Fabre d'Églantine, Louis Pierre Dufourny et Jean Baptiste Sambat au café Corazza

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
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Galerie Montpensier, siège du café Corazza, et jardins du Palais-Royal, estampe anonyme, avant 1789. Àprès 1789, les ci-devant jardins du Palais-Royal deviennent jardin de la Révolution, puis jardin-Égalité.

En 1787, après avoir loué l'emplacement au baron Charles Jean Goury de Champgrand, lieutenant-colonel de dragons, homme de lettres, ami du duc d'Orléans, Luc Charles Joseph Corazza, noble d'origine gênoise, ouvre sous les arcades 7 à 12 du Palais-Royal le café du même nom. À partir de 1789, le café Corazza draine parmi sa clientèle bon nombre de Jacobins, qui se plaisent à venir y déguster, après les séances de l'Assemblée ou de leur club des Amis de la Constitution, des glaces au marasquin. Pierre Jean Berthold de Proli [cf. infra], ami du baron de Champgrand, occupe un somptueux appartement au-dessus du café Corazza. Au sous-sol se trouve une salle de bal, surnommée alors le Pince-Cul.

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De gauche à droite : François Chabot (1756-5 avril 1794, guillotiné), député du Loir-et-Cher ; Jean Marie Collot d'Herbois (1749-8 juin 1796, déporté à Cayenne, Guyane), député de la Seine, membre du Comité de salut public du 6 septembre 1793 à Thermidor.

En 1793, notent les frères Goncourt (1), c'est le café où Varlet, Desfieux, Guzman, Proli, Chabot, Collot d'Herbois viennent continuer tard dans la nuit les discussions commencées au club, et « d'où sortiront les journées du 31 mai et du 27 juin », qui entraînent alors l'exclusion et l'arrestation des députés girondins de la Convention, ainsi que l'adoption d'une nouvelle Constitution.

I. Au café Corazza, Varlet, Desfieux, Gusman, Proli, Chabot, Collot d'Herbois

Comédien longtemps sifflé, ex-directeur du théâtre de Genève, Jean Marie Collot d'Herbois, dès son entrée en politique, se fait rapidement une réputation d'orateur de club, puis de publiciste avec son Almanach du père Gérard. Membre de la Commune de Paris, député de la Seine à la Convention, entré au Comité de salut public le 6 septembre 1793, il participe durant les mois suivants à la féroce répression de la révolte fédéraliste à Lyon.

Négociant en vin originaire de Bordeaux, membre du club des Cordeliers et du club des Jacobins, président de la section Le Pelletier, François Desfieux (1755-24 mars 1794, guillotiné) fait montre d'un ultra-patriotisme proche en apparence de celui de Jacques René Hébert. Sous le couvert d'un tel patriotisme, il trafique avec le milieu contre-révolutionnaire. Il sera guillotiné le 24 mars 1794 dans la fournée des Enragés (Hébert, Anacharsis Cloots, etc.).

Fils du comte Balthazar Proli, conseiller et receveur-général des domaines et finances de l’impératrice d’Autriche, directeur à Anvers d’une importante maison de banque ; ou fils naturel du prince Wenceslas Antoine de Kaunitz, chancelier d'État et chef de la diplomatie autrichienne ; Pierre Jean Berthold de Proli (Bruxelles, 1750-24 mars 1794, Paris, guillotiné), est un agent d'affaires commerciales, doublé d'un agent d'influence, œuvrant, sous couvert d'ultra-patriotisme, au profit des puissances coalisées. Il sera dénoncé par Fabre d'Églantine et guillotiné le 24 mars 1794, dans la fournée des Enragés, comme agent de la cour de Vienne.

Ex-capucin devenu grand vicaire de l'évêque constitutionnel Henri Grégoire, François Chabot (1756-5 avril 1794, guillotiné) s'illustre ensuite par la publication de son Catéchisme des sans-culottes. Élu député de la Seine à la Convention, il se trouve bientôt accusé de concussions, puis compromis dans l'affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes. Dénoncé par Fabre d'Églantine comme participant de la « conspiration de l'étranger », il sera guillotiné le 5 avril 1794 dans la fournée des Indulgents (Danton, Camille Desmoulins, etc.).

Andrés de Guzmán y Ruiz de Castro t'Serclaes de Tilly, comte de Guzmán, Andrés María Guzmán ou André de Guzman (Grenade, Espagne, 1753-5 avril 1794, Paris, guillotiné), ancien élève du collège de Sorèze, naturalisé français en 1781, actionnaire de plusieurs maisons de jeu au Palais-Royal, est un ami de Berthold de Proli. Grand démagogue, financeur des journaux de Marat, dit « don Tocsinos » pour avoir fait sonner le tocsin à Notre-Dame, le 31 mai 1793, afin d’ameuter la foule, il passe pour un proche de Jacques René Hébert. Il s'agit au vrai d'un agitateur qui pousse à l'exagération révolutionnaire par l'argent qu'il distribue à la Commune de Paris. Il sera guillotiné le 5 avril 1794, dans la fournée des Indulgents. (2)

Acteur de l’insurrection du 31 mai 1793 et du 2 juin 1793, partisan, comme Jacques Roux, de la démocratie directe et de la redistribution des propriétés, Jean François Varlet (1764-1837) appartient à ce titre à la mouvance informelle des Enragés. Plusieurs fois arrêté et incarcéré, il échappera toutefois à la guillotine.

II. Témoignage de Dominique Joseph Garat

Ministre de l'Intérieur en 1793, Girondin, Dominique Joseph Garat observe dans ses Mémoires qu'il avait tenté de prévenir la Convention du coup de force qui se tramait en mai de cette année-là au café Corazza :

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Dominique Joseph Garat, auteur inconnu, Bibliothèque municipale de Bayonne.

« Au sujet des mouvemens du dehors, je citai ce Varlet, qui à peine avait vingt ans, et qui depuis quatre ans se montrait dans toutes les séditions : j'affectais surtout d'insister beaucoup sur une réunion de dix à douze personnes qui avait lieu très souvent au café Corazza. Parler d'un café, lorsqu'on cherchait un comité d'insurrection, parut alors ou une puérilité presque niaise, ou une perfidie cachée sous un air de simplicité. J'avais pourtant ajouté : ces personnes se réunissent au café Corazza, au sortir des séances des Jacobins : j'avais pourtant prononcé quelques noms qui auraient dû faire penser, et qui n'auraient pas dû faire rire ; comme les noms de Gusman, de Desfieux et de ce Proli, que, là même, je dis être un fils naturel de Kaunitz, et qui était alors l'ami de Robespierre. J'avais pourtant ajouté : quelques membres de la Convention nationale s'y rendent aussi, et si elle le désire, je les nonmerai : la Convention ne parut pas le désirer. J'aurais nommé Chabot principalement et Collot d Herbois. Depuis, Collot m'a notifié qu'il m'avait compris lui, et qu'il n'avait pas souri de pitié, comme beaucoup d'autres, à mes pitoyables discours. Enfin, ces longs et fastidieux détails sur le café Corazza attachèrent à mon rapport un long souvenir mêlé de ridicule et de ressentiment. Et au 31 mai, lorsqu'au bruit du tocsin et du canon d'alarme, je me réunissais dans la Convention aux députés qui venaient prendre leurs postes, Lanjuinais, l'un de ceux dont la vie était la plus menacée, s'approchant de moi, non avec colère, mais avec dérision, me cria : Eh bien ! Garat, c'est le café Corazza ? Que pouvais-je alors répondre ? Il ne s'agissait plus de savoir où s'attroupaient secrètement les monstres ; ils entraient dans le sanctuaire des lois, le département était à la barre, et l'Huilier qui, depuis ce moment jusqu'à sa mort, n'a cessé de demander ma tête, protestait pieusement que cette insurrection était toute morale. »

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Charles Louis Lucien Muller (1815-1892), Lanjuinais à la tribune de la Convention, collection de l'Assemblée nationale. Jean Denis, comte de Lanjuinais (1753-1827), député de l'Ille-et-Vilaine, prend position sous la Convention contre la Commune insurrectionnelle et contre la Montagne. Agressé le 2 juin 1793 par les Montagnards Chabot, Legendre, Drouet, Robespierre le jeune, et Turreau, il est défendu par les Girondins Barbaroux, Penières et Lidon.

« Les paroles et l'accent de Lanjuinais étaient d'un homme dont l'âme était déjà très élevée par la grandeur des dangers, et dans cette séance et dans les suivantes tous les mots qui lui échappaient prouvaient que la vertu et le malheur sont les sources du beau et du sublime. Lanjuinais, si sa mémoire a conservé comme la mienne ce souvenir, confirmera ce que je raconte ; et après une année de crimes et de calamités, telle qu'on n'en découvre pas dans toute l'histoire de l'espèce humaine une autre qu'on puisse comparer, une des consolations que je compte pour mon âme, c'est de me faire entendre aujourd'hui à l'âme de Lanjuinais : je vais donc lui répondre à travers les douze mois de sang et de ruines qui nous séparent de sa question : Oui, Lanjuinais, c'est le café Corazza ; vous l'avez ignoré peut-être dans les cavernes où vous avez cherché un asile ; mais ici, dans le triomphe insolent des factieux, des bourreaux et des échafauds, ce secret a été révélé par tout le monde : oui, c'est le café Corazza. Dans les âmes de tous ceux qui étaient mêlés aux combats des deux côtés de la Convention, fermentaient toutes les passions qui devaient faire éclater la révolte ; mais au café Carazza conféraient presque journellement ceux qui préparaient de loin, qui arrangeaient la révolte pour l'organiser dans des formes qui ressemibleraient à l'insurrection du 10 août 1792 [prise des Tuileries et déchéance de Louis XVI). Guzman, Desfieux, Proli, Chabot, Collot, étaient les plus assidus à ces conférences, et Collot, Chabot, Proli, Desfieux, Guzman, ont été les principaux auteurs de la révolte du 31 mai et du 2 juin 1793 [exclusion et arrestation des députés girondins de la Convention nationale, sous la pression de la Commune de Paris et de la Garde nationale]. On imita du 10 août jusqu'aux singeries ; et de même que Pétion au 10 août fut mis en chartre privée (3) par les insurgés, Chabot, au 31 mai, fut tenu en chartre privée à l'évêché par les révoltés. Que d'autres jouissent d'un affreux triomphe, lorsque les expériences des malheurs rendent un témoignage tardif à la vérité qui a été méconnue et outragée dans leur bouche ; je gémis, je suis consterné et je m'anéantis dans le néant de la prudence et de la prévoyance humaines !

Tandis que je cherchais partout un comité dit d'insurrection, et que je le demandais un jour au comité de défense générale, composé en grande partie des membres du côté droit, un membre de ce comité me dit : Je m'étonne que vous cherchiez avec tant de peine et si peu de fruit le comité d'insurrection, il est dans les sections de Paris, il est dans les Jacobins.

Je fus étonné, je l'avoue : je ne l'aurais pas été du tout si on m'eût dit que les germes, les fermens et les instrumens des insurrections étaient dans les Jacobins et dans les sections : je savais qu'en penser, et on savait ce que j'en disais : mais qu'un membre de la Convention et du comité de défense générale m'assurât, au milieu de beaucoup de ses collègues, que par le comité dit d'insurrection, dont je devais sceller les papiers et les registres, dont je devais arrêter les membres, c'était la société populaire des Jacobins et les sections de la Commune de Paris qu'on m'indiquait ; je ne pouvais le comprendre ; je ne pouvais revenir de ma surprise : je pensais que c'était là une de ces assertions échappées à la chaleur et à l'irréflexion de la parole. » (4)

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De gauche à droite : Marie Jean Hérault de Séchelles (1759-5 avril 1794, guillotiné), député de la Seine, membre du Comité de salut public du 11 juillet 1793 au 29 décembre 1793 ; Bertrand Barère, dit Barère de Vieuzac (1755-1841), député des Hautes-Pyrénées, membre du Comité de salut public du 6 avril 1793 au 1er septembre 1794.

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De gauche à droite : Jean Nicolas Pache (1746-1823), ministre de la Guerre du 3 octobre 1792 au 31 janvier 1793, maire de Paris du 14 février 1793 au 10 mai 1794, lithographie de François Séraphin Delpech d'après un portrait par Zéphirin Belliard, 1832 ; Fabre d'Églantine, gravure anonyme.

C'est chez Champgrand, l'ami du duc d'Orléans, et son voisin de palier Berthold Proli que le plan fut décidé, en concertation avec Hérault [de Séchelles, Barère [de Vieuzac], Pache, Fabre d'Églantine, Pereyra, Guzman, Desfieux et quelques autres ; puis c'est en réunion élargie dans un salon du Corraza, que les Jacobins et meneurs de rue furent instruits et payés, dixit Olivier Blanc dans La corruption sous la Terreur (5). Les principaux chefs chargés d'agir au niveau des clubs et des sections étaient Colot d'Herbois, Desfieux, Dufourny, Fournier, dit l'Américain, Hassenfratz, Dobsent, Lazowski, etc. (6)

III. Fabre d'Églantine et Jean Baptiste Sambat au café Corazza

En 1793, Fabre d'Églantine, Jean Baptiste Sambat, Louis Pierre Dufourny de Villiers, fréquentent eux aussi le café Corraza.

En 1793, Fabre d'Églantine, qui a rompu avec les Girondins après la trahison de Dumouriez, fait partie des commissaires chargés d'enquêter sur le vol des joyaux de la Couronne, dont la Toison d’Or et son grand diamant bleu, vol survenu entre les 11 et 16 septembre 1792 à l'hôtel de la Marine, siège du Garde-Meuble national. Il dénonce en l'affaire l'incurie du « vertueux » Roland, alors ministre de l'Intérieur, de telle sorte qu'il se trouvera appelé à témoigner le 24 octobre 1793, lors du procès des Girondins.

Jusqu'à la fin de 1793, à la Convention, toutes les propositions de Fable d'Églantine font foi. Durant l'été 1793, il engage à la Convention une campagne contre l'agiotage et accuse la Compagnie des Indes et les étrangers, de mettre en œuvre des combinaisons spéculatives au service du gouvernement anglais. Le 24 août, la Convention vote la suppression des compagnies par actions, puis, le 8 octobre, comme rapporté dans le Moniteur du 17 octobre 1793, décrète la liquidation de la Compagnie des Indes.

« La Convention ne doit pas balancer à adopter la proposition de Fabre d'Églantine », dit Robespierre à l'Assemblée, « car il répugne qu'un gouvernement sage laisse aux brigands la gestion des deniers dont ils doivent rendre compte. Nous trouverons dans la République des hommes de probité qui administreront, au nom du gouvernement, les fonds de la compagnie des Indes. Je demande donc que la proposition de Fabre soit adoptée. »

Le 12 octobre, Fabre d'Églantine dénonce au Comité de salut public et au Comité de sûreté générale une vaste « conspiration de l'étranger » intéressant divers agioteurs et agents de l'ennemi, soit Berthold Proli, François Desfieux, Jacob Pereira, Pierre Ulric Dubuisson, ainsi que les députés François Chabot et Marie Jean Hérault de Séchelles.

Le 16 octobre, Fabre d'Églantine demande et obtient la mise sous séquestre des biens des étrangers.

Le 26 octobre, après l'adoption du principe d'un calendrier républicain par l'Assemblée, Fabre d'Églantine, en association avec Marie Joseph Chénier et Jacques Louis David, fait approuver son projet de dénomination des jours et des mois, conçu, comme on sait, dans la veine rurale et agricole.

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François Chabot (1756-5 avril 1794, guillotiné), physionotrace par Jean Baptiste Fouquet (1781-1798), dessinateur, et Gilles Louis Chrétien (1754–1811), graveur ; Claude Basire (1764-5 avril 1794, guillotiné), par Jean Baptiste Fouquet et Gilles Louis Chrétien.

Le 14 novembre 1793, préférant accuser avant que d'être accusé, François Chabot dénonce à son tour ladite « conspiration de l'étranger ». Son ami Claude Basire, par ailleurs député de la Côte-d'Or, corrobore cette dénonciation. À fin d'éclaircissement de l'affaire, tous deux sont arrêtés. À partir du 17 novembre, associé à l'instruction, Fabre d'Églantine s'applique à orienter l'enquête du côté des Hébertistes, qu'il dit stipendiés par les agents de l'ennemi et complices plus ou moins objectifs de ces derniers.

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Le club des Cordeliers, ou Société des Amis des droits de l’homme et du citoyen, sis de mai 1790 au 16 mai 1791, à l'emplacement de l'actuel nº 15 de la rue de l'École-de-Médecine, dans le réfectoire de l'ancien couvent des Cordeliers ; gravure de Joseph Burn-Smeeton et Auguste Tilly (1840-1898). Le 28 mai 1791, le club des Cordeliers loue au nº 105 de la rue de Thionville (aujourd'hui nºˢ 16-18 de la rue Dauphine) une partie de l'ancien hôtel de Genlis [aujourd'hui disparu], siège auparavant de la société savante dite le « Musée de Paris ».

L'ingénieur Louis Pierre Dufourny de Villiers (1739-1796), membre fondateur du club des Cordeliers, a publié en 1789 les Cahiers du quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., l'ordre sacré des infortunés ; ou correspondance philanthropique entre les Infortunés, les Hommes sensibles, et les États-généraux : pour suppléer au droit de députer directement aux États, qui appartient à tout Français, mais dont cet Ordre ne jouit pas encore (7), ouvrage qui inspirera plus tard Joseph Wresinski, fondateur d'ATD Quart Monde.

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Pierre Louis Dufourny, Cahiers du quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., l'ordre sacré des infortunés ; ou correspondance philanthropique entre les Infortunés, les Hommes sensibles, et les États-généraux : pour suppléer au droit de députer directement aux États, qui appartient à tout Français, mais dont cet Ordre ne jouit pas encore, Paris, 15 avril 1789.

Le même Louis Pierre Dufourny [de Villiers] est en 1793 agent national du salpêtre, poste dans lequel il succède à Antoine Laurent Lavoisier (1743-8 mai 1794, guillotiné). Administrateur du département de la Seine depuis 1792, il est élu le 31 mai président dudit département. Il exerce cette fonction jusqu'au 4 décembre, date à partir de laquelle, en vertu de la loi promulguée le même jour, le directoire du Département ne comprend plus que huit membres, La Chevardière, Momoro, Dubois, Maillard, Houzeau, Leblanc et Bourgain, élus déjà en janvier 1793, lesquels exercent désormais la présidence pour un mois tour à tour. Ce remaniement du directoire du Département indique que Dufourny se trouve désormais suspecté. Suspecté d'intelligence avec les Exagérés (Hébert), ou suspecté d'intelligence avec les Indulgents (Danton) ?

Jean Baptiste Sambat (1758-1827) est peintre miniaturiste et contrôleur des impositions. Anciennement secrétaire de Mirabeau, il l'a suivi en Allemagne et en Angleterre, et il a peint divers portraits de ce dernier. Membre du club des Cordeliers et du club des Jacobins, il siège en 1793 comme juré au Tribunal révolutionnaire.

Louis Pierre Dufourny, 54 ans en 1793, célibataire, Philippe François Nazaire Fabre d'Églantine, 43 ans, mari infidèle, et Jean Baptiste Sambat, 35 ans, encore célibataire (8), se connaissent depuis la fondation du club des Cordeliers et ils fréquentent régulièrement le café Corraza.

En la personne de Fabre d'Églantine, Dufourny, membre de la Commune des Arts et de la commission des arts du Comité d’Instruction publique, estime probablement d'abord l'auteur du Philinte de Molière (9), puis, en 1793, celui de la nouvelle dénomination des mois et des jours mise en œuvre dans le calendrier révolutionnaire.

Jean Baptiste Sambat entretient avec Fabre d'Églantine des liens sans doute autrement personnels. Il s'est plu à peindre, en 1790 un portrait de son ami Fabre, puis en 1816 un portrait d'Adèle Marie Guillon, épouse de Jules Louis Théodore Vincent Fabre d'Églantine (1779-1840), colonel du Génie, fils du même Fabre d'Églantine (10). Agiatis Sambat (14 avril 1798-25 septembre 1834), fille de Jean Baptiste Sambat, artiste peintre elle aussi, épousera le 6 novembre 1830 à Paris ledit Jules Louis Théodore Vincent Fabre d'Églantine.

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Portrait en médaillon de Fabre d'Églantine par Jean Baptiste Sambat, gouache sur ivoire signée à droite (hauteur : 5.8 cm, largeur : 4.5 cm). Annoté au dos du montage : « III Fabre d'Eglantine / Philipe François Nazaire / député à la Convention  né à Carcassonne le 18 Xbre 1755 / mort à Paris le 5 avril 1794/ marié à Godin (Marie Nicole) à Strasbourg / Miniature par J Sambat ». Ce portrait a été exposé au Salon de 1791.

IV. La mystérieuse Madame Violette

Une certaine Madame Violette accompagne les trois hommes au café Corazza. Un temps maîtresse de Fabre d'Églantine, elle est, à l'automne 1793, celle de Jean Baptiste Sambat. Albert Mathiez, dans une page des Annales révolutionnaires évoque le rôle que ladite Madame Violette aurait joué dans la dislocation de la petite société du café Corazza :

« Depuis le mois d'août les Jacobins sont profondément divisés pour des raisons personnelles autant que pour des motifs politiques. Les principaux membres du Comité de correspondance, Desfieux, Pereira, Dubuisson, Moënne, Sambat, Dufourny, Taschereau, qui se réunissaient au café Corazza où Proli venait les rejoindre, se sont querellés à propos d'une femme, Mme Violet ou Violette, femme divorcée d'un émigré, qui des bras de Fabre d'Églantine est passée dans ceux du peintre Sambat, juré au Tribunal révolutionnaire. Voici comment Proli explique la guerre qu'allume cette nouvelle Hélène, dans une lettre qu'il écrivit après son arrestation à Jeanbon Saint-André :

"Tu as vu se former une petite société qui se rassemblait au café Corazza près les séances des Jacobins. Tu sais ce qui s'y fesoit et s'y disoit, car tu y assisté quelquefois. Eh bien ? L'amour-propre divisa cette société et Sambat et Moënne (11), deux de ses membres, devinrent mes ennemis implacables pour quelques plaisanteries que je paye bien cher aujourd'hui.

Sambat et sa maîtresse Mme Violette étaient fort liés avec Fabre d'Églantine et Dufourny. Le premier [Fabre d'Églantine] n'ignorait pas que je connoissois l'infâme usage qu'il fesoit des augustes fonctions de représentant du peuple et les friponneries dont il se rendit coupable à l'ombre des décrets bursaux qu'il fesoit rendre [dans le cadre de la lutte contre les combinaisons spéculatives mises par les banquiers étrangers au service des puissances alliées] ; il se joignit avec empressement à mes deux ennemis. Dufourny, que je crois d'ailleurs bon patriote, et qui se laissa aller à sa tendresse pour Mme Violette, compléta ce quatuor de haine et de vengeance. Les liaisons de Fabre et de Danton sont anciennes. Il parvint à l'aigrir contre moi, et Danton à son tour communiqua ses préventions contre ton pauvre Diogène à Robespierre."

Ainsi, Proli explique l'origine de ses malheurs par des blessures d'amour-propre féminin et par les calculs machiavéliques de Fabre d'Églantine. La querelle cessa vite d'être une querelle privée pour se perdre dans les luttes politiques qu'elle aiguisa. Proli et les siens s'appuyèrent sur les Hébertistes. Moënne, Sambat, Dufourny, se tournèrent vers les Dantonistes et leur prêtèrent un concours actif et constant. » (12)

À propos de Madame Violette, Louis Jacob (13), auteur de Fabre d'Églantine, chef de "fripons", fournit les quelques précisions suivantes :

« Qui était donc cette Madame Violette, passée, paraît-il, des bras de Fabre dans ceux de Sambat, et qui amenait la révolution au café Corazza ? Proli, qu'elle poursuivait de sa haine, nous apprend qu'elle était la femme d'un émigré : "Son mari est en Angleterre, et tout fait présumer qu'elle entretient une correspondance suivie avec cet époux facile. Mère dénaturée, elle a abandonné ses enfants ; épouse sans pudeur, elle vit publiquement avec Sambat, ex-dessinateur des manufacturiers de Lyon, qui lui-même n'est revenu de Londres qu'en décembre dernier, au mépris de tous les décrets..." Il ajoute encore qu'elle aurait siégé quatre mois au Comité de correspondance des Jacobins [!]. Espionne très probablement, elle figurait au tableau des fréquentations de Fabre et pouvait prendre place dans le lot de ceux qu'il dénoncera comme les "agents de l'étranger". » (14)

« Qui était donc cette Madame Violette ? S'agit-il là de son nom de naissance ou de son nom d'épouse ? ou s'agit-il encore d'un nom d'emprunt ? Personne n'en dit rien nulle part. Ce nom en tout cas ne figure pas dans Les hommes de Londres. Histoire secrète de la Terreur d'Olivier Blanc, ouvrage pourtant bien documenté qui mentionne les noms d'une quantité de dames titrées ou de comédiennes, espionnes supposées ou avérées. Le nom de Madame Violette n'indique pas au demeurant une dame titrée.

Concernant cette mystérieuse Madame Violette, on songera plutôt à Suzanne Giroult, dite « Madame de la Morency », ou « la Morency », épouse du procureur Charles Quinquet ; ou encore à Madame Violet, épouse du peintre miniaturiste Pierre Noël Violet.

IV.1. Suzanne Giroult, dite Madame de la Morency

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Portrait de Suzanne Giroult reproduit in Robert Attal, « Suzanne Giroult. Une courtisane littéraire sous la Révolution », Société archéologique, historique et scientifique de Soissons.

Née le 11 novembre 1767 à Paris, fille de Charles Giroult, commerçant, puis fermier des Chartreux de Bourgfontaine (Villers-Cotterêts, Aisne), et de Suzanne Ringuier, cousine de Théodore Giroult, membre de l’Académie de Peinture et de Sculpture et prix de Rome, Barbe Suzanne Aimable Giroult, « un minois coquet, une chevelure d’un blond cendré, de grands yeux éclatants et la bouche chinoise » (15), épouse en 1784 le procureur soissonnais Jacques Charles Nicolas Quinquet. En 1788, déçue par son mariage, elle quitte Soissons et gagne Paris dans le sillage de Monsieur de Limon, intendant des finances du duc d’Orléans. Mais M. de Limon se dérobe, et Suzanne Giroult retourne à Soissons auprès de Charles Quinquet. En 1789, Charles Quinquet s'engage dans la Révolution, devient procureur du district et joue un rôle considérable dans la vente des biens nationaux. En mars 1790, Suzanne accouche d'une fille nommée Clarisse. Durant l'été 1790, elle tombe amoureuse de l'avocat Nicolas Marie Quinette, baron de Rochemont (1762-1821, Bruxelles), 26 ans, qui siège au directoire du département. Le 8 septembre 1791, Quinette est élu député de l'Aisne à l'Assemblée législative. Suzanne Giroult abandonne son mari et sa fille pour le rejoindre à Paris. Puis elle rencontre Marie Jean Hérault de Séchelles (1759-5 avril 1794, guillotiné), 31 ans, alors député de la Seine, et se partage dés lors entre ses deux amants, et d'autres encore. Elle se fait désormais appeler Mme de la Morency.

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De gauche à droite : Nicolas Marie Quinette, député de l'Aisne à l'Assemblée législative, puis à la Convention, estampe anonyme ; Marie Jean Hérault de Séchelles, député de la Seine à l'Assemblée législative, puis à la Convention, membre du Comité de salut public du 11 juillet 1793 au 29 décembre 1793.

Un peu plus tard, Mme de la Morency pétitionne en faveur du divorce auprès de la Convention, et elle sera l'une des premières femmes à profiter de la loi votée en septembre 1792. Pendant qu'Hérault de Séchelles est envoyé en mission en Savoie, et Quinette envoyé à l'armée du Nord, envoyée elle-même en mission en Belgique auprès des armées de la République, porteuse d’une lettre au général de Biron, elle devient la maîtresse de Biron, mais refuse, dit-on, les propositions de Dumouriez. Le 5 avril 1793, vengeance ou pas, Dumouriez, qui vient de passer à l'ennemi, livre Quinette aux Autrichiens. Quinette restera prisonnier des Autrichiens jusqu'au 25 décembre 1795.

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Honneurs rendus à la mémoire de Le Pelletier de Saint-Fargeau, eau-forte anonyme, Musée Carnavalet. « Jeudi 24 janvier 1793. le Corps du Martyr de la Liberté, sorti de la maison de son frère et couvert à demi sur son lit de mort, fut exposé sur le piédestal de la Statue de Louis XIV, place des Piques, ci-devant place Vendôme. »

Rentrée à Paris, Mme de la Morency rencontre Fabre d'Églantine par hasard le 24 janvier 1793, lors des obsèques de Louis Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau, assassiné par un ancien garde du corps du roi, le jour même de l'exécution de Louis XVI. Elle devient la maîtresse de Fabre pendant deux mois. Dès le retour d'Hérault de Séchelles, elle revient à lui, non sans s'abandonner aussi à d'autres étreintes, dont celles de l'abbé spéculateur Marc René Marie d’Amarzit de Sahuguet, dit l'abbé d’Espagnac. À la fin de l'année 1793, inquiet de l'avenir, Hérault de Séchelles achète à Mme de Morency un bureau de loterie, i.e. une maison de jeux. D'Espagnac est arrêté le 29 mars 1794, Hérault de Séchelles le 30 mars ; tous deux sont guillotinés le 5 avril. Arrêtée elle aussi, Mme de la Morency croupit quelque temps à la prison des Anglaises, puis un an à l'hôpital, dont elle sort brisée. Repoussée par son ancien mari et par Nicolas Marie Quinette, elle entreprend, entre 1799 et 1805, de publier des récits licencieux inspirés de sa vie galante, dont Illyrine ou l’éveil de 1’inexpérience (1799), suite de lettres dans lesquelles elle évoque, de façon aisément reconnaissable, les principales figures de ses amours. Après avoir connu un certain succès littéraire, elle sombre dans l'obscurité de la province et meurt après 1827.

Peut-on voir en elle la Madame Violette ici recherchée ? Non. Elle a certes abandonné mari et enfants [au vrai, une fille seulement], mais son mari n'a pas émigré, et si elle a pu servir d'espionne auprès de Biron et de Dumouriez, elle a été finalement plus amoureuse qu'espionne. Enfin, elle n'avait pas besoin de se faire appeler Madame Violette, puisqu'elle s'était donné à elle-même, dans le monde de la galanterie, le nom de Madame de la Morency.

IV.2. Madame Violet

Le cas de Madame Violet, épouse du peintre miniaturiste Pierre Noël Violet, connue des historiens d'art pour être née Marguerite Bécret, paraît d'emblée proche de celui de Madame Violette, dite « femme d'un émigré ». L'émigré en question se nomme Pierre Noël Violet.

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De gauche à droite : miniature de Marie-Antoinette (1790) et miniature de LLouis XVI par Bartolozzi (1793) d'après les originaux de Pierre Noël Violet, qui aujourd'hui sont perdus. In « Un miniaturiste de l'émigration. Pierre Noël Violet (1749-1819) », Gazette des Beau-Arts, 53e année, juillet 1911, Paris, p. 29.

Peintre miniaturiste du roi, auteur, entre autres, de portraits de Louis XVI et de Marie Antoine, Pierre Noël Violet s'inscrit, l'un des premiers, à la Société patriotique de Bretagne, l'un des ancêtres du club Breton, ancêtre lui-même du club des Jacobins. Élu membre du Comité du district de Saint-Roch, il ne tarde pas à le regretter. Inquiet du tour menaçant que prennent les événements, meurtres de Foulon et de Berthier, prise de la Bastille, il adresse le 22 juillet une lettre de démission à son Comité, et émigre à Londres à la fin de l'année 1789. À Londres, il a de Marguerite Bécret, son épouse, deux filles, Mary, née en 1794, et Cecilia, née le le 18 octobre 1797. Tout indique dans ses dessins d'après 1794 qu'il a connu avec Marguerite Bécret et leurs filles une vie familiale heureuse.

Mais, n'en déplaise aux historiens d'art, Pierre Noël Violet a eu avant Marguerite Bécret une première épouse. Conservée aux Archives nationales, une archive notariale indique en effet que ledit Pierre Noël Violet a épousé par contrat le 20 juillet 1770 à Paris, chez Me Jean Louis Girault, paroisse Saint-Nicolas-des-Champs, Marie Félicité Legeste (16), fille mineure, émancipée le 31 mai 1769. C'est de Marie Félicité Legeste, et non de Marguerite Bécret, que Pierre Noël Violet a eu d'abord un ou plusieurs enfants dont les mêmes historiens d'art signalent qu'ils sont morts avant l'émigration de leur père.

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20 juillet 1770. Extrait du contrat de mariage de Pierre Noël Violet et de Marie Félicité Legeste, fille mineure, émancipée le 31 mai 1769. Archives nationales. Étude de Me Jean Louis Girault, Paris. Dossier MC/ET/L/552.

Il se peut donc bien que Marie Félicité Legeste soit cette Madame Violette qui, restée en France après l'émigration de son mari, hante en 1793, au bras de Fabre d'Églantine, puis de Jean Baptiste Sambat, le café Corazza. Rien d'étonnant à ce qu'elle ait fréquenté ces deux hommes, puisque Jean Baptiste Sambat, comme Pierre Noël Violet, était peintre miniaturiste, et puisque Fabre d'Églantine peignait aussi. Elle les avait sans doute déjà rencontrés dans le milieu auquel appartenait naguère son mari.

"Son mari est en Angleterre, et tout fait présumer qu'elle entretient une correspondance suivie avec cet époux facile », dixit Louis Jacob, qui en déduit, de façon un peu aventureuse peut-être, que ladite Mme Violette aurait participé d'un réseau d'influence au profit de l'Angleterre. La correspondance en question ne relèverait-elle pas d'abord du projet de séparation définitive d'un couple qui attend de pouvoir se libérer enfin de ses chaînes anciennes ? Ce couple obtient effectivement son divorce le 22 ventôse an II (12 mars 1794). Pierre Noël Violet épouse Marguerite Bécret en Angleterre avant ou après la naissance en 1794 de Mary Violet, leur fille première-née. Marie Félicité Legeste, elle, épouse le 5 avril 1794 Jean Baptiste Sambat, et, le 14 avril 1798, elle est mère d'Agiatis Sambat.

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22 ventôse an II (12 mars 1794). Divorce de Pierre Noël Violet et de Marie Félicité Legeste. État-civil reconstitué de Paris. Table des mariages et des divorces célébrés à Paris de 1793 à 1802 — TIS-Z. AD75 V10E12. Vue 228.

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26 germinal an II (15 avril 1794). Mariage de Jean Baptiste Sambat et de Marie Félicité Legeste — 10 jours après l'exécution de Fabre d'Églantine. État-civil reconstitué de Paris. Table des mariages et des divorces célébrés à Paris de 1793 à 1802 - RIO-TIR. AD75 V10E11. Vue 179.

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14 avril 1798. Acte de naissance d'Agiatis Sambat. État-civil reconstitué de Paris. Naissances. Samain (1853)-Sambatta (1828). V3E/N 2016. Vue 45. Marie Sambat, née le 14 mai 1791, dont le nom se trouve porté dans le même registre [vue 44], pourrait être elle aussi une fille de Jean Baptiste Sambat et de Marie Félicité Legeste.

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24 octobre 1830. Bans de mariage de Louis Théodore Jules Vincent Fabre d'Églantine et d'Agiatis Sambat. AD83. Toulon. Publication de mariages. 1830. 7E146_122. Vue 99.

Concernant les « quelques plaisanteries » que Proli dit avoir faites au dépens du trio Fabre d'Églantine, « Sambat et sa maîtresse Mme Violette », Louis Jacob en rapporte, non sans un brin de misogynie complice, quelques mots éclairants :

« L'amour-propre divisa cette société et Sambat et Moënne, deux de ses membres, devinrent mes ennemis implacables pour quelques plaisanteries que je paye bien cher aujourd'hui. »

« Elle était la femme d'un émigré : "Son mari est en Angleterre, et tout fait présumer qu'elle entretient une correspondance suivie avec cet époux facile. Mère dénaturée, elle a abandonné ses enfants ; épouse sans pudeur, elle vit publiquement avec Sambat, ex-dessinateur des manufacturiers de Lyon, qui lui-même n'est revenu de Londres qu'en décembre dernier, au mépris de tous les décrets..." Il ajoute encore qu'elle aurait siégé quatre mois au Comité de correspondance des Jacobins. Espionne très probablement, elle figurait au tableau des fréquentations de Fabre et pouvait prendre place dans le lot de ceux qu'il dénoncera comme les "agents de l'étranger". »

« Mère dénaturée... épouse sans pudeur... » Madame Violette, qui ne pouvait pardonner de tels mots, poursuit dès lors Proli de sa haine. Jean Baptiste Sambat bien sûr, mais aussi Louis Pierre Dufourny, amoureux transi de Mme Violette, et Fabre d'Églantine, et Moënne, prennent le parti de la Belle contre l'indélicat Proli. Voilà « comment Proli explique la guerre qu'allume cette nouvelle Hélène », observe malicieusement Louis Jacob.

V. Des luttes politiques que la querelle aiguisa

« Sambat et sa maîtresse Mme Violette étaient fort liés avec Fabre d'Églantine et Dufourny. Le premier n'ignorait pas », dira Proli, « que je connoissois l'infâme usage qu'il fesoit des augustes fonctions de représentant du peuple et les friponneries dont il se rendit coupable à l'ombre des décrets bursaux qu'il fesoit rendre [dans le cadre de la lutte contre les combinaisons spéculatives mises par les banquiers étrangers au service du gouvernement anglais] ; il se joignit avec empressement à mes deux ennemis. Defourny, que je crois d'ailleurs bon patriote, et qui se laissa aller à sa tendresse pour Mme Violette, compléta ce quatuor de haine et de vengeance. Les liaisons de Fabre et de Danton sont anciennes. Il parvint à l'aigrir contre moi, et Danton à son tour communiqua se préventions contre ton pauvre Diogène à Robespierre."

« Ainsi », commente Louis Jacob, « Proli explique l'origine de ses malheurs par des blessures d'amour-propre féminin et par les calculs machiavéliques de Fabre d'Églantine. La querelle cessa vite d'être une querelle privée pour se perdre dans les luttes politiques qu'elle aiguisa. Proli et les siens s'appuyèrent sur les Hébertistes. Moënne, Sambat, Dufourny, se tournèrent vers les Dantonistes et leur prêtèrent un concours actif et constant. »

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De gauche à droite : Georges Jacques Danton par Jacques Louis David ; Jacques René Hébert d'après Georges Marie François Gabriel (1775-1836).

En octobre 1793, Fabre d'Églantine envoie au Comité de salut public une lettre, d'abord anonyme, dans laquelle il dénonce, au fil de 25 questions, quatre patriotes insincères, d'apparence proches des Hébertistes, souterrainement impliqués dans des intrigues financières, et complices des banquiers étrangers, soit François Desfieux (1755-24 mars 1794, guillotiné), qui loge chez Proli ; Jacob Pereira (1743-24 mars 1794, guillotiné) « protégé et obligé de Beaumarchais » ; Pierre Ulric Dubuisson (1746-24 mars 1794, guillotiné), ancien comédien qui a joué en 1777 à Gand et à Maastricht dans la même troupe que Fabre d'Églantine, auteur dramatique, hébertiste déclaré, issu de la mouvance révolutionnaire belge ; et Pierre Jean Berthold de Proli (1750-24 mars 1794, guillotiné), « intrigant qui se donne à Paris pour un patriote à trente-six carats et qui est très fort soupçonné d'être le bâtard et le pensionnaire du prince de Kaunitz, chancelier autrichien ». Fabre d'Églantine vise là plus spécialement Proli, inspirateur des « patriotes insincères » susdits, dit pour cela le « sylphe invisible », et, par effet de suite, Hérault de Séchelles, qui est alors le protecteur de Proli au sein du Comité de salut public et qui vient d'intervenir le 12 octobre pour le faire élargir après une première arrestation comme suspect, arrestation réclamée par Pierre Louis Dufourny et opérée sur un mandat lancé le 26 septembre.

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Marie Jean Hérault de Séchelles circa 1793 par Jean Louis Laneuville (1756–1826), Musée Carnavalet. À noter que, de façon révélatrice de sa manière, il n'existe aucun portrait de Proli.

C'est ainsi Fabre d'Églantine, observe Albert Mathiez, « qui a creusé entre les révolutionnaires les défiance et les divisions et qui a jeté entre eux le spectre de la patrie trahie. C'est lui qui a préparé le besogne du tribunal révolutionnaire, qui a inspiré de loin les réquisitoires de Fouquier-Tinville. » (17)

La lettre de Fabre d'Églantine relative à la « conspiration de l'étranger », lettre doublée au début du mois d'octobre 1793 de l'ordre d'arrestation de Proli réclamé par Dufourny, laquelle arrestation se trouve immédiatement suivie d'un ordre de libération signé par Hérault de Séchelles ; lettre doublée encore le 14 octobre 1793 de l'ordre d'arrestation de Desfieux, laquelle arrestation se trouve immédiatement suivie d'un ordre de libération signé par Collot d'Herbois ; ladite lettre de Fabre d'Églantine déclenche au sein du Comité de salut public une violente crise politique.

Collot d'Herbois, membre du comité de salut public lui aussi, tente un peu plus tard de justifier la libération express de Proli et de Desfieux. Il engage Dufourny à « réserver aux aristocrates la passion qu'il met à faire arrêter certains patriotes ». Mais il se trouve interpellé par Moënne, qui l'accuse d'être « un coquin » pour avoir fait libérer Desfieux, alors que, dixit Moënne, qui le tient de l'agent de renseignement Taschereau (18), « Desfieux est un intrigant qui a établi chez lui un bureau d'affaires pour trafiquer des places et qui abuse de son influence auprès de Collot d'Herbois ». Collot d'Herbois se trouve interpellé encore par Sambat, qui l'accuse d'avoir fait libérer Proli, alors que celui-ci est « un Autrichien, un conspirateur ». Le même Collot d'Herbois soutient que Desfieux et Proli sont en l'affaire victimes d'un mauvais procédé, puisque leur arrestion du 14 octobre 1793 suivait « des intrigues d'une femme qui parcourait les comités des Jacobins, désignant ainsi Mme Violette ». Sur quoi, n'osant lui-même défendre Proli, l'hébertiste Brichel [commis au ministère de la Guerre] voulut du moins le renvoyer dos à dos avec Mme Violette : "Proly est un Autrichien. La femme dont il est question est Anglaise [!]. Il faut les traiter de même. La loi a prononcé sur eux." » (19)

Dans le même temps, Dufourny s'inquiète de la pression qu'exercent sur le gouvernement jacobin les Hébertistes, maîtres de la plupart des Comités de section, lesquels, d'après lui, se trouvent eux-mêmes infiltrés par Proli et autres agents de l'étranger. À partir du 2 septembre 1793, il cesse de paraître au club des Cordeliers. Il demande ensuite la dissolution des assemblées sectionnaires et suscite par là le mécontentement des société populaires, qu'il a jusqu'alors défendues et qui le tiennent désormais pour leur ennemi. Aux yeux des Hébertistes, qui dominent au club des Cordeliers, Dufourny apparaît désormais comme « un modéré, qui aurait freiné l’ardeur des comités révolutionnaires », et donc comme « l’homme d’une nouvelle faction » (20).

Le 30 décembre 1793, les Cordeliers dénoncent dans une affiche Philippeaux, Bourdon de l’Oise, Fabre d’Églantine, Camille Desmoulins et Dufourny.

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De gauche à droite : François Louis Bourdon (1758-1798, Sinnamary, Guyane, déporté), député de l'Oise ; Pierre Philippeaux (1754-5 avril 1794, guillotiné), député de la Sarthe ; Camille Desmoulins (1760-5 avril 1794, guillotiné), député de la Seine. Il n'existe aucun portrait de Pierre Louis Dufourny.

À la fin du mois de janvier 1794, à la demande insistante de François Nicolas Vincent, bouillant animateur du club des Cordeliers, ceux-ci radient de leur club, Bourdon, Philippeaux, Desmoulins et Dufourny. Ils tentent d'obtenir également leur radiation du club des Jacobins.

Au club des Jacobins, suite à l'annonce de sa radiation du club des Cordeliers, « Dufourny rappelle qu’il a été le co-fondateur du club. Il justifie devant eux son refus d’admettre à son tour Vincent aux Jacobins, à cause de son ambition, à cause de tout ce qui s’est passé dernièrement aux Cordeliers et à cause "des démarches de Vincent pour persécuter le département de Paris". Le président Thirion soutient Dufourny "qui a posé le véritable état de la question". Jean Bon Saint André par contre est indigné qu’on puisse établir une différence entre les Cordeliers et les Jacobins, les uns et les autres étant « des patriotes accoutumés à combattre sous les drapeaux de la liberté ». Ces divisions ne sont pas tolérables dans une telle conjoncture : « Les rangs des patriotes sont-ils assez serrés qu’on puisse les dégarnir ? L’Anglais nous menace, l’Autrichien nous poursuit, l’Espagnol est sur nos frontières, nous avons des aristocrates à contenir, des traîtres à punir, etc. ». Collot d'Herbois abonde dans ce sens : « Nos querelles font la force de nos ennemis ; ils seront contents de voir les Jacobins et Cordeliers se combattre », et il reproche à Dufourny d’avoir cédé « à une petite rancune ». « Sans vouloir accuser son civisme », qu’il estime, il déclare qu’il est « l’instrument d’un parti » (21). À l'issue d'une séance agitée, Dufourny reste pour l'heure membre du club des Jacobins.

Sans contester la présente nécessité de la Terreur, Dufourny s'inquiète aussi des effets de l'application de la loi des suspects, votée le 17 septembre 1793, qui marque un net affaiblissement du respect des libertés individuelles et qui va de la sorte à l'encontre de son propre idéal démocratique : « Citoyens, IL N'EST D'HOMMES LIBRES QUE LES HOMMES JUSTES. Vous, donc, Citoyens justes, veillez sur les scélérats ; mais préservez-vous des erreurs d'un faux zèle, de crainte que l'excès de ces mesures terribles qui ne sont adoptées que pour défendre, que pour sauver la liberté, ne serve à la combattre, ou même à la détruire » (22).

Dufourny s'inquiète enfin de la dérive potentiellement dictatoriale du Comité de salut public. Il se heurte par suite au mécontentement de Robespierre, qui l'accuse de menacer la cohésion du gouvernement, plus que jamais nécessaire pourtant en ce temps de crise. Quelque chose indique en outre dans le propos de l'Incorruptible que celui-ci commence à se méfier de Dufourny en raison de sa fréquention de Fabre d'Églantine, voire même à le soupçonner de se trouver intéressé en quelque façon aux « friponneries » dont on parle en ville à propos du même Fabre d'Églantine.

Invités derechef par les Cordeliers à radier du club des Jacobins Bourdon, Philippeaux, et Desmoulins, les Jacobins hésitent à se prononcer. Dufourny requiert l'indulgence en faveur de Bourdon et Philippeaux, mais se prononce pour la radiation de Desmoulins dont les derniers écrits réclament désormais que la « Pitié », ou « l'indulgence », succède enfin à la Terreur. Robespierre se plaint à Dufourny de ce qu'en distinguant Desmoulins de Bourdon et de Philippeaux, « il n'ose pas discuter les intrigues ».

ROBESPIERRE. « Je demande qu'on s'occupe des moyens d'exterminer à jamais les intrigues qui nous agitent au dedans, et qui tendent toutes à empêcher l'affermissement de la liberté. Il faut les discuter dans leurs agents, dans leur esprit. Voilà ce qu'on ne veut pas, voilà ce que plusieurs personnes n'osent pas faire, et qu'ils veulent écarter en vous parlant de Camille Desmoulins. »

Dufourny se sent, ou se croit, visé là par une allusion aux lourds soupçons d'intrigue qui planent sur Fabre d'Églantine. Robespierre observe à son intention que le sort de Desmoulins ne doit pas, à lui seul, faire ici l'objet du débat :

ROBESPIERRE. « Je déclare que je n'ai pas voulu faire suspecter le patriotisme de Dufourny, mais que j'ai dit qu'il ne s'occupait jamais des intrigues, parce qu'il ne les connaissait pas. Mais de ce que Dufourny ne voit pas et ne connaît pas les intrigues, je ne veux et ne dois pas en conclure qu'il n'est pas ami de la liberté. Ce n'est pas une raison non plus pour qu'il n'y ait pas d'intrigues, et pour que la Société ne doive pas les discuter. Dufourny me dit que Desmoulins est chassé. Eh ! que m'importe à moi qu'il soit chassé, si mon opinion est qu'il ne peut pas l'être seul, si je soutiens qu'un homme à la radiation duquel Dufourny s'est opposé est beaucoup plus coupable que Desmoulins ? Tous les hommes de bonne foi doivent s'apercevoir que je ne défends pas Camille Desmoulins, mais que je m'oppose seulement à sa radiation isolée, parce que je sais que l'intérêt public n'est pas qu'un individu se venge d'un autre, qu'une coterie triomphe d'une autre ; il faut que tous les intrigants, sans exception, soient dévoilés et mis à leur place. Je termine en demandant que la Société, regardant son arrêté comme non avenu, s'occupe de discuter l'intrigue générale, en ne prenant pas des intrigants isolés pour l'objet de sa discussion... (23).

Après une agitation momentanée, l'assemblée décide de rapporter la radiation de Camille Desmoulins.

VI. Chute de Fabre d'Églantine

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De gauche à droite : François Nicolas Vincent (1767-24 mars 1794, guillotiné), secrétaire-général du département de la Guerre à partir d'avril 1793, outre sa condition d'animateur du club des Jacobins ; Charles Philippe Ronsin (1751-24 mars 1794, guillotiné), général de division nommé en Vendée, dramaturge.

On se souvient que, dans l'affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes, Fabre d'Églantine, associé à l'instruction dès l'arrestation de François Chabot et de Claude Basire le 17 novembre 1793, orientait l'enquête contre les Hébertistes. Le 17 décembre, il obtient l'arrestation de François Nicolas Vincent, Stanislas Marie Maillard, Charles Philippe Ronsin et Albert Mazuel, tous Hébertistes, tous soupçonnés de complot contre la représentation nationale. Mais le club des Cordeliers intervient, et les quatre hommes sont alors rapidement relâchés. Fabre d'Églantine, sur lequel courent de méchantes rumeurs, fait désormais l'objet d'un autre regard.

Le 14 décembre 1793, au club des Jacobins, on interpelle Fabre d'Églantine sur le rôle qu'il a joué dans la nuit du 9 au 10 août 1792, puisqu'il se dit qu'il aurait averti Louis XVI de l'insurrection qui se préparait. On l'interroge aussi, et surtout, sur l'origine de sa fortune et sur son luxe actuel, « qui fait rougir les mœurs républicaines ». On l'accuse de concussion.

La défense de Fabre d'Églantine se trouve résumée dans le Précis apologétique qu'il publiera quelques mois plus tard :

« Tout ce que je dis et dois dire, c'est que mon cæur, le ciel et la patrie me sont témoins qu'il ne peut exister un républicain plus vrai, plus réellement tel que moi : c'est que depuis le 12 juillet 1789, il ne s'est pas passé un seul jour où je n’aie rendu un service à la patrie ; j'en ai des témoins constans, et j'en allèguerai l'énumération quand on voudra, bien et solidement appuyée sur des faits. Non, pas un seul ne s'est écoulé où je n'aie pu me dire que j'avais servi efficacement la patrie ; et parmi ces services, j'en puis compter quelques-uns qui l'ont sauvée, et je le prouverai.

On dit que je suis ambitieux, je n'ai jamais occupé aucun poste ; je suis ambitieux de gloire solide.

On dit que j'intrigue, je défie, tout ministre passé et présent, tout fonctionnaire, toute administration de dire que j'aie fait placer un seul balayeur de bureau.

On dit que suis riche, je donne tout ce que je possède dans l'univers, hors mes ouvrages, pour moins de 40.000 francs, et c'est le fruit de plusieurs pièces de théâtre, dont le succès dû à la bienveillance du public, a été tel, quę telle de mes comédies a eu cent soixante représentations de suite. Qu'on lise les registres de tous les théâtres de France, et l'on verra qu'ils m'ont rendu plus de 150.000 francs. Voilà ce qui peut m'en rester : voilà le fruit de vingt-cinq années d'observations sur le cœur humain, de travail, de persécutions et de misère.

On dit que je suis luxueux : l'amour de tous les arts est dans mon âme ; le beau, le bon me plaît ; je peins, je dessine, je fais de la musique, je modèle, je grave, je fais des vers, et dix-sept comédie en cinq ans ; mon réduit est orné de ma propre main : voilà ce luxe.

Cherchez, compulsez, bureaux, agens, comités, ministères, administrations. Si directement ou indirectement, j'ai jamais pris intérêt à aucune espèce de commerce, d'entreprises ou de toute autre façon d'aller à la fortune, en ce genre, je consens à passer pour un scélérat. Je n'ai jamais fait travailler seulement mon petit pécule ; je n'ai de ma vie touché un denier de rente. Je vis au tas, je vis du jour à la journée, je vis en poète. » (24)

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Aujourd'hui, façade de l'ancien hôtel d'Aumont, nº 2, rue Ville-l'Évêque, Paris, VIIIe arrondissement.

Mais, comme indiqué par Henri d'Alméras dans sa biographie de l'auteur d'Il pleut, bergère, « les ennemis de Fabre d'Églantine n'ignoraient pas que sa maison de la rue Ville-l'Évêque [appartement sis dans l'ancien hôtel du duc d'Aumont, ancien nº 54, faisant angle avec la rue d'Astorg (25)] était un logis très confortable, avec écuries et jardin, et que des tableaux d'amateur n'en constituaient pas l'unique richesse. Ils n'ignoraient pas davantage que ce député bien logé, bien renté, avait longtemps été pauvre et ils pouvaient à bon droit s'étonner que "vingt ans de misère" eussent abouti, du jour au lendemain, à une "honnête aisance". Ce rapide enrichissement avait-il pour cause principale le théâtre ? Même à ceux qui avaient à leur actif plus de victoires dramatiques que l'auteur du Philinte, le théâtre rapportait peu et les traités qu'imposaient les directeurs n'étaient avantageux que pour eux. Ils gardaient presque tout l'argent et laissaient à leurs victimes les satisfactions de vanité, qui ne suffisent pas toujours.

Ceux qui essayaient, amis personnels ou alliés politiques, de défendre le malheureux que poursuivaient tant de haines n'arrivaient pas, malgré tous leurs efforts, à expliquer clairement comment, besogneux écrasé de dettes en 1792, il était devenu riche en 1793. Ses mensonges justifiaient tous les soupçons, et sa vie plaidait contre lui. La vertu de Robespierre et la jalousie de bon nombre de ses collègues reprochaient à Fabre d'Églantine ses amours dramatiques. Il y mettait, à vrai dire, aussi peu de dignité que de discrétion. [...].

Les Hébertistes, que les préoccupations de moralité n'embarrassaient guère, se seraient fort peu souciés des écarts de conduite de Fabre d'Eglantine, s'il n'avait pas été leur adversaire politique ; mais ils se rendaient compte qu'en le présentant comme un libertin, sans cesse entraîné par ses passions, ils donnaient encore plus de force aux accusations portées contre sa probité politique. Pouvait-on, disaient-ils, admettre quelque désintéressement chez un homme que sa vie amoureuse condamnait à de très grands besoins d'argent, à des dépenses exagérées ? Ce raisonnement, qui en définitive se justifiait assez, tout le monde se le faisait autour de Fabre d'Eglantine. De plus en plus il était suspect » (26)

Le 21 décembre 1793, au club des Jacobins, après avoir dénoncé Bourdon de l'Oise, Philippeaux, et Camille Desmoulins, qui vient de publier dans le nº 3 du Vieux cordelier un article réclamant « la Pitié », i.e. au moins le ralentissement, sinon la fin de la Terreur, Hébert tonne contre Fabre d'Églantine, compris, d'après lui, dans cette clique de « successeurs et complices des brissotins » :

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Figure allégorique foudroyant diverses créatures (serpents, grenouilles, escargots) et brandissant un drapeau sur lequel figure l'inscription Rév.[olution] du 31 mai. Estampe anonyme célébrant la chute des Girondins lors des journées insurrectionnelles des 31 mai et 2 juin 1793.

« Il est encore un autre homme, qui est la cheville ouvrière de tous ces complots [la conspiration prétendue de l'étranger] ; un homme qui va toujours exagérant nos dangers, et semant la discorde parmi les patriotes, qu'il fait accuser les uns par les autres pour les détruire. Serpent rusé, il se replie en cent façons ; il fait mouvoir la machine à son gré ; il est de tous les comités, dont il a su gagner la confiance : cet homme est Fabre d'Églantine (Quelques applaudissements.) D'abord lié avec les ennemis de la France, il composa des ouvrages aristocratiques ; puis voyant que l'aristocratie n'avait pas le dessus, à force de bassesses, de louanges adroitement distribuées et d'intrigues, il eut l'air de se mêler parmi les patriotes et se fit nommer député sans qu'on pût citer de lui une action civique. [...].

Il existe un complot pour faire incarcérer les patriotes, pour fabriquer des pièces à leur charge, pour aposter de faux témoins, qui déposeront contre eux ; et, la Convention alors ne pouvant plus se reconnaître dans ce chaos, les feuillants, les aristocrates, les brissotins et les modérés feront décréter une amnistie générale : les coupables échapperont au glaive de la justice nationale ! » (27)

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Jean Pierre André Amar (1755-1816), député de l'Isère à la Convention, instructeur de l'affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes.

Le même jour, le club des Cordeliers soumet à la Convention une pétition qui, quoique sans le nommer, vise Fabre d'Églantine : « Les Cordeliers, vigilants et fermes, qui ont toujours bravé les orages les plus grands, sauront encore déjouer les projets de tous les intrigants, de ces âmes de boue qui se jouent impunément du sort et du bonheur de leurs concitoyens, en entravant de la manière la plus perfide les opérations salutaires des comités de Salut public et de Sûreté générale » (28). Tous réclament d'obtenir enfin du « farouche » Jean Pierre André Amar le rapport d'instruction, attendu depuis l'automne 1793, sur la conspiration dénoncée par François Chabot et Claude Basire.

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Stanislas Marie Maillard, dit Tape-dur (1763-15 avril 1794), par Georges François Marie Gabriel (1775–1846), Musée Carnavalet.

Au début de l'année 1794, Stanislas Marie Maillard rédige , avant de mourir de maladie, Le voile tombe et le calomniateur est découvert, brochure dans laquelle, après avoir dénoncé le caractère trouble de la vie et du caractère Fabre d'Églantine, il s'applique à défendre l'honneur du club des Cordeliers et autres sociétés sectionnaires, ainsi que le sien propre :

« On dépeint les membres de ce club comme des coupe-jarrets. Je suis un des sociétaires de cette réunion de vrais patriotes, et je m'en fais honneur, car c'est de là qu'est partie l'étincelle de la sainte insurrection du 31 mai [1793]. Si cela est un crime, je l'expierai avec eux, et avec eux je me fais gloire de l'avoir commis. Ce sont eux encore qui ont eu le bonheur, le même jour, de sonner le tocsin et de tirer le canon d'alarme, ce qui est facile à prouver. Ils sont patriotes à toute épreuve et se sont bien fait connoître à la section et à la municipalité. Il est vrai que cette société a été l'épouvante des muscadins et des scélérats qui abondoient plus dans ce quartier que dans tout autre, pour empêcher les pièces patriotiques de prendre. On en a donc aussi imposé sur cet article au citoyen Fabre d'Églantine. S'il se fût réuni à ces sociétaires, s'il daignoit aller à ce club, il verroit qu'il n'est composé que de braves, francs et loyaux républicains et non de coupe-jarrets.

Dans certains journaux voués sourdement à l'aristocratie expirante, Fabre me fait appeler le SEPTEMBRISEUR. Qu'il se trompe grossièrement ! il m'est si aisé de prouver que, sans moi, toutes les personnes renfermées dans l'Abbaye eussent été complètement égorgées et pillées ; que sans moi encore, les 238 suisses que l'infâme Pétion y fit transférer du ci-devant palais Bourbon, dans le moment où il n'étoit plus possible d'y contenir la fureur du peuple, l'eussent été également. Je fus assez heureux pour obtenir leur grâce du peuple. Je les ai conduits moi-même à la maison commune, ce qui est constaté par un ordre que je sus me faire donner et que je conserve bien précieusement... » (29)

Le 8 janvier 1794, au club des Jacobins, Robespierre entame un discours menaçant dans lequel il déclare d'entrée que la République est en butte aux intrigues du "parti étranger", composé de "deux factions qui se combattent en apparence". Fabre d'Églantine, quoique devenu en ce lieu persona non grata, est présent.

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« Tel était en France le seul homme vertueux, le seul à qui l'on pût confier le soin de sauver la patrie... ». Robespierre à la tribune, in L'Histoire licencieuse, Les jouisseurs de la Révolution / Louis Gastine (1858-1935), Paris, Les Éditions des Bibliophiles, 1910, p. 51.

ROBESPIERRE. « Pour mieux tromper le public et la surveillance du patriotisme, dixit Robespierre, ils s'entendent comme des brigands dans une forêt. Ceux qui sont d'un génie ardent et d'un caractère exagéré proposent des mesures ultra-révolutionnaires ; ceux qui sont d'un esprit plus doux et plus modéré proposent des moyens citra-révolutionnaires. Ils se combattent entre eux ; mais que l'un ou l'autre parti soit victorieux, peu leur importe ; comme l'un ou l'autre système doit également perdre la République, ils obtiennent un résultat également certain, la dissolution de la Convention nationale.

On n'ose pas encore heurter de front le pouvoir des représentants du peuple réunis ; mais on fait de fausses attaques ; on tâte pour ainsi dire son ennemi. On a une certaine phalange de contre-révolutionnaires masqués, qui viennent, à certains temps, exiger de la Convention au-delà de ce que le salut public commande. On a des hypocrites et des scélérats à gages ; on propose aujourd'hui un décret impolitique ; et le soir même, dans certains cafés, dans certains groupes, on crie contre la Convention ; on veut établir un nouveau parti girondin ; on dit que la Montagne ne vaut pas mieux que le Marais. On ne dira pas au peuple : "Portons-nous contre la Convention" ; mais : "Portons-nous contre la faction qui est dans la Convention, sur les fripons qui s'y sont introduits !" Les étrangers seront de cet avis ; les patriotes seront égorgés, et l'autorité restera aux fripons. Les deux partis ont un certain nombre de meneurs, et sous leurs bannières se rangent des citoyens de bonne foi, suivant la diversité de leur caractère. Un meneur étranger, qui se dit raisonnable, s'entretient avec des patriotes de la Montagne, et leur dit : "Vous voyez que l'on enferme des patriotes (or, c'est lui qui a contribué à les faire arrêter) ; vous voyez bien que la Convention va trop loin, et qu'au lieu de déployer l'énergie nationale contre les tyrans, elle la tourne sur les prêtres et sur les dévots." Et ce même étranger est un de ceux qui ont tourné contre les dévots la foudre destinée aux tyrans. On sait que les représentants du peuple ont trouvé dans les départements des envoyés du Comité de salut public, du Conseil exécutif, et que ces mêmes envoyés ont semblé, par leur imprudence, manquer de respect au caractère de représentants. L'étranger ou le factieux dit aux patriotes : "Vous voyez bien que la représentation nationale est méprisée ; vous voyez que les envoyés du pouvoir exécutif (car on n'a pas osé encore mettre le Comité de salut public en scène), vous voyez que les envoyés du Conseil exécutif sont les ennemis de la représentation ; donc le Conseil exécutif est le foyer de la contre-révolution ; donc tel secrétaire de Bouchotte est le chef du parti contre-révolutionnaire. Vous voyez que le foyer de la contre-révolution est dans les bureaux de la guerre ; il est nécessaire de l'assiéger." (On ne veut pas dire : "Allez assiéger le salut public !")

Fabre d'Églantine se lève et descend de sa place.
Robespierre invite la Société à prier Fabre de rester à la séance.
Fabre monte à la tribune et veut parler.

ROBESPIERRE. Si Fabre d'Églantine a son thème tout prêt, le mien n'est pas encore fini. Je le prie d'attendre. Il y a deux complots, dont l'un a pour objet d'effrayer la Convention, et l'autre d'inquiéter le peuple. Les conspirateurs qui sont attachés à ces trames odieuses semblent se combattre mutuellement, et cependant ils concourent à défendre la cause des tyrans. C'est la seule source de nos malheurs passés, ce serait celle de nos malheurs à venir, si le peuple entier ne se ralliait autour de la Convention et n'imposait silence aux intrigants de toute espèce. Si les tyrans paraissent si opiniâtres à la dissolution de la Convention actuelle, c'est parce qu'ils savent parfaitement qu'ils seraient alors les maîtres de créer une Convention scélérate et traîtresse, qui leur vendrait le bonheur et la liberté du peuple. À cet effet, ils croient que le plus sûr moyen de réussir est de détacher peu à peu beaucoup de patriotes de la Montagne, de tromper et d'égarer le peuple par la bouche des imposteurs. Notre devoir, amis de la vérité, est de faire voir au peuple le jeu de toutes les intrigues, et de lui montrer au doigt les fourbes qui veulent l'égarer. Je finis en rappelant aux membres de la Convention ici présents et au peuple francais les conjurations que je viens de dénoncer. Je déclare aux vrais Montagnards que la victoire est dans leurs mains, qu'il n'y a plus que quelques serpents à écraser. (On applaudit ; on s'écrie de toutes les parties de la salle : "Ils le seront !"). Ne nous occupons d'aucun individu, mais seulement de la patrie. J'invite la Société à ne s'attacher qu'à la conjuration, et je demande que cet homme, qu'on ne voit jamais qu'une lorgnette à la main, et qui sait si bien exposer des intrigues au théâtre [Fabre d'Églantine], veuille bien s'expliquer ici ; nous verrons comment il sortira de celle-ci. Quand je l'ai vu descendre de sa place, je ne savais s'il prenait le chemin de la porte ou de la tribune, et c'est pour s'expliquer que je l'ai prié de rester.

FABRE D'ÉGLANTINE. Tout ce que j'ai pu retenir du discours de Robespierre, c'est qu'il existe un parti divisé en deux branches, les ultra et les citra-révolutionnaires. Je suis prêt à répondre à tout quand il voudra préciser les accusations ; mais, n'étant accusé d'aucun fait particulier, je garderai le silence, jusqu'à ce que je sache sur quoi je dois m'expliquer.

Fabre d'Églantine se borne à affirmer ensuite sur son honneur qu'il n'a pas contribué à l'écriture du nº 3 du Vieux cordelier de Camille Desmoulins, et qu'il n'a particulièrement fréquenté ni Philippeaux ni Bourdon de l'Oise.

Un citoyen se permet de crier contre Fabre d'Églantine : "À la guillotine !"
Robespierre demande que ce citoyen soit chassé à l'instant même de la Société ; ce qui a été exécuté.
Fabre continue de parler quelques moments encore, mais les membres, peu satisfaits de ses réponses, se retirent peu à peu.
Séance levée à onze heures.
 » (30)

Henri d'Alméras, dans le style romanesque qui est celui de sa biographie de Fabre d'Églantine, raconte la suite du drame :

« Par une triste journée d'hiver, pluvieuse et sombre, le 13 janvier 1794, de grand matin, Fabre d'Églantine fut arrêté. Des policiers et des gardes nationaux envahirent sa maison de la rue Ville-l'Évêque, l'arrachèrent aux bras de la citoyenne Rémy qui, ce jour-là, oubliant qu'elle était actrice pour se rappeler seulement qu'elle était femme, n'eut pas le courage de jouer la comédie et versa de vraies larmes.

Tandis que le malheureux était conduit à la prison du Luxembourg, on mit les scellés sur ses papiers, dans lesquels on n'avait pu découvrir aucune pièce compromettante.

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Fabre d'Églantine en prison.

Quelques heures plus tard, à la Convention, Amar montait à la tribune et prononçait ces paroles :

« Je viens vous rendre compte d'une mesure de sûreté générale que le Comité (de Sûreté générale), dont je suis l'organe, a cru devoir prendre vis-à-vis de Fabre d'Églantine. D'après une déclaration de Delaunay d'Angers, nous avons découvert une pièce essentielle. C'est l'original du décret qui exige des compagnies financières, et notamment de la Compagnie des Indes, des droits qu'elle n'a pas acquittés ou qu'elle a fraudés. On voit aux marges des pages 1, 2, 3 et 4 des additions, au crayon, non convenues et qui portent sur le sens et le fond des choses : ces additions sont signées par Fabre d'Églantine ; de cet ensemble on a formé un autre fond de projet de décret signé par Fabre d'Églantine et Delaunay d'Angers, et remis au secrétariat pour être expédié, sans que la rédaction en ait été soumise à l'Assemblée.

« Il y a un faux matériel ; une pièce originale a été dénaturée ; le projet signé par la commission des finances n'a point été conservé tel qu'on l'avait prononcé. Il y a eu par conséquent des intentions perfides. Je vous propose de confirmer l'arrestation de Fabre d'Églantine. »

Vouland, Vadier et Cambon confirmèrent, en entrant dans quelques détails complémentaires, ce que venait de dire Amar. » (31)

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De gauche à droite : Joseph Delaunay, dit Delaunay d'Angers (1746-1794, guillotiné), député du Maine-et-Loire, en 1793, par Jean Louis Laneuville (1756–1826), Versailles ; Fabre d'Églantine, par Jean Baptiste Greuze (1725-1805), Musée du Louvre.

Au terme de l'instruction, mystérieusement prolongée par Jean Pierre André Amar, chargé de rédiger le rapport d'instruction, il appert donc que le décret de liquidation de la Compagnie des Indes orientales a été falsifié par Joseph Delaunay, dit Delaunay d'Angers et/ou par Fabre d'Églantine, et que ceux-ci auraient été associés à François Chabot et à Claude Basire dans la même entreprise de chantage et de corruption.

1. Extrait du projet de décret du 8 octobre 1793. « Les scellés apposés sur les effets et marchandises de la compagnie des Indes ne pourront être levés que par des commissaires nommés à cet effet par le ministre des Contributions publiques, lesquels seront chargés de liquider les sommes dues à la nation par la compagnie en vertu des articles ci-dessus et d'en faire verser le montant au trésor public ». Cité par Albert Mathiez in Un procès de corruption sous la terreur ; l'affaire de la Compagnie des Indes, Paris, Librairie Félix Alcan, 1920, p. 64.

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2. Ci-dessus : amendement par Fabre d'Églantine du décret signé par le secrétaire de la Convention à l'issue de la séance du 8 octobre 1793. « Lesdits scellés apposés sur les effets et les marchandises de la Compagnie des Indes ne pourront être levés que lorsque le mode de liquidation aura été décidé et organisé. Lesdits commissaires liquidateurs seront chargés de liquider les sommes dues à la nation et d'en faire verser le montant au trésor public ». Notez la mention marginale et la signature de Fabre d'Églantine, assortie de la mention « Ne varietur ».. Document reproduit par Michel Eude in « Une interpétation non mathiézienne de l'affaire de la Compagnie des Indes », in Annales historiques de la Révolution française, 53e année, nº 244, avril-juin 1981, Armand Colin, p. 256.

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3. Décret remis aux procès-verbaux le 27 octobre, substantiellement identique à celui du 8 octobre. « La vente et la liquidation de la Compagnie se feront selon ses statuts et règlements et continueront sans interruption, et seront achevés dans l'espace de quatre mois... ». Document reproduit par Michel Eude in « Une interpétation non mathiézienne de l'affaire de la Compagnie des Indes », in Annales historiques de la Révolution française, 53e année, nº 244, avril-juin 1981, Armand Colin, p. 256.

Le 27 octobre 1793, les deux hommes ont remis le texte définitif — falsifié — du décret du 8 octobre, à Jean Antoine Louis, dit Louis du Bas-Rhin, secrétaire de l'Assemblée, qui y a apposé en toute confiance sa signature avec la mention « Expediatur », sans le soumettre à un nouveau vote de la Convention. Cette version falsifiée du décret porte que la Compagnie des Indes se liquidera elle-même, en contradiction avec l'amendement de Fabre d'Églantine, prévoyant que cette liquidation serait faite par l'État. En même temps qu'ils attaquaient la Compagnie des Indes et obtenaient le 24 août 1793 à l'Assemblée la suppression des compagnies en actions, Delaunay d'Angers, Jean Julien, dit Julien de Toulouse (1750-1828), Chabot, Basire, et Fabre d'Églantine peut-être, jouaient à la baisse sur lesdites actions. L'affaire du faux, qui allait à l'encontre leur précédente intervention, venait de ce que la Compagnie des Indes leur avait versé un pot-de-vin de 500.000 livres.

Pourquoi l'instruction de l'affaire a-t-elle duré, ou traîné, si longtemps ? D'après Albert Mathiez, « au lieu d'instruire i'affaire financière, les enquêteurs sont partis à la recherche du complot contre la sûreté de l'État » dénoncé d'abord par Fabre d'Églantine, puis par François Chabot et Claude Basire. « Ils ont laissé passer l'occasion de faire toute la lumière. Ils se sont adjoints, pour les aider dans l'instruction, le complice [Fabre d'Églantine» du principal coupable [Delaunay]. Quand ils ont vu clair, quand ils ont arrêté Fabre d'Églantine, il était trop tard. Plusieurs inculpés étaient en fuite. Les financiers soupçonnés d'être les corrupteurs ne furent jamais inquiétés sérieusement. » 32

Le 13 janvier 1793, pendant que Jean Pierre André Amar donnait lecture du rapport d'instruction relatif à la liquidation de la Compagnie des Indes, Fabre d'Églantine, enfermé à la prison du Luxembourg, ne savait pas encore bien exactement de quoi on l'accusait...

À suivre... Loin du café Corazza. Fin de partie pour Fabre d'Églantine et Pierre Louis Dufourny

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1. Edmond et Jules de Goncourt, Histoire de la société française pendant la Révolution , Paris, Didier et Cie, 1864, p. 190.

2. Olivier Blanc, La corruption sous la Terreur, Paris, Robert Laffont, coll. « Les hommes et l'histoire », 1992.

2. Cf. Albert Mathiez, « Un "agent de l'étranger", l'Espagnol Guzman », in Annales révolutionnaires, t. 8, N° 3, mai-juin 1916), Paris, Armand Colin, pp. 415-421.

3. Chartre, sens vieilli : prison.

4. Mémoires de Garat, chapitre VIII, Paris, Poulet-Malassis, 1862, p. 167-172.

5. Olivier Blanc, La corruption sous la Terreur, Paris, Robert Laffont, coll. « Les hommes et l'histoire », 1992.

6. Claude Fournier, dit l'Américain (1745-1825), natif de la Haute-Loire, doit son cognomen au fait qu'entre 1760 et 1785, il a servi dans les dragons des milices bourgeoises de Saint-Domingue et fondé là-bas une fabrique de tafia. Ruiné en 1784 par l'incendie de sa fabrique, il rentre en France dans l'espoir, resté vain, d'obtenir justice. Devenu en 1789 capitaine de la Garde nationale, il organise une force armée et, avec le renfort de cette dernière, il participe à la prise de la Bastille, à la marche sur Versailles d'octobre 1789, à la journée du Champ de Mars en 1791 et à la prise des Tuileries en 1792. Le 8 septembre 1792, il se trouve compromis dans le massacre du ministre des Affaires étrangères, Claude Antoine de Valdec de Lessart, et d'autres suspects reconduits par ses soins d'Orléans à Versailles. Il entre ensuite au club des Cordeliers dans le sillage de Jean François Varlet. Le 31 mai 1793, plusieurs sections parisiennes nomment un comité insurrectionnel, dit de l’Évêché, où siègent Jean François Varlet, le meneur, Maillard et Fournier. Le comité de l’Évêché projette une marche sur la Convention pour imposer des mesures en faveur des sans-culottes. La tentative échoue, et cet échec entraîne la mise en œuvre de la répression contre les Enragés. Jean François Varlet et Jacques Roux sont arrêtés en septembre 1793. Fournier est exclu du club des Cordeliers, mais il tente le 12 décembre d’y entrer de force pour s’expliquer. Il est alors arrêté et incarcéré.
Claude François Lazowski — en polonais Klaudiusz Franciszek Łazowski ; souvent renommé en français « Lajouski » — (Lunéville, duché de Lorraine, 1752-23 avril 1793, Issy-les-Moulineaux, mort de maladie), ancien inspecteur royal des manufactures. Le 25 août 1792, un peu plus d’une semaine avant que les massacres de prisonniers ne se produisent à Paris, une foule de sans-culottes courroucés quitta la capitale. Lorsqu’ils atteignirent leur destination, à savoir Orléans, ils étaient 1500. Recrutés parmi les sections parisiennes et la Garde nationale venue de Marseille, ils se composaient de deux groupes. L’un était conduit par Claude Fournier l’Américain ; l’autre avait à sa tête Claude François Lazowski. Les deux hommes étaient connus pour leur participation aux journées révolutionnaires : Lazowski avait joué un rôle essentiel dans l’invasion du palais des Tuileries en juin 1792 ainsi que dans l’insurrection du 10 août. À la suite du renversement de la monarchie, les sections parisiennes réclamèrent que les suspects de crime de lèse-nation détenus dans les prisons de la Haute Cour nationale à Orléans fussent transférés à Paris pour les procès et les exécutions. Le 8 septembre, lorsque les convois menés par Fournier et Lazowski atteignirent Versailles, 44 des 53 des suspects de lèse-nation furent massacrés par la foule. On a dit ensuite que Fournier et Lazowski avaient laissé faire, ou même qu'eux deux et leurs hommes auraient participé au massacre [cf. Charles Walton, « Le massacre des prisonniers de lèse-nation à Versailles », in La liberté d'expression en Révolution, seconde partie, chapitre VII : De la répression locale à la justice extraordinaire. Les limites en action, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014]. Quoi qu'il en soit, Robespierre s'est dit « l'ami intime » de Lazowski, « un vrai patriote ». Le 24 avril 1793, au club des Jacobins, il dédie au défunt l'hommage suivant : "On sait qu'il fut le chef de la portion la plus vigoureuse des amis de la liberté ; il était à la tête des vainqueurs du despote aux Tuileries. Cet homme, digne de la révolution, était le père du peuple ; il partageait avec lui sa fortune. Non content d'économiser les deniers de la république, il ne faisait usage du revenu de sa place que pour secourir l'indigence. Les sans-culottes du faubourg Saint-Marceau lui ont entendu dire souvent : j'ai douze mille livres d'appointemens, je suis trop riche. Il leur tenait ce langage lorsqu'il partageait avec eux, lorsqu'il ne gardait que le nécessaire. [...]. La République a perdu un défenseur nécessaire. J'ai perdu un ami. Je viens épancher ma douleur ; les amis de la patrie et le peuple entier la partageront. Assez de tourmens sont réservés aux patriotes, permettez-leur de pleurer leur ami au sein des amis de la liberté" [Œuvres de Maximilien Robespierre, volume 9, Discours, 4e partie, septembre 1792-27 juillet 1793, pp. 472-473]. Le 28 avril 1793, organisées par Jacques Louis David, la patrie fait à Claude Lazowski l'honneur de funérailles nationales.
Jean Henri Hassenfratz (1755-1827) est le premier professeur de physique de l’École polytechnique et l'un des premiers inspecteurs des mines. Le 10 août 1792, il devient membre de la Commune de Paris. Il est nommé ensuite directeur de l'administration du matériel par Jean Nicolas Pache, alors ministre de la Guerre. Le 31 mai 1793, c'est lui qui demande la tête des Girondins. Cet activisme du 31 mai lui sera reproché tout le reste de sa carrière. « On parlait de lui comme du « sanguinaire Hassenfratz, qui ne monte à la tribune que pour y bégayer le nom des victimes qu'il doit immoler chaque jour ».
Claude Emmanuel Dobsen, dit aussi Dobsent (1743-1822), magistrat qui siège au Tribunal révolutionnaire du 29 octobre 1793 au 31 mai 1795.

7. Louis Pierre Dufourny de Villiers, Cahiers du quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., l'ordre sacré des infortunés ; ou correspondance philanthropique entre les Infortunés, les Hommes sensibles, et les États-généraux : pour suppléer au droit de députer directement aux États, qui appartient à tout Français, mais dont cet Ordre ne jouit pas encore.

8. Jean Baptiste Sambat épousera le 15 avril 1794 à Paris Marie Félicité Legeste, mariage d'où naîtra le 14 avril 1798 Agiatis Sambat, leur unique enfant.

9. Cf. Christine Belcikowski, Fabre d'Églantine et Jean François Collin d'Harleville.

10. Pour d'autres remseignements concernant la vie et l'œuvre de Jean Baptiste Sambat, cf. Marius Audin (1872-1951) et Eugène Vial, Dictionnaire des artistes et ouvriers d'art du Lyonnais, tome II : M à Z, Paris, Bibliothèque d'art et d'archéologie, 1919, p. 198.

11. Dans la liste des patriotes établie par Robespierre en 1793 et retrouvée par Edme Bonaventure Courtois dans les papiers laissés par Robespierre après Thermidor, Moënne, dont on ne trouve nulle part le prénom, fait l'objet de la mention suivante : « Moënne, homme énergique et probe, capable des fonctions les plus importantes, substitut de Payan jeune, agent national de la commune de Paris »Cf. Prosper Charles Roux, Histoire parlementaire de la révolution française : ou, Journal des Assemblées nationales de 1789 à 1815, volume 35, Paris, Paulin, Libraire, 1837, p. 407.

12. Albert Mathiez, « Fabre d'Églantine inventeur de la conspiration de l'étranger », in Annales révolutionnaires, 1916 / 05-06, vol. 8, iss. 3. Passage reproduit par Louis Jacob in Fabre d'Églantine, chef de "fripons", Paris, Librairie Hachette, 1946, p. 224.

13. Louis Jacob (1883-1959), auteur d'une thèse intitulée Joseph le Bon, 1765-1795, la Terreur à la frontière, professeur à l'Université de Lille, secrétaire général de la Société des Études Robespierristes et collaborateur régulier des Annales de la Révolution française. Cf. Louis Trénard, Louis Jacob (1883-1959), in Revue du Nord, année 1959, 164, pp. 343-345.

14. Louis Jacob, Fabre d'Églantine, chef de "fripons", p. 224.

16. Charles Monselet (1825-1888), Les oubliés et les dédaignés : figures littéraires de la fin du XVIIIe siècle, tome 2, Paris, Poulet-Malassis et De Broise, 1857, p. 115.

16. Archives nationales, MC/ET/L/552, Jean Louis Girault, notaire à Paris.

17. Albert Mathiez, « Fabre d'Églantine inventeur de la conspiration de l'étranger », in Annales révolutionnaires, t. 8, n° 3, mai-juin 1916, p. 318.

18. Paul Fargues, alias Paul Auguste Taschereau de Fargues (Mas-d'Azil, Ariège, 1752-1832, Paris), condisciple circa 1770 de Barère de Vieuzac et de Vadier à Toulouse, marchand drapier, puis membre du club des Jacobins, secrétaire à l’ambassade de France en Espagne en 1792, puis remplaçant du ministre du ministre et chargé de diverses mission dans le Sud-Ouest en 1793, puis membre du comité révolutionnaire de la section Lepeletier ; exclu du club des Jacobins le 1er décembre 1793, réadmis au club Jacobins le 27 avril 1794, membre de la garde personnelle et espion de Robespierre d'avril 1794 à juillet 1794, peut-être espion de Vadier auprès de Robespierre avant Thermidor, etc. Marie Catherine Druy, son épouse, a été, elle-même, missionnée par Robespierre à Rouen et à Toulouse durant l'automne 1793. Pour plus de renseignements sur Paul Fargues, alias Paul Auguste Taschereau, et les siens, cf. TASCHEREAU DE FARGUES.

19. Propos rapportés par Albert Mathiez in « Fabre d'Eglantine, inventeur de la conspiration de l'étranger », Bulletin de la Société d'histoire moderne, Paris, avril 1914, p. 309.

20. Michèle Grenot, Le souci des plus pauvres. Dufourny, la Révolution française et la démocratie, troisième partie : Un défenseur de la Constitution de 1793, dite « démocratique », chapitre VIII : Mobilisation, Terreur et droits de l'homme, p. 277-313.

21. Ibidem.

22. Louis Pierre Dufourny, président du Département de Paris, sur les arrestations, de l'imprimerie de Ballard, imprimeur du Département, s. d., p. 3.

23. François Alphonse Aulard, La société des Jacobins : Recueil de documents pour l'histoire du club des Jacobins de Paris, volume 5, janvier 1793-mars 1794, Paris, Librairie Léopold Cerf, 1893, pp. 605-607.

24. Précis apologétique, in Œuvres mêlées et posthumes de Philippe François Nazaire Fabre d'Églantine, tome 1, Paris, chez la veuve Fabre d'Églantine, vendémiaire an XI, pp. 42-45.

25. L'ancien hôtel de Louis Guy Marie, duc d'Aumont (1732-1799), sis à l'ancien nº 54 [aujourd'hui nº 2] de la rue Ville-l'Évêque, VIIIe arrondissement, ne doit pas être confondu avec l'autre hôtel dit « du duc d'Aumont », sis aux nºˢ 5-7 de la rue de Jouy, IVe arrondissement. Propriété de la famille d'Aumont depuis 1656, cet hôtel a été remanié et agrandi par François Mansart, décoré par Charles Le Brun et Simon Vouet, et assorti d'un jardin à la française dessiné par André Le Nôtre. Louis Marie Augustin d'Aumont, père de Louis Guy Marie d'Aumont (1709-1782) se défait de cet hôtel en 1756. L'hôtel abrite aujourd'hui le tribunal administratif de Paris.
À noter que, situé rue Ville-l'Évêque, le logement de Fabre d'Églantine, certes confortable, devait souffrir, depuis l'automne de l'année 1793, de la proximité du jardin des religieuses bénédictines de la Ville-l'Évêque que le pouvoir exécutif avait acheté dès le 20 janvier 1793 afin d'y ensevelir les corps des guillotinés. « Un rapport du commissaire de la section du Mont Blanc observe que le pavé de la rue Ville-l'Évêque est constamment rougi de sang » [cité par Philippe Charlier in « Une histoire raccourcie de la guillotine », in G. Lenotre. Le grand historien de la petite histoire, Paris, Jean Claude Lattès, 2013, éd. numérique]. Les habitants du quartier se plaignent...

26. Henri d'Alméras (1861-1938), Fabre d'Églantine. L'auteur de Il pleut, bergère..., collection « Les romans de l'histoire », Paris, Société française d'Imprimerie et de librairie, s. d., p. 211 sqq.

27. François Alphonse Aulard, La société des Jacobins : Recueil de documents pour l'histoire du club des Jacobins de Paris, volume 5, janvier 1793-mars 1794, Paris, Librairie Léopold Cerf, 1893, pp. 571-572.

28. Archives parlementaires de 1787 à 1860, 20 décembre 1793, Paris, Assemblée nationale, 1913, p. 38.

29. Archives nationales : W-81. Texte cité par G. Lenotre dans Les massacres de Septembre, Paris, Perrin, 1928, première édition ; Miami, HardPress, 2017, édition numérique, pp. 751-754.

30. François Alphonse Aulard, La société des Jacobins : Recueil de documents pour l'histoire du club des Jacobins de Paris, volume 5, pp. 601-604.

31. Henri d'Alméras, Fabre d'Églantine. L'auteur de Il pleut, bergère..., p. 256 sqq.

32. Albert Mathiez, Un procés de corruption sous la terreur ; l'affaire de la Compagnie des Indes, Paris, Libraire Félix Alcan, 1920, p. 387.

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