Les ornements de l'obscurité
Quand son âme nue, toujours plus revêtue des ornements de l’obscurité...
Carlo Michelstaedter (Goritz, 1887-1910, Goritz), La persuasion et la rhétorique, 1913.
J’aime les ornements,
ombres propices,
mots, images,
dont l’obscurité revêt la lumière
nue à faire peur,
peur du fer de la vérité,
bleu cruel,
qui dépouille la vie
de sa nacre changeante,
au point de faire lever
aveuglant, le non-désir,
le non-désir de voir,
d'aimer
et d'aller aux devants
des choses cachées sous les arbres
depuis le commencement du monde.
Ève n'eût pas croqué la pomme,
en son jardin,
sans l'obscurité des feuillages,
et un serpent furtif,
qu'il y faut aussi.
Quand les ombres descendent,
à longs plis,
de leurs montagnes vertes,
Fragonard le savait,
avec ses frondaisons houleuses,
ses grottes de verdure,
et ses statues fantômes,
l'ombre sied aux illusions
troublantes
l'obscurité, aux songes,
et la nuit, au sommeil
de la raison.
Quand la verticalité du fer
de la vérité,
éclair bleu,
tombe comme une hache
sur le cou de la poésie,
il n'y a d'ombres,
plus d'images,
plus de mots,
plus d'ornements
qui tiennent.
Son âme nue, toujours plus revêtue des ornements de l’obscurité, se perd en bavardages.
Carlo Michelstaedter dit avoir trouvé cette assertion dans le Gorgias de Platon. Au vrai, on trouve ceci :
... saisi et amené devant le juge, tu seras, là, gueule ouverte, pur vertige, ni plus ni moins que moi.
... ἀλλὰ ἐλθὼν παρὰ τὸν δικαστήν, ἐπειδάν σου ἐπιλαβόμενος ἄγῃ, χασμήσῃ καὶ ἰλιγγιάσεις οὐδὲν ἧττον ἢ ἐγὼ ἐνθάδε σὺ ἐκεῖ.
Obscurité, obscurité !
Jean Honoré Fragonard, L'île d'amour, ou La fête à Rambouillet, détail, 1770-1780, Musée Calouste-Gulbenkian, Lisbonne. Photographie Sailko.