XVe siècle. Formules des serments que doivent prêter divers officiers municipaux de Mirepoix avant d'entrer en charge
Initiale T du Te Igitur du Sacramentaire, ou « saint tegitur », de Saint-Denis, enluminure figurant le début du Canon de la Messe, IXe siècle.
La préface terminée, le prêtre, étendant, élevant et joignant les mains, levant les yeux vers le ciel, et les abaissant aussitôt, profondément incliné devant l’autel, les mains posées sur lui, dit : Te igitur, clementissime Pater, per Iesum Christum, Filium tuum, Dominum nostrum, supplices rogamus ac petimus, osculatur Altare et, iunctis manibus ante pectus, dicit...
« Toi, donc, Père très bon, nous te prions humblement et te demandons par Jésus-Christ ton Fils, notre Seigneur, — il baise l’Autel, et les mains jointes devant la poitrine, il dit... »
Cf. Alain Rauwel, « La croix d’autel : image sainte ou objet de culte ? » in Visibilité et présence de l’image dans l’espace ecclésial : Byzance et Moyen Âge occidental, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, pp. 141-151 : « Il convient de rappeler l’importance de la page enluminée du missel représentant la Crucifixion en tête du Canon, héritière du traitement en croix de l’initiale T de Te igitur, l’incipit de la prière consécratoire. »
Écrit en vieil occitan, le formulaire traduit ci-dessous ne porte pas de date. Félix Pasquier, qui en a fait la transcription, signale que l'écriture de ce formulaire est typique du XVe siècle et que les intertitres, au vu de leur écriture différente, ont été ajoutés au XVIIIe siècle.
Très représentatif de la culture du serment qui est propre à tout le Moyen Âge, ce formulaire nous rappelle qu'on jurait alors, à Mirepoix comme ailleurs, devant le Te igitur qui précède dans le grand missel auquel se réfère le célébrant, le Canon de la messe.
Les différentes formules réunies dans ce formulaire montrent toutes que la pratique du serment vise à asseoir et à renforcer le sentiment d'appartenance à une communauté dans laquelle chacun se trouve rappelé par ledit serment à la responsablité qui est la sienne relativement à tous les autres, i.e. relativement à une totalité (universitas) ordonnée, ou d'apparence ordonnée, puisque supposément soumise à une loi qui se déploie par effet de ruissellement à partir de Dieu, puis du roi, puis du seigneur de Mirepoix, puis du bayle, puis des consuls, jusqu'au simple habitant de l'universitas, autrement dit, de la cieutat (cité), non pas celle de Dieu ici — la Jérusalem céleste —, mais celle de Mirepoix.
La Jérusalem céleste, détail de la Tapisserie de l'Apocalypse du Château d'Angers.
Aucune cité terrestre, au vrai, n'est idéale, on le sait. Les chartes réunies dans le cartulaire de Mirepoix témoignent d'ailleurs assez des conflits qui, nonobstant les serments des uns et des autres, opposent les consuls et la population de Mirepoix au seigneur dudit Mirepoix, des siècles durant. On peut aujourd'hui s'étonner du degré d'intégration qui est celui de l'individu dans l'universitas médiévale, voire même en rêver, au moins sur le mode de l'utopie, ou encore sur le mode, peu risqué, de la nostalgie — Autrefois, c'était mieux ! Mais on peut s'en inquiéter aussi, y voir le moyen d'un insupportable assujettissement, et donc, s'en détourner.
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I. Les consuls doivent prêter serment entre les mains du bayle de la ville
Formule (forma) de serment qu'il est accoutumé de prêter dans les mains de monsieur le bayle de la cité (cieutat) de Mirepoix ou de son remplaçant (loctinent), par chacun des consuls ( consols) de ladite cité, avant qu'il exerce son office de consul.
Moi (ieu), N., consul de la cité de Mirepoix, je promets et jure sur les saints évangiles, le saint tegitur et la sainte croix, passion figurée de Notre Seigneur Dieu, que dorénavant (d'aquesta hora en avant), j'exercerai tout le temps l'office de consul bien et loyalement, en l'honneur et à l'avantage du roi, notre souverain seigneur, et de monseigneur de Mirepoix, et de la cause publique, à fin de conservation et de défense des personnes, privilèges et libertés, usages et antiques coutumes des habitants de ladite cité et du ressort du consulat dudit Mirepoix. Et tous dommages qui leur pourront advenir, [je promets et jure] de les leur éviter, et de leur procurer tout honneur et profit, et de rendre bon et loyal compte de l'administration et d'en restituer le reliquat, pour autant qu'il est en mon pouvoir (à mon poder). Que Dieu m'y aide, et ses saints (Ayssi me aiude Dieus et aquestz sans).
II. Les conseillers prêtent serment entre les mains des consuls
Formule de serment qu'il est accoutumé de prêter dans les mains des consuls de la cité de Mirepoix par chacun homme, juré, conseiller, avant qu'il entre au conseil de ladite cité, auprès des consuls susdits.
Moi, N., conseiller des consuls de la présente cité de Mirepoix, je promets et jure sur les saints évangiles, le saint tegitur et la sainte croix, que dorénavant, j'exercerai tout le temps l'office de conseiller bien et loyalement, en l'honneur et à l'avantage du roi, notre souverain seigneur, et de monseigneur de Mirepoix, et de la cause publique, à fin de conservation et de défense des personnes, privilèges et libertés, usages et antiques coutumes des habitants de ladite cité et du ressort du consulat dudit Mirepoix, tous dommages qui leur pourront advenir. Et [je promets et jure] de les leur éviter, et de leur procurer tout honneur et profit. Et chaque fois (totas vegadas) que je serai mandé par les seigneurs consuls de venir au conseil, je viendrai. Et [je promets et jure] de ne rien révéler des conseils secrets, et tout, pour autant qu'il est en mon pouvoir. Que Dieu m'y aide, et ses saints.
III. Les estimateurs prêtent serment entre les mains du bayle de la ville, en présence des consuls
Forme du serment que doivent prêter les estimateurs (extimaires) dans les mains de monsieur le bayle ou de son remplaçant, en présence des consuls de la cité de Mirepoix, pour estimer le pain, le vin, la viande le poisson, et autres choses (lo pa, lo vi, la carn, lo peysso, ou autras causas) 1.
Moi, N., estimateur (estimaire du pain ou du vin ou de la viande ou du poisson ou autres, je promets et jure, par Dieu et ses saints des évangiles de Notre Seigneur Dieu, que, dorénavant, j'estimerai tout le temps le pain ou le vin ou la viande ou le poisson ou autres ainsi que les dommages, et que j'exercerai ledit office bien et dûment (degudamen au profit et pour l'honneur de la cause publique des habitants de ladite cité et du ressort du consulat dudit Mirepoix. Et [je promets et jure] de faire de bonnes et véridiques (vertadieyra) estimations et de bonnes et véridiques relations [de ces dernières], pour autant qu'il est en mon pouvoir. Que Dieu m'y aide, et ses saints.
IV. Le crieur public, le peseur, le mesureur, le mesureur de bois et le courtier prêtent serment entre les mains du bayle, en présence des consuls
Formule du serment que doivent prêter dans les mains de monsieur le bayle de Mirepoix ou de son remplaçant, en présence des messieurs consuls, le encantayre (crieur), le pesayre (peseur), le mesurayre (mesureur), le pagelayre (mesureur de bois) et le courratier (courtier) de la cité de Mirepoix, avant qu'ils exercent leur office.
Moi, N., encantayre ou pezaire et mesurayre et pagelayre ou corratier de la cité de Mirepoix, je promets et jure sur les saints évangiles de Notre Seigneur Dieu, que dorénavant, j'exercerai bien et loyalement ledit office de encantayre, de pesayre, et mesurayre et pagelaire ou corratier, pour le bien et l'honneur de la cause publique et des habitants de la cité de Mirepoix et de ceux à qui elle appartiendra.
Les poids et mesures et mesures pour le bois et le vin (pagelas) qui seront trouvés faux, on les révèlera auxdits seigneurs consuls et on n'en permettra pas l'usage s'ils n'ont pas le bon poids, la bonne mesure, la bonne pagele selon le marc, les poids, mesures, (pagelas) d'usage accoutumé dans la cité de Toulouse ; et ces poids et mesures seront signés et marqués des armes de monseigneur de Mirepoix. Je ferai bonne et véridique relation du tout, pour autant qu'il est en mon pouvoir 2. Que Dieu m'y aide, et ses saints.
V. Serment du capitaine élu par les consuls, pour la garde de la ville de Mirepoix>
Formule du serment que doit prêter le capitaine choisi par les consuls de la cité de Mirepoix pour la garde de ladite cité.
Tegitur du Sacramentarium dit Sacramentaire de Drogon, Trésor de la cathédrale Saint Étienne de Metz.
Moi, N., capitaine choisi pour garder la cité de Mirepoix, je promets et jure sur les saints évangiles et le saint tegitur et la sainte croix, passion figurée de Notre Seigneur Dieu, que, dorénavant, j'exercerai l'office de capitaine bien et loyalement, en l'honneur et à l'avantage du roi, notre souverain seigneur, et de monseigneur de Mirepoix, et de la cause publique, à fin de conservation des personnes et des biens de tous les habitants de ladite cité. Et tout le bien, honneur et avantage que je pourrai leur procurer et leur faire, je m'y emploierai (affare). Et tous dommages ou déshonneur qui leur pourraient advenir, je les leur éviterai, pour autant qu'il est en mon pouvoir. Et chaque fois que, en accord avec la volonté des conseillers, cela me sera mandé par les seigneurs consuls, je quitterai ledit office de capitaine. Que Dieu m'y aide, et ses saints.
VI. Serment des bandiers et mességuiers élus par les consuls
Formule du serment des bandiers et mességuiers élus par les consuls de Mirepoix.
Moi, N., mességuier et bandier 3, je promets et jure sur les saints évangiles de Notre Seigneur Dieu que, dorénavant, j'exercerai bien et loyalement l'office de bandier et de mességuier, à l'avantage du roi, notre souverain seigneur, et de monseigneur de Mirepoix, et de la cause publique, et à fin de conservation des biens et fruits appartenant aux habitants du consulat de Mirepoix. Et tous les méfaits (malas feytas,) que je saurai, je les révèlerai à la justice et aux seigneurs consuls ; et je n'accepterai aucune corruption (coreption) ni don (donation) pour cela [pour acheter mon silence] ; mais je ferai de tout bonne et véridique relation. Que Dieu m'y aide, et ses saints.
VII. Chaque habitant de la cité ou du consulat de Mirepoix au bayle et aux consuls
Formule du serment de chacun des habitants de la cité et du consulat de Mirepoix, qu'ils doivent prêter à monsieur le bayle ou à son lieutenant, et aux consuls de ladite cité de Mirepoix.
Te igitur du Sacramentaire à l'usage de l'abbaye de Lorsch, diocèse de Worms, XIe siècle ; château de Chantilly.
Moi, N., habitant de la cité de Mirapoix ou du consulat, je promets et jure sur les saints évangiles, le saint tegitur, et la sainte croix, passion figurée de Notre Seigneur Dieu, que dorénavant je serai en tout temps bon et loyal sujet (sutget) du roi, notre souverain seigneur, et de monseigneur de Mirepoix ; et que j'obéirai aux mandements de justice des juges et officiers, et à ceux des seigneurs consuls. Tous les habitants, privilèges et libertés, usages et coutumes antiques, je les garderai et les défendrai. Et tout dommage ou déshonneur qui pourrait advenir aux susdits seigneurs et autres, je les révèlerai et je les en défendrai, pour autant qu'il est en mon pouvoir. Que Dieu m'y aide, et ses saints.
VIII. Les estimateurs pour l'impôt
Formule du serment des estimateurs (estimayres) pour faire les livres des estimes pour imposer (cotisar) les habitants.
Moi, N., estimateur choisi pour estimer (extimar) les biens et facultés des habitants du consulat de Mirepoix, je promets et jure sur les saints évangiles de Notre Seigneur Dieu, bien et dûment, rompant (cessans) avec tout amour, toute faveur, toute rancœur et toute haine, que, tous les biens, maisons, cabaux 4, terres et possessions, bêtes, qui me seront notifiés, avec le conseil de mes compagnons, je les estimerai bien et loyalement. Et de ladite estimation, je ferai écriture véridiquement dans le livre des estimes. Que Dieu m'y aide, et ses saints. 5
Cf. Christine Belcikowski, Autres privilèges et règlements concédés par Jean de Lévis en juillet 1302 ; 20 février et 22 mars 1325. Conflit entre Jean II de Lévis et les consuls de Mirepoix, et concessions diverses.↩︎
Cf. Christine Belcikowski, Le 8 décembre 1338, Jean II de Lévis confirme aux consuls de Mirepoix le droit de nommer les crieurs publics, les courtiers et les peseurs.↩︎
Cf. Christine Belcikowski, En janvier 1304, confirmation des coutumes et privilèges accordés aux habitants de Mirepoix ; En juin 1307, nouveau compromis entre les consuls et le seigneur de Mirepoix à propos de l'usage du communal de la rive gauche de l'Hers ; 8 août 1318. Comment l'évêque Pierre de Lévis règle un différend entre le seigneur François de Lévis et les consuls de Mirepoix à propos de l'administration du hameau du Cayrol.↩︎
À propos des cabaux, le Dictionnaire du Notariat indique que, « dans le cadre d’un bail partiaire, le propriétaire fournit des capitaux ou cabaux : ce qui comprend les semences, les animaux, charrettes, charrues et tous les instruments nécessaires à la culture ; le propriétaire fournit aussi le troupeau, les vaches, volailles, porcs, etc. ; de sorte que le preneur n’apporte ordinairement que les meubles à son usage et à celui de sa famille. »↩︎
Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome 2, Toulouse, Imprimerie et Librairie Édouard Privat, 1921, pp. 214-217. Traduction Christine Belcikowski.↩︎