Intempestif ! Robespierre vu par Jean Cau
En 1946, dit Jean Cau, « j'étais de gauche comme un Noir est noir et le sel salé » 1. En 1992, il revient sur le genre de « Sénégalais » qu'il a été et croque à cette occasion le portrait iconoclaste d'un Robespierre qui eût été un buveur, ou mieux disant un Saint Buveur 2.
À noter que, non plus que Robespierre, Jean Cau ne buvait pas.
« Étais-je de gauche ? Mais non, en aucune façon ! Il ne s'agissait nullement de cela et cette interrogation relevait d'une optique bourgeoise. On se plante devant un miroir et l'on se demande : « Suis-je de gauche ? » Ça, c'est bourgeois. Moi, j'étais en sel et, évidemment, salé. J'étais sénégalais et, évidemment, dans le reflet du miroir, noir. Je possédais heureusement un bouclier, mon corps de chair, de chaleur, de jeunesse et de sang qui, lui, se souciait de la gauche et de la droite comme de sa première quéquette et ne rêvait que vagabondages, chasses et bagatelles. Toutes activités qui m'enfonçaient dans un matérialisme de comportement « droitier », lequel n'échappait pas, entre deux baby-scotches, à mes amis, piliers à la fois de bars et de la gauche.
Allons, avoue, la chair et le sang sont toujours de droite et fous puisque la gauche, dont Robespierre — et non Mirabeau, Danton et François Mitterrand — est le modèle le plus pur, incarne la Raison et la Vertu. Robespierre buvait de l'eau, et mes amis Ricard et whisky ? Vrai, mais ça n'est pas de ma faute si l'Incorruptible ne fréquentait pas le Montana 3. Dommage. Un Robespierre toujours pris de boisson aurait préféré la couleur de l'alcool à celle du sang et, comme l'ivrogne, lui aussi, n'a plus de cause, d'innombrables têtes n'auraient pas été tranchées au nom de l'Idée. » 4
Alexandre Calder (1898-1976), Mobile de bouteille, 1950.
Jean Cau, L’ivresse des intellectuels : Pastis, Whisky et Marxisme, Paris, Plon, 1992.↩︎
Terme emprunté à Joseph Roth, in La Légende du saint buveur (Die Legende vom heiligen Trinker), 1939.↩︎
28 rue Saint-Benoît, bar célèbre du Saint-Germain-des-Prés des années 1950.↩︎
Jean Cau, L’ivresse des intellectuels : Pastis, Whisky et Marxisme.↩︎