Les yeux de Robespierre

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D'aucuns se demandent quelle était la couleur du cheval blanc d'Henri IV ; piquée par la mouche d'une curiosité minuscule, je me suis demandé, moi, quelle était la couleur des yeux de Robespierre.

La légende forgée après Thermidor veut que Maximilien de Robespierre ait eu un regard bleu glacial et des lunettes vertes. Mais qu'en savons-nous vraiment ? et comment le savoir, plus de deux siècles après la mort de l'Incorruptible ?

I. Maximilien de Robespierre vu par Marie Marguerite Charlotte de Robespierre, sa sœur

Peu fiables, presque toujours postérieurs à cette mort, tableaux et gravures ne permettent guère d'en juger. D'après Marie Marguerite Charlotte de Robespierre (1760-1834), sœur du grand homme, le portrait reproduit ci-dessous, de tous ceux qu'elle a pu voir, serait le plus ressemblant.

« Maximilien était d'une taille moyenne et d'une complexion délicate. Son visage respirait la douceur et la bonté, mais n'était pas aussi régulièrement beau que celui de son frère. Il souriait presque toujours. Un grand nombre de portraits de mon frère aîné ont été publiés. Le plus ressemblant de tous est celui qui l'a été par Delpech. Il en est d'autres qui ne sont que d'odieuses charges où l'on s'est appliqué à défigurer ses traits, à leur donner une expression féroce, comme on a cherché à présenter son âme sous un jour affreux. » (1)

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Portrait de Maximilien de Robespierre, lithographie de François Séraphin Delpech (1778-1825), reproduite par Henri Grévedon (1776-1860).

II. Robespierre vu par ses contempteurs

La lithographie de François Séraohin Delpech ne dit rien de la couleur des yeux de son illustre modèle. Quelques contemporains se souviennent toutefois des yeux et des lunettes de Robespierre, lesquelles ne figurent au demeurant sur aucun portrait. À noter que ces contemporains font tous partie du camp des contempteurs de Robespierre.

II.1. Robespierre vu par Liévin Bonaventure Proyart, professeur au collège Louis-le-Grand

« Il étoit de la taille médiocre et de la figure la plus plate », rapporte Liévin Bonaventure Proyart (1743-1808), alias M. Le Blond de Neuvéglise, qui fut le professeur de Robespierre au collège Louis-le-Grand. « Il portoit sur de larges épaules une tête assez petite. Il avoit les cheveux châtain blond, le visage arrondi, la peau médiocrement gravée de petite vérole, le teint livide, le nez petit et rond, les yeux bleu pâle et un peu enfoncés, le regard indécis, l'abord froid et repoussant. » (2).

Liévin Bonaventure Proyart rapporte également ce petit fait, survenu à la fin de l'année 1793 :

« Au plus fort du régime de la Terreur, Mossi, imprimeur libraire de Marseille, se trouvant à Paris, assistait un soir à une séance du club des Jacobins. Les propositions les plus furibondes s'y succédaient, et Mossi les écoutait au milieu d'une foule en carmagnoles et en bonnets rouges. Mais tout à coup il se coudoie avec un individu au teint pâle, portant lunettes vertes, habit de soie, cheveux poudrés, frisés avec soin. Mossi baissa sur lui un regard d'étonnement et de surprise, et laissa tomber le nom de muscadin. Mais le muscadin fit un pas en arrière, releva ses lunettes sur son front, et fixa entre les deux yeux le Marseillais, qui sans trop savoir pourquoi se sentit saisi de frayeur, se glissa doucement dans la foule, et avant de sortir demanda quel était cet homme-là. C'est Robespierre lui répondit-on. Il n'eut rien de plus pressé que de repartir pour Marseille. Plus d'un mois après son aventure, il ne croyait pas que sa tête fût solidement établie sur ses épaules. » (3).

II.2. Robespierre vu par le conventionnel Louis Marie Stanislas Fréron

« Robespierre étouffait de bile. Ses yeux et son teint jaunes l'annonçaient », dixit le conventionnel Louis Marie Stanislas Fréron (1754-1802), qui fut aussi l'instigateur de la violente répression de Toulon en décembre 1793. (4)

II.3. Robespierre vu par Jean François Joseph Dussault, journaliste, bibliothécaire et critique littéraire

« Il crispait souvent ses mains, comme par une espèce de contraction de nerfs », observe J.-J. Dussault (1769-1824) ; le même mouvement se faisait sentir dans ses épaules et dans son col qu'il agitait convulsivement à droite et à gauche ; [...] ; son teint était livide et bilieux, ses yeux mornes et éteints ; un clignement fréquent semblait la suite de l'agitation convulsive dont je viens de parler : il portait presque toujours des conserves [lunettes]. Il savait adoucir avec art sa voix naturellement aigre et criarde, et donner de 1a grâce a son accent artésien. » (5)

II.4. Robespierre vu par Paul Barras, député du Var à la Convention de 1792, régicide, président de la Convention thermidorienne

« Les besicles qu'il portait ordinairement », dit Paul Barras (1755-1829) à propos d'une visite chez Robespierre, « n'étaient point sur son visage, et à travers la poudre qui couvrait cette figure déjà si blanche à force d'être blême, nous apercevions deux yeux troubles que nous n'avions jamais vus sans le voile des verres. Ces yeux se portèrent vers nous d’un air fixe […] Je n’ai rien vu d’aussi impassible dans le marbre glacé des statues ou dans le visage des morts ensevelis ». (6)

II.5. Robespierre vu par Georges Louis Jacques Labiche, alias Georges Duval, chef de bureau au ministère de l’Intérieur, dramaturge

« Avant de me répondre, Saint-Just se penche vers 1'oreille de Robespierre », rapporte Georges Duval (1772-1853). « Celui-ci me regarde fixement, ainsi que mon père, à travers ses lunettes vertes, parle bas à Saint-Just, qui lui répond de même, et au bout de deux minutes de réflexion, laisse tomber de sa bouche ce monosyllabe "Soit". »(7) 

III. Robespierre vu par des historiens ultérieurs

Charles Nodier (1780-1844) en 1831, dans ses Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à l'histoire de la Révolution et de l'Empire ; Alphonse de Lamartine (1790-1869) en 1847, dans son Histoire des Girondins ; Jules Michelet (1798-1874) en 1853 dans son Histoire de la Révolution française rapportent encore à propos des yeux de Robespierre les vestiges d'une tradition orale qui se fait, au fil du temps, de plus en plus incertaine.

III.1. Robespierre vu par Charles Nodier, fils du président de tribunal criminel du Doubs

Charles Nodier prête aux yeux de Robespierre une couleur « fauve », proche de celle qu'on voit sur le portrait le plus connu de ce dernier. Reproduit ci-dessous, ce portrait annonce en effet des yeux marron

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Portrait de Robespierre circa 1790, auteur inconnu, musée Carnavalet.

Mais, jouant de façon malveillante sur le double sens du mot « fauve », Charles Nodier confère une sorte d'animalité dangereuse à l'homme plutôt tranquille qui figure sur ledit portrait.

« Ce qui caractérise l'âme, le regard, c'est en lui [Robespierre] je ne sais quel trait pointu qui jaillit d'une prunelle fauve, entre deux paupières convulsivement rétractiles, et qui vous blesse en vous touchant. » (8)

III.2. Robespierre vu par Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine prête, lui, à Robespierre des yeux susceptibles de lancer un « éclair bleuâtre assez doux », mais aussi de se peupler d'un inquiétant « reflet d'acier ».

« Très voilés par les paupières et très aigus aux extrémités, ses yeux s'enfonçaient profondément dans les cavités de leurs orbites ; ils lançaient un éclair bleuâtre assez doux, mais vague et flottant comme un reflet de l'acier frappé par la lumière. [...]. Ce qui dominait dans l'ensemble de sa physionomie, c'était la prodigieuse et continuelle tension du front, des yeux, de la bouche, de tous les muscles de la face. » (9)

III.3. Robespierre vu par Jules Michelet

« Ses yeux, inquiets de plus en plus, roulant une lueur d'acier pâle, exprimaient l'effort d'un myope qui veut voir, qui voudrait voir au cœur même, et l'abstraction impitoyable d'un homme qui ne veut plus être homme, mais un principe vivant ».

À propos de cette « lueur d'acier pâle », Michelet ajoute en bas de page qu'elle était « bleuâtre ou verdâtre. Un jeune homme (aujourd'hui représentant) demandant un jour au vieux Merlin, de Thionville, comment il avait pu condamner Robespierre, le vieillard parut en avoir quelque regret. Puis, se levant tout à coup avec un mouvement violent : « Robespierre ! dit-il, Robespierre !... ah ! si vous aviez vu ses yeux verts, vous l'auriez condamné conme moi. » (10)

Alors ? Robespierre avait-il les yeux marron, jaunes, bleus, verts, ou gris ? On regrettera ici que personne n'ait su l'établir à l'époque où c'était possible.

On sait seulement de façon sûre que Robespierre portait des lunettes, petites pour voir de près, plus grandes pour voir de loin. Mais portait-il vraiment des « lunettes vertes » ? Peut-être bien, car en 1752, tirant parti du savoir-faire des verriers vénitiens, l'opticien anglais James Ayscough crée les premières lunettes à verres teintés afin d'aider à corriger certains troubles de la vision. Le port de telles lunettes relevait sans doute chez Robespierre de ses problèmes de vision, non point de la volonté de dissimulation propre à une âme mauvaise, comme se sont plu à le faire croire ses multiples contempteurs.

Pour faire pièce à ces controverses, on rappellera ici que Robespierre avait un chien fidèle, un danois nommé Brount, rapporté un jour de sa bonne ville d'Arras. On le voit sur les genoux de son maître, dans un tableau d'Alfred Loudet (1836–1898), daté de 1882.

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Alfred Loudet, Marat en conversation animée avec Danton et Robespierre, détail, dépôt du musée de la Révolution française au musée des Beaux-Arts de Marseille.

« Une des grandes distractions de la famille Duplay [chez qui Robespierre vivait] consistait dans de longues promenades aux Champs-Elysées. Robespierre ne manquait pas d'être de la partie quand il en avait le loisir. Il se faisait suivre d'un grand chien danois nommé Brount, qu'il avait ramené de son dernier voyage en Artois et qu'il aimait beaucoup. Ce chien était très attaché à son maître dont il était le compagnon assidu. Couché aux pieds de Maximilien quand celui-ci travaillait dans sa chambre, il le regardait d'un air triste et doux comme s'il eût deviné ses pensées anxieuses. Quand on sortait, Brount témoignait sa joie par des aboiements et des gambades ; c'était un ami de plus, un ami toujours fêté et choyé par les jeunes filles [de la maison Duplay]. » (11)

Voilà qui corrige sensiblement le portrait presque toujours à charge que nous ont laissé de Robespierre les Thermidoriens, soucieux avant tout de se dédouaner de leur paricipation à la Terreur, puis les historiens romantiques ou post-romantiques, enclins à une vision manichéenne de la Révolution en marche.

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1. Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères (2e édition), Paris, au Dépôt central, 1835, p. 68.

2. Liévin Bonaventure Proyart, alias M. Le Blond de Neuvéglise, La Vie de Maximilien de Robespierre, Arras, Théry, 1850, p. 34.

3. Ibidem p. 212.

4. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, tome I, Genève, Baudouin Frères, Éditeurs, 1828, p. 157.

5. Dussault (J.-J.), Portrait de Robespierre avec la réception de Fouquier-Tainville aux Enfers par Danton et Camille Desmoulins, Paris, Imprimerie Lefortier, s.d., p. 3.

6. Barras (P.), Mémoires de Barras, membre du Directoire, tome I : Ancien régime-Révolution, Paris, Hachette, 1895-1896, pp. 149-150.

7. Labiche (G.-L.-J.) (1772-1853), dit Georges Duval, Souvenirs thermidoriens, tome I, Paris, V. Magen, 1844, pp. 195-196.

8. Nodier (Ch.), « Robespierre l'aîné », in Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à l'histoire de la Révolution et de l'Empire, Paris, 1831, p. 170.

9. Lamartine (A. de), Histoire des Girondins, tome I, Paris, Furne & Cie, W. Coquebert, 1847, p. 51.

10. Michelet (J.), Histoire de la Révolution française, tome VI, nouvelle édition, Paris, Librairie Abel Pilon, Le Vasseur, Successeur, Éditeur, p. 99.

11. Ernest Hamel, Histoire de Robespierre : d'après des papiers de famille, les sources originales et des documents entièrement inédits. La Montagne, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie, 1865-1867, p. 296.

Robespierre en enfer, visité par le Christ

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Alexandre Soumet, dans La Divine Épopée (1840), raconte comment l'Antéchrist, en enfer, fait venir quelques-uns des damnés afin d'identifier l’inconnu descendu parmi eux, « ainsi qu’une blancheur sur les pas de la nuit ». Cet inconnu, c'est le Christ, qui tente de reconduire les damnés au Salut. Robespierre se présente...

Alexandre Soumet (1) illustre ici, dans une scène de style frénétique, digne des futurs films d'horreur, le point de vue monarchiste et catholique qu'il conservera toue sa vie durant.

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Isidore Stanislas Helman (1743–1806), graveur, Charles Monnet (1732–1808), dessinateur, d'après une eau-forte d"Antoine Jean Duclos (1742-1795), Journée du 21 janvier 1793, mort de Louis Capet sur la place de la Révolution.

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À propos de Magdeleine Soulié, tante de Frédéric Soulié

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Adrien Dauzats (1804-1868). Vue de la cathédrale Saint Maurice de Mirepoix.

Née le 13 septembre 1756, deuxième d'une fratrie de cinq enfants, Magdeleine Soulié est fille de Jean Soulié, alors régent du collège, — par ailleurs futur grand-oncle de l'écrivain Frédéric Soulié (1) —, et de Thérèse Barrau. Sans doute par effet de lapsus calami, Maître Cassaigneau de Meynard, sacristain, a oublié dans l'acte de naissance de Magdeleine Soulié, et dans cette seule occurrence, le six de l'année mille sept cent cinquante six à laquelle la page du registre paroissial se trouve dédiée. Je m'intéresse ici à la destinée ultérieure de ladite Magdeleine Soulié, destinée difficile, fuyante, qui ne laisse pas d'inquiéter.

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13 septembre 1756. Baptême de Magdeleine Soulié. Archives dép. de l'Ariège. Mirepoix (1754-1767). Document 1NUM/3E125/2. Vue 45. L'enfant a pour marraine Madeleine Barrau, sa tante maternelle.

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