Auguste Labouisse-Rochefort et la Société philotechnique de Castelnaudary. 3. Une figure oubliée. De 1796 à 1802
« Avant mon départ, j'allai embrasser mon père et ma mère, qui ne m’épargnèrent pas les remontrances. Ils m’exhortèrent à prier Dieu pour mon oncle, à vivre en honnête homme, à ne me point engager dans de mauvaises affaires, et sur toutes choses à ne pas prendre le bien d'autrui. Après qu'ils m'eurent très longtemps harangué, ils me firent présent de leur bénédiction, qui était le seul bien que j'attendais d'eux. Aussitôt je montai sur ma mule, et sortis de la ville... »
Alain René Lesage (1668-1747), Histoire de Gil Blas de Santillane, vignette par Jean Gigoux, Paris, Paulin, 1835, p. 30. À la différence de Gil Blas, Jean Pierre Jacques Auguste de La Bouisse n'avait plus son père quand il se prend à rêver de « s'arranger en secret un havresac, contenant un peu de linge, d'emporter quelque argent et d'aller furtivement à pied, lancer sa mystérieuse existence dans les dangereux sentiers... »
En janvier 1796, libéré de sa prison apaméenne, Jean Pierre Jacques Auguste de La Bouisse coule à nouveau des jours plutôt sages auprès de sa famille maternelle, à Montréal. Âgé alors de 18 ans, sorti trop tôt, par la force des choses, de l'École royale et militaire de Sorèze, le jeune homme ne voit se profiler devant lui, pour le moment, aucun avenir, sinon celui de continuer à lire et à écrire beaucoup. Quoi faire, au demeurant, quand, après le passage de la tornade révolutionnaire, on se découvre, comme tant d'autres de sa génération et de sa condition, né trop tard dans un monde trop vieux ?
C'est alors que, hors du champ de ses lectures habituelles, dédiées le plus souvent à la poésie, le jeune homme tombe sur l'Histoire de Gil Blas de Santillane, roman à succès, d'inspiration picaresque, publié entre 1715 et 1735 par Alain René Lesage.
Frontispice de l'Histoire de Gil Blas de Santillane, Amsterdam, Meynard Uytwerf, 1747.
« Je viens de finir la plus intéressante des lectures, Gilblas de Santillane ! — !… Ô Lesage ! romancier incomparable ! quel prodigieux esprit ! quel vaste génie ! quel profond observateur ! quel habile écrivain ! — Il me semble que j’ai aujourd’hui dix ans de plus que je n’avais il y a trois jours.
Je n’ai mis que trois jours à le lire, à le savourer, à le dévorer ! Je marchais de plaisir en plaisir, de surprise en surprise !... Jeté tout à coup dans le tourbillon d’un monde que je connaissais à peine ; voilà que je l'ai traversé, que je l'ai observé, que je l'ai vu sans masque et sans détour. Je ne soupçonnais presque pas qu'il fût ainsi. Ma confiante jeunesse le rêvait tout autrement. Je le croyais moins frivole, moins avide, moins intéressé, moins fourbe, moins indifférent, moins méchant ; et cependant nous vivons à une époque où, en peu d'heures, on double son expérience. Epoque de vices et de forfaits, combien, depuis près de quatre ans, ma vie n’a-t-elle pas été semée de persécutions, de tribulations et de traverses ! que de dangers et de pièges !...
Sorti du collège militaire de Sorèze à l'âge de 13 ans, bercé de fallacieuses chimères, ce monde bizarre, cauteleux et pervers, que Gilblas, dans sa brillante lanterne magique, m'a fait voir dans son hideux naturel, m'était apparu beau d'illusions, d’espérance et de bonheur. Mais déjà, quel mécompte j'avais recueilli dans ma quinzième année ! plongé dans les cachots du terrorisme, proscrit, condamné à être transporté à Nantes, pour être enseveli dans les flots de la Loire... Je rêvais cependant, et même, je ne sais par quelle fascination, il me semble encore que ce monde doit être rempli d’agréments et de charmes.
De charmes !!!... imprudent ! oublies-tu donc les déceptions, les mensonges, les inconstances, les perversités, la trahison dont ce monde prestigieux, trompeur et funeste, vient d’être convaincu dans ces pages brillantes.... ? Et t'y précipitant, n’y trouveras-tu pas des flatteurs comme la parasite de Pennaflor, qui souperait sans scrupule à tes dépens et se moquerait de ta crédule ingénuité ? N'y rencontreras-tu pas des traîtres, des ingrats, des escrocs, des fripons, des méchants de toute sorte ?....
Je l'avoue en soupirant, cela est vrai, très vrai, trop vrai !... Pourquoi faut-il que, malgré cette intime conviction, il m'ait passé par la tête, en le lisant, une tentation, un désir, une folie, ou, pour mieux dire, un enfantillage ?... Pour l'expier, il faut que je charge mes Souvenirs de cette confession.
Toutes ces aventures folles, singulières, variées de Gilblas, m'inspiraient la pensée d'aller hardiment essayer des agitations et des caprices d'une pareille vie. Je voulais m'arranger en secret un havresac, contenant un peu de linge, emporter quelque argent et aller furtivement à pied, lancer ma mystérieuse existence dans les dangereux sentiers de ce dédale séduisant. Je m'y voyais laquais de quelque jeune parisienne ; plus tard, secrétaire favori de quelque ministre ou de quelque ....directeur 1. Je prétendais essayer de tout [...]. Oui, c'était là mon songe, mon ambition, ma marotte, mon dada. Je l'ai laissé galoper pendant trois jours....
Je n'avais pas eu la prévoyance de penser que, sous les lois de notre aimable liberté, on n'était libre de rien ; qu'à chaque pas ma jeunesse me trahirait ; que mon incognito serait un crime ; qu'on me prendrait pour un émigré ou pour un suspect ; qu'il me faudrait un passeport ; que la défiance et l'espionnage m'entoureraient ; que, dans aucune maison, on ne m'accepterait sans une caution, qui répondît de mes sentiments et de ma probité. Je ne voyais que la joie de mon départ, que le plaisir de voyager, que le piquant d'entasser aventures sur aventures. Je bâtissais beaucoup de châteaux en Espagne...
... lorsqu'une pensée soudaine vint me retenir. J'ai songé à tout le désespoir que cette insensée escapade allait faire éprouver à mon excellente mère. Elle m'aime si tendrement, si exclusivement!..... une lettre d'adieu l'aurait-elle consolée de la blessure que j'allais faire étourdiment à son cœur maternel ?..... il aurait longtemps saigné.....le mien en a été attendri, et je suis resté. Le sacrifice est fait ; car cela m'a paru d'abord un sacrifice. Peut-être mes lecteurs l'appelleront une étrange lubie. Quelque nom qu'ils lui donnent, j'ai dit la chose sans feinte, et j'y renonce.
GILBLAS, folâtre GILBLAS, qui trop souvent laissais un peu endormir ta morale, quoique tu aimasses les raisonnements d'honnête homme ; GILBLAS, va courir sans moi de ville en ville. Tes erreurs, tes actrices, tes bonnes fortunes ne me séduisent plus ; je reste. Mais je n'oublierai jamais que tu m'as amusé, diverti, éclairé, et je te relirai souvent. » 2
Silhouette du publiciste, telle que figurée sur la couverture du Gil-Blas, journal quotidien littéraire politique des années 1873-1883.
Le papier, la plume, l'écriture, l'entrée dans la jungle des lettres, voilà, sans qu'il l'ait pleinement délibéré déjà, le type d'aventure à laquelle sa passion destine le jeune Jean Pierre Jacques Auguste de La Bouisse...
En avril 1796, Auguste de La Bouisse, qui s'adonne plus que jamais à sa passion de la lecture et de l'écriture, rapporte comment celle-ci lui vaut les remontrances et l'intervention de sa mère.
« J'ai déjà dit combien j'aimais à m'occuper et à m'instruire. Dès l'âge le plus tendre, l'étude était ma passion, mon unique passion. Au collége de Sorèze, au lieu d'aller me récréer avec mes camarades à jouer aux boules ou à faire tourner sans profit une docile toupie, je préférais lire quelques pièces de Corneille ou de Racine, quelques pensées de Pascal ou quelques chapitres de Montaigne ; mes professeurs me les prêtaient en contrebande. Ce goût-là m'a conduit à veiller outre-mesure, voulant accroître mon existence et mon instruction de toutes les heures que je vole au sommeil. Ma mère s'en est aperçue. Il était trois heures du matin ; je lisais encore, suivant mon usage, et j'allais me relever, pour écrire des réflexions, que ma lecture m'avait inspirées, lorsque ma mère entra dans ma chambre comme un revenant à la robe blanche : « Auguste, me dit-elle avec bonté, tu te gâtes la vue, tu détruis ta santé, je ne veux pas que tu veilles si tard ; et crac... l'éteignoir fit à l'instant disparaître la lumière. Que faire ?... force m'était de rester couché et de chercher à m'endormir. »
Odilon Redon, Nocturne, avant 1890, Musée d'Orsay.
« Mais non j'étais en train, mes idées fermentaient,il me fallait les écrire. Je m'aperçois que la lune brille sur l'horizon ; ses pâles rayons pénétraient à travers le petit jour de mes contrevents. Quoique nous soyons au milieu du printemps, les nuits sont plus que fraîches. N'importe, je quitte en chemise ma couche rêveuse, je vais ouvrir ma croisée et je m'installe, écrivant debout sur la pierre de taille, comme si j'eusse été commodément assis dans mon fauteuil. Lorsque j'ai eu fini, je me suis aperçu qu'un zéphir assez âpre soufflait autour de moi, et s'il est vrai que l'aimable déesse des fleurs soit amoureuse dudit zéphir et lui prodigue à l'instant même tous ses charmes, brillantés de mille couleurs, il faut qu'il ait eu des moments plus brûlants et plus séduisants, puisqu'il est parvenu à l'enflammer. Il n'a point produit le même effet sur moi ; au contraire, j'étais transi en revenant au lit ; je grelottais ;
Mais le mol édredon et la laine flexible,
Ont bientôt réchauffé mon corps tendre et sensible,
et j'ai dormi d'un bon sommeil jusqu'à huit heures. Ordinairement, je ne me lève pas si tard. Voilà pourtant jusqu'où nous conduit le désir de savoir ; il m'exposait à gagner un gros rhume. Ce désir-là est vraiment une forte passion ; heureusement qu'elle est noble et pure ! » 3
Outre que sa mère s'inquiète pour sa santé, ses proches et autres blâment le jeune homme de s'adonner à une passion qui ne saurait, d'après eux, lui permettre d'atteindre à une situation digne de ce nom. Auguste de Labouisse commence à étouffer dans le climat étriqué de la petite ville.
Montréal-de-l'Aude circa 1900.
Le goût de lire et d'écrire « est vraiment une forte passion ; heureusement qu'elle est noble et pure ! Comment se fait-il que de jaloux compatriotes fassent tout ce qu'ils peuvent pour la contrarier ? Quoiqu'ils n'aient rien à y voir, ils la blâment sans cesse, donnant à mes parents des conseils qui me sont très préjudiciables. Y a-t-il rien de plus ridicule que d'être homme de lettres ? disait naguère à ma tante la vieille Mme D ..., qui ne sait que jouer au piquet. J'étais présent, de sorte que je répondis avec aigreur, malgré ma galanterie ordinaire : « Oui , je sais quelque chose de plus ridicule encore, ce sont les sots propos des ignorants, qui affectent de dédaigner ce qu'ils ne conçoivent pas ». La repartie était vive ; ma tante, qui est toute bonne, était sur les épines. J'avais tort peut-être,j'en conviens ; j'ai quelquefois des brusqueries qui font contraste avec la douceur habituelle de mon caractère. Qu'aurait-elle éprouvé, si j'avais ajouté : — Je ne m'en affecte point : leur dédain n'est digne que de mépris. Je ne m'en abstins que par égard pour ma tante, et cette phrase incisive me resta dans le gosier. »
Détail de la couverture de L'Arbitre du Joueur de Piquet de Goyer Lavalette, Paris, s.d.
« C'est avec chagrin que je le remarque ; mais il n'est que trop juste de s'écrier : Que de petitesses dans les petites villes !comme on y est bassement jaloux de tout mérite qui parvient à se faire distinguer ! À l'instant tous les amours-propres semblent se mettre sous les armes pour le repousser. Quelque modestie qui l'accompagne, on a l'air de le prendre pour un superbe tyran, qui voudrait tout dominer, tout envahir, tout asservir. On ne lui passe rien, on ne lui pardonne rien... Oh ! qu'il aurait plus beau jeu, s'il n'était que médiocre, flatteur et Philinte 4 !... Mais de l'esprit, de la franchise et du talent !... Quelle imprudence et quelle horreur !... » 5
« De l'esprit, de la franchise et du talent !... » Gonflé déjà, comme on voit, de la certitude qu'il dispose des armes nécessaires pour faire foin de toute pusillanimité et pour rompre en visière avec la médiocrité provinciale, Auguste de Labouisse entend aiguiser en société et dans ses écrits une voix et une plume désormais critiques, librement critiques. « J'attaque l'erreur partout où je la rencontre, et de quelque part qu'elle vienne » 6, déclare-t-il ainsi. On lui trouve par suite une étonnante « roideur » pour son âge.
M. de S..., philosophe aimable, d'un esprit facile et complaisant [un Philinte !], me disait : Je remarque, M. de L....., que vous êtes d'une roideur de principes bien étrangère à votre âge ; on ne vous voit jamais changer, ni fléchir. Cela vient, lui ai-je répondu, de ce que j'ai une sorte d'instinct du bon et du juste ; j'ai beaucoup réfléchi sur les bases de ma conduite, quand j'ai adopté pour devise : Devoir et vérité. Je me tais souvent par respect, surtout devant les vieillards ; mais quand il s'agit de manifester mes opinions politiques, comme elles sont la conséquence de mes principes, je ne transige jamais et je me prononce toujours sans détour et sans crainte » 7. À preuve, le tranchant des notes qu'il recueille, et enrichit probablement avec le recul, dans Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires.
Le jeune Auguste de Labouisse, qui vit alors à 700 km de Paris, fait montre dans ces notes d'une étonnante connaissance de ce qui se passe dans la capitale. On devine qu'il tire cette connaissance de la presse, dont il est, là encore, un lecteur passionné. Et l'on remarque qu'il lit sans exclusive, non seulement les feuilles imprimées sous le manteau auxquelles vont ses sympathies politiques, mais aussi et surtout les journaux dont il exècre l'idéologie, tels le Journal de Toulouse, l'Observateur républicain, plus connu alors sous le nom de L'Anti-royaliste 8.
Journal de Toulouse, l'Observateur républicain, ou l'Anti-Royaliste, 11 janvier 1797, BnF, RetroNews.
Auguste de Labouisse accuse L'Anti-Royaliste de se livrer à des pratiques éditoriales scandaleuses, calomnies, diffamations, dénonciations, afin de mieux discréditer d'« honnêtes gens », qui, nommément qualifiés de « royalistes », seraient tous des imbéciles, des pourris ou des vendus.
« L'Anti-Royaliste qui ne veut point qu'on se permette jamais des personnalités, ne cesse de vomir des injures contre les honnêtes gens qu'il calomnie et nomme toujours, en très grand nombre ; il ne cesse de dénoncer les prêtres réfractaires qu'il peut découvrir, de les traquer, d'indiquer l'hospitalier asile qui les cache, en les nommant aux sicaires chargés de les poursuivre, de les arrêter, de les persécuter. Dans sa feuille du 22 vendémiaire (13 octobre), il va plus loin encore en fait de licence, et cet exemple est bon à citer ; il va jusqu'à publier les fautes de la vie intérieure d'une dame ; s'il ne ment point, comme cela est probable. Ainsi il publie ce qui ne devait point être publié, ce qui ne peut et ne doit être justiciable que de Dieu. Voici cet ignoble et infâme article... »
« Alet (Aude), 15 vendémiaire. « Le fameux M...l s'achemine vers Paris ; il va se consulter sans doute avec les Cadroy, les Isnar, les Laurence, pour perdre entièrement le Midi par leurs calomnies et leurs intrigues. Pourquoi M. M...l n'enrégimente-t-il pas tous les royalistes de Limoux, de Couiza, de Quillan et de tout le pays de Sault ? Il faut avouer que ces intrigants ont leurs vues très étroites, car s'ils s'associaient MM. Vidalat, dans l'Arriége ; Janole, dans la Haute -Garonne ; Saint-Gervais, de Limoux ; Préprals et Saurine, de Couiza ; Loubet et Cler, de Quillan : certes, ce serait un peu conséquent, et l'on pourrait dire que, comme les loups suivent les armées pour en dévorer les cadavres, de même Paris offre aux royalistes les appâts sinistres d'une contre-révolution complète, où il sera aisé de piller. [Note infra-paginale d'Auguste de Labouisse : « Ce ne sont pas les royalistes qui pillent ; les honnêtes gens sont pillés et ne pillent pas »].
Ce qui a déterminé M. M...l à partir pour Paris, c'est en apparence, un mécontentement de la part de sa femme, qui, dit-on,lui préfère un bon ami, appelé M ...n, garde-magasin des vivres. Fâché de cette conduite, ou cherchant un prétexte pour avoir de l'argent, il prend une trique, il en donne à sa femme, à son beau-père et à l'amant ... ... ... ; il ouvre les armoires, emporte l'argent et part. Mais M. M..l. pourrait bien se passer de cet argent, lui qui sait si bien agioter et vendre ses souplesses au royalisme. Ce n'est pas être fin que de déployer ses moyens au profit de ceux qui doivent le payer.
Et toi, journaliste probe [Pierre Dardenne, plume de L'Anti-Royaliste], fais connaître au gouvernement les hommes qui le circontourent, afin de prévenir sa dissolution
Quelle méchanceté ! Quelles basses détractions et quel ignoble langage !... », observe là Auguste de Labouisse. 9
C'est donc à la lumière et à l'encontre tout à la fois d'une telle presse que le jeune Auguste de Labouisse commente dans ses notes l'actualité politique et culturelle parisienne, qu'il fustige l'action du Directoire, les mœurs corrompues de plusieurs des Directeurs, qu'il dénonce l'injustice du sort fait toujours et encore aux émigrés et aux prêtres, qu'il déplore la misère dans laquelle croupit toujours et encore le peuple, qu'il dédie au malheureux Louis XVI des éloges empreints de ses regrets éternels, qu'il voue Robespierre aux gémonies, qu'il se plaît à détailler les poursuites engagées contre certains des anciens terroristes buveurs de sang - dont il dresse à son tour la liste nominative —, qu'il plaide la cause des libertés individuelles contre celle d'une « Liberté » collective qui rend certains soi-disant patriotes, plus libres que d'autres... ; et qu'il ne laisse jamais de ridiculiser la dérive bien-pensante de la scène culturelle parisienne, celle du théâtre ou celle de la poésie, toutes deux si patriotiquement engagées, comme on dit aujourd'hui.
Au passage, Auguste de Labouisse relève encore d'autres informations relatives à l'Ariège et à l'Aude, plus particulièrement liées à ses relations familiales, à ses sympathies politiques ou encore à ses curiosités personnelles.
D'où, par exemple, cette nouvelle relative à la situation de la comtesse de Paulo : « Mme la comtesse de Paulo (Marie Élisabeth de Faudoas), par les bons soins d'un patriote grassement payé, avait obtenu du département de l'Arriége [sic], sa radiation de la liste fiscale des émigrés. Le Directoire, présidé par Lareveillère-Lepeaux, vient de casser cet arrêté, et d'ordonner que Mme de Paulo sera réintégrée sur la fatale liste et poursuivie en conséquence , avec toute la rigueur des lois, comme émigrée, quoique réellement elle ne soit jamais sortie de France !... Ma mère et moi, nous avons appris avec douleur cette cruelle mesure, qui va éloigner de nouveau de notre contrée une si excellente amie, si bonne, si charitable, et que ses nobles qualités auraient dû défendre de cette injuste rigueur, si quelque chose pouvait toucher et attendrir les persécuteurs qui nous gouvernent ! » 10
Surmonté de consoles à triglyphes, portail de l'hôtel particulier de la famille de Paulo, 12 rue Ninau, à Toulouse.
Autre nouvelle encore, relative à une autre famille amie : « Une bande de voleurs existait dans nos contrées ; ils avaient déjà dévalisé plusieurs campagnes,lorsqu'ils se présentèrent une nuit au château de Grammasie près de Limoux (Aude) ; ils brisèrent un contrevent, et s'introduisirent dans la maison avant qu'on pût les entendre. La famille d'Auberjon fut surprise et dévalisée. Heureusement Mlle Isabelle d'Auberjon, jeune et jolie personne, était absente. Après que ces scélérats eurent rassemblé tout ce qu'ils voulaient emporter, ils s'enfuirent. Les messieurs d'Auberjon eurent le courage de s'habiller, de s'armer, et de les poursuivre, malgré l'infériorité du nombre. Au point du jour, ils arrivèrent à Prat-Vialat avec un renfort ; Taillefer, chef de ces brigands, homme robuste, adroit et fin,fut arrêté avec onze de ses complices. Ils furent conduits à Limoux, d'où on les traduisit dans les prisons de Carcassonne. »
Jean Baptiste Isabey, « Monsieur à cadenette », ici Joachim Murat (1767-1815), Musée Carnavalet. D'abord attribut de l'infanterie française, plus spécialement des grenadiers et des hussards, la cadenette, ou tresse, devient à partir de la Terreur un symbole d’attachement à l’Ancien Régime. Les jeunes gens qui la portent sont soupçonnés d’être des ennemis de la Révolution. Le jeune Auguste de Labouisse portait-il, lui-même, une cadenette ?
« Tous les honnêtes gens ont applaudi à cet acte de dévouement, de courage et de témérité ; il n'y a que L'Anti-Royaliste de Toulouse qui, passant sous silence l'énergie de la famille d'Auberjon, s'égaie beaucoup en revanche sur les messieurs à cadenettes de Limoux, qui ont escorté ces malfaiteurs. Il les accuse d'avoir foulé aux pieds la cocarde tricolore ; et il a ajouté élégamment : Les bonnes bêtes ! ils ont fait comme l'âne,qui, piqué au vif, lance sa ruade en fuyant. Tout cela est bien spirituel, M. Dardenne [directeur-rédacteur de L'Anti-Royaliste]. » 11
Au passage aussi, Auguste de Labouisse s'attache à faire le point sur l'orthographe et l'étymologie du nom Arriége.
L'Ariège à Foix.
« Puisqu'on a changé le nom de la province du Comté de Foix, pour celui de la rivière qui la traverse, on devrait écrire le département de l'Arriége, et non pas Ariége ; autrement il faudrait Oriége, parce que c'est de l'or qu'elle charrie et non pas de l'argent. D'Aurigera on fit Auriége et plus tard Arriége, en changeant l'u en r. Dubartas, dans ses poésies, a mis Auriége. En voici un exemple pris des Neuf Muses pyrénées, au roy de Navarre, pièce en neuf sonnets. Je trouve dans la troisième :
Fleuve d'or, et de flot, et de nom, et de sable,
Riche en grains, en pastel, en fruits, en vins, en bois,
Auriége au vite cours, clair ornement de Foix,
Qui rends, par ton tribut, Garonne navigable,
Fille du grand mont, qui cache, épouvantable,
Son front dedans le ciel, qui [...],
Ne voit autre plus grand à sa grandeur semblable.
Clair flot, je te ferai par un discours facond
Plus riche que Pactol, plus que Le Nil fécond. 12
Et plus loin :
Français, arrête-toi, ne passe la campagne
Que nature mura de rochers d'un côté,
Que l'Auriége entrefend d'un cours précipité,
Campagne qui n'a point en beauté de compagne. 13
En 1708, Palaprat écrivait à J.-B. Rousseau :
On fait à l'Auriége un honneur fabuleux :
Ses flots n'en rendent point leurs voisins plus heureux ;
Et s'il coule quelque or, ce n'est pas comme au Tage ;
Il va tout à la mer, sans toucher le rivage.
Palaprat se trompe ; on recueille souvent des paillettes d'or, qui roulent et s'arrêtent sur des peaux de brebis, garnies de leurs toisons, que les pêcheurs ont le soin de placer dans la rivière, en les amarrant avec des cordes, pour que l'eau ne les emporte pas dans son cours. On y a eu trouvé de petits lingots, et j'ai fait faire plusieurs bagues de l'or qu'on m'avait procuré de cette manière. »
L'Ariège à Saverdun.
« D'après tout ce qui précède, il faut conclure que ceux qui écrivent Ariége, avec une [lettre] r seulement, font une faute ; ils détruisent l'origine du mot » 14.
Telle conclusion demeure symptomatique du point de vue à la lumière duquel, du haut de ses dix-huit ans, Auguste de Labouisse condamne l'action de ceux qui, depuis 1789, « détruisent l'origine », et, plus essentiellement, à la lumière ququel il récuse la nécessité historiale dont ceux-ci se réclament au titre de la Révolution en marche.
Le 21 janvier 1796, jour anniversaire de la mort de Louis XVI, tandis que le Directoire invite le peuple français à renouveler sur le mode festif son serment de Haine à la royauté, Auguste de Labouisse invoque, lui, le souvenir de son oncle et celui de son grand-oncle, hommes qui lui fournissent tous deux l'exemple de ce qu'il tient pour être la vie droite, la vie bonne, et sous l'auspice desquels il entend par suite se placer.
Il se souvient ainsi de « Paul de Bonaffos, chevalier de Latour, fils de Jean Pierre de Bonaffos, baron de Latour, et d'Angélique de Lanapla, dame de Saint-Martin (près de Fanjeaux) ».
Né à Montréal, le 10 mai 1745, « Paul de Bonaffos fit ses études, et de brillantes études, à Toulouse, dans le collège des Jésuites, sous l'inspection de son oncle, le P. de Latour, célèbre par ses vertus et ses Cantiques. Il porta d'abord le petit collet, et paraissait avoir une grande vocation pour l'apostolat, lorsque de nouvelles idées enflammèrent sa jeune tête ; il quitta, à l'âge de 17 ans, la soutane pour l'épaulette, et, le 30 août 1762, il entra sous-lieutenant dans le régiment de Vatan, connu depuis sous le nom de Vexin infanterie, où on le cita comme un modèle d'ordre, d'application et de sagesse. Le 6 mai 1769, il fut nommé lieutenant. Le 8 avril 1779, il fut promu au grade de capitaine en second. Il était alors en garnison à Metz, où il épousa, le 18 mai de la même année, Claude Catherine, fille de Denis René d'Auger et de Jeanne de Cabouilly. Le 29 octobre 1782, il reçut la croix de Saint Louis. Il fut nommé capitaine-commandant le 29 mars 1785. Il avait passé 8 ans aux Îles.Des grades supérieurs l'attendaient encore, et il en aurait joui, si la Révolution n'était venue terminer prématurément sa carrière. Il mourut à Marseille, le 30 octobre 1790, victime des fureurs populaires et de son dévouement à la cause des Bourbons. Il laissa cinq enfants. »
À gauche, Poésies diverses, par M. le chevalier de Bonaffos de Latour, Capitaine au Régiment du Vexin, Metz, Joseph Antoine, 1778, édition originale ; à droite, réédition BnF et Hachette Livre, 2017.
« Il est auteur d'un recueil de poésies in-8°, qui parut à Metz en 1778 ; il renferme une épître au Roi, une pièce sur les Effets de l'envie, une autre intitulée : Sentiments d'un militaire converti, une description en vers des Dangers de l'amour, une épître à Voltaire sur sa malheureuse impiété, un Essai de morale, une ode sur le Triomphe de Marie, et une autre sur l'Ingratitude de l'impie envers Dieu.
En 1782, le même auteur publia un in-18, intitulé : Étrennes à la garnison de Cambrai, composée des régiments de Condé et de Vexin. Cette ode est dédiée au prince de CONDÉ, colonel-général de l'infanterie. [...].
Dans l'ode il peint les goûts, les sentiments, les penchants et les récréations guerrières des officiers de la garnison ; pendant l'hiver, la chasse ; dans la belle saison, la culture des fleurs et une honnête galanterie, mêlée aux laborieux exercices militaires. [...].
En 1790, peu de temps avant sa mort, il publia un Éloge de l'ordre royal et militaire de Saint Louis, in-8°, qui commence ainsi : « La profession des armes a toujours été en honneur chez toutes les nations... N'est-ce pas à elle qu'est attachée la destinée des Etats et le sort des peuples ? N'est-ce pas elle qui défend les limites des empires contre les efforts des ennemis ? N'est-ce pas sous ses glorieux auspices qu'on voit fleurir le commerce, les arts et l'agriculture ? Oui, sans doute, le brave guerrier est le soutien du trône, l'appui de sa patrie, et l'unique ressource de ses concitoyens contre la force et la violence. [...].
Le chevalier de Bonaffos adressa divers opuscules à l'Académie de Marseille, qui s'empressa d'autant plus volontiers d'en faire mention dans ses rapports, que la reconnaissance lui en faisait un devoir, plusieurs aïeux de ce brave militaire se trouvant être au nombre des bienfaiteurs de cette grande ville. En effet, Hugues de Bonaffos fut, en 1058 , l'un des fondateurs, ou du moins des donateurs de l'ancienne abbaye de Saint-Victor de Marseillew ; son frère, Falcoz de Bonaffos, ajouta, en 1060, une nouvelle donation à celle de Hugues,comme leur ancêtre, Rostaing de Bonaffos, avait fondé, en 1027, dans le diocèse de Nîmes, un monastère de filles, à Gallargues, dont il était seigneur. »
Jean Baptiste Massillon (1663-1742), prêtre oratorien, grand prédicateur fréquemment invité par Louis XV à Versailles, évêque de Clermont-Ferrand.
« Massillon, parlant sur l'aumône et sur les dons pieux faits à l'église, disait ces paroles, qu'il est bon de rapporter ici : — Peut-être que les titres et les dignités, dont vous avez hérité en naissant, sont les fruits de la charité de vos ancêtres ; peut-être vous recueillez les bénédictions promises à la miséricorde, et vous moissonnez ce qu'ils ont semé ; peut-être que les largesses de la charité ont jeté les premiers fondements de votre grandeur selon le monde, et commencé votre généalogie ; peut-être c'est elles du moins qui ont fait passer jusqu'à nous les titres de votre origine. Car, je vous prie, qui a conservé à la postérité la descendance de tant de noms illustres que nous respectons aujourd'hui, si ce n'est les libéralités que leurs ancêtres firent autrefois à nos églises ? C'est dans les actes de ces pieuses donations, dont nos temples ont été dépositaires, et que la reconnaissance de l'église, et non la vanité des fondateurs, a conservés, qu'on va chercher tous les jours les plus anciens et les plus assurés monuments de l'antiquité ; tous les autres titres ont péri ; tout ce que la vanité seule avait élevé a presque été détruit ; les révolutions des temps et des maisons ont anéanti ces annales domestiques, où était marquée la suite de leurs aïeux et la gloire de leurs alliances ; et vous avez permis, Ô mon Dieu ! que les monuments de la miséricorde subsistassent, que ce que la charité avait écrit ne fût jamais effacé, et que les largesses saintes fussent les seuls titres qui nous restent de leur ancienneté et de leur grandeur devant les hommes... Ce passage est admirable et fort bien applicable à nos temps de révolution.
Dans l'histoire de Malte, on trouve parmi les chevaliers de cet ordre, de la famille de Bonaffos ; en 1574, Jacques ; en 1665, Louis ; et en 1704, François de Bonaffos, baron de Presque. Il y a aussi en 1551 Archembault ; et en 1557, Charles de Bonaffos, ou Bonnefont de Biouzat, etc.
Sans doute, ces diverses illustrations sont étrangères au talent de l'écrivain dont je rappelle la mémoire ; mais du moins elles prouvent que, descendant d'une famille où les vertus étaient héréditaires, le chevalier de Bonaffos ne dégénéra point. » 15.
Auguste de Labouisse se souvient ensuite du Père de Latour, son grand-oncle, jésuite, auquel il vient de consacrer une notice qui paraîtra en 1804 dans le Magasin encyclopédique, et en 1823 dans l'Anecdotique..
« Naître, croître, s'agiter quelques moments et mourir, tel est l'abrégé historique de l'existence de la plupart des hommes. La parole doit se taire sur eux ; mais elle doit rappeler à la reconnaissance des peuples, ceux qui consacrèrent leur vie à d'utiles découvertes, ou qui l'embellirent par de belles actions. Oui, que pour l'adulation elle reste muette, mais qu'elle se fasse entendre pour le mérite et pour la vertu.
Jean Baptiste de BONAFFOS de LATOUR, fils de Guillaume de BONAFFOS, seigneur et baron de LATOUR, et de Jeanne Françoise de FABRY, naquit à Montréal, le 12 avril 1712, d'une famille ancienne, originaire du Quercy. Le nouveau-né était destiné au service ; mais son père étant mort avant l'époque où il devait ceindre l'épée, sa piété lui fit préférer d'entrer au noviciat des jésuites, à l'âge de 20 ans, quand il passa docteur en théologie. Deux ans après il fut envoyé au collége de Castres, d'où il revint à Toulouse [au collège de l'Esquille] professer la rhétorique. Les jésuites présidaient alors à l'éducation. L'Europe savante (dit M. de Châteaubriand) a fait dans eux une perte irréparable. L'éducation ne s'est jamais bien relevée depuis leur chute. Ils étaient singulièrement agréables à la jeunesse ; leurs manières polies ôtaient à leurs leçons ce ton pédantesque qui rebute l'enfance. Comme la plupart de leurs professeurs étaient des hommes de lettres recherchés dans le monde, les jeunes gens ne se croyaient avec eux que dans une illustre académie. »
Dom Raymond Despaulx (Miélan, Gers, 1726-1819, Paris). Bénédictin, professeur de mathématiques à Sorèze, Dom Despaulx prend la direction de cette École en 1767. Il l'organise sur un nouveau pied et obtient son érection en école militaire. Le 17 septembre 1778, il fait les honneurs de l'École à Philippe de Noailles et à la duchesse de Duras, sa fille, et il invite ses élèves à complimenter leurs deux visiteurs en français, en latin, en grec, en allemand, en anglais, en espagnol et en italien. À la Révolution, Dom Despaulx se retire à Paris. Dénoncé comme suspect, il comparaît devant Payen, un de ses anciens élèves, qui le proclame l'un des hommes les plus vertueux de France. Robespierre veut lui donner un emploi, mais il refuse et reste professeur libre. En l'an X, Dom Despaulx est nommé inspecteur de l'Instruction publique, et il prend sa retraite sous la Restauration comme inspecteur général de l'Université.
« Dans le nombre d'hommes instruits que le P. de Latour a formés, on compte Castillon de Montaigut [?], mort victime de la Révolution, et Dom Despaulx, homme rempli de vertus, de savoir et de grandes qualités, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, que son mérite fit placer à la tête de l'école royale et militaire de Sorèze. En 1739, il présenta, à l'Académie des Jeux floraux, une ode sur l'Ode, et une autre sur l'Eloquence qui ne furent pas couronnées, mais qui se trouvent dans le recueil de cette année, parce qu'elles avaient fixé l'attention de ses juges ; ainsi que quelques autres sur la Foudre, sur la Critique, sur la Délicatesse, etc., qu'il laissa paraître sans vouloir y attacher son nom. J'ai saisi [ici], avec une satisfaction bien douce, l'occasion de payer à feu Dom Despaulx le tribut de ma gratitude. Lorsque j'arrivai à Sorèze, il voulut être mon préfet, en reconnaissance des leçons qu'il avait reçues de mon grand-oncle, dont il s'honorait d'être l'élève. » 16
En 1763, suite au décret d'expulsion de Jésuites, Jean Baptiste de Bonaffos de Latour se trouve un temps nommé chanoine dans le comtat d'Avignon. Puis, empêché de pouvoir exercer son ministère à Montréal par certaines divergences d'opinion entre monseigneur de Besons, évêque de Carcassonne, et lui, il répond à la demande de monseigneur de Langles, évêque de Saint-Papoul, et va mener des missions dans le diocèse de ce dernier, puis dans ceux de Pamiers, Mirepoix, et Auch. Il revient mourir à Montréal, en 1777, dans la maison familiale.
Jean Baptiste Bonaffos de La Tour a beaucoup écrit, mais la plupart de ses écrits ont été perdus au cours de ses pérégrinations, puis volés après sa mort. Ses Cantiques ou opuscules lyriques ont connu toutefois de nombreuses rééditions. « Sa versification est facile, et elle s'adapte d'autant mieux aux airs qu'étant musicien lui-même, il a su assortir sa poésie aux morceaux de musique dont il a fait le choix », dit en 1796 le Journal de Verdun. Une édition de ses Cantiques se trouve conservée à la bibliothèque Tolosana.
Jean Baptiste Bonaffos de La Tour (1712-1777), Cantiques ou opuscules lyriques, sur différents sujets de piété. Source : Tolosana, Bibliothèque numérique patrimoniale des Universités toulousaines.
Exemples « de mérite et de vertu », Paul de Bonaffos, l'oncle, et Jean Baptiste de Bonaffos, le vénérable grand-oncle, ont probablement porté leurs ombres bienveillantes sur le moment de sa vie où le jeune Auguste de Labouisse, qui a perdu son père très tôt, s'interroge sur la voie qu'il doit suivre, et où il entreprend d'écrire, à la lumière de la devise Devoir et vérité. De même que le chevalier de Bonaffos « ne dégénéra point », ni le Père de Latour, Auguste de Labouisse ne dégénèrera pas non plus !
De l'injonction morale que fait peser sur lui le double exemple de son oncle et de son grand-oncle, Auguste de Labouisse tire sans doute la combativité intellectuelle dont il fait montre dans ses notes des années 1796-1800. Mais le jeune homme continue de nourrir, dans le même temps, son initiale fascination pour les aventures plus interlopes de Gil Blas, et, par suite, la tentation de lancer sa propre existence dans « les dangereux sentiers ».
En juillet 1797, avide de s'instruire sur place de l'actualité politique et culturelle parisienne, et probablement aussi, pressé d'entrer en contact avec des réseaux royalistes clandestins, Auguste de Labouisse se rend pour la première fois dans la capitale. Il profite de cette occasion pour rendre visite à « la citoyenne Marcel », alias comtesse Élisabeth de Faudoas Barbazan, veuve du comte de Paulo, et à « Aglaé, sa fille », alias Marie Antoinette Louise Gabrielle Aglaé de Paulo, qui vivent pour l'heure « retirées au faubourg Saint-Jacques ». Âgé alors de 19 ans, le jeune homme semble, quoi qu'il en dise, n'avoir pas été insensible aux « Armides du jour », et il ne cache pas d'avoir été ébloui par le brillant du discours de certains opposants au pouvoir en place, Démosthènes d'un genre nouveau, dont Montréal ne fourmille pas.
Transplanté tout à coup dans cette ville immense,
Prestige de l'esprit, écueil de l'innocence,
Les charmes de l'étude, en ce riant séjour,
Sauvèrent mon printemps des Armides du jour ;
J'habitai sans danger cette nouvelle Athènes,
Où brillaient au Sénat de nouveaux Démosthènes,
Qui, pleins d'ambition, mais fidèles sujets,
Livrant leur espérance à de vastes projets,
Malgré nos oppresseurs, dans leurs débats augustes,
Préparaient le retour des princes les plus justes. » 17.
Portrait du général Bonaparte. Dessin au crayon rehaussé d'aquarelle, d'après nature pendant la campagne d'Italie en 1796, par Giuseppe Longhi.
De retour à Montréal, Auguste de Labouisse développe un intérêt passionné pour la trajectoire du général Bonaparte qui mène alors de façon foudroyante sa campagne d'Italie. La vertu guerrière du petit général lui inspire une sorte de fascination troublante, tandis que, revendiquée au nom de la République Française, la brutalité du même petit général le scandalise.
« Bonaparte ne cesse de faire planter des arbres de liberté en Italie. On en a planté un à Bologne, au son des instruments guerriers et aux cris de : Viva la Republica francese ! Le sénat a ensuite publié deux décrets ; le premier,pour obliger les citoyens de Bologne à regarder l'arbre de la liberté avec respect et enthousiasme. L'audacieux qui oserait l'outrager, d'action ou de parole , est déclaré coupable de lèse-nation, et sera puni de mort. On aurait du dire : Coupable de lèse-arbre !.... On voit qu'il n'y a pas à badiner avec ces plantes de la liberté !... Le second décret institue, sous le patronnage du général Bonaparte, une garde civique provisoire. Chacun est invité à la respecter ; et si quelqu'un osait lui faire la moindre insulte, il subirait les punitions les plus rigoureuses, et même la peine de mort. On ajoute à toutes ces petites sévérités une troisième mesure : Celui qui osera troubler la tranquillité et l'ordre public, insulter le gouvernement et les autorités constituées, sera sur le champ fusillé. Voilà une douceur qui ressemble bien à celle de feu notre Convention nationale. Pour avoir troublé la tranquillité, sans autre forme de procès on sera fusillé !........ VIVE LA LIBERTÉ ! » 18
Napoléon chasse les ecclésiastiques de Bologne, lithographie allemande, circa 1830, Museo Risorgimento, Bologna.
Feignant d'admettre qu'il s'agit là d'une action « grande, bonne, heureuse et patriotique », Auguste de Labouisse se scandalise aussi du pillage des œuvres d'art auquel Bonaparte se livre en Italie sans états d'âme, au titre du tribut dû à la République française libératrice.
« Bonaparte continue à nous conquérir de belles peintures. Cette idée est grande, bonne, heureuse et patriotique. Ainsi, nos arts s'enrichissent de ces dépouilles ! Et puisque, pour le malheur des peuples, la guerre entraîne toujours après elle le pillage et la spoliation, il vaut mieux obtenir d'honorables tributs, par des traités, que par d'inhumaines violences. Non seulement on lui accorde des tableaux ; mais il songe, en outre, à faire recueillir toutes les riches curiosités que la nature offre à nos savantes observations. Sa dépêche est curieuse ! Bonaparte annonce qu'outre les vingt tableaux que doit nous fournir Parme, il s'est fait remettre toute une série de reptiles... La plaisanterie du général est excellente. Pour faire sa cour au Directoire, dont il exécute souvent les ordres (dit-on), au seul gré de sa fantaisie, il lui envoie une collection complète de serpents !... Il y en aura sans doute de toute forme, de toute couleur et de tout venin ! J'en félicite le Directoire : le voilà bien loti !... » 19. Auguste de Labouisse use ici de l'arme des fins lettrés. Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? questionnait en 1667 le grand Racine.
Toujours fasciné, malgré qu'il en ait, par le général foudre de guerre, Auguste de Labouisse s'intéresse encore à la façon dont, en 1798, la trajectoire de Bonaparte se poursuit dans les sables de l'Égypte.
François Watteau (1758–1823), La bataille des pyramides, 1798-1799, Musée des Beaux-Arts de Valenciennes.
« Bonaparte a des succès en Égypte. On vient d'apprendre que le 21 juillet [1798], il a gagné une nouvelle bataille, que l'on appelle la bataille des Pyramides. À l'aspect de ces antiques monuments, il a dit à son armée, d'un ton inspiré : Soldats ! songez que du haut de ces antiques monuments quarante siècles vous contemplent. Il y avait là de quoi électriser leur courage. Ils se sont battus comme des lions ou comme des Français, et les Mameluks ont été vaincus. »
Mais dans une relecture de ses notes datée de 1845, un peu revenu alors de son éblouissement de 1798, Auguste de Labouisse ajoute en bas de page ce commentaire empreint d'une sorte de nostalgie du temps où il pouvait encore prêter à la figure de Bonaparte le statut de figure épique : « M. de Lascases prétend qu'à l'île de Sainte-Hélène Bonaparte leur disait : — Mes Proclamations d'Egypte étaient du charlatanisme ; mes Français ne faisaient qu'en rire. Du moins, ajoute Auguste de Labouisse, ils ne rirent pas de cette courte harangue ; elle était belle et bonne. » 20
En 1798 en tout cas, échauffé dans son imagination par le bruit et la fureur des aventures du général Bonaparte, Auguste de Labouisse se rallie secrètement au projet de son ami Jules de Paulo, fils de Marc Antoine de Paulo, vicomte de Calmont, et de Marie Élisabeth de Faudoas. Les deux jeunes gens ont été condisciples à l'École royale et militaire de Sorèze, et leurs deux familles se connaissent bien.
6 mai 1775. Baptême de Marie Antoine Guillaume Jules de Paulo. Archives municipales de Toulouse. Cote : GG352. Date : 1775. Paroisse Saint-Étienne, baptêmes, mariages, sépultures. Registre paroissial. 1775. Vue 28.
« Marie Antoine Guillaume Jules, fils de haut et puissant seigneur Marc Antoine de Paulo, vicomte de Calmont, baron de Saint-Marcel, seigneur de Saint Jean de La Tour, baron de Sérillac, seigneur de La Sauvetat et de Réjaumont, chevalier de l'ordre Royal et militaire de Saint Louis, sénéchal et commandant pour le Roi du pays de Lauragais, et de la puissante Dame Marie Élisabeth de Faudoas, mariés ; né le cinquième mai mille sept cent soixante quinze, fut baptisé le sixième dudit ; parrain haut et puissant seigneur Guillaume de Castelpers, vicomte d'Ambialet, baron de Saint-Hippolyte, Le Pin, Balma ; marraine Dame Marie Daugeard, épouse de messire Gabriel Barthélémy de Basterot, conseiller au parlement de Bordeaux, absente, représentée par haute et puissante Dame Marie Antoinette Daugeard, épouse de haut et puissant seigneur Louis Emmanuel de Boyer de Sauveterre, conseiller du Roi en ses conseils et son président à mortier au parlement de Toulouse, qui ont signé avec le père et autres personnes et amis... »
Arbre généalogique simplifié de Marie Antoine Guillaume Jules de Paulo.
12 mai 1784. Entrée de Marie Antoine Guillaume Jules de Paulo à l'École royale et militaire de Sorèze.
Né le 5 mai 1775 à Toulouse, Jules de Paulo est entré en 1784 à l'École de Sorèze. Il a pu ainsi bénéficier d'une formation militaire un peu plus solide que celle d'Auguste de Labouisse, qui n'est resté à l'École que deux ans.
20 septembre 1791. Acte de mariage de Louis Hippolyte de Julien de Pegueirolles de Tubières de Grimoard et de Marie Gabrielle Charlotte de Paulo. AD11. 4 E 360. Calmont. Baptêmes, mariages, sépultures, 1699, 1780*, 1790*, 1791 (en plus, sépultures, 1776 et 1778). Collection du greffe. 1699-1791. Vue 80.
« L'an mille sept cent quatre-vingt-onze et le vingtième de septembre, nous, curé de Calmont soussigné, après avoir reçu le mutuel consentement de Louis Hippolyte de Julien de Pegueirolles, majeur de trente ans, fils légitime de monsieur Étienne Hippolyte Julien de Pegueirolles et de dame Marie Françoise Honorée de Benault des Lubières de Roquemartine, habitants de la ville de Milhau en Rouergue, veuf de madame Marie Catherine Geneviève de Claris, habitant de ladite ville de Milhau, lequel a obtenu le consentement de monsieur son père, comme il résulte du contrat de mariage retenu par maître Monna (Moune ?), notaire de Toulouse en date du 16 du présent mois, d'une part ; et de demoiselle Marie Gabrielle Charlotte de Paulo, fille légitime de feu monsieur Marc Antoine de Paulo, et de dame Marie Élisabeth de Faudoas, habitante de son château de Terraqueuse, âgée de dix-huit ans, laquelle a eu le consentement de madame sa mère, d'autre part ; les avons conjoints selon les formes de l'Église apostolique romaine, leurs bans ayant été parallèlement publiés sans opposition ni empêchement connu. Témoins, Louis Jean Dorothée de Saint-Hilaire, habitant de Toulouse, monsieur Marie Guillaume Antoine Jules de Paulo, habitant de cette paroisse, monsieur Jean François Lafage, habitant de Cintegabelle, et monsieur Étienne Michel Leclère, prêtre, habitant de Mazères, lesquels ont signé avec nous, ladite madame de Paulo aussi. »
Le 20 septembre 1791, « monsieur Marie Guillaume Antoine Jules de Paulo, habitant de cette paroisse [Calmont] », assiste au mariage de Marie Gabrielle Charlotte de Paulo, l'une de ses sœurs. La signature de Marie Élisabeth de Faudoas, leur mère, figure au bas de l'acte de mariage. Point celle de « feu Marc Antoine de Paulo », leur père, réputé parti en Espagne ou bien à l'armée des Princes, et dont on ne sait ni où ni quand il est mort. Le registre tenu par un notaire public à Puygcerda depuis le 19 janvier 1792 indique qu'à la date du 22 septembre 1792, « une femme appelée Marie Élisabeth de Faudoas, veuve de Marc Antoine de Paulo, comte de Calmont, et signée ainsi, Faudoas, comtesse de Paulo, est venue en Espagne pour s'y réfugier et passer à Gérone, et qu'elle a prêté le serment des passagers » 21. Jules de Paulo, de son côté, est parti rejoindre l'armée des Princes. Il revient ensuite clandestinement se battre en Vendée. Après l'avénement du Directoire, il rejoint sa mère, qui est rentrée à Terraqueuse, domaine familial situé à Calmont. Informé des liens que Jules de Paulo entretient avec des réseaux royalistes clandestins, le comte de Provence, futur Louis XVIII, depuis Mittau (Lettonie) où il s'est réfugié, le nomme brigadier des Armées Royales pour le comté de Foix, en association avec le général Rougé, dit l'Américain, nommé, lui, pour la Haute-Garonne et sa contrée. Le futur roi, pendant ce temps, couronne la rosière à Mittau.
Jean Charles Tardieu, dit Tardieu-Cochin, Le couronnement de la rosière en 1799 à Mittau, 1816, château de Versailles.
Trente ans plus tard, dans ses Mémoires, Auguste de Labouisse-Rochefort dédie à son ami Jules de Paulo, qui est mort des suites d'une chute de cheval à Toulouse, le 16 prairial an XII (5 juin 1804), cet hommage romantique :
Entre les lieux-dits Fortanié et Croix de Puel, sur la commune de Calmont, le château de Terraqueuse aujourd'hui, au bord du Grand Hers.
Ombre chérie, qui, dans notre armée royale, bravas les plus grands dangers pour la cause la plus sacrée et la plus chère, après mille traverses, tu fus enfin rendu à ta patrie, à ton antique demeure, où tu ne retrouvas que des débris fumant encore du récent incendie qu'allumèrent à la fois la haine, l'envie et la rage. Hélas ! tu n'es plus ! tu m'as été enlevé, ô toi, mon cher Jules, le plus ancien de mes amis, avec qui j'ai passé les plus doux moments, en sortant de l'école de Sorèze, où tu avais fait aussi tes doctes études ! Je me souviens avec délices de nos jeux, quand la plus jeune de tes sœurs, qui naguère est devenue ma cousine, l'aimable Aglaé 22, avec toutes ses grâces de l'enfance, sous les yeux de sa gouvernante, partageait, dans ton vaste parc, nos amusements, nos courses et nos innocentes folies. Heureux temps ! que firent bientôt disparaître nos funestes dissensions politiques [luttes de la Révolution française]. Vers ton seizième printemps, tu partis pour un long exil, tandis que l'amour filial m'enchaîna près de la plus tendre des mères. En vain, tout fier d'avoir deux années de plus que moi, tu lui offrais d'être mon Mentor pendant la durée de ces guerrières caravanes qu'on avait espéré voir terminer sitôt, et qui ont été si longues ! Elle ne put jamais consentir à se séparer du seul enfant qu'elle avait. Je t'embrassai, je pleurai, j'enviai ton départ... Mais je restai ! Si, rempli d'une ardeur martiale, tu fus dans l'étranger le noble défenseur de la cause de ton roi, j'imitai ton fidèle dévouement au sein de la France asservie, et j'eus à recueillir des persécutions pour récompense. Enfin, après de longs tourments et de dures traverses, un grand projet, une douce lueur d'espérance, sembla devoir nous réunir pour quelque temps sous ce drapeau blanc et sans tache, que l'héritier des lis avait confié à tes talents et à ta valeur. Tu vins commander dans notre province de Foix, à cette population fidèle, qui, dans son généreux enthousiasme, se leva, sans armes et sans prévoyance, contre l'atroce tyrannie directoriale, et que des sicaires nombreux et pleins de rage surprirent et mitraillèrent sur les bords de l'Arriége, épouvantée d'être témoin de tant de fureurs et de crimes. La fidélité et le malheur durent céder la victoire à l'audace protégée par la force et les lois ! Tu fus proscrit, je fus otage............. » 23
Auguste de Labouisse dit avoir participé à sa manière à l'insurrection menée en 1799 par Jules de Paulo et le général Rougé. Sans doute brode-t-il un peu, ou beaucoup, dans la part d'action qu'il s'attribue. À moins qu'il ne faille mettre la gloriole dont il fait montre, au compte de l'ironie propre à un écrivain qui, se penchant trente ans plus tard sur sa jeunesse folle, brosserait là le portrait pince-sans-rire du fanfaron qui a raté le coche et qui, partant, n'a rien vu, rien fait — Fabrice à Waterloo en somme, avant la lettre stendhalienne.
Site de La Tour sur la carte de Cassini.
« J'étais tranquille au château de Latour [La Tour], jouissant, auprès d'un oncle [Jean Pierre II de Bonaffos de La Tour, 1739-1808] que j'aime comme un père, et qui me traite comme si j'étais son fils, de tous les plaisirs de la campagne, attendant l'avis secret qui devait m'être donné, pour amener dans le département de l'Arriége de nombreuses recrues ; lorsque tout à coup j'ai appris que l'époque qu'on avait d'abord fixée pour l'insurrection royaliste avait été devancée de plusieurs jours ; que le signal de rassemblement avait été donné, et que Saverdun (où je suis né) était devenu le quartier-général des royalistes !... Un patriote semble être accouru exprès pour nous le raconter. À cette nouvelle, mon cœur a palpité de surprise et de regret ; je me trouvais loin du péril et du poste honorale que j'ambitionnais. À la vérité, j'étais venu faire des recrues dans le département de l'Aude, et j'avais la promesse qu'une forte compagnie de volontaires, composée toute de personnes très déterminées, allait me suivre. J'écrivis aussitôt la Proclamation suivante :
— Français, cette RÉPUBLIQUE tant vantée n'est qu'une chimère. Créée par quelques conspirateurs avides d'argent et de pouvoir, elle n'a produit que des crimes ; sa tyrannie nous est à charge ; les bons esprits n'en veulent plus. C'est donc pour accomplir vos vœux les plus secrets, qu'en suivant l'exemple de la généreuse et brave Vendée, nous prenons les armes pour la défense de nos familles persécutées, de nos intérêts et de nos droits. Nous ne sommes les ennemis de personne en particulier, d'aucun citoyen paisible ; mais nous sommes les ennemis de ces hommes gorgés de pillage et de sang, qu'un Directoire despotique emploie pour faire exécuter les ordres les plus acerbes et les mesures les plus atroces !.... Oui, nous sommes ennemis de la tyrannie, de l'arbitraire, des confiscations, des emprunts forcés, des bastilles nouvelles, de l'injuste loi des otages. Rétablir l'ordre, rendre à la France sa prospérité, rappeler nos princes légitimes, réformer nos lois spoliatrices et sanguinaires, voilà ce que nous voulons. [Etc.]
Résolu à partir le lendemain au soir dans la nuit, j'ai fait indiquer aux jeunes gens de Carcassonne, de Montréal, d'Arzens, d'Alzonne et de tous les environs, qui devaient me suivre, le lieu du rendez-vous, dans des bruyères sauvages, sur la route de traverse de Fanjeaux à Belpech.
Je dormais, lorsqu'un domestique vint me réveiller le plus doucement qu'il put pour ne pas me troubler, en m'avertissant qu'on me demandait.
— Qui est-ce ?
— Huit fusilliers de la garde nationale de Montréal qui viennent réclamer votre cheval et vous tenir en surveillance !....
Ma tête était montée ; l'idée de la position nouvelle où je me trouvais m'animait ; je me levai, et j'allai leur dire vivement que la conduite de la municipalité m'étonnait, que mon cheval n'était point à Latour, que personne n'avait le droit de le requérir, et qu'étant absent, je ne pouvais pas le prêter au général qui allait combattre les rebelles. Qu'au surplus, il était étrange qu'on vint presque m'arrêter quand je n'étais coupable de rien.
Mes paroles ont été si fortes que je parvins à leur en imposer ; ils me prièrent d'écrire ma réponse, et ils se retirèrent sans songer à me surveiller. La lettre que je leur ai confiée était si vive que, sans perdre de temps, les citoyens municipaux en permanence l'ont envoyée à Carcassonne, aux administrateurs du département, avec une dénonce contre moi.
On sent qu'après cette équipée,je n'ai pu m'éloigner ; on me guettait pour m'arrêter, si j'essayais d'aller joindre mes amis. Je l'aurais tenté ; mais le bruit d'une défaite nous parvint. Les républicains sont vainqueurs par la défection d'un général dont la bravoure s'était fait distinguer dans d'autres occasions, et qui, dans celle-ci , a crié : Sauve qui peut, dès les premiers coups de fusils !... L'histoire le nommera et le jugera !... Ce qu'on rapporte de sa trahison est trop honteux pour que je l'écrive ; car je n'ai pas de preuves. Mais s'il était vrai que, servile instrument du Directoire, il n'eût offert ses bons services que pour nuire avec plus de succès !... Quoi qu'il en soit, il est certain que si le corps principal de l'armée n'avait pas pris la fuite, la victoire était à nous sans coup férir. L'aile droite, sous les ordres de M. Desseres de JUSTINIAC, composée d'une compagnie de jeunes gens d'Hauterive, habitués au feu et aguerris, se battait à merveille. Mes amis,le comte de PAULO, Maurice de Marveille, M. de RÉGNIER et plusieurs autres, ont fait des prodiges de valeur ; mais quand tout fuyait, que pouvait la bravoure et la résistance de quelques individus ? Mes amis, le chevalier de Juge et d'Ounous, ne se sont pas trouvés à cette malheureuse bataille ; ils étaient, comme moi, en mission, et allaient revenir de Montauban avec des renforts. »
Combat de Saint-Martory en 1799 entre le Général Latour, chef des troupes républicaines, et le comte de Paulo, chef des troupes royales.
« Ceux que j'avais ménagés se rendirent exactement dans les bruyères indiquées ; mais là, ayant appris notre défaite et n'osant revenir dans leurs foyers, ils cachèrent leurs armes, continuèrent leur route, et, par une malheureuse frayeur, ils allèrent se joindre, comme volontaires républicains, à l'armée dévastatrice. »>24
Drôle de Gil Blas, qui, à propos de la lettre qu'il a écrite aux administrateurs du département pour se plaindre de la tentative de réquisition de son cheval, formule un an plus tard la réflexion suivante : « Celui qui la reçut,en l'absence de ses collègues,la mit dans sa poche et n'en parla pas. Je conviens, avec reconnaissance, que je lui dois la vie (1800). Drôle de Gil Blas, qui, du haut de sa suffisance de béjaune, stigmatise le général Rougé pour s'être retiré avec ses hommes le 6 août 1799 devant Toulouse, puis pour n'avoir point suffisamment soutenu, le 20 août 1799, même au prix du massacre de 4000 hommes, l'héroïque résistance du comte de Paulo et des siens à Montréjeau.
Jules de Paulo et Antoine Rougé réussissent à échapper au massacre, et ils passent en Espagne par le Val d'Aran, grâce, dit-on, à la complaisance du général républicain Étienne Marie Barbot, qui avait été leur condisciple à l'École royale et militaire de Sorèze. Jules de Paulo migre ensuite très vite en Angleterre.
Tableau des élèves entrés à l'École royale et militaire de Sorèze en 1781-1782.
À peine informés de la victoire des troupes républicaines, les habitants de Calmont pillent et brûlent le château de Terraqueuse. Près d'être physiquement malmenée, Madame de Paulo doit son salut à la fidélité de l'un de ses métayers qui la recueille, et chez qui, pour mieux disparaître, elle adopte pendant quelque temps les effets et le statut de servante.
Porte ancienne située dans les vestiges du mur d'enceinte du château de Terraqueuse. Photographie Régis B.
De son ami Jules de Paulo, parti au loin, et de lui-même, qui est resté au pays, Auguste de Labouisse, non sans quelque forfanterie de jeune homme là encore, se dit maintenant le plus mal loti : « Tu fus proscrit, je fus otage............. ». Il demeure en effet surveillé par la police, mais il continue à jouir des douceurs de sa maison de Saverdun et de l'amour de son « excellente mère », et de celles du château de La Tour et de l'affection de son « oncle chéri », et il peut s'adonner sans trop de risques à la rédaction de ses notes quotidiennes et à la lecture des poètes du temps.
François Bouchot (1800–1842), Le général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents, à Saint Cloud, le 10 novembre 1799, Château de Versailles.
Vient, trois mois après l'échec de l'insurrection menée par Jules de Paulo et Antoine Rougé, le coup d'État du 18 brumaire (9 novembre 1799) qui met fin au régime du Directoire en faisant du général Bonaparte le Premier Consul du nouveau régime. Auguste de Labouisse rapporte l'événement de façon tranchante. Le jugement qu'il porte sur Bonaparte se trouve désormais arrêté.
« J'ai appris, avec grande surprise, que le 18 brumaire (9 novembre 1799), lorsque Bonaparte eut été menacé dans la salle du Conseil des Cinq-Cents, il sortit très ému, en criant qu'on avait voulu le poignarder. Il rencontre en ce moment une compagnie de soldats, et dit à M. Ponsard, commandant de la garde du Corps Législatif, qui se trouvait à sa tête : Entrez là-dedans, expulsez de force ces séditieux ; ce ne sont pas des législateurs, ce sont des assassins ! — Oui, mon général (répond cet officier prêt à exécuter ponctuellement ses ordres). Mais, s'ils résistent ? Bonaparte, en s'éloignant, ne réplique que ce mot : Tuez. » 25
Cinq ans plus tard, alors que Bonaparte est devenu empereur et a fait promulguer le tout nouveau Code civil des Français, Auguste de Labouisse formule comme à regret, dans une note ajoutée à ses souvenirs de 1799, cet augure définitif : « Quelque grand guerrier, quelque grand homme que Napoléon puisse être, comme législateur et comme militaire, il se montra trop souvent despote et cruel. Dans ses passions impétueuses, rien ne l'arrêta, et il n'est que trop probable que jamais l'humanité ne parviendra à modérer son avide ambition. » 26
En 1800 toutefois, par un trait à la fois rare et discret d'humanité si l'on veut, ou encore pour faciliter le retour à la paix civile dans le Midi, Bonaparte, devenu Premier Consul, amnistie Jules de Paulo et Antoine Rougé, et il leur permet ainsi de rentrer en France. Le retour de Jules de Paulo en France n'est pas sans conséquence pour son ami Auguste de Labouisse.
« D'après une dénonciation absurde et folle, pareille aux fameuses délations dont nos comités révolutionnaires étaient encombrés,le général Chaussey, qui commande militairement dans le département de l'Arriége, a envoyé un détachement cerner ma maison à Saverdun. J'étais absent. J'apprends l'outrage qu'on vient de nous faire, et le peu de retenue avec laquelle les soldats s'étaient conduits, en présence de mon excellente mère, pendant les trois jours qu'ils ont employés à faire de minutieuses recherches de la cave au grenier, espérant trouver dans quelque cache le comte de Paulo, qu'ils appellent le général de la Vendée du midi. C'est une méprise d'époque. Je viens de lui écrire :
L'an 1er du Consulat de notre libérateur.
« Monsieur le général,
Sans doute vous croyez être encore au temps exécré de la Terreur conventionnelle, ou sous le règne affreux des
cannibales du Directoire, puisque, sur un ridicule prétexte, vous avez fait entourer ma paisible demeure de satellites grossiers, qui n'ont mis aucun égard, aucun ménagement, aucune réserve, en remplissant avec fureur les ordres sévères dont vous les aviez chargés. Je pourrais, sans doute, vous poursuivre directement devant les tribunaux, puisque le temps de la justice semble être revenu, ou me plaindre à votre ministre, qui doit avoir reçu l'ordre de protéger les citoyens, et qui pourrait vous faire repentir d'avoir écouté si facilement d'odieuses dénonces. Je suis assez généreux pour ne pas le faire ; mais ne réitérez pas de pareilles démarches, si contraires à l'honneur et à la liberté. Vous ne devez employer votre pouvoir qu'à défendre notre tranquillité, et non à la troubler. Le rôle d'un général est d'obtenir de la gloire, et il n'y a aucune gloire attachée au métier de persécuteur.
Monsieur le général, recevez, sans humeur, ces bons conseils que ma franchise vous donne ; et, dans ce cas, croyez-moi très sincèrement,
Votre dévoué serviteur. » 27
Dans l'attente du règlement de sa situation administrative, et plus particulièrement de sa radiation de la liste des émigrés, Jules de Paulo séjourne quelque temps à Paris, et l'on dit que l'homme, « âgé d'environ vingt-quatre ans, taille 5 pieds 5 pouces (1m 761), cheveux châtains coupés en rond, yeux châtains et petits, nez long, visage maigre et allongé, bouche moyenne, menton long, relevé, avec une fossette à petit trou, un peu voûté », d'après sa carte de sûreté, aurait plu à Hortense de Beauharnais et à Joséphine, sa mère, alors épouse de Bonaparte, au point qu'il aurait été question de mariage.
Peu s'en fallut que ce Paulo ne devînt, par la suite, roi, ou tout au moins prince de sang impérial, observera plus tard l'abbé de Montgaillard dans le tome V de son Histoire de France, depuis le règne de Louis XVI jusqu'en 1825. Très joli homme, mais de peu d'esprit, Paulo plaisait infiniment à Mlle Hortense Beauharnais et à Mme Buonaparte ; on parlait du mariage, et il fut décidé ; mais la jactance et les indiscrétions du jeune Paulo ne convinrent pas au premier consul, qui l'exila en Languedoc.
L'anecdote est curieuse ; est-elle vraie ? questionne Auguste de Labouisse. Je ne puis ni la confirmer ni la combattre. Je dirai seulement que dans les épanchements de l'amitié, le comte de Paulo ne m'en a jamais parlé, quoiqu'il m'ait confié beaucoup d'autres choses intimes.
Nous avons plusieurs fois passé huit ou dix jours ensemble, tête-à-tête, dans sa retraite ruinée de Terraqueuse, où, après l'incendie de son château, sa mère avait fait construire une maisonnette, en face des anciennes écuries, sans qu'il m'ait entretenu de rien de pareil ; je me souviens même que son exil avait eu une autre cause, une cause politique, puisque Buonaparte hésita quelque temps à lui accorder sa radiation [de la liste des émigrés], quoique, pour se faire des partisans, il commençât à être prodigue de cette faveur. » 28
En 1829, Auguste de Labouisse ajoute encore à ses notes des années 1799-1800 l'éclaircissement qui suit :
« N. B. Je viens d'apprendre positivement que jamais le comte de Paulo ne vit Mlle Hortense de Beauharnais, qui était malade à l'époque où il fut invité à déjeuner à la Malmaison, chez l'épouse du premier consul, à laquelle il était allé faire ses remerciements des bons offices qu'elle lui avait rendus pour sa radiation. Il demanda aussitôt à Buonaparte un passeport pour Toulouse, qu'il obtint, avec la clause d'étre en surveillance, ainsi que les autres émigrés, ce qui n'était plus qu'un mot de forme. Voilà la vérité. (1829.) » 29
Certains chroniqueurs disent que Jules de Paulo serait rentré marié à Terraqueuse et qu'il y aurait vécu jusqu'en 1804 en compagnie de sa mère et de son épouse. Concernant l'épouse, ils avancent le nom de N... de Fontanges, ou celui de Marie Gabrielle de Cazes, ou de Lacaze. Auguste de Labouisse ne semble pas avoir entendu parler de l'épouse en question. Daté du 16 prairial an XII (5 juin 1804), l'acte de décès de Marie Antoine Guillaume Jules de Paulo, dernier du nom, ne mentionne en tout cas aucune épouse.
16 prairial an XII (5 juin 1804). Décès de Marie Antoine Guillaume Jules de Paulo. Archives municipales de Toulouse. Cote : 1E231. Dates : 1803-1804. État civil : Décès. 1 vendémiaire an XII-5e jour complémentaire an XII. Vue 175.
« Du seizième jour du mois de prairial l'an douzième de la République française à une heure de l'après-midi
acte de décès de Marie Antoine Guillaume Jules Paulo décédé aujourd'hui à trois heures du matin, propriétaire, âgé de vingt-huit ans, né à Toulouse, département de Haute-Garonne, demeurant place Sainte-Scarbes 3e section nº 901, fils de feu Marc Antoine Paulo, propriétaire, et de Marie Élisabeth Faudoas, mariés, sur la déclaration à moi faite par François Abel, tapissier, âgé de soixante-huit ans, et par Jean Barthe, tailleur d'habits de trente-sept ans ; voisins du défunt, qui ont signé.
Constaté par moi Philippe Picot, maire de la commune de Toulouse, faisant les fonctions d'officier public de l'État civil, lecture préalablement faite aux témoins.
Signatures. »
Aussi bien pour Jules de Paulo que pour Auguste de Labouisse, le temps des rêves d'aventure, puis celui de l'aventure elle-même, a trouvé sa fin en 1800. Exit le modèle Gil Blas de Santillane. Tandis que Jules de Paulo retourne chez sa mère, Auguste de Labouisse, qui n'a jamais quitté la sienne, joue à la campagne à des jeux de comparaisons : « Le billet qui tomba à un homme de la société contenait ces mots : Carotte et tragédie. Sans hésiter, il répondit : — Toutes les deux rappellent Racine » 30. Le même Auguste de Labouisse joue aussi à des anagrammes, et un certain M. Théveneau lui découvre que Révolution française, en retranchant un i, forme le Français vote un roi, ou la France veut son roi. Et d'ajouter en 1825 : « Un autre oisif trouva plus tard dans Révolution française Un Corse la finira. — Non, il ne parvint pas à la finir ; et même encore aujourd'hui on ne prend pas toujours le chemin qu'il faut pour cela » 31.
Portrait de Roch Ambroise Cucurron Sicard (1742-1822) par Charles Étienne Gaucher (1740-?), d'après un dessin de Joseph Jauffret (1779–1836), Musée de la Révolution française, Vizille.
Dans le même temps, Auguste de Labouisse se demande plaisamment « si le XVIIIe siècle était révolu le 31 décembre 1799 » ou s'il le sera seulement le 31 décembre 1800. Il s'intéresse au retour du célèbre magnétiseur Anton Mesmer 32, et, dans un autre genre, à celui de Roch Ambroise Cucurron Sicard, dit l'abbé Sicard, natif de Toulouse, ancien élève du collège de l'Esquille, qui, après avoir voué sa vie à l'éducation des sourd-muets, avait été proscrit par les anciens gouvernements révolutionnaires 33.
Le reste du temps, il revisite ses souvenirs de la Révolution, remâche les détestations que lui ont inspirées cette période, médite sur le sort réservé au si bon et cependant si énigmatique roi Louis XVI, et il commente en expert aussi bien les maîtres de la littérature classique que l'actualité des Lettres et des Arts, à Toulouse et à Paris. « Quand je lis un ouvrage », dit-il de ses immenses lectures, « ce que j'y cherche, ce sont les idées remarquables ; je continue cette méthode » 34.
Soucieux d'aider « un jeune littérateur plein de mérite et d'avenir » dont il a fait la connaissance en 1798 à Paris et qui a vu la fortune de son père altérée par les malheurs de la Révolution, Auguste de Labouisse lui a trouvé un emploi de précepteur auprès des deux garçons de Julie de Thomas, dame Crabère, à Rieux (Haute-Garonne), et il a pris l'habitude d'accompagner le jeune homme à Rieux. Il ne se montre pas insensible au charme de dame Crabère, d'autant que celle-ci se livre en secret à de petits travaux poétiques et qu'elle a déjà écrit « un poème de cent et quelques vers alexandrins sur Thelésille 35, et un Essai poétique sur Clémence Isaure, restauratrice des Jeux Floraux.
En 1800, comme une Académie, autorisée à nouveau après avoir été interdite pendant la Révolution, propose au concours le thème suivant : Quel est pour les femmes le genre d'éducation le plus propre à faire le bonheur des hommes en société ?, Auguste de Labouisse invite Mme Crabère à concourir. « Il était assez piquant de faire décider cela par une femme, ce qui eut lieu en effet ». Mme Crabère, elle, n'a toutefois pas voulu concourir.
De son côté, à propos du thème proposé au concours, Auguste de Labouisse se livre dans ses notes à une belle critique des préceptes formulés par Jean Jacques Rousseau dans son Émile : Plaire aux hommes, leur être utile, se faire aimer et honorer d'eux, les soigner, les consoler, les conseiller, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu'on doit leur apprendre dès leur enfance. Et le même Auguste de Labouisse cite, entre autres, cette répartie de la très spirituelle Mme de Genlis : On sent combien il serait avantageux à la société de décider une femme qui aurait fait un beau poème, à tricoter le reste de sa vie, au lieu d'écrire.
Ensuite, c'est Mme Crabère elle-même qui, dans une lettre relative au thème en question, a le dernier mot :
« J'ai consulté une personne sur cet article ; que m'a-t-elle répondu ? — Tout le mérite des femmes consiste à savoir travailler, obéir et se taire... Voilà, si je ne me trompe, la femme assimilée à tous les animaux domestiques... Je vous avoue que si je croyais qu'il y eût beaucoup d'hommes de cet avis, je ne prendrais pas la peine de chercher ce qui peut les rendre heureux » 36.
Henri Martin (1860–1943), L'apparition de Clémence Isaure aux troubadours, 1898.
Alors qu'auprès de la charmante Mme Crabère, il dispute un peu en l'air de questions si graves, Auguste de Labouisse ne se doute pas qu'il se trouve près de rencontrer la Bien-Aimée auprès de qui il devra cette fois mettre à l'épreuve les nobles sympathies qu'il exprime à l'endroit des femmes poètes...
À suivre : Auguste Labouisse-Rochefort et la Société philotechnique de Castelnaudary. 3. Une figure oubliée. En 1802
Après la fin du régime de la Terreur, la France se trouve placée sous le régime du Directoire, lequel comprend alors 5 directeurs, tous régicides : Paul Barras, Jean François Reubell, Louis Marie de La Révellière-Lépeaux, Étienne François Le Tourneur et Lazare Carnot.↩︎
M. Auguste de Labouisse-RochefortTrente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome I, Toulouse, chez M. de Labouisse-Rochefort, 1844, pp. 249-254.↩︎
M. Auguste de Labouisse-RochefortTrente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome II, Toulouse, chez M. Delsol, 1844, pp. 16-17.↩︎
Repris du Misanthrope de Molière, le nom de Philinte s'applique ici de façon péjorative à ceux qui demeurent les amis de tout le monde, en acceptant les défauts et les vices de chacun.↩︎
M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome II, p. 18.↩︎
Ibidem, p. 408.↩︎
Ibid., p. 448.↩︎
Rédigé par rédigé par Pierre Dardenne, ancien prêtre assermenté, puis par Pierre Joseph Spiridion Dufey, avocat et éditeur, ce journal, qui a pris en 1793 la suite du Journal universel et affiches de Toulouse, paraît à Toulouse irrégulièrement d'abord, puis plus régulièrement du 24 septembre 1795 au 11 août 1800. Il se trouve remplacé ensuite par le Journal du département de la Haute-Garonne.↩︎
M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome II, p. 377-378.↩︎
Ibidem, p. 421.↩︎
Ibid., p. 562.↩︎
Guillaume de Saluste du Bartas (Montfort,1544-1590, Mauvezin), Neuf Muses pyrénées, au roy de Navarre, sonnet III, in Appendix de la première Semaine, page 934. Cf. Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle/11e éd., 1820/Auriège.↩︎
Ibidem, sonnet V, in Appendix de la première Semaine, page 936.↩︎
M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome II, pp. 24-25.↩︎
Ibidem, p. 111 sqq.↩︎
Ibid., p. 116 sqq.↩︎
Ibid., p. 475-476.↩︎
M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome II, pp. 422-423.↩︎
Ibidem, p. 250.↩︎
M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome IV, Toulouse, Imprimerie d'Aug. de Labouisse-Rochefort, 1845, p. 441.↩︎
Bulletin des lois de la République française, 1er janvier 1796, Imprimerie nationale, p. 5.↩︎
Née le 23 décembre 1778 à Toulouse, Marie Antoinette Thérèse Aglaé épousera ca 1801 Jean Antoine François Henry de Gouzens de Fontaines, descendant des anciens seigneurs de Lafage, près de Mirepoix (Ariège). On ne trouve pas l'acte dudit mariage, mais seulement le contrat correspondant, daté du 22 thermidor an IX (10 août 1801), et l'acte de baptême du premier enfant du couple, daté du 29 pluviôse an XII (19 février 1804) à Lafage. Cf. Naissance de Marie Antoinette Julie Nataly Gouzens. Archives dép. de l’Aude. Lafage. Actes de naissance (1801-1808). Document 100NUM/5E184/2. Vue 50.
Quand Auguste de Labouisse dit de « l'aimable Aglaé », la plus jeune des sœurs de Jules de Paulo, qu'elle est devenue « naguère sa cousine » — à quelle date ? —, on a beau chercher dans leurs arbres généalogiques respectifs, on ne trouve pas comment. Cf. Christine Belcikowski, Auguste Labouisse-Rochefort et la Société philotechnique de Castelnaudary. 2. Une figure oubliée. De 1778 à 1795. Moi, tout cas, je n'ai pas trouvé. Pourrait-il s'agir d'un cousinage à la mode de l'Aude, comme on parle de cousinage à la mode de Bretagne ? Mais Auguste de Labouisse semble parler d'un vrai cousinage. Alors ?...↩︎M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome IV, pp. 438-439.↩︎
Ibidem, pp. 428-431.↩︎
Ibid., p. 535.↩︎
Ibid., pp. 530-531.↩︎
M. de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie ou Mémoires politiques et littéraires, tome V, Toulouse, Impr. d'Aug. de Labouisse-Rochefort, 1846, pp. 155-156.
Concernant la personnalité et l'action du général Chaussey, cf. Christine Belcikowski, Les chemins de Jean d'Abail ou la dissidence d'un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, éditions L'Harmattan, 2014 : « Républicain ardent, inquiet de prévenir une ‘‘ nouvelle Vendée ’’, qui selon lui se prépare en Ariège, l’adjudant général Chaussey tient l’usage de la force pour une nécessité de la situation présente, et c’est en ‘‘ patriote ’’ qu’il revendique la légitimité d’un tel usage, cependant qu’il en vante l’efficace à la fois curative et dissuasive : ‘‘ Si ce mouvement n’a pas eu lieu, il peut être différé et les mesures de précaution n’ont pas été inutiles, elles ne peuvent avoir porté ombrage qu’aux ennemis de la République, qu’aux amis du Trône et de l’Autel ’’, observe-t-il dans sa lettre de réponse au préfet Brun. Et, parlant des dites mesures, il conclut son propos ainsi : ‘‘ Je m’y tiens, car je le dois à ma Patrie, je le dois au Département, je le dois à mon devoir, je suis jaloux de le faire et n’aime pas à attendre que le mal soit fait à son comble sans y porter le Remède ’’. »↩︎M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome IV, 1845, p. 435.↩︎
Ibidem.↩︎
Ibid., p. 108. ↩︎
Ibid., p. 51.↩︎
Ibid., p. 112.↩︎
Ibid. pp. 67-68.↩︎
Ibid., p. 538.↩︎
Télésille ou Télésilla est une poétesse grecque de la première moitié du VIe siècle av. J.-C. Il ne nous reste de son œuvre que deux lignes, citées par le grammairien Héphaestion : « Cette Artémis, ô vierges, fuyant Alphéos... » Native d'Argos, elle s'y est trouvée célèbrée comme héroïne pour avoir sauvé sa ville natale en prenant les armes contre les Spartiates. Télésille figure de nos jours parmi les 1038 femmes référencées dans l'œuvre d’art contemporain The Dinner Party (1979) de Judy Chicago.↩︎
M. Auguste de Labouisse-Rochefort, Trente ans de ma vie (1795-1826) ou Mémoires politiques et littéraires, tome IV, pp. 73-84.↩︎