Face jug (cruche de visage), céramique fabriquée par des esclaves et des freedmen afro-américains chez John Lewis Miles Pottery ((1868-1875), à Edgefield District, Caroline du Sud, États-Unis ; Metropolitan Museum, New York.
Mots, étincelles,
tombées du pot à feu où brasille
— il y a un enfant qui regarde à la balustrade —
le bois obscur des choses.
Mots, fusées
tirées dans le noir,
par une nuit de gel,
lanternes dans le ciel,
on dirait japonaises.
C’était un soir de 31 décembre,
au-delà du pont,
dans la campagne rase.
Mots, étincelles,
nuit, lumière, froid, Ar resplan la flors enversa
nous étions conglapis,
dit le poète au XIIe siècle,
dans le suspens de sa canso. 1 La Treizième revient… C’est encor la première,
dit le poète en 1853. 2
Mots, étincelles
de l'instant,
du rien d'étant d'avant le temps,
qui emporte tout.
Dire le temps, le lieu,
les vivants et les dieux…
Pourquoi les dirait-on,
au sens où la parole éclaire,
sinon pour s’y risquer ?
Mais diable, d’après toi,
les dieux sont-ils vivants ?
Les vivants sont-il dieux,
tombés du haut des cieux ?
Mais diable, dis-le moi,
qu’eussent-ils faits aux cieux,
voués au froid stellaire ?
Mais diable, selon toi,
le temps existe-t-il ?
Et y a-t-il d’autres lieux
que l’enfer et les cieux ?
Ces questions sont étranges,
et diablement sérieuses.
L'obscur ici fait loi.
Mais le clair a besoin de l'obscur
pour se faire désirer,
et le désir, pour luire dans le noir.
J’ai aperçu Chiron 1
solitaire, sous les arbres,
dans l’une des prairies
qui s’étendent là-bas,
oh ! le vert de l’herbe !
au bord de la rivière,
et nous avons parlé.
Car nous nous connaissons,
lui est du sagittaire,
et je suis des gémeaux,
nous figurons tous deux
dans le même catalogue d’étoiles,
celui de Ἵππαρχος 2,
que les savants arabes
ont nommé plus tard أبراشير,
et le savant Gérard de Crémone,
Abrachir,
parce qu’il ne savait ni le grec ni l’arabe.
Et nous avons parlé,
non point de la solitude des constellations,
mais de la solitude de l'exil terrestre,
de la mélancolie des jours qui passent,
et de la déliaison qu'il faut souffrir,
obvie, de l'âme et du corps.
Et nos cœurs bougaient sous les arbres
dont les frondaisons massives
nous faisaient petits.
Fragonard pinxit.
Puis il s'est retiré
sous le couvert des arbres,
et j'ai poursuivi mon chemin
jusqu'au bord de l'eau,
qui court sans savoir.
La rive était déserte,
semée d'avoines folles.
Dans le magasin du philosophe,
au crépuscule,
il n’y a plus de corbillon,
qu’y mettrait-on ?
L’ombre de deux ou trois idées,
toujours les mêmes,
de celles qui aiment à demeurer obscures. Blefuscu ! Pyrénées !
lettres mortes
de ce qui fut le cri de guerre,
ou bien le cri du cœur.
Les ruines des châteaux,
et des moulins à vent,
où l'on voit le profil du Quijote
dans les taches du plafond.
Les statues renversées
des dieux qui ont fui un jour.
Les pierres, gages d'amour
ou tombales,
ou celles qu'on tient des promenades
au bord du fleuve,
éteintes hélas depuis longtemps déjà.
Des mots de quatre sous,
monnaie du pape ou du pauvre Diogène,
qui cherche un homme
et ne le trouve pas.
Des mots toujours les mêmes,
bêtes et hommes,
soleil et ciel,
soir et matin,
manger, dormir,
nuit, jour, espace, temps.
— Nous ne sommes plus au temps de madame de Sévigné,
dit la Merteuil, dont on ne sait,
tellement elle est trompeuse,
si elle y voit un bien,
malvenu, décadent,
ou un mal qui l'enchante, le luxe absorbe tout.
Dansez, Marquise,
avant que la variole ne vous rende vilaine !
Et le temps passe
avec sa grande vague,
et des menus plaisirs du peu de mots,
toujours les mêmes,
il ne reste plus rien.
Dans le magasin du philosophe,
au crépuscule,
il n’y a plus de corbillon,
seulement le vif de l'air
qui entre et sort par la fenêtre ouverte.