Histoire dérangeante de Jeanne Odette Marie de Lévis, fille du dernier marquis de Mirepoix. IX. Après Lequinio

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A long time ago, in a house near a wood... Walter Crane (1845–1915), Little Red Riding Hood, Edmund Evans, engraver and printer, London, George Routledge and Sons, 1875.

Il semble depuis le début de l'histoire dérangeante qui se raconte ici, que Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix ait épousé et suivi Joseph Marie Lequinio dans toutes ses entreprises, par amour. C'est par amour aussi, sans doute, qu'elle a laissé son mari, et laissé les autres aussi, les immigrés français ou d'origine française qui gravitaient autour de lui de façon plus ou moins désintéressée, liquider, au double sens du terme, tout ou partie de la succession qui lui venait à elle de ses père et mère.

Quant aux sentiments que Joseph Marie Lequinio a pu éprouver à l'endroit de Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix, d'abord sa compagne, ensuite son épouse, on ne saurait rien en dire, sinon qu'ils semblent troubles. En 1793, dans son Discours sur le bonheur, Lequinio brosse de la sorte le portrait de l'homme heureux :

« Il ne peut voir un malheureux sans être enclin à le soulager ; ilne peut rencontrer un indigent sans désirer d'avoir quelque chose à partager avec lui ; toujours heureux quand il croit que les autres peuvent l'être, ses pensées, ses actions, tout en lui se dirige vers le bonheur public ; et par un retour aussi juste qu'inévitable, il reçoit à chaque instant des marques de reconnaissance et d'amitié ; l'homme n'est point né insensible et ingrat, et, malgré les vices de la société, celui qui travaille sincèrement au bonheur des autres, est toujours assuré d'en éprouver de la reconnaissance et de l'amour ; il est donc heureux ; mais celui dont je parle est encore heureux, alors même que ses intentions sont méconnues ; il reste toujours au-dedans de sa poitrine le sentiment profondément gravé d'avoir voulu le bien ; des larmes délicieuses viennent toujours arroser les bonnes actions qu'il a pu faire et le venger en secret de l'injustice des méchants et de l'égarement du public trompé par eux ; en vain la calomnie vient-elle à l'attaquer ; en vain l'ambition, la jalousie et toutes les petites passions attentives à égarer les uns pour persécuter les autres, lui susciteraient-elles la haine de la multitude... » 1

Si l'homme heureux dont Lequinio parle alors, est lui-même, et si, comme on a tout lieu de le penser, cet homme, en 1793, non sans braver « la calomnie », « l'ambition, la jalousie et toutes les petites passions attentives à égarer les uns pour persécuter les autres », a sauvé du Tribunal révolutionnaire la « malheureuse », « indigente », Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix, et joui de « la douce satisfaction d'avoir, autant qu'il a pu, contribué à la félicité » 2 de cette dernière — elle avait en 1793 trente-trois ans —, l'homme qu'il est devenu dix ans plus tard se soucie moins désormais du « bonheur des autres » — Madame de Kerblay a passé alors la quarantaine — que du sien propre, et moins de « vouloir le bien » que de courir après l'argent dont il a besoin pour la création et le développement de son vignoble.

D'après Jacques Bernard Lafitte [James Bertrand Lafitte ?], qui se flattait d'être son confident, Lequinio disait dans le petit cercle de ses amis négociants, « he had married his wife because her father and mother were very rich, and he wag but a poor man », « qu'il s’était marié avec sa femme parce que ses père et mère à elle étaient très riches, et qu'il n'était lui qu'un pauvre homme » 3. Et le même Lafitte tenait « qu'il s'agissait là d'un mariage contracté pour permettre à Lequinio de capter sa part de succession à la mort de sa femme. » 4

Relevé par Claudy Valin in Lequinio. La loi et le Salut public, autre point obscur de l'histoire dérangeante qui se raconte ici : le 14 juin 1808, Joseph Marie Lequinio Kerblay teste en faveur d’une certaine Cécile Nandefaire, veuve Hamot. S'agit-il d'une créancière, ou d'une maîtresse ? Lequinio lui attribue en tout cas une plantation, avec la précision qu’y sont attachés quatre negros, Montalbé, Goga, Dischong et Kina. »5. Et le 14 juin 1808, Lequinio teste cette fois, assurément pour régler une dette, en faveur de Charles Martin, à qui il cède trois femmes esclaves.

Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix, quant à elle, avait probablement lu en France Paul et Virginie, roman qui avait connu un énorme succès en 1788. Elle avait pu rêver de rompre avec l'Europe, de retourner de la sorte à la nature et d'y mener une autre vie, semblable à celle des innocents héros de Bernardin de Saint-Pierre. Il ne faut jamais oublier qu'elle sortait en 1790 du Chapitre de Neuville-les-Dames, où elle avait mené une vie religieusement réglée pendant douze ans.

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Louis Français (1814-1897), dessinateur, Orrin Smith (1799-1843), graveur, Intérieur de forêt, in Paul et Virginie, 1838.

« Vous autres Européens, dont l’esprit se remplit dès l’enfance de tant de préjugés contraires au bonheur », dit le narrateur de Paul et Virginie, « vous ne pouvez concevoir que la nature puisse donner tant de lumières et de plaisirs. Votre âme, circonscrite dans une petite sphère de connaissances humaines, atteint bientôt le terme de ses jouissances artificielles : mais la nature et le cœur sont inépuisables. Paul et Virginie n’avaient ni horloges, ni almanachs, ni livres de chronologie, d’histoire, et de philosophie. Les périodes de leur vie se réglaient sur celles de la nature. Ils connaissaient les heures du jour par l’ombre des arbres ; les saisons, par les temps où ils donnent leurs fleurs ou leurs fruits ; et les années, par le nombre de leurs récoltes. Ces douces images répandaient les plus grands charmes dans leurs conversations. » 6

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Paul et Virginie, estampe, collection « Scènes théâtrales », Paris, Imp. H. Laas, 18..

On n'imagine pas Joseph Lequinio en lecteur de Paul et Virginie. Mais, au décours de son Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura, il témoigne d'une vraie sensibilité à la nature ; et il a lu Jean Jacques Rousseau, et le Voyage dans les États-Unis d'Amérique fait en 1795, 1796 et 1797 par François Alexandre Frédéric de La Rochefoucauld Liancourt, de telle sorte qu'il a pu nourrir lors de son propres départ aux États-Unis, des attentes d'abord et surtout « physico-économiques », mais aussi « pittoresques », voire exotiques. Il se peut donc qu'au moins au début de son installation en Caroline du Sud, les « douces images » du paysage subtropical et le pittoresque du côtoiement avec les Indiens et les esclaves noirs aient répandu « les plus grands charmes » dans les conversations qu'il a partagées avec son épouse. Il ne semble pas toutefois qu'en matière de conversation;, la dimension « physico-économique » des attentes de son mari ait procuré à Madame de Lequinio autant de « charmes » que le pittoresque des paysages et des mœurs de la Caroline du Sud.

Les attentes « pittoresques » et « physico-économiques » que nourrissait de son vivant Joseph Marie Lequinio, ont été au demeurant celles d'autres Français qui, comme Lequinio, à peu près dans les mêmes années, ont émigré aux États-Unis.

Quoique autrement orienté dans son projet américain, le cas de Jean Théophile Victoire Leclerc (1771-1820) est parallèle à celui de Lequinio. Puissamment engagés tous deux dans les événements de la Révolution française, les deux hommes se sont croisés à Paris, au club des Jacobins en 1792, puis à la Convention nationale en 1793. Journaliste, rédacteur après la mort de Marat de L'Ami du Peuple de Leclerc, poursuivi en 1794 pour avoir fait partie des Enragés, rebuté ensuite par le climat réactionnaire de la France post-thermidorienne, Leclerc disparaît du sol français autour de l'année 1800. On sait aujourd'hui qu'abandonnant à Paris femme et enfant, il est parti au Mexique, puis aux États-Unis, où il a refait sa vie.

Installé en 1809 à la Nouvelle Orléans, ville qui abrite alors une forte concentration d’émigrés français, dont nombre de soldats de l’armée napoléonienne devenus aventuriers ou espions à la solde de l'Empire après le désastre de Saint-Domingue, nombre d’anciens révolutionnaires déçus, et nombre d'émigrés royalistes établis aux États-Unis depuis une décennie déjà, Jean Théophile Victoire Leclerc est en 1809, sous le nom de Jean Leclerc, imprimeur, journaliste, fondateur du journal L'Ami des Lois, ami de Jean Baptiste Simon Thierry, autre émigré français venu en Louisiane en 1804, fondateur du Courrier de la Louisiane. Très impliqué dans la vie politique louisianienne, Jean Leclerc soutient également les mouvements indépendantistes mexicains et sud-américains. Après avoir rejoint en 1819 son ami le Commodore Louis Michel Aury 7, corsaire dont le navire battait alors pavillon argentin, et essuyé avec lui diverses défaites sur mer, il mourra, probablement de la fièvre jaune, en 1820, sur l'île de Old Providence. 8

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Hanging, it is said, in a New Orleans bar called Café des Réfugiés in the early 1800s. « Accroché, dit-on, dans un bar de la Nouvelle-Orléans appelé Café des Réfugiés au début des années 1800. Ezra Ames (1768–1836), Dominick You, Jean et Pierre Lafitte, et peut-être René Beluche, dit Renato Beluche, amis flibustiers de Jean Leclerc, et de Louis Michel Aury. Louisiana State Museum.

Point de telles aventures chez Joseph Marie Lequinio, sinon celle de l'implantation de la vigne en Caroline du Sud et de la création d'une entreprise vinicole. Si l'aventure de la vigne a pu dans ses débuts passionner Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix, elle a probablement cessé de la faire rêver à partir du moment où celle-ci a observé que ladite aventure nourrissait les conversations de son mari avec les négociants d'Augusta plutôt qu'avec elle, et compris que, quoique financée avec sa fortune à elle, l'aventure en question n'était pas la sienne et celle de son mari conjointement, mais seulement la sienne à lui. Il ne lui restait plus à elle qu'à couper et coudre ses robes dans leur cabin de Good Will.

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Veuve de fermier, États-Unis, ca 1880.

Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix est veuve maintenant, et elle ne poursuivra pas l'exploitation du vignoble créé par son mari. Mais elle ne quitte pas Edgefield pour autant. Sans doute considère-t-elle qu'elle a choisi d'émigrer aux Etats-Unis et que sa vie et sa maison sont là désormais, pour toujours. De toutes les cabins construites par Lequinio en différents lieux du comté d'Edgefield, et pour l'une d'entre elles dans le comté de Greenville, elle continue d'habiter celle de Good Will (Bon Plaisir), sur la vieille route d’étape, entre Edgefield et Augusta.

Il lui importe pour l'heure d'évaluer ce qui résulte pour elle de la succession de son époux.

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Susann B. Hill, « A chateau on the Loire, and a cabin on Horn's Creek! : how a French woman of high degree, sacrificed her life for love, moved to America and... », in Edgefield Chronicle, 25 février 1923, University of South Carolina, OCLC Number/Unique Identifier: 57466749.

D'après Jacques Bernard Lafitte, « la propriété appartenait à Mme Lequino-Kerblay. Il avait encaissé de nombreuses traites envoyées de France, et avait entendu son défunt mari dire que leur contrat de mariage assurerait la succession à sa femme en cas de décès de celui-ci. »

Voici, pour mémoire, quelques-uns des points les plus saillants de ce contrat de mariage [on a supprimé ici les observations rematives aux enfants, puisqu'on sait que le couple est resté sans descendance] :

« La mise de la communauté des futurs époux sera composée de tout ; et l'autre, de tous les objets mobiliers appartenant à chacun d'eux, et des fruits, revenus et intérêts de toute espèce des biens et créances qui leur appartiennent en ce moment [24 février 1802], et des surplus de leurs apports ensemble ; ce qui adviendra et échoira à chacun d'eux pendant le mariage, tant en meubles qu'immeubles, par une cession, donation, legs et autrement, lui sera et lui demeurera propre et aux siens.

Le futur époux constitue par les présentes à la future épouse un douaire préfit [prévu à l'avance] de mille francs de rente viagère dont elle jouira dès qu'il sera ouvert, sans être tenue d'en faire la demande en justice ; le capital duquel ne sera point propre aux enfants.

Le survivant des futurs époux aura et prendra à titre de précédent et avant le partage des biens meubles de la communauté, tels des anciens biens immeubles de la communauté qu'il voudra choisir, suivant la prisée de l'inventaire qui en sera lors fait, jusqu'à concurrence de la somme de deux mille francs, ou cette somme en deniers comptants, au choix dudit survivant.

Et voulant les futurs époux se donner des preuves de leur estime et de leur amitié, ils se font par ces présentes donation entre vifs, perpétuelle et irrévocable, l'un à l'autre et au survivant d'eux ; ce accepté respectivement par les futurs époux pour ledit survivant de tous les biens meubles et immeubles, de quelque nature qu'ils soient, quelles qu'en soient l'origine, la valeur et la situation, qui se trouveront appartenir au premier mourant, au jour de son décès.

Pour, par ledit survivant, le futur époux, si c'est lui qui survit, jouir desdits biens, savoir de ceux appartenant à la future épouse en pleine et entière propriété et jouissance comme de chose lui appartenant à compter du jour du décès de la future épouse.

Et ladite future épouse, [pour jouir] de ceux [les biens] du futur époux, si elle est appelée à les accueillir en usufruit, seulement sa vie durant, sans être tenue de donner caution, mais à la charge de faire faire bon et fidèle inventaire. » 9

L'inquiétude vient, à la relecture du contrat de 1802, de ce que Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix avait vu son époux disposer de chacune des traites signées en France à son intention à elle, et dépenser ainsi en investissements opérés en son propre nom les sommes qui, une fois cumulées auraient constitué son héritage à elle seule. Que restait-il d'un tel héritage alors que celui-ci avait été largement exploité par avance ? et quid des biens propres — lesquels, au demeurant ? — de Joseph Marie Lequinio, ou encore des revenus espérés du vignoble, qui étaient censés alimenter à eux tous le « douaire préfit » de Madame de Kerblay ?

À qui les terres appartenaient-elles en définitive ? et les esclaves ? et le cheptel ? et l'ensemble du matériel agricole ? Quelle était, en 1812, la valeur de ces biens ? Sous quel nom avaient-ils été acquis ? et quid des encours de dettes ?

L'inventaire des biens de Joseph Marie Lequinio, quoique méticuleusement établi en 1812 par l'administrateur Christian Breithaup, ne suffit pas à dissiper l'interrogation qui plane quant à la propriété et à la disponibilité des biens en question.

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Papers of the Dugas and Kerblay families. Caroliniana Library. Columbia South Caroliniana Graniteville Room. Library Catalog MMS ID 991025117689705618. Identifier OCLC : (OCoLC)840441430. Merci à Ysande de Lévis Mirepoix qui, vivant aux États-Unis, a eu la grande courtoisie de me procurer une copie du dossier, conservé au South Carolina Department of Archives and History de la Caroliniana Library.

La lecture de l'évaluation ci-dessous montre que Joseph Marie Lequinio Kerblay disposait en 1812 d'un capital foncier d'une valeur d'environ 26.000 $, comprenant une plantation à Horns' Creek, une plantation au bord de la Savannah River, une plantation à Greeville, et une maison à Augusta. La lecture de l'évaluation ci-dessus montre aussi la plantation située au bord de la Savannah River et la maison à Augusta faisaient l'objet d'un partage compliqué avec un certain Isaac D'Arneille, sorti dirait-on de nulle part, et resté en dette vis-à-vis de Joseph Marie Lequinio.

On sait par ailleurs que Joseph Marie Lequinio Kerblay disposait en 1808 d'un capital humain, variable selon les années, d'une valeur d'environ 16.300 $, i.e. de quarante à cinquante « negros » 10. On ne trouve malheureusement pas d'évaluation du cheptel ni de l'ensemble du matériel agricole concernant l'année 1812.

Le partage de tous les objets mobiliers appartenant à Joseph Marie Lequinio, et celui des fruits, revenus et intérêts de toute espèce des biens et créances qui lui appartenaient au jour de son contrat de mariage [24 février 1802], et celui des surplus des apports commun ; et le partage aussi de ce qui était advenu et échu à Joseph Marie Lequinio pendant le mariage, tant en meubles qu'immeubles, par une cession, donation, legs et autrement, et qui lui était propre et lui demeurait propre, à lui et aux siens ; en droit, ce partage-là intéressait au premier chef Jean Lequinio, frère aîné Joseph Marie Lequinio, et le reste de la famille Lequinio, dans le Morbihan, si toutefois il subsistait des descendants.

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Susann B. Hill, « A chateau on the Loire, and a cabin on Horn's Creek! : how a French woman of high degree, sacrificed her life for love, moved to America and... », in Edgefield Chronicle, 25 février 1923, University of South Carolina, OCLC Number/Unique Identifier: 57466749.

Concernant la part de la succession de Joseph Marie Lequinio qui était censée revenir à la famille de ce dernier, Susann B. Hill fournit les renseignements suivants : « Comme il mourut intestat, les lois de cet État soumirent sa succession à un partage entre sa veuve et ses parents à lui, vivant en France. Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix écarta lesdits parents en ces termes : — Il [son mari] avait des relations collatérales, mais, qui elles sont en particulier, je ne saurais le dire. Elle croyait, disait-elle encore, que son mari avait un frère demeurant dans le département du Morbihan, connu sous le nom de Lequinio aîné, et aussi une nièce du nom de Mme Kellen [sic], car elle avait reçu une lettre de condoléances de celle-ci », lettre arrivée en 1813, dans laquelle Mme Kellen [sic] disait qu'elle ne pensait pas « avoir droit à la propriété de son oncle », et laissait donc entendre qu'elle doutait de pouvoir y prétendre.

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Généalogie simplifiée de la famille de Joseph Marie Lequinio. Parents, frères et collatéraux.

Le « frère [de Joseph Marie Lequinio] demeurant dans le département du Morbihan, connu sous le nom de Lequinio aîné », est Jean Lequinio, né en en 1737 à Sarzeau, élevé chez les Frères Trinitaires, devenu Trinitaire lui-même, retourné à l'état laïc à partir de la Révolution, prête-nom et complice de son frère Joseph Marie Lequinio dans les nombreux et importants achats de biens immobiliers opérés par son frère, dans le cadre de la vente des biens nationaux, à la faveur de ses différentes mandatures. Jean Lequinio a été témoin du mariage de son frère avec Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix en 1802 à Nantes et il a signé le registre d'état-civil. D'après Prosper Jean Levot, auteur en 1857 d'une Biographie bretonne, « après avoir scandaleusement apostasié et applaudi à tous les excès de son frère », il aurait vécu et serait « mort, vers 1808, à Kerblay, dans les sentiments du plus abject matérialisme. I] avait exigé, par son testament, qu’on l'enterrât dans sa vigne, et qu'il fût largement donné à boire à ceux qui assisteraient à son inhumation » 11. Le registre d'état-civil de Sarzeau indique que Jean Lequinio est mort à Kerblay le 8 octobre 1808.

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8 octobre 1808. Décès de Jean Lequinio. AD56. Sarzeau. Naissances, mariages, décès. Document EC_240-0001 - 1808-1808 1808-1808. Vue 50.

Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix ignorait donc en 1812 que ce beau-frère, témoin de son mariage, était mort à l'âge de 71 ans, sans descendance, depuis quatre ans déjà.

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15 uin 1784. Baptême de Julie Antoine Lequinio. AD56. Sarzeau. Naissances, mariages, sépultures. Document 240_1MIEC240_R17_01-0001 - 1784-1790 1784-1790. Vue 53.

L'un des déclarants du décès de Jean Lequinio est Antoine Lequinio, habitant de Sarzeau, dit « âgé de 25 ans, roulier, neveu » du défunt. Il s'agit de Julie [sic] Antoine Lequinio, fils de Nicolas Marie Lequinio (1752-1799), chirurgien, autre frère lui-même de Joseph Marie Lequinio.

La nièce « du nom de Mme Kellen », dixit Susann B. Hill, est probablement Marie Anne Françoise Lequinio, fille du même Nicolas Marie Lequinio, épouse depuis 1802 de Pierre Helleu, lieutenant de cavalerie des douanes impériales. Dans la lettre de condoléances qu'elle adresse à Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix, alias « Madame Vve Lequinio Kerblay », après le décès de Joseph Marie Lequinio Kerblay, Marie Anne Françoise Lequinio ne mentionne pas l'existence de Julie Antoine Lequinio.

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À Sarzeau circa 1900.

Là encore, il semble que Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix ignorait l'existence de Marie Anne Françoise Lequinio, sa nièce, avant que celle-ci lui ait adressé une lettre de condoléances. Et Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix ignorait sans doute tout autant l'existence de Julie Antoine Lequinio. On devine ainsi que, chez lui, à Edgefield, Joseph Marie Lequinio ne parlait à son épouse ni de ses affaires ni des « siens ».

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Papers of the Dugas and Kerblay families. Caroliniana Library. Columbia South Caroliniana Graniteville Room. Library Catalog MMS ID 991025117689705618. Identifier OCLC : (OCoLC)840441430. Merci à Ysande de Lévis Mirepoix qui, vivant aux États-Unis, a eu la grande courtoisie de me procurer une copie du dossier, conservé au South Carolina Department of Archives and History de la Caroliniana Library.

Assortie in fine d'un mot de condoléances aussi de Pierre Helleu, époux de Marie Anne Françoise Lequinio, la lettre de condoléances adressée par Madame Helleu à Madame Vve Lequinio Kerblay, est aujourd'hui très difficile à lire, car l'encre a traversé le papier, écrit recto verso, de telle sorte que les écritures se superposent et se confondent. Cette lettre fournit toutefois quelques bribes d'information.

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Papers of the Dugas and Kerblay families. Caroliniana Library. Columbia South Caroliniana Graniteville Room. Library Catalog MMS ID 991025117689705618. Identifier OCLC : (OCoLC)840441430. Merci à Ysande de Lévis Mirepoix qui, vivant aux États-Unis, a eu la grande courtoisie de me procurer une copie du dossier, conservé au South Carolina Department of Archives and History de la Caroliniana Library.

Marie Anne Françoise Lequinio Helleu et son mari, Pierre Helleu, expriment la plus vive compassion à l'endroit de Madame Le Lequinio Kerblay. Madame Helleu mentionne le nom d'un certain « D'Arneille », qui aurait été en affaires avec Joseph Marie Lequinio et qui se serait présenté à elle, par lettre, comme le fondé de pouvoir de Joseph Marie Lequinio avant le décès de ce dernier, par là habilité à remplacer l'homme qui se trouvait jusqu'alors chargé par Lequinio de la gestion de son bien de Kerblay ainsi que de la vente des autres propriétés bretonnes de Jean et de Joseph Marie Lequinio. Madame Helleu raconte qu'elle a refusé de payer à M. D'Arneille la rente qu'elle aurait dû continuer à verser à son homogogue précédent. Priant Madame Lequinio Kerblay d'excuser le retard qu'elle a pris dans le versement de cette rente, Madame Helleu lui propose d'envoyer à son adresse un relevé des comptes relatifs à ladite rente. Le détail de cet échange reste dans son ensemble à peu près illisible.

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Susann B. Hill, « A chateau on the Loire, and a cabin on Horn's Creek! : how a French woman of high degree, sacrificed her life for love, moved to America and... », in Edgefield Chronicle, 25 février 1923, University of South Carolina, OCLC Number/Unique Identifier: 57466749.

D'après Susann B. Hill, Jeanne Odette Marie de Lévis Mirepoix, après la mort de son époux, s'est trouvée complètement perdue dans un monde qui lui était resté étranger (strange world) et dans lequel il n'y avait apparemment pas un homme qui qui ne la considère comme une proie (with every man's band apparently against her). D'autant que, habituée à rester à la maison — conformément peut-être à son ancienne vie de chanoinesse —, elle ne parlait pas, ou très peu, l'anglais (not even able to speak the language of the beings around her et ne pouvait donc communiquer avec les gens qui vivaient dans son entourage. Dans ces conditions, il est facile de voir d'où vient qu'elle devait être la victime de tout aventurier qui croiserait son chemin (victim [to any adven]turer that crossed her path).

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Cabin sur une colline. Jeanne Odette Marie de Lévis, en 1812, avait toujours son logis sur la colline de Green Will.

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Historical collections of the Georgia chapters of the Daughters of the American Revolution : dedicated to the memory of Mrs. William Lawson Peel, p. 104. Document disponible sur Familysearch.

Pour le moment, les administrateurs, dont James B. Lafitte, le « confident » de Joseph Marie Lequinio Kerblay, s'empressaient de dédier à la veuve leurs services.

À suivre...


  1. Du bonheur, Angoulême, P. Broquisse, 1793, p. 14.↩︎

  2. J.-M. Lequinio, Ibidem, pp. 13-14.↩︎

  3. Susann B. Hill, « A chateau on the Loire, and a cabin on Horn's Creek! : how a French woman of high degree, sacrificed her life for love, moved to America and... », in Edgefield Chronicle, 25 février 1923, University of South Carolina, OCLC Number/Unique Identifier: 57466749.↩︎

  4. Papers of the Dugas and Kerblay families. Caroliniana Library. Columbia South Caroliniana Graniteville Room. Library Catalog MMS ID 991025117689705618. Identifier OCLC : (OCoLC)840441430. Merci à Ysande de Lévis Mirepoix qui, vivant aux États-Unis, a eu la grande courtoisie de me procurer une copie du dossier, conservé au South Carolina Department of Archives and History de la Caroliniana Library.↩︎

  5. Claudy Valin, Lequinio. La loi et le Salut public, Chapitre VIII. Épilogue : Joseph-Marie Lequinio aux États-Unis d’Amérique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, pp. 303-320.↩︎

  6. Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, Paris, P. Didot l’aîné, 1806.↩︎

  7. Cf. Louis Michel Aury ; 200 years after Old Providence's liberation.↩︎

  8. Cf. Christelle Augris, Jean Théophile Victoire Leclerc. La vie d'un révolutionnaire enragé, Saint-Herblain, 2020.↩︎

  9. Cf. Christine Belcikowski, Histoire dérangeante de Jeanne Odette Marie de Lévis, fille du dernier marquis de Mirepoix. IV. À Paris, en 1802, son mariage avec Joseph Marie Lequinio, Suite du contrat de mariage 2.↩︎

  10. Cf. Christine Belcikowski, Histoire dérangeante de Jeanne Odette Marie de Lévis, fille du dernier marquis de Mirepoix. VIII. À Edgefield, en Caroline du Sud.↩︎

  11. Prosper Jean Levot, Biographie bretonne : recueil de notices sur tous les Bretons qui se sont fait un nom, volume 2, Vannes, Cauderan, Libraire-Éditeur, 1857, p. 311.↩︎

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