En décembre 1308, charte d'afferme hivernale de la forêt de Plènefage à fin de coupe du bois et de dépaissance

Rédigé par Belcikowski Aucun commentaire
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Détail du Livre de chasse de Gaston Phébus, illustré par Gace de la Buigne, folio 119r, 1407.

Datée du 2 décembre 1308, la charte traduite ci-dessous rend compte de la vente de l'afferme hivernale d'une grande partie de la forêt de Plènefage, afin de dépaissance et de coupe du bois, à trois habitants de Mirepoix, dont on apprend que l'un d'eux est tuilier. Elle fournit un exemple intéressant des modalités juridiques qui sont celles de l'acte d'afferme. Le calendrier des paiements requis des bénéficiaires de l'afferme se trouve calé sur celui des fêtes des saints, qui rythment le temps civil tout autant que le temps religieux. Les paiements à venir se trouvent cautionnés par trois proches des fermiers, qui, les uns comme les autres, obligent à cet effet tous leurs biens. Les consuls, de leur côté, s'obligent à protéger l'activité des fermiers, qui contribuent à l'entretien de la forêt ainsi qu'à la dépaissance des bêtes, et, par là, rendent service à la communauté toute entière. Les restrictions auxquelles ces fermiers se trouvent soumis - interdiction d'arracher les racines des arbres, interdiction de toute dépaissance au pré communal durant les trois mois d'hiver — témoignent d'un souci de bonne gestion des ressources naturelles qui fait honneur aux consuls. On remarquera que la nogarède, c'est-à-dire le bois de noyers — une sorte de succédané du jardin d'Éden ? —, ne fait pas partie du contrat d'afferme, car l'usage de ce bois, et plus spécialement la cueillette des noix qu'il produit, demeurent l'apanage de ladite communauté.

« Une noix, Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix ? Qu'est-ce qu'on y voit ? Quand elle est ouverte, On n'a pas le temps d'y voir, On la croque et puis bonsoir. »

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De gauche à droite, Martyre de Saint André apôtre, Les Très Riches Heures du duc de Berry, 1411-1416, folio 201r, Musée Condé, Chantilly ; Martyre de Saint Marc, Les Très Riches Heures du duc de Berry, folio 19v, Musée Condé, Chantilly.

L'an du seigneur 1308, Philippe roi des Français régnant, le lundi [7 décembre] après la fête de Saint André apôtre [30 novembre], annonce est faite à tous que, nous, Raimundus Batala, Guillelmus Batala, Petrus de Tholos, et Raimundus Malloli, consuls de la ville et de la communauté de Mirepoix, en notre nom et au nom de la susdite communauté, vendons, arrentons et baillons à ferme [ad firmam tradimus], à vous, Arnaldus Poncius, tuilier (tegularius), Petrus Rozaudi, et Petrus de Solano, de ce même lieu, tous les herbages ou pâturages du bois de Plènefage de ladite communauté, et tout ce qui peut être coupé dans ce bois, sauf la nogarède [nogueria, nogareda, bois de noyers], puisque ce lieu est et doit être à la susdite communauté.

1. Nous vous faisons arrentement et afferme des biens susdits, en notre nom comme dessus, d'aujourd'hui à la fête de Saint Marc l'évangéliste [25 avril] 1.

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2. [Nous accordons] que, durant le temps prescrit (interim) ci-dessus, comme vous l'avez librement voulu pour votre commodité et usage, vous teniez les prés et bois taillables susdits, et que, durant ce même temps, à fin de dépaissance et de taille, vous puissiez déforester [deforestare] comme vous le voulez, sans toutefois porter préjudice à ladite communauté, et ce, jusqu'à ladite fête, mais non point au-delà, et à l'exception d'une partie de ce lieu, partie dans laquelle, vu que celle-ci a été décrétée et désignée pour servir de pré, vous ne pourrez ni ne devrez faire paître ni même faire entrer aucune bête, et cela jusqu'au moment (instans) de la fête de mars de la sainte Vierge [25 mars 1308, Annonciation].

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L'Annonciation, Les Très Riches Heures du duc de Berry, 1411-1416, folio 26r, Musée Condé, Chantilly.

3. De même, [nous accordons] que vous coupiez ou fassiez couper le bois à ras de terre, mais sans arracher [sine evulsione] ni faire arracher les racines dudit bois.

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4. Nous vous promettons de faire en sorte que vous puissez user de ce bois et ces pâturages en paix et en toute quiétude, et que nous les ferons défendre et protéger de ceux qui en useraient ou voudraient en user sans votre autorisation ou contre votre volonté.

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5. Après ladite fête de Saint Marc [25 avril 1309], vous ne pourrez plus rien tirer de ce lieu sans notre autorisation ou celle des consuls qui nous auront succédé, et vous ne pourrez plus y introduire des bêtes ni les y faire paître, ni tenir rien d'autre en ce lieu.

6. Nous vous baillons cette ferme ou cet arrentement, comme dit plus haut, au prix de trente-huit livres tournois faibles (parvæ2, en bonne monnaie, que vous serez tenus de nous payer, à nous ou à nos successeurs, au nom de ladite communauté, et dont vous aurez à payer la moitié à la prochaine fête de Saint Vincent [22 janvier 1308], et l'autre moitié à ladite fête de Saint Marc.

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Martyre de Saint Vincent, détail de la Légende de Saint Vincent de Saragosse, fresque de Filippo de Varallo, 1535, église paroissiale Saint Vincent, vallée d'Aoste.

7. Et ainsi, au nom de ceux que dessus et de bonne foi, nous promettons de garantir la jouissance de l'afferme ci-dessus.

8. Et nous, susdits, Arnaldus Poncii, Petrus Rozaudi, et Petrus de Solano, acceptant de vous, seigneurs consuls, le susdit arrentement solidairement et en tous points, dans le mode et dans la forme ci-dessus, et renonçant à l'intérêt que nous pourrions avoir, dans cet acte d'afferme, à nous constituer en parties séparées, ou encore à réclamer la modification de certains points de cet acte, nous promettons gracieusement, seigneurs consuls ou consuls qui vous succèderont, de vous payer lesdites trent-huit livres tournois, en bonne monnaie et aux termes prescrits, comme dit plus haut, et nous nous y obligeons. Et si, par contre, nous vous étions comptables de quelques dommages, dépenses et intérêts subséquents, quelqu'ils soient, vu qu'en la matière, à vous et à vos successeurs, en toute simplicité, nous vous accorderions foi sans vous demander de produire aucune autre preuve, nous obligeons à cet effet tous nos biens, où qu'ils soient et quels qu'ils soient.

9. Et nous, Petrus Alboyni, Iohannes Homis, et Gassia de Solano, — renonçant ici à l'épistole [rescrit] des divins Hadrien et Antonin, qui disait que rerum principalem primo conveniendum 3 [dans les questions de droit, il faut que la question principale fasse en premier lieu l'objet d'un accord] —, nous, qui gracieusement nous chargeons de vous payer, à vous, consuls susdits ou à vos successeurs, la somme (pecunia) dite plus haut, nous nous déclarons vos fideijusseurs (fideijussores4, débiteurs et répondants (pacificatores), et, en lieu et place et au nom desdits principaux débiteurs, nous vous obligeons à notre tour nos personnes ainsi que tous nos biens.

Témoins de cet acte ont été Arnaldus Borrelli, Philippus Gozini, Raimundus Iohannis, notaire de Mirepoix, et moi, Guillelmus Elie, notaire public de Mirepoix, qui ai écrit cette charte.

Il ne s'agit pas ici d'une transcription, mais du document public fait par moi, notaire susdit, afin que lesdits consuls soient en capacité de bailler à ferme les herbages, les bois à tailler et les pâturages de Plènefage. 5


  1. N'oublions pas qu'au Moyen Âge, l'année religieuse ou civile commence à Pâques. Le bail à ferme accordé à Arnaldus Poncius, Petrus Rozaudi, et Petrus de Solano ayant été signé le 2 décembre 1308, soit le deuxième jour après la fête de Saint André, il court, pour la période concédée, jusqu'au 25 avril 1309, date de la fête de Saint Marc, soit neuf jours après la fête de Pâques, qui tombe cette année-là le 16 avril. En raison de la mobilité de la fête de Pâques, la validité du bail susdit peut coïncider avec l'hiver d'une même année, ou se trouver en partie déportée sur l'année suivante.↩︎

  2. On parle ici livres tournois, ou livres de Tours parvæ [faibles] pour les distinguer des livres tournois parisis, ou livres tournois de Paris, qui sont plus fortes. Cf. Dictionnaire Littré : Livres tournois parvæ « s’est dit de la monnaie qui se frappait à Tours, plus faible d’un cinquième que celle qui se frappait à Paris. S'est dit ensuite des livres valant vingt sous, à la différence des livres parisis qui en valaient vingt-cinq, et des sous valant douze deniers, à la différence des sous parisis qui en valaient quinze ». L'insistance sur la bone monete [bonne monnaie] vient ici de ce qu'il se murmurait entre 1294 et 1305 que le roi Philippe IV [Philippe le Bel], sous prétexte de rééquilibrer le rapport or/argent, faisait frapper, en l'espèce du marc d'argent, une « mauvaise monnaie ». Cf. Christine Belcikowski, Sous le règne de Philippe le Bel, prix du marc d'argent de 1294 à 1305.↩︎

  3. Principe de droit romain, emprunté, au vrai, au célèbre Digeste (530 apr. J.-C) de l'empereur Justinien.↩︎

  4. Fidéijusseur : personne qui s'engage envers le créancier pour garantir l'exécution de l'obligation du débiteur principal, au cas où ce dernier ne l'exécuterait pas.↩︎

  5. Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, tome 2, Toulouse, Imprimerie et Librairie Édouard Privat, 1921, p. 110-112. Traduction Christine Belcikowski.↩︎

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