti au seigneur Arnulphus de Bordis, homme d'armes, sénéchal du seigneur Gui, de rester fidèles et d'obéir sans jamais la trahir à la volonté que ledit seigneur Gui a pris soin de leur faire exposer à chacun, afin que cette volonté, de quelque façon qu'elle ait été exprimée, s'impose à eux, ou à tout autre qu'eux, avec l'autorité de la chose jugée, que nulle argutie juridique ne doit pouvoir remettre en question.

Et les mêmes [fauteurs de troubles] ayant dit renoncer à leurs abus précédents et promis notamment de quitter leur posture d'opposants, il a été acté et spécifié de façon expresse que, s'il arrive que certains de ces membres de la communauté [mirapicienne] transportent leur domicile en un autre lieu, le droit du seigneur Gui, conformément à sa volonté, continuera de s'appliquer à eux et à et leurs biens de façon en tous points inchangée, à la condition seulement que rien de ce qu'ils feront désormais, eux ou leurs émules, ne porte le moindre préjudice au droit dudit seigneur Gui. Dans le cas contraire, le seigneur Gui et ses conseillers pourront instruire contre eux, les poursuivre, les faire arrêter, emprisonner, accuser et condamner, comme si, à leur endroit et à celui de leur émules, rien auparavant n'avait été dit, ni fait, ni même envisagé contre eux. Et, mus par le souci de conserver tous leurs biens, tous et chacun desdits trublions ont promis de s'en tenir à tout ce qui est dit et écrit ci-dessus et de l'appliquer en tout, promesse faite au seigneur Arnulphus, qui l'a requise et reçue ici en son nom propre et au nom du seigneur Gui.

Actée a été cette promesse dans ladite grange [du seigneur Gui], en présence des témoins qui suivent, à savoir les seigneur Amalricus Milet, Bertrandus de Romengos, Girardus de Puiollis, Arnaudus de Lordato, et Iohannis de Ripparia, homme d'armes, et Maître Iohannis de Berga et Maître Isarnus Montanerii, et Raimund Rainaldi, clerc, et Tartarinus de Malorazio, et Petrus de Sarnayo, bayle de Mirepoix, et Bernardus Amati, notaire de Carcassonne. Et moi, Guillelmus Audivini, notaire de Mirepoix, juge, j'ai écrit et mis en forme cette charte, les mêmes jour et année que dessus.

* * *

*

II. Second acte. Concession de privilèges nouveaux

Ensuite, l'an du seigneur 1273, le neuvième jour de janvier, il a été annoncé à l'intention de tous les présents et de ceux qui leur succèderont dans le futur, que le noble seigneur Gui de Lévis, maréchal d'Albigeois et seigneur de Mirepoix, gracieusement et de sa libre volonté, en son propre nom et au nom de ses héritiers présents et futurs, donne et concède de façon perpétuelle au peuple et à la communauté des habitants de la ville de Mirepoix, présents et futurs, le droit d'avoir, tenir, posséder, et en jouir dans leur usage propre, sans aucune contestation de la part d'un noble ou de quelque autre personne liée à un noble, tous les privilèges qui suivent.

1. Le noble seigneur Gui donne et concède à la population et à la communauté des habitants de Mirepoix, et ce à perpétuité comme dit plus haut, les pâturages dont ils ont besoin, et le bois pour construire leurs propres maisons, fabriquer leurs outils, leurs cerceaux (circulos3, et tout le nécessaire, dans la mesure de ce qui leur sera assigné. Mais ils ne pourront ni donner, ni vendre rien de cette donation, ni prétendre à rien d'autre en sus de cette dernière.

2. Lesdits habitants pourront pêcher, comme au temps de leur père et grand-père, et collecter ainsi leur provende, sans causer de dommages aux paissières (paxeria]. Et ils pourront aussi chasser les lièvres, les blaireaux, les loups, en dehors des forêts, défenses 4 et garennes, et les perdrix avec des chiens, des oiseaux, des arcs et des balistes.

3. Concernant le point de droit qui dit que toute personne peut conserver ses propriétés, il va de soi que si cette personne se transporte dans un autre lieu, le seigneur Gui donne et concède que soit appliqué le statut des Appaméens. 5

4. Le seigneur Gui concède et donne qu'on n'impose pas ce qui est soumis une nouvelle fois au droit de lods. 6

5. Le seigneur Gui concède que personne ne pourra infliger aucune amende, sauf ceux qui en ont juridiquement le droit, comme le seigneur, son sénéchal, son conseiller, le bayle et autres tenant-lieu de ces derniers. Le seigneur concède aussi qu'aucune amende ne sera levée sans raison explicite ni par la menace, et qu'en matière de prononcé du droit, la quantité [d'explication] devra aider à la compréhension de la loi, même si la qualité [du prononcé] commanderait de faire autrement.

6. Le seigneur Gui concède que les propriétés qu'on veut vendre, ne seront pas retenues pour être vendues à d'autres personnes.

7. Le seigneur Gui concède que les habitants de Mirepoix éliront des représentants qui se présenteront au seigneur ou à son bayle, lesquels recevront leurs serments. Et ledit seigneur veut que lui, seigneur, ait la moitié du droit de ban, et les représentants de la communauté l'autre moitié, dans la mesure où traditionnellement, lui, seigneur, jouissait jusqu'ici de ce droit de ban. Et, si l'on doute de l'opportunité de cet autre droit de ban, qu'on porte à la connaissance du bayle et des juges du ban les règles du droit en question, à savoir que le seigneur ne peut ni vendre son droit de ban, ni partie même d'un tel droit.

8. Le seigneur Gui concède que juge, bayle, notaire, et auxiliaires du seigneur, non susceptibles de salaires annuels ni autres prestations, soient exemptés de toute levée d'impôt (collecta), mais non les autres, sauf s'ils peuvent justifier d'un autre droit d'exemption.

9. Le seigneur Gui concède que, en cas d'arrestation, on s'en tienne au droit et au régime du seigneur Roi.

10. Le seigneur Gui concède que, comme on se trouve juridiquement tenu de faire et refaire les ponts, édifier et restaurer les églises, les routes et les fontaines, il appartient à Iohannis Vasconis et à maître Raimundus Davi de le faire, en vertu du droit et aussi d'un accord contracté avec le seigneur.

11. Le seigneur Gui concède qu'on pourra élire des consuls. Ceux-ci devront se présenter au bayle du seigneur afin que ledit bayle reçoive leurs serments, et ce, en vertu des lettres publiées à cet effet, il y a longtemps déjà, par ledit seigneur.

12. Le seigneur Gui concède que nul n'aura le droit de ramasser de l'herbe dans les vignes, sans l'accord de leurs propriétaires.

Le susdit seigneur noble homme Gui de Lévis maintient de façon perpétuelle, lui et ses héritiers, tous les autres privilèges que le peuple susdit a proposés et réclamés, et s'impose à leur endroit un silence perpétuel.

Témoins de cet acte ont été le seigneur Gaufredus de Varanis, le seigneur Guillelmus de Arsicio, le seigneur Iohannes de Ripparia, le seigneur Guillelmus de Gornasio, le seigneur Bertrandus de Romengos, le seigneur Amalricus Milet, et le seigneur Iohannes, chapelain de Mirepoix ; et moi, Guillelmus Audivini, notaire public de Mirepoix qui, sur l'ordre dudit seigneur Gui, ai écrit cette charte, le même jour et année que dessus, en l'église de Mirepoix, en présence de la population, rassemblée là dans sa plus grande partie.

La transcription de ce document a été faite et déposée par moi, Guillelmus Helye, notaire public de la ville de Mirepoix, comme indiqué antérieurement. 7


  1. Cf. Christine Belcikowski, Charte des coutumes et des privilèges accordés aux habitants de Mirepoix en 1207.↩︎

  2. grangia : grange, au sens de bâtiment ou d'ensemble de grands bâtiments isolés, destiné à abriter une activité agricole ou industrielle, au profit d'une abbaye, d'un seigneur ou d'un riche propriétaire.↩︎

  3. Cerceau : bois courbé servant à divers usages ; joug employé pour porter les seaux d'eau ; cercle servant à maintenir les douves d'un tonneau, arceau entrant dans la confection d'un filet de pêche pour les écrevisses, arceau qui soutient les rideaux d'un berceau d'enfant, etc.↩︎

  4. Défenses : ouvrage d'art destiné à fortifier un lieu contre une attaque.↩︎

  5. Je n'ai rien trouvé jusqu'à maintenant concernant ce droit de propriété des Appaméens.↩︎

  6. Lods : paiement pour obtenir le consentement du seigneur à l'aliénation d'une tenure, droit de mutation.↩︎

  7. Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome II, Éditions Privat, Toulouse, 1921, pp. 14-17. Traduction Christine Belcikowski.↩︎

Écrire un commentaire

Quelle est le troisième caractère du mot kfnb9dqi ?

Fil RSS des commentaires de cet article