18 octobre 1272. Plainte de Gui III de Lévis, seigneur de Mirepoix, contre Guillaume de Cohardon, sénéchal de Carcassonne

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De gauche à droite : ancien château de Mirepoix, ca 1830 ; ancien château de Carcassonne, ca 1860.

Successeur de Gui II de Lévis, son père, mort vraisemblablement en 1260 ou 1261, Gui III hérite de la seigneurie de Mirepoix, dont la ville éponyme se trouve située encore sur la rive droite de l'Hers, et d'autres fiefs, dont certains situés dans les actuels départements de l'Aude et de l'Hérault, ainsi que du titre de maréchal — maréchal d'Albigeois ou maréchal de la foi —, conféré en 1226 à Gui I, son grand-père, en récompense de sa participation à la croisade contre les Albigeois.

« C'est depuis 1226 que Gui de Levis devient maréchal du roi de France. Ses successeurs se donnèrent le titre de maréchaux de Mirepoix ou maréchaux d'Albigeois, jusqu'à la fin du quinzième siècle, époque à partir de laquelle ils se qualifièrent de maréchaux de la foi, qualité qu'ils ont toujours prise depuis et qu'ils regardent comme héréditaire, sous le fondement que Gui I fut maréchal de l'armée de la foi.

Il est certain que de même que tout le Languedoc fut donné au susdit Simon, comte de Montfort, par le Saint-Siège, tout le pays de Mirepoix fut aussi donné à Guy de Lévis, maréchal de l'armée de la croisade, en fief de l'Église, sous l'obligation d'achever d'exterminer les hérétiques, et sous le titre de marescallus Mirapiscensis. L'institution que le légat du pape lui en fit, lui fut peu après confirmée, et par le Saint-Siège et par le Roy. » 1

En 1265, Gui III de Lévis a suivi Charles d'Anjou, roi de Sicile, en Italie. En 1270, il participe à la VIIIe croisade sous la conduite de Saint Louis. À la fin de la même année, il est nommé gouverneur du Languedoc par Philippe III le Hardi, fils de Saint Louis. À cette date, il entretient déjà un conflit larvé avec le sénéchal de Carcassonne et de Béziers, Guillaume de Cohardon 2, qui entend l'obliger, lui comme d'autres seigneurs languedociens, à séjourner à Carcassonne par roulement trois mois par an afin de s'y rendre immédiatement disponible pour le service du roi. En 1272, il entre en conflit ouvert avec le même sénéchal et engage à la Cour de Carcassonne un procès dans lequel, se réclamant de l'article 18 de la charte signée à Pamiers en 1212 par Simon de Monfort, il requiert le maintien pour les barons languedociens du droit de ne rendre le service militaire qu'avec des soldats français, et non avec des hommes du pays languedocien, et dénonce ce qu'il tient pour constituer d'insupportables violations de son autorité et de sa juridiction seigneuriales.

Gui III de Lévis, maréchal d'Albigeois, seigneur de Mirepoix, contre Guillaume de Cohardon, homme d'armes, sénéchal de Carcassonne et de Béziers : deux hommes de forte trempe, l'un soucieux de défendre sa souveraineté de baron languedocien, l'autre soucieux de défendre la souveraineté du roi de France, s'affrontent.

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Traduction. Collection Doat, vol. 82, folio 348, seigneurie de Mirepoix

XVe jour des calendes de novembre an MCCLXXII (15 novembre 1272)

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De gauche à droite : ancien château de Mirepoix, ca 1830 ; ancien château de Carcassonne, ca 1860.

Sachez tous, présents et futurs, autant que vous êtes, que, le seigneur noble homme Gui de Levis, maréchal de l'Albigeois et seigneur de Mirepoix, ayant fourni ou transmis au seigneur noble homme Guillaume de Cohardon, homme d'armes, sénéchal de Carcassonne et de Béziers, certain parchemin contenant certains articles, le même seigneur sénéchal a répondu aux articles susdits, qui figuraient sur ledit parchemin. La teneur desdits articles, telle que détaillée sur ledit parchemin, se présente comme suit.

I. Plaintes de Gui III, seigneur de Mirepoix, à l'endroit de Guillaume de Cohardon, sénéchal de Carcassonne et de Béziers

L'an du Seigneur mille deux cent soixante-douze, sachez tous que le seigneur noble homme Gui de Lévis, maréchal de l'Albigeois et seigneur de Mirepoix, s'est présenté devant le seigneur noble homme Guillaume de Cohardon, homme d'armes, sénéchal de Carcassonne et de Béziers, et l'a requis, en présence des témoins soussignés, et en ma présence à moi, notaire, de mettre fin aux abus (gravamina) qui ont été commis à son endroit par lui [le sénéchal] et par ses subordonnés, tant de son fait à lui [le sénéchal] que du fait de ses juges ; il s'agit des abus qui ont été commis en subversion et spoliation du droit et de la juridiction que lui-même [Gui III de Lévis] a et doit avoir, et que lui même et ses ancêtres avaient conservés en propre jusqu'ici dans leur terre et dans les terres de leurs feudataires.

Puisque, aussi bien, ledit maréchal a pouvoir (imperium) plein (merum) et partagé (mixtum) et liberté de juridiction dans toute sa terre d'Albigeois 3, et plein pouvoir (merum imperium) dans les terres de ses vassaux et de ses feudataires, et puisque lui-même, et son père [Gui II de Lévis], et son grand-père [Gui I de Lévis], ont eus, tenus et exercés ce pouvoir et cette liberté de juridiction continuellement pendant cinquante ans et plus, ledit sénéchal ledit sénéchal, en envahissant, de son autorité propre, et violant la susdite juridiction, autant dire en l'usurpant de son propre fait et du fait de ses juges, a commis divers abus à l'endroit du même seigneur maréchal et des siens, comme signalé ci-dessous.

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Serignan et Sauvian sur la carte de Cassini.

1. Alors que le propre juge du maréchal, afin de pouvoir lever l'amende requise, enquêtait sur les rixes et échauffourées (mesleiæ) survenues entre plusieurs hommes de Serignan et de Salvian 4, le même seigneur de Mirepoix s'était plaint (conquestus fuisset) au seigneur Louis [Louis IX dit Saint Louis], d'illustre mémoire, éminent roi de France, de ce que le sénéchal de Carcassonne ait interdit la poursuite de ladite enquête, usurpant ainsi indûment (indubite) la juridiction dont le susdit maréchal détenait la propriété, ou quasi propriété, de longue date (possessio diuturna) ; le susdit seigneur roi a mandé au sénéchal de Carcassonne qu'après avoir écouté les preuves, raisons et autres qu'on voulait présenter, il fasse plein droit (plenum ius), de façon mûrement réfléchie (et maturum). Or, négligeant l'enquête qui avait été faite et rendue publique, et autres éléments de compréhension, concernant l'affaire en question, le sénéchal n'a pas voulu procéder, ni se prononcer non plus, bien qu'il ait été requis plusieurs fois de le faire par ledit seigneur maréchal. Bien au contraire (imo), marchant ainsi à l'encontre du mandement royal [celui de Saint Louis], à propos desdites rixes et échauffourées, il a fait citer à comparaître devant lui lesdits hommes de Serignan et de Sauvian, et il a agi ainsi de la façon la plus préjudiciable et la plus abusive à l'endroit de l'instruction entreprise par ledit seigneur maréchal.

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Illustration extraite du Speculum Virginum, auteur inconnu, ca 1200, Kestner Museum, Hanover, Inv. Nr. 3984.

2. De plus, alors que le même maréchal et ses susdits prédécesseurs tenaient et ont tenu dans le passé la terre qu'ils continuent à tenir, en vertu de la conquête de l'Albigeois et à la condition qu'ils se montrent fidèles au service du seigneur roi de France ; le susdit sénéchal, au prétexte que les hommes [homines] et les sujets du même maréchal demeuraient depuis cinquante ans et plus, libres et exemptés de toute participation à l'ost, à pied ou à cheval, et de tout déploiement de cet ost à la requête du seigneur roi et des siens, [le susdit sénéchal] a pignoré [saisi] et fait que soit pignoré le même seigneur maréchal, parce que, alors qu'il n'y a pas longtemps le seigneur Philippe, grâce à Dieu, illustre roi des Français, marchait contre Pamiers, les hommes et les sujets dudit maréchal ne lui avaient pas été envoyés en renfort, même si ledit maréchal les avait à disposition pour cela, car celui-ci avait préféré, en son propre nom et au nom de ses hommes et de ses sujets, s'en tenir à son propre droit.

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Montaut et la Bastide de Garderenoux sur la carte de Cassini.

3. De plus, comme Lupus [Loup] de Foix 5 tenait dans le fief du même seigneur maréchal, au motif du service militaire qui avait été requis dudit maréchal et que celui-ci n'avait pas rendu, le castrum de Monte Alto (Montaut), la moitié de la ville de Bastida de Gardarono (La Bastide de Garderenoux, aujourd'hui La Bastide-de-Lordat), et une certaine carantena [un certain nombre de carantenas ; carantena : mesure de vingt pieds], avec ses dépendances, dans le castrum de Fanum Jovis (Fanjeaux), ledit sénéchal, au motif que ledit maréchal n'avait pas répondu à la susdite réquisition, a mis au ban et occupé ledit fief, et se l'est approprié en retour à cette occasion, comme il dit, parce que ledit Lupus et son fils, Rogerius Isarni [Roger Isarn], au nom du seigneur Garcia Arnaldo de Castro Verduno [Garcie Arnaud de Château-Verdun] 6, homme d'armes, s'étaient dans l'intervalle obligés au procurateur du comte d'Empurias (Ampurias) [vassal du roi d'Aragon]. Sous le couvert de ladite occupation, le même maréchal se trouve donc dépossédé par tromperie, et contre toute justice, du service que ledit Lupus et son susdit fils étaient tenus de lui prêter, même si le même maréchal avait matière à se plaindre de ses deux feudataires devant la justice et de faire ainsi ce qu'il devait.

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Aujourd'hui dans l'Aude, Roquetaillade et Alet sur la carte de Cassini.

4. De plus, alors que la seigneuresse Iaquilina (Jacqueline de Rivière) 7, seigneuresse du castrum de Rupe Talliata (Roquetaillade), qui est feudataire du même maréchal, avait interdit aux hommes (homines) d'Electum (Alet) et autres d'entrer dans les pâturages de son castrum et d'y faire paître leurs bêtes sans sa permission et contre sa volonté, puisqu'elle avait l'habitude de vendre lesdits pâturages aux hommes susdits ; et comme, sans craindre aucunement son interdiction, les mêmes hommes étaient entrés dans lesdits pâturages et que leurs bêtes s'étaient immiscées à leur suite dans les pâturages en question, et que par suite ces bêtes avaient été pignorées (saisies) par les mességuiers et autres gens (forasterii, littéralement des extras) dudit seigneur [Gui III de Lévis], et que la susdite seigneuresse avait émis d'autres injonctions (precepta) légales et honnêtes, visant à empêcher lesdits hommes d'Electum de toute violation [de ses pâturages] ; ledit sénéchal et ses juges ont mandé au seigneur susdit [Gui III] et à ses affranchis (liberi) de rendre incontinent les bêtes pignorées et de révoquer les susdites injonctions, car celles-ci n'avaient pas été formellement portées à la connaissance dudit seigneur sénéchal ni requises auprès de lui, de telle sorte qu'on ne pouvait leur reconnaître de valeur juridictoire ; et on pignoré la susdite seigneuresse et ses subordonnés afin qu'ils obéissent aux commandements dudit sénéchal et de ses juges, même si, protestant hautement du droit dudit maréchal, la même seigneuresse déclarait s'en tenir au droit, tandis que les hommes en question [les hommes d'Electum], dans le même temps, portaient plainte à propos de cette affaire à la Cour dudit maréchal.

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Traité de zoologie, par Abd Allah ibn Djibrîl ibn Bakhtyaschoû, 1300, BnF, Département des manuscrits, Arabe 2782, folio 6v.

5. De plus, les susdits hommes d'Electum, soulevés par par leur coup d'audace précédent, et encouragés par la confusion ambiante (turba), ont poussé leurs bêtes plus avant dans les pâturages et le territoire dudit castrum, et ils se sont rués sur les mességuiers ou sur les autres gardes dudit seigneur [Gui III de Lévis] qui avaient à pignorer (saisir) lesdites bêtes au motif de la taxe (forastagium) imposée par les mœurs et la coutume de la terre ; et lesdits hommes d'Electum ont fait injure de leur fonction de gardes aux ordres (inculpate tutele) aux hommes dudit seigneur [Gui III de Lévis] et aux hommes dudit castrum, qui, du mieux qu'ils pouvaient, sans outrepasser leurs droits (cum moderamine, s'efforçaient de défendre les gardes eux-mêmes de la violence desdits hommes d'Electum, tandis que ceux-ci leur criaient : Moriantur ! À mort ! ; et les hommes dudit seigneur [Gui III de Lévis] et ceux dudit castrum ont fui lesdits hommes d'Electum jusqu'audit castrum ; et, au vu d'une telle violence, ladite seigneuresse a placé ses hommes sous sa protection et convoqué plusieurs de ses amis et de ses familiers afin qu'ils les défendent et qu'ils les aident au maintien de son droit ainsi qu'à celui de sa possession des pâturages et du territoire susdits, si par hasard lesdits hommes d'Electum tentaient de s'emparer des droits et de la propriété dudit seigneur [Gui III de Lévis]. Et ledit sénéchal a convoqué à sa Cour la même seigneuresse, ses affranchis, ses hommes, ses subordonnés et les familiers de ces derniers ; et il s'est appliqué à les accuser, et il les a sommés de répondre, et dans les faits et dans les personnes, de la plainte des hommes d'Electum, et il a enquêté à charge contre eux, au motif qu'ils avaient rompu la paix, ou autres méfaits, parce que, lorsque les hommes d'Electum avaient transgressé les droits et envahi la propriété dudit seigneur [Gui III de Lévis], au demeurant sans violence, eux, défendant ladite propriété, avaient fait montre de résistance ; on a traité sans ménagements la même seigneuresse, on a convoqué maintes et maintes fois à Carcassonne ses affranchis (liberi), ses subordonnés (subditi), et ses soutiens (valitores) eux-mêmes ; on les a placés en détention pendant des périodes de plusieurs jours afin de nuire à leurs moissons et à leurs vendanges ; on les a accablés de multiples chefs d'accusation, même s'ils étaient aux ordres du même maréchal [Gui III de Lévis], à la juridiction duquel ils ressortissaient, et prêts à répondre aux hommes d'Electum ou autres de ceux qui se plaignaient, que ledit château, avec ses dépendances était tenu en fief par le même maréchal.

Et les juges du même sénéchal ont interdit au même seigneur [Gui III de Lévis] de chasser des tourterelles (columbi) dans le territoire dudit castrum, et de réglementer ou d'interdire l'accès aux susdits pâturages, dont les hommes Electum usaient jusqu'alors, même si l'on n'avait jamais rien su de cet usage ni jamais rien décidé à ce sujet, alors même qu'il revenait à la juridiction de la Cour de Carcassonne d'avoir à connaître de telles choses ; et les juges du même sénéchal ont mandé que, pour le moins, les bêtes prises lors de l'invasion et de la tentative de prise de possession du territoire susdites et saisies à titre de gage (forastagium) en vertu d'un ordre se réclamant d'un droit supérieur, soient rendues aux hommes d'Electum, que l'amende réclamée ne soit pas payée, et que la même seigneuresse et ses gardes et les défenseurs de son droit, qui se trouvaient gravement accusés, ne soient pas déférés devant le susdit maréchal, alors même qu'il appartenait à ce dernier d'avoir connaissance de ce qui s'était passé.

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Couronnement de Philippe III, in Grandes Chroniques de France, XIV-XVe siècles. Philippe III le Hardi, né le 30 avril 1245, a régné du 25 août 1270 au 5 octobre 1285.

Le même maréchal, en personne et par le truchement de son procurateur, et aussi par voie de lettres, a requis du même sénéchal et de ses divers juges qu'ils cessent de s'entremettre dans l'affaire en question, car c'est à lui qu'il revenait de connaître de ladite affaire et de rappeler le droit breve et maturum (de façon concise et claire) auxdits hommes d'Electum s'ils se plaignaient de la susdite seigneuresse, de ses affranchis (liberi), de ses subordonnés et de ses soutiens, ou s'ils réclamaient pour eux quelque droit sur les pâturages et le territoire dudit castrum ; et [le même maréchal a dit aussi] que, puisque le même sénéchal et ses juges n'avaient aucunement voulu entendre le susdit seigneur maréchal, lui, le seigneur maréchal en appellait au susdit illustre seigneur roi de France [lacune...]. Or, sans aucunement tenir compte de cet appel, le même sénéchal et les juges susdits, après que, contre toute justice, les dépendances (forum) et la juridiction du même maréchal avaient été envahies, ont forcé la susdite seigneuresse, ses affranchis, ses subordonnés et plusieurs autres de la juridiction, à répondre de cette affaire de manière indue (indubite).

C'est pourquoi ledit maréchal, pour la seconde fois de suite (semel et iterum), requiert du seigneur Guillaume de Cohardon, verbo tenus (en paroles seulement) et après coup (postea), en sus de la présente lettre, qu'il cesse d'usurper sa juridiction à lui et qu'il lui rende dans cette affaire son pouvoir judiciaire (curia), et qu'il mette fin aux abus qui ont été commis (gravamina... irrogata) à son propre endroit et à l'endroit de ses subordonnés, comme dit et dénoncé plus haut, et qu'il s'abstienne désormais de commettre d'autres abus, en considération de la justice et de la révérence qu'il convient de conserver à l'endroit de la majesté royale.

II. 11 octobre 1272. Réponses de Guillaume de Cohardon, sénéchal de Carcassonne et de Béziers, aux accusations portées contre lui par Gui III, seigneur de Mirepoix

1. Au premier chef, le seigneur sénéchal répond qu'il faut voir si l'enquête dont ledit seigneur maréchal dit qu'elle a été faite et qu'elle est désormais close, est effectivement terminée au regard du roi et au regard de sa propre Cour.

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Aujourd'hui, le château de Roquetaillade, Aude.

2. Et au deuxième chef, le sénéchal dit que la pignoration (saisie) qu'il a ordonnée, est licite, justifiée par un mandement du roi, et faite sans sortir des bornes de la modération.

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Aujourd'hui, vestige du château de Montaut, Ariège ; cliché : Lucas Destrem.

3. Et au troisième chef, le sénéchal dit que, comme, en exécution de la sentence portée par lui à la Cour de Carcassonne contre le seigneur Garcie Arnaud de Chateau-Verdun, le castrum de Montaut a été saisi (capi), château dont le possesseur était son fidéjusseur (fideiussor8 [le fidéjusseur de Gui III], tant pour son amende que pour sa condamnation devant ladite Cour ; le juge de Carcassonne, à la prière du sénéchal lui-même, a tranché : ledit seigneur maréchal a promis que, lorsque ledit seigneur sénéchal viendra, il lui paiera le prix correspondant à la valeur dudit castrum, à l'exception toutefois de son droit de fief, qui est établi ; ou encore qu'il restituera audit seigneur sénéchal ledit castrum, sans opposition, avec les biens mobiliers qui s'y trouvent et qui doivent être rendus en même temps ; et acte sera dressé de cette restitution, qui la rendra ainsi manifeste.

4. Et au quatrième chef, le seigneur sénéchal dit que ce qui a été fait ou mandé par son juge, l'a été justement, au motif de port d'armes illicite et d'illicite pignoration (saisie) : en raison de ce port d'armes, un homme d'Electum est mort de blessures létales causées par lesdits hommes de Roquetaillade, comme on l'a dit, et comme il ressort des faits, de façon évidente.

5. Et au cinquième chef, le même sénéchal a dit et répondu la même chose que précédemment.

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De gauche à droite : Gui III de Lévis, gisant dressé, chapelle de l'ancienne abbaye Notre Dame de la Roche, Lévis-Saint-Nom, Yvelines ; empreinte du sceau de Guillaume de Cohardon, sénéchal de Carcassonne de 1266 à 1272, puis de 1274 à 1276, et enfin en 1306-1307 ; légende : + S' GVILLI DE COHARD.....TIS ; écu à 7 annelets.

Ceci a été acté à Carcassonne, en présence des témoins qui suivent : le seigneur Raymbaudus de Salve, homme d'armes, juge du sénéchal, maître Bernardus de Pordano, official de Carcassonne, maître Bartholomeus de Podio, clerc de l'administration royale, juge de Carcassonne, le seigneur Richardus de Dusagris, homme d'armes, châtelain de Montis Regalis (Montréal), Guillelmus de Carolo, notaire de Montis Regalis, Imbaudi, maître Petrus de Parisius, notaire, et moi, Bernardus Amati, notaire public de Carcassonne, qui ai fait partie des présents, et écrit cette charte, en lieu et place de maître Petrus Marsendi, notaire public du seigneur roi à Carcassonne, le quinzième jour des calendes de novembre, l'an du Seigneur mille deux cent soixante-douze.

Moi, le même Petrus Marsendi, notaire public susdit, ai signé et apposé mon seing, régnant Philippe, roi des Français. 9


  1. Dom Claude de Vic et dom Vaissete, Histoire générale de Languedoc, tome 5, Toulouse, Paya, 1842, p. 355.↩︎

  2. Guillaume de Cohardon, sur lequel on ne sait rien de personnel, est sénéchal de Carcassonne et de Béziers de 1266 à 1272, puis de 1274 à 1276, et finalement en 1306-1307. L'action qu'il mène en 1271 à Clermont(-l'Herault) donne une idée de sa poigne :
    « Bérenger Guilhem II, seigneur de Clermont, avait été fidèle au roi, mais ses frères Ermengaud, Aymeric et Paul Raymond prennent le parti de Raymond VII, comte de Toulouse en rébellion, et l’introduisent dans Clermont. L'université [communauté], avec ses quatre consuls, conseillers et prud’hommes prend le parti du comte de Toulouse. Le seigneur légitime est chassé, les consuls et l’université se livrent à des exactions et injustices contre la population du parti adverse. En représailles, le sénéchal de Carcassonne retire le privilège de consulat aux habitants. Le seigneur légitime revient, les habitants essaient de recouvrer les privilèges de consulat ou d’assurer une administration minimale de la ville au moyen de recteurs. Des arrangements interviennent, mais sans l’accord du sénéchal. La situation s’envenime avec l'avènement de Bérenger Guilhem III.
    Le 13 février 1271 à Béziers dans une assemblée très solennelle, le sénéchal de Carcassonne, Guillaume de Cohardon, rend une sentence au nom du roi :
    L'Université [la communauté] de Clermont restera privée des privilèges de Consulat, il lui est même interdit d’instituer des syndics généraux. Mais elle obtiendra chaque fois que nécessaire la faculté de créer et instituer des syndics spéciaux, chargés de traiter telle ou telle affaire, qui cesseront leurs fonctions après avoir rendu compte.
    La décision du Sénéchal est étendue à toute la viguerie de Béziers, toutes les universités [communautés] auront la commodité de désigner pour traiter leurs affaires des syndics spéciaux, mais en aucune façon des syndics perpétuels et généraux, ni des consuls dont le mandat donnerait matière à attenter aux droits des seigneurs et fomenter des troubles ». Henry Barthes, « Écriture, ré-écriture et traduction des chartes de coutumes communales dans le Biterrois du XIIIe au XVIIe siécle », in Bulletin mensuel de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier, 2008, p. 404.↩︎

  3. Tota terra sua Albigensi, « toute sa terre d'Albigeois » : façon de nommer ici la terre de Mirepoix et autres fiefs associés, en tant que terre du maréchal d'Albigeois.↩︎

  4. Situés dans l'actuel département de l'Hérault, à l'embouchure du fleuve Orb, les villages médiévaux de Sérignan et de Sauvian relèvent toutes deux de l'ancien diocèse d'Agde, lui-même suffragant de l'archidiocèse de Narbonne. Avant la croisade contre les Albigeois, le castrum de Sérignan, dont Sauvian constituait une dépendance, appartenait à Guillaume de Capestang. Après la croisade, le fief de Serignan appartient pour moitié à la maison de Lévis. Philipe III de Lévis, sénéchal de Carcassonne de 1541 à 1544, fils de Jean V de Lévis, vendra sa part du fief de Sérignan à Pierre de Prades. On ignore les raisons de la dispute qui oppose au XIIIe siècle les hommes de Sérignan aux hommes de Sauvian.↩︎

  5. Loup de Foix, seigneur de Saverdun (1202-1260), est fils de Raymond Roger, comte de Foix, dit le Roux, et d'Ermengarde de Narbonne. En 1234, il épouse Honorée de Durban, fille de Ramon de Durban, seigneur de Montégut. Le castrum de Montaut lui échoie à la suite de la saisie ordonnée par Guillaume de Cohardon, sénéchal de Carcassonne, à l'endroit de Gui III de Lévis, pour refus d'envoi de ses hommes à la chevauchée du roi Philippe III le Hardi contre Pamiers. ↩︎

  6. En 1244, Aton Arnaud et Garcie Arnaud de Château-Verdun prêtent serment à Roger, comte de Foix, pour le castrum de Château-Verdun et tout ce qu'ils possèdent dans la vallée de Siguer. Loup de Foix et Roger Isarn de Foix, son fils, se trouvent dès lors coseigneurs de Chateau-Verdun.↩︎

  7. Il s'agit ici de Jacqueline de Rivière. Le château et les terres de Roquetaillade, après la guerre contre les Albigeois, appartenaient à la famille de Rivière.
    Cf. Docteur Courrent, « Excursion au pays du Chercorb par Limoux, le col de Festes, Puivert et Chalabre », in Bulletin de la Société d'études scientifiques de l'Aude, 1926 (A36,T30), Carcassonne, pp. 139-140 : « Roquetaillade et ses terres se trouvent au XIIIe siècle, dans la mouvance des seigneurs de Mirepoix. [...]. À la fin du XIIIe siècle, les seigneurs de Montfaucon, deviennent coseigneurs de Roquetaillade par le mariage de Raymond Bernard de Montfaucon avec Amable de Rivière, coseigneuresse de de Roquetaillade, Conilhac, Villars, Mornac et trois autres places. Raymond Bernard de Montfaucon donne quittance de la dot de sa femme le 6 décembre 1324 à Jean de Rivière, seigneur de Roquetaillade, son beau-frère. »
    On sait par ailleurs que Philippus de Riparia (Philippe de Rivière), alors co-seigneur de La Serpent, sera sénéchal de Gui III de Lévis dans les années 1300. En octobre 1301 Philippus de Riparia, miles [homme d'armes], assiste en tant que témoin à l'établissement du projet de partage de la succession de Gui de Lévis III. Il est dit pour la première fois sénéchal de Jean Ier de Lévis dans une charte de 1304, relative au délaissement de maisons au bord de la rue qui conduit au pont sur l'Hers. En juillet 1305, il est témoin du compromis arbitral passé entre Jean de Léuis, seigneur de Mirepoix, et son frère François de Lévis, seigneur de Lagarde et Montségur ; en novembre 1306, il est témoin de l'arbitrage préalable au compromis forestier passé en février 1307 entre les consuls de Mirepoix et le commandeur d'une maison du Temple 18 ; en juin 1307, il administre avec beaucoup d'autorité un nouveau compromis entre les consuls et le seigneur de Mirepoix à propos de l'usage du communal de la rive gauche de l'Hers. Cf. Christine Belcikowski, En marge du compromis de 1307 sur le communal de la rive gauche de l'Hers, quelques notes relatives aux premiers sénéchaux de Mirepoix et autres personnages homologues.↩︎

  8. Fideiussor : celui qui s'engage envers le créancier pour garantir l'exécution de l'obligation du débiteur principal, au cas où ce dernier ne l'exécuterait pas. Synonyme : garant.↩︎

  9. Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome 2, Toulouse, Imprimerie et Librairie Édouard Privat, 1921, pp. 333-340. Traduction et annotations Christine Belcikowski.↩︎

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