Fin du XVe siècle. Instructions pour la perception des droits de prélation, lods et ventes, culture des terres en friche, dans la seigneurie de Mirepoix
Détail de la carte du diocèse de Mirepoix, in César François Cassini de Thury (1714-1784), Diocèses de la province du Languedoc, C. Aldring sculpsit, Bourgoin jeune scripsit, Paris, 1781.
Détail de la carte du diocèse de Mirepoix, in Diocèses de la province du Languedoc. Pour voir une carte simplifiée de la seigneurie de Mirepoix toute entière, telle qu'attribuée par saint Louis à Gui I de Lévis en 1229, cf. Pyrénées cathares. Patrimoine.
De la pièce non datée, traduite de l'occitan ci-dessous, Félix Pasquier dit qu'au vu de sa graphie originale elle remonte à la fin du XVe siècle, soit à la fin de la seigneurie de Jean IV de Lévis († 1492) ou au début de la seigneurie de Jean V. Elle est écrite dans un occitan qui se rapproche désormais de celui que nous connaissons aujourd'hui encore, et elle fait montre d'un style plus simple et plus clair que celui des chartes des siècles précédents. Le lexique lui-même en est, sauf exception, plus transparent. On a donc voulu ici que la traduction demeure la plus fidèle possible au phrasé et au lexique du texte originel. D'où, par exemple, la reprise du mot « possession », qui désigne génériquement la propriété d'un bien foncier, ou indifféremment dans la catégorie des biens immobiliers, une pièce de terre ou une maison.
De la lecture de cette pièce, on déduira qu'à la fin du XVe siècle, comme tant d'autres seigneurs de son temps, le seigneur de Mirepoix a su non seulement appliquer en matière de droit foncier les principes hérités du droit romain, invoqués ici sous le manteau des « coutumes tenues et observées depuis tant de temps qu'il n'y a pas mémoire du contraire », mais user au mieux de ce droit, et tirer de l'application de ce dernier le maximum de revenus possible, sur le mode de la « pompe à phynance »...
À noter que, seule alors dans la seigneurie de Mirepoix, la partie ecclésiastique échappe à la perception des droits de prélation, lods et ventes ; car les biens de l'Église sont inaliénables.
* * *
*
Traduction
On suivra les coutumes des terres et des seigneuries de Mirepoix et de Lagarde touchant les lods (lodz) 1 et ventes (vendas), coutumes tenues et observées depuis tant de temps qu'il n'y a pas mémoire du contraire.
1. Et premièrement, si un homme laïc, habitant desdites seigneuries, vend purement et simplement sa possession à un autre, le seigneur la peut prendre par droit de prélation (iure prelationis) 2, en remboursant l'acheteur (comprador) conformément aux conditions qu'aura fixées le vendeur (vendedor).
2. Et s'il ne veut pas la retenir par droit de prélation, si bon lui semble, il la tiendra quarante et un jours, et ensuite il la fera mettre aux enchères par un sergent [de ville] ou par le bayle du lieu.
3. S'il s'en trouve plus d'une qui ne soit pas vendue, celle qui se trouvera en plus, le foriscape 3, qui est du XIIe du denier [douzième du prix], sera pour l'ensemble et appartiendra audit seigneur.
4. De plus, il faut savoir que si un homme vend à recouvre de trois ans, ledit seigneur ou son procurateur (procurayre) ont puissance expresse tous deux d'exercer leur droit de lauzime (lauzar) 4 sur ladite possession, et de n'en prendre que le XIIe de denier [le foriscape].
5. Et au bout desdits trois ans, l'acheteur est tenu de venir dire audit seigneur que, si bon lui semble, il peut faire mettre ladite possession à l'encan (encant) ou en réserve (retenga), toujours par droit de prélation, au cas où le vendeur ne la voudrait pas recouvrer.
6. Et si le vendeur la recouvre, il doit le foriscape, qui est le douzième du prix (XIIe de denier).
7. De plus, si une possession se vend à recouvrement (recobre) de quatre ans ou plus, ledit seigneur ou son procurateur ne prendra point le foriscape ; ou s'il lui semble mieux, il la fera aller à l'encan, et la possession susdite sera et appartiendra audit seigneur, comme si elle avait été vendue de façon pure et simple.
8. De plus, dans la cité de Mirepoix seulement, si un habitant vend une possession dans la baylie [bailliage] de ladite cité, cette possession n'ira pas à l'encan, mais l'acheteur paiera le foriscape et le foriscapion 5, qui est le foriscape du foriscape.
9. Et s'il est donné avis audit seigneur ou à ses officiers qu'il y a des fraudes (baratas) ou autres, que ladite possession n'a pas été vendue, mais baillée (donnée) a bal, ledit seigneur ou son procurateur la fera estimer par des gens de bien, moyennant serment (meianan sagrament), et, à la suite de ladite estimation, se paieront le foriscape et le foriscapion.
10. Et s'il se trouve dans ladite cité ou dans toutes les autres seigneuries que, pour frauder ce qui est dû au seigneur, les parties n'aient pas révélé leur prix de vente ou qu'elles ne l'aient pas inclus dans l'acte correspondant, dans ce cas, le seigneur peut confisquer (prendre per confisc) ladite possession et en bailler le titre de propriété (bailar son libel).
11. De plus, si deux possessions s'échangent, et que l'une est baillée pour l'autre sans aucune soulte (no y a degunas tournas) 6, ledit seigneur ou son procurateur les fera estimer toutes les deux, ou la meilleure, et au regard du prix qu'elles seront estimées, les parties paieront le foriscape (le XIIe denier) pour chacune d'entre elles.
12. De plus, si mêmement deux possessions s'échangent, l'une bien meilleure que l'autre, et s'il n'y a aucune soulte, ou s'il y en a une, mais que les parties qui le savent entre elles ne le veulent pas révéler, la meilleure des deux possessions sera estimée. Et, au regard du prix que la bonne (bonna) vaudra, la moins bonne (petita) paiera le foriscape ; car il est à présupposer que la chose (causa) qui se peut vendre vaut cela, et puisque la partie a fixé [la valeur de] la grande (granda) au regard de [la valeur de] la petite (petita), tant doivent valoir l'une que l'autre.
Et ainsi en use-t-on dans lesdites seigneuries.
13. De plus, si deux possessions s'échangent, l'une valant beaucoup mieux (milhor) que l'autre, et s'il arrive que pour celle qui a le plus de valeur (la mes valensa), l'une des parties verse (torna) à l'autre une somme d'argent, ledit seigneur fera estimer la meilleure possession ou celle qui est de valeur moindre (petita), et la soulte correspondante ; car vaille que vaille [quoi que vaille] en matière de soulte l'une comme l'autre, le foriscape (lo XIIe denier) sera payé.
14. De plus, si dans lesdites seigneuries, tant de Mirepoix que de Lagarde, et dans d'autres seigneuries dépendantes de celles-ci, deux possessions s'échangent et que l'une d'elles vaille cent francs et l'autre seulement deux, il ne s'agit plus là d'échange (camby), mais de vente (venda), même s'il (encaras) y a eu soulte à cette occasion (à la razo) ; et là, ledit seigneur peut mettre à l'encan ou retenir par droit de prélation, comme bon lui semblera.
15. De plus, toute personne qui achète une possession, est tenue de le révéler dans un délai de quarante jours. Autrement, si l'acheteur y entre sans le congé dudit seigneur ou de son procurateur, avant tout mandement exprès, ladite possession sera confisquée.
16. De même, un paysan (pages ), habitant dans lesdites seigneuries, ne peut vendre les terres incultes (herms), soumises à l'agrier, dans le but d'échapper à l'acapte 7qu'il doit [payer] au seigneur ou à son procurateur.
17. Et s'il n'y a pas de labour pendant trois ans, passé lesdits trois ans, ledit seigneur ou son procurateur peut bailler lesdites terres incultes à quelqu'un qui les labourera et les fera valoir à son profit [le profit du seigneur], et cela, parce que jamais ledit seigneur ne tirera profit desdites terres incultes, s'il n'y a personne qui les exploite (expleicta.
18. Et si d'autres fois encore le paysan a laissé un champ en jachère, et s'il l'a laissé ainsi pendant plus de trois ans, le seigneur baillera ce champ ainsi qu'est dit dessus à propos des herms.
19. De même, le paysan qui louera ses prés, en paiera l'agrier, mais le service 8 [qu'il doit] s'en trouvera réduit (rebatut). 9
Diderot et d'Alembert, L'Encyclopédie, 23.
Lods : paiement pour obtenir le consentement du seigneur à l'aliénation d'une tenure ; droit de mutation.↩︎
Droit de prélation : droit de préférence réservé au seigneur pour l'acquisition d'une terre ou d'un bâtiment, moyennant le remboursement de l'acquéreur.↩︎
Foriscape : droit de mutation payé au seigneur par l'acheteur d'un bien. Cf. Marie-Laure Jalabert, Le livre vert de Pierre de la Jugie, chapitre II. La seigneurie foncière, 2. Les droits casuels : acaptes et droits de mutation, b. Les lauzimes et foriscapes, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2009, pp. 245-258 : « Les lods ou lauzimes représentent l’acceptation du changement de tenancier par le seigneur féodal direct, la garantie de la conclusion de la transmission. Le foriscape est le droit de mutation que le seigneur foncier éminent prélève à cette occasion. Tout type d’aliénation est concerné : ventes, échanges avec soulte, inféodations... »↩︎
Lauzime : synonyme de droit de lods et vente, ou droit d'autoriser une cession, laquelle requert ensuite le paiement d'un foriscape. ↩︎
Foriscapion : double foriscape ou droit de mutation se rajoutant à celui de foriscape. Cf. Marie-Laure Jalabert, op. cit. : « Les comptes d’Alaigne mentionnent aussi, pour certaines ventes, un foriscapione du douzième de la valeur du foriscape, qui s’ajoute au prélèvement. Cette surtaxe n’est pas systématique et ne dépend ni du type d’aliénation ni du type de bien. Certains acquéreurs bénéficient de remises mentionnées par la tournure stéréotypée : facta gracia de... ». La pratique est particulièrement fréquente dans la baylie de Narbonne. Ces déductions, non proportionnelles aux sommes dues, sont faites sur ordre des dignitaires archiépiscopaux, mais ni le calcul ni les modalités des attributions ne sont précisés. »↩︎
Tourna, soulte : dans un contrat d'échange ou dans un partage, versement d'une somme d’argent permettant de compenser l'excédent de valeur du ou des biens reçus à l'occasion dudit échange ou partage.↩︎
Acapte : paiement du droit d'accès à la possession d'une tenure. Cf. Marie-Laure Jalabert, op. cit. : « La concession d’une tenure se fait par la conclusion d’un contrat, à durée perpétuelle, que les notaires appellent acapte ou emphytéose, selon la terminologie savante réintroduite avec le droit romain. Ce contrat prévoit une redevance annuelle, à terme fixe, et le paiement d’un prix d’entrée. Le droit du tenancier sur la tenure est si fort qu’il peut la vendre : le seigneur perçoit alors un foriscape ou droit de mutation, pour prix de son accord. »↩︎
Service : de même qu'à titre de « service », les vassaux doivent à leur suzerain un service militaire, à titre de « service », les paysans qui bénéficient d'une tenure doivent à leur seigneur ou bien divers travaux ou bien le paiement d'une somme en argent.↩︎
Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome 2, Toulouse, Imprimerie et Librairie Édouard Privat, 1921, pp. 422-424. Traduction et annotations Christine Belcikowski.↩︎