12 septembre 1417. Lettre de Roger Bernard II de Lévis relative au projet d'aménagement de fossés et de construction d'un moulin du Chapitre

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Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

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Détail du plan 1 du compoix de Mirepoix de 1766 : Moulon du cimetière, Le Sautadou et partie du faubourg d'amont. Sur ce plan, on remarque la mention « Les caves vieilles ». Il s'agit des « caves », ou fossés, qui font en grande partie l'objet de la lettre de Roger Bernard II de Lévis traduite ci-dessous. À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, ces « caves » ont été peu à peu comblées et transformées en promenades bordées d'arbres, puis en cours, livrés aujourd'hui à la circulation automobile. Seule subsiste la Promenade des soupirs.

Le 12 septembre 1417, dans le cadre du paréage qui lui impose d'administrer sa seigneurie sous le contrôle du pouvoir royal, Roger Bernard II de Lévis, seigneur de Mirepoix, autorise les consuls et les chanoines de la ville à demander au roi Charles VI l'autorisation d'utiliser le produit de l'aide 1 pour construire des fossés destinés au détournement de l'eau du ruisseau Countirou à fin d'installation de viviers, et pour construire aussi sur l'un de ces fossés un nouveau moulin, dont l'installation, réclamée depuis longtemps par le Chapitre, ferait suite à celle d'un premier moulin, antérieurement situé aux parages de l'ancienne abbaye Notre Dame de Beaulieu, détruite par les routiers lors de l'incursion dévastatrice du début des années 1360 2.

Jointe sans doute à un autre document destiné à l'administration royale, mais destinée d'abord aux consuls et à la communauté de Mirepoix, la lettre dans laquelle Roger Bernard II de Lévis autorise le projet en question, est écrite en vieil occitan. La copie qui nous en est parvenue, date, comme on peut voir ci-dessous, du 30 juin 1418.

Maître Guilhermus Maracelhani, bachelier en droit, commissaire subrogé par le seigneur sénéchal de Carcassonne, auteur de ladite copie, signale que la lettre ainsi copiée a été « extraite du procès-verbal exécutoire, sans [ou avant] entérinement de lettres de certification royales de l'attribution de l'aide... » Ladite lettre constitue donc, au plus près de sa source, une sorte d'enregistrement verbatim de la parole de Roger Bernard II de Lévis. Ce verbatim est d'une couleur occitane si frappante, que, dans le cadre d'une traduction lisible, j'ai tenté d'en conserver au mieux les tournures et les mots. Ainsi pensait et parlait le seigneur de Mirepoix en 1417.

Après avoir copié l'occitan dudit seigneur Roger Bernard II de Lévis, maître Guilhermus Maracelhani ajoute à cette copie une note infrapaginale en latin. La différence de style ne laisse pas de surprendre.

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Traduction du vieil occitan

Sachez tous que nous, Roger Bernard de Lévis, seigneur de Mirepoix et de Lagarde, comme nous avons entendu...

... que les consuls et autres bonnes gens de la cité de Mirepoix, et Monseigneur l'évêque et le chapitre, se sont accordés pour demander à notre seigneur roi l'aide de la ville, il y a un certain temps, pour faire les fossés (cavas et valatz), par où viendrait l'eau du ruisseau appelé Coutirou [sic] auxdits fossés ;

... que le moulin (moly) que nous avions octroyé de faire audit chapitre (capitol), au lieu dit des Nonnes (las Mongas), nous puissions le mettre dans la ville ou dans les fossés de la ville ;

... que si la guerre venait, on puisse se défendre, et que le chapitre qui le [moulin] bâtira, ait le profit qu'il avait de l'autre [moulin] ;

... et que dans lesdits fossés se fassent des poissons, desquels le profit qui en sera, se convertira dans lesdits travaux (obras), ainsi comme fera ladite aide ;

— excepté que quand on pêchera, on sera tenu de nous donner deux des plus beaux poissons qui y seront — ;

... et que personne n'ose pêcher, en peine de vingt (binct) sols tournois, à appliquer la moitié auxdits travaux, et l'autre moitié à notre paréage ;

... et que sur cela (asso), nous avons supplié (supplicat) que nous y voulons (bolham) prêter notre consentement ;

Nous, attendu que c'est notre grand honneur et utilité de nous et de ladite notre cité et de tout le public et du Roi, y prêtons notre consentement...

... et voulons qu'auxdits travaux puissions prendre de notre terre et de nos bois (bosquatges), futaies, pierres (peyras), arbres et paille (fe panatge, droit de ramasser de la paille, du foin) et autres choses à qui elles appartiennent, pour le pont, planches, meules (tornalhs), et autres édifices et ouvrages d'art (artifices) ici nécessaires.

Et en témoignage de cela, nous leur avons consenti des lettres, signées de notre main et scellées de notre sceau appendu, données à notre château (castel) de Lavelanet, le douzième jour de septembre, l'an de Notre Seigneur mille quatre cent dix-sept.

Et qu'aucun homme n'ose pêcher, ni faire pêcher, sinon qu'il y ait un officier des nôtres.

Et nous avons octroyé cela de consentement de nos conseillers : Monsieur Jehan Arnaut, seigneur de Sarraute, Arnaut de Castanet, seigneur de la Tour, et Ramon de Botgia.

De plus, nous voulons que ledit chapitre, ou son trésorier, ait à payer à nos receveurs, chaque année, pour ledit moulin, et à nos successeurs, chaque année, à la fête de Toussaint (Totz Sans), deux deniers tournois (dos deniers torneses).

Traduction du latin

Écrit comme dessus. Constaté par nous.

Extraite du procès-verbal exécutoire, sans entérinement de lettres de certification royales de l'attribution de l'aide (ayde, sive aiuda) et de la construction des fossés de la cité de Mirepoix, déjà réclamés et obtenus jadis par les consuls et les chanoines de l'église cathédrale de Mirepoix, cette copie a été faite par maître Guilhermus Maracelhani, bachelier en droit (in decretis baccalarius), commissaire subrogé par le seigneur sénéchal de Carcassonne, le trentième jour du mois de juin de l'an du Seigneur mille quatre cent dix-huit. Lesdites lettres se trouvaient insérées dans ledit procès-verbal, et, grâce à ladite insertion, cette copie a pu être colligée (correcta3 par moi.

B. Catherii, notaire 4


  1. Cf. Dominique Ancelet-Netter, La dette, la dîme et le denier, ch. III : « Le vocabulaire fiscal », Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010 : Le mot « aide » désigne initialement « tout subside ou secours extraordinaire que tout tenancier doit à son suzerain, tout feudataire à son seigneur, dans cinq cas précis, déterminés par les coutumes : lorsque le seigneur ou son fils aîné est armé chevalier, lors du mariage de la fille aînée, lors d’une rançon due en cas de détention du seigneur par l’ennemi, lors de la guerre, à l’occasion d’un pèlerinage effectué par le seigneur, lors de la réception de l’empereur (corredum). Comme leur nom l’indique, les aides sont faites pour aider le suzerain et n’ont donc pas de caractère systématique. La perception de cet impôt est conditionnée par un emploi précis. Il est consenti à chaque fois et jamais acquis. Le caractère extraordinaire des aides est intrinsèque à cet impôt : le dauphin Charles respecte la coutume en convoquant les États Généraux de 1356 pour obtenir par vote la levée d’aides extraordinaires pour pouvoir payer aux Anglais la rançon de son père. Ce n’est qu’au fil des siècles que cet impôt fut dénaturé, que l’extraordinaire devint ordinaire, que les rois se passèrent de l’avis des États Généraux et que les aides devinrent l’impôt royal obligatoire. C’est de l’aide féodale qu’est issu l’impôt royal et par voie de conséquence tout le système des contributions publiques modernes. »↩︎

  2. Détruite par les routiers en 1360-1362, l'abbaye Notre Dame de Beaulieu se tenait à Mirepoix, sur le périmètre de l'actuel quartier de la Mestrise.↩︎

  3. Plutôt que « corrigée », peu probable pour une lettre copiée mot à mot, correcta semble signifier ici « colligée ». Ducange donne pour le mot correctores la glose suivante : Magistratus provinciales, maxime per Italiam, titulo Clarissimorum honestati ; medium inter consulares et præsides locum tenuisse colligitur ex ordine a Notitia imperii observato.↩︎

  4. Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome 2, Toulouse, Imprimerie et Librairie Édouard Privat, 1921, pp. 412-413. Traduction et annotations Christine Belcikowski.↩︎

2 commentaires

#1  - Jacques Gironce a dit :

Asso s'écrit en graphie classique aço, avec accent grave sur o; signifie ceci. en opposition à aquo (accent grave sur o), qui se traduit par cela.
Mongas s'écrit monjas (proncer mounjos au pluriel); signifie nonnes, religieuses, soeurs.

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#2  - Belcikowski a dit :

Merci Jacques pour le retour sur l'orthographe classique.
Comme le copiste du temps parle d'une copie verbatim, j'ai conservé sa graphie à lui. Pour les nonnes (un moment d'inattention), j'ai corrigé.

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