En 1267, compromis à Mirepoix concernant la vêture funéraire des femmes

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Jacopo Torriti, mosaïque de la Dormition de la Vierge Marie, 1296, basilique di Santa Maria in Cosmedin, Rome.

Le 22 janvier 1267, à Mirepoix — le premier Mirepoix situé au pied du château vieux, sur la rive droite de l'Hers —, à la fois sur le conseil et sous le contrôle de Guillelmus Audivini, de Sicardus Audivini et du juge Isarni, érigés ici tous trois en arbitres de l'affaire, Maître Johannis de Burgo, recteur de l'église du castrum, et Raimundus Batala, Petrus de Salviaco, et Arnaldus Fabri de Maseto, consuls dudit castrum, acquiescent finalement à un compromis qui doit régler une fois pour toutes l'épineuse question de la vêture funéraire dans laquelle doit être présenté le corps des femmes défuntes.

Le texte du compromis ci-dessous est rendu particulièrement difficile à traduire par le souci qu'entretient Guillelmus de Péris, son rapporteur, de dire les choses de la façon la plus exacte, la plus nuancée et la plus neutre possible, à propos d'une affaire qui a eu le temps de s'exacerber et dans laquelle il ne veut aucunement apparaître comme susceptible d'appartenir à l'une ou l'autre des deux parties qui s'affrontent. Guillelmus de Péris développe en conséquence un texte prudemment filandreux, en tout cas de style embarrassé, qui perd parfois la syntaxe en route à force de circonlocutions. Il faut parfois, pour le rendre lisible en français, soumettre ce texte à quelque analogue du rasoir d'Ockham. On me le pardonnera, j'espère.

On notera aussi que Maître Guillelmus Helye, notaire public de Mirepoix, copiste ultérieur dudit compromis, commet un anachronisme lorsqu'il qualifie d'Appamiensis (Appaméen) l'official 1 ou le vicaire ou l'évêque sous l'autorité desquels Maître Johannis de Burgo, recteur du castrum de Mirepoix, se trouve placé. L'évêché de Pamiers, en 1267, n'existe pas encore, et celui de Mirepoix, encore moins, puisque l'évêché de Pamiers ne sera créé qu'en 1295, et celui de Mirepoix qu'en 1317. L'anachronisme signalé ici indique que Maître Guillelmus Helye n'a réalisé qu'après 1295 sa copie du compromis de 1267.

En 1267, la paroisse de Mirepoix fait encore partie du grand évêché de Toulouse, et ledit grand évêché de Toulouse, de la province ecclésiastique de Narbonne. Maître Johannis de Burgo dépend donc de l'autorité de Raymond du Falga, ou du Fauga, nommé évêque de Toulouse en 1232, mort en 1270, dominicain animé par la haine des hérétiques et politiquement critiqué pour le caractère contre-productif de cette haine par Maurin Ier, l'archevêque de Narbonne, qui était par ailleurs l'ami et le protégé de Saint Louis.

Il y a sans doute quelque chose de la rigueur dominicaine de Raymond du Falga dans la fermeté avec laquelle Maître Johannis de Burgo exige à Mirepoix que les femmes défuntes soient ensevelies et se présentent devant Dieu vêtues de leur meilleur vêtement.

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Pol de Limbourg (ca 1387-1416), enlumineur de la Bible moralisée, fragment : Genèse à Isaïe, XXII, 16.

La question de la vêture funéraire des femmes fait effectivement débat entre Maître Johannis de Burgo, tenant de la stricte application du jus ecclesie (droit de l'Église) du XIIe siècle, et les consuls ainsi a fortiori que la population de Mirepoix, qui peine d'une part à fournir un vêtement que la défunte n'avait pas toujours, et qui regrette d'autre part d'avoir à sacrifier un vêtement que, compte tenu de la cherté générale des effets du temps, il eût mieux valu transmettre à une autre femme dont il eût amélioré le sort.

Le précepte apostolique, tel que formulé par saint Matthieu 2 ou par saint Paul 3, demande de « vêtir les nus » et d’« enterrer les morts », et il veut donc que le corps des défunts soit habillé d'un vêtement avant que d'être enveloppé dans le linceul. Maître Johannis de Burgo quant à lui, même s'il se distingue là d'autres liturgistes, a quelque raison de réclamer que, tout comme celui des hommes, le corps des femmes défuntes ne soit pas mis nu dans le linceul, mais habillé de son meilleur vêtement terrestre, puisque, comme le rappellera un peu plus tard Guillaume Durand, évêque de Mande, dans Duranti Rationale divinorum officiorum 4, « on ne doit pas ensevelir les fidèles chrétiens revêtus d’habits communs », mais parés d'un habit qui leur permette d'honorer Dieu en se présentant devant Lui sous l'aspect du meilleur de ce qui a fait leur identité terrestre, et ainsi, de contribuer au statut de leur âme après la mort.

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Adam et Ève chassés du paradis terrestre. Cf. Genèse 3:7-11 : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus... Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : — Où es-tu donc ? Il répondit : — J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. » Cf. aussi Isaïe 47:3 : « Ta nudité sera découverte, et ta honte sera vue. »

Mais qui ne voit que la raison théologique, et le souci sans doute aussi de la pudeur post mortem, se heurtent dans le Mirepoix de 1267 à des considérations économiques autrement prégnantes ?

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22 janvier 1267. Compromis à Mirepoix à propos de la vêture funéraire des femmes

Il convient de faire savoir à tous, ici présents ou à venir, qu’il s'est ouvert un débat ou une controverse fâcheuse entre Maître Johannis de Burgo, recteur de l’église de Mirepoix, d’une part, concernant, en termes de droit ecclésial, le vêtement qu’on nomme communément gardacors (vêtement de dessous) et tunica comme on veut, vêtement dont devraient être revêtues les femmes qu’on enterre ; et les consuls de ladite ville du castrum de Mirepoix, soit Raimundus Batala, Petrus de Salviaco, et Arnaldus Fabri de Maseto, parlant ici en leur propre nom et en celui de la communauté, d’autre part, et assertant un avis contraire [à celui de Maître Johannis de Burgo].

Il s’ensuit que, pour la bonne paix et la concorde, à l’intention de chacune des parties en présence ou futures, on a délégué à Guillelmus Audivini, et au juge Isarni, et à Sicardus Audivini, le soin d’exercer en amis la fonction d’arbitres et de conciliateurs, et d’arriver ainsi à un compromis concernant la question ou la controverse susdite, ou encore toute autre question ou controverse annexe, qui pourrait survenir encore à propos du vêtement dont il convient d’habiller les femmes défuntes.

Ainsi, il est clair que, quels qu’aient été les avis desdits arbitres concernant la dispute et la controverse susdites, qu’il se soit agi d’avis concordants, d’avis partagés pour moitié, ou d’avis totalement discordants, ces arbitres ont dit, jugé, ordonné ou décrété que, s'exprimant au nom de la loi ou pas ; tous ensemble, ou les uns debout et les autres assis ; sans considération de l’heure, du lieu, du jour ; de façon écrite ou pas ; les parties étant présentes, ou l’une d’entre elles ne l'étant pas ; ces mêmes parties ont eu à promettre ce qui suit : ledit recteur, pour lui et pour tous ses successeurs, et lesdits consuls, pour eux et pour toute la communauté de la ville, présente et future, se soumettront de façon perpétuelle et jamais ne contreviendront en rien, sous peine d'une amende de dix livres tournois — par effet d'obligation et de promesse solennelle, devant être donnée et respectée et par la partie favorable et par la partie adverse — à la sentence ou à l'ordonnance promulguée par lesdits arbitres à propos de la dispute ou de la controverse mentionnée ci-dessus. Il se trouve acté ici de façon expresse que, concernant l'amende à exiger et à faire payer, la sentence ou l'ordonnance desdits arbitres devra avoir la fermeté du cœur de chêne.

Ledit recteur a promis en outre qu'il se préoccupera de faire en sorte que son supérieur, le seigneur évêque ou son vicaire ou son official appaméen manifeste son adhésion au compromis établi ci-dessus ; qu'il garantisse de son autorité l'arbitrage qui s'en est suivi ; et qu'il ratifie le tout avec des lettres patentes marquées de son sceau ou du sceau de quelqu'un d'autre des siens, afin de promouvoir dans le cadre de cette affaire un règlement perpétuel.

Par l'autorité du susdit compromis, tous les arbitres nommés plus haut, après avoir délibéré en assemblée, désireux d'imposer à cette controverse sa fin nécessaire, et animés par la volonté de ramener la concorde entre les deux parties, ont tranché de la question comme suit.

Disant et statuant que ledit recteur et tous ses successeurs en l'église susdite auront perpétuellement — sans se heurter à aucune contestation, en paix — le droit de réclamer de tous les héritiers ou successeurs, ou encore de toute autre personne tenant le bien d'une femme décédée dans la paroisse, tel ou tel des vêtements qui suivent.

● D'évidence, le recteur prendre la meilleure tunique, si la défunte en avait deux ou plusieurs.
● Si la défunte n'avait pas même une tunique ni plusieurs, mais un brizaudus (bliaut) et une pelicia (pelisse, manteau), le recteur prendra la meilleure pièce des deux.
● Si la défunte n'avait pas et bliaut et pelisse, le recteur prendra ce qu'elle avait, ou bien le bliaut, ou bien le manteau.
● Si la défunte n'avait aucun des vêtements susdits, mais seulement un gardacors, le recteur le prendra ; et si la femme en avait plusieurs, il prendra le meilleur d'entre eux.
● Si la défunte avait les vêtements susdits, soit tunique, ou brizaudus ou pelicia, ou autre, mais de type si vil que le port de tels effets n'aurait pas fait honneur à des voisins soucieux de manifester dans leur vie de tous les jours rang social et niveau de richesse, alors le recteur et ses successeurs réclameront un gardacors ou deux solidos (sols) toulousains, au choix des héritiers de la défunte ou de ses successeurs.
● Si vraiment la femme n'avait que des habits vils, et pas de gardacors, le recteur prendra le meilleur des habits dont il a été dit que le port ne ferait honneur à aucun voisin.
● Et si la défunte avait un brizaudus ou plusieurs, une tunica ou plusieurs, ou encore une pelicia ou plusieurs, le recteur prendra le meilleur de tous ces effets.

De plus, les arbitres nommés plus haut ont demandé à Maître Johannis qu'il ait en sa possession et qu'il montre les lettres de confirmation. Et ils ont demandé aussi aux deux parties qu'elles s'en tiennent perpétuellement au susdit compromis et l'observent sans jamais y contrevenir, en vertu de la fermeté d'un tel compromis, et au regard aussi de la peine d'amende prévue dans ce compromis.

Les mêmes arbitres ont arrêté enfin que si quelque chose de ce qui a été dit plus haut pouvait paraître obscur ou douteux encoree aux parties concernées, cela pourrait leur être éclairci et expliqué, en quelque lieu que ce soit et autant de fois que cela semblera nécessaire.

Tout ce qui a été dit, réglé et décrété plus haut, le recteur et les consuls l'ont approuvé à voix haute, promettant de ne pas y contrevenir, ni par eux-mêmes ni par le truchement d'autres personnes, de façon mutuelle et réciproque.

Ce compromis a été acté aux onzièmes calendes de février, dans l'année mille deux cent soixante sept de l'Incarnation, régnant le roi Louis. Témoins en oont été Maître Bernardus Raimundi, prêtre, Maître Raimundus Gamicii, prêtre, Maître Guillelmus Cerdani, prêtre, Vitalis de Turre, prêtre, Petrus Salvati, clerc, Raimundus Fabri, ferronnier, Guillelmus Martini, marchand, Arnaldus de Corneliano. Et moi, Guillelmus de Péris, notaire public du Seigneur Maréchal qui, mandé à cette fin par lesdits arbitres, ai écrit la présente charte. Et moi, Guillelmus Audivini, j'ai signé.

La transcription du document ci-dessus a été faite dans le cartulaire par moi, Guillelmus Helye, notaire public de Mirepoix, afin que ce document puisse continuer de valoir par la suite. 5


  1. Official : juge ecclésiastique délégué par un évêque, dont la juridiction, ou l'officialité, s'étend sur un diocèse.↩︎

  2. Évangile de Mathieu, 22, 8-14 : « Le roi dit à ses serviteurs : “Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.” Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives. Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce. Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.” Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »↩︎

  3. Saint Paul, Deuxième épitre aux Corinthiens, 2-5 : « En effet, actuellement nous gémissons dans l’ardent désir de revêtir notre demeure céleste par-dessus l’autre, si toutefois le Seigneur ne doit pas nous trouver dévêtus mais vêtus de notre corps. En effet, nous qui sommes dans cette tente, notre corps, nous sommes accablés et nous gémissons, car nous ne voudrions pas nous dévêtir, mais revêtir un vêtement par-dessus l’autre, pour que notre être mortel soit absorbé par la vie. » Cf. sur le sujet, Cécile Treffort, Du mort vêtu à la nudité eschatologique. XIIe-XIIIe siècles, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2001, pp. 351-363.↩︎

  4. Guillaume Durand (ca 1230-1296), évêque de Mende, Duranti Rationale divinorum offîciorum (Rational des divins offices), 1286, traduction Charles Barthélémy, Paris, Louis Vivès, 1854, p. 113 : « On ne doit point revêtir les morts d’habits communs, comme on fait en Italie ; et, comme quelques-uns le disent, on doit leur chausser les jambes et leur mettre aux pieds des chaussures (sotulares), pour désigner par là qu’ils sont prêts à paraître au jugement. »↩︎

  5. Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome II, Éditions Privat, Toulouse, 1921, pp. 11-13. Traduction Christine Belcikowski.↩︎

1 commentaire

#1  - Jacques Gironce a dit :

En Mathieu 22, 8-14, Il faut comprendre le sens second de ce texte déroutant: Le vêtement de noce symbolise la manière ordonnée par Dieu; i.e. la robe de justice fournie par le roi lui-même, selon la pratique des invitations juives de l'époque . L'homme en question avait pensé que ses propres habits feraient l'affaire. Il représente ceux qui s'imaginent être reçus devant Dieu avec leur propre justice. Ils vont à l'église, mais ne reçoivent pas Dieu comme leur sauveur. Ainsi se mettent-ils eux-mêmes "hors jeu".
En 2 Corinthiens 5, 2-5, il s'agit aussi du sens second, on l'aura compris: mourir sans mourir à la vie avec Dieu.
On remarque, par ailleurs les coutumes rapaces des clercs de l'époque. Drôle de loi... pratiquée selon le système en vigueur, où le clergé se croit tout permis, déconnecté des réalités vécues par les ouailles. Heureusement, les ouailles ne moutonnent plus !

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