Retour sur Anacharsis Cloots. Anacharsis Cloots en personnage de la crèche de Noël 1792

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
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En janvier 1793, Jean Marie Girey-Dupré (1769-21 novembre 1793, guillotiné), ex-sous-bibliothécaire à la Bibliothèque royale, Girondin déclaré, directeur éditorial du Patriote français, le journal de Jacques Pierre Brissot, puis fondateur du journal La légende dorée, publie dans La Chronique de Paris un Noël qui vise certains Conventionnels et qui, après les massacres de Septembre et l'élection des députés à la Convention, dans un climat politique délétère, marqué par l'intensification de la lutte entre les Girondins et les Jacobins, fait florès. Jean Marie Girey-Dupré sera guillotiné le 21 novembre 1793, avec Gabriel Nicolas François de Boisguion, un ami Girondin. Cf. Christine Belcikowski, À propos du carnet de Robespierre, III.3.1. Jean Marie Girey-Dupré et Gabriel Nicolas François de Boisguion.

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21 novembre 1793. Exécution de Jean Marie Girey-Dupré. Liste générale et très-exacte des noms, âges, qualités et demeures de tous les conspirateurs qui ont été condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire établi à Paris par la loi du 17 août 1792, tome 1, Paris, chez tous les Libraires et Marchands de Nouveautés, 1794, p. 17.

Destiné à verser le ridicule sur les « faux patriotes », le Noël de Jean Marie Girey-Dupré se disait sur l’air des Bourgeois de Chartres (1).

« Les rois élisent domicile au ciel, ne trouvant plus de sûreté pour eux sur la terre ; mais Jésus-Christ "le sans-culotte", dixit Camille Desmoulins, se garde bien de les recevoir... Paraissent ensuite devant Jésus-Christ diverses figures politiques de l'actualité de 1792, entre autres Anacharsis Cloots, dont Jean Marie Girey-Dupré ne laisse pas de sous-entendre qu'étant, chez « le vertueux Roland » comme ailleurs, commensal de tous les soupers de Paris, il mangerait ou aurait mangé, comme on dit, à tous les rateliers.

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De gauche à droite : François Chabot, physionotrace par Jean Fouquet, dessinateur, et par Gilles Louis Chrétien, graveur ; Georges Jacques Danton, par J. Caron, graveur, d'après un dessin de Jacques Louis David, daté de 1793.

Les rois partent : leur place
Est remplie aussitôt.
Jésus fait la grimace,
Voyant Chabot (2),
Le parti cordelier, ennemi des despotes,
Qui les poursuit avec ardeur,
Mais pour être leur successeur
Et gagner leurs culottes.

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De gauche à droite : Louis Legendre, gravure de François Séraphin Delpech ; Joseph Stanislas François Xavier Alexis Rovère de Fontvielle, marquis de Formelle, in Album du centenaire. Grands hommes et grands faits de la Révolution française (1789-1804), Paris, Furne, Jouvet & Cie, 1869.

Jésus crut voir Pilate
Sitôt qu’il vit Danton (3) ;
Joseph, franc démocrate,
Le maudit sans façon.
La sainte Vierge eut peur, apercevant Rovère (4).
Lebœuf vit Legendre (5) et beugla.
L’âne vit Billaud (6) et trembla
Pour son foin, sa litière.

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De gauche à droite : Jacques Nicolas Billaud-Varenne, circa 1790, par Jean Baptiste Greuze (1725–1805), Dallas Museum of Art ; Maximilien Robespierre circa 1790, œuvre anonyme, Musée Carnavalet.

Suivi de ses dévotes (7),
De sa cour entouré,
Le dieu des sans-culottes,
Robespierre est entré.
Je vous dénonce tous, cria l’orateur blême ;
Jésus, ce sont des intrigants,
Ils se prodiguent un encens
Qui n’est dû qu’à moi-même.

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Portraits réunis de Camille Desmoulins (1760-1794), de sa femme Lucile (1771-1794) et de leur fils Horace Camille (1792-1825), œuvre anonyme, Versailles.

Tout près de Robespierre,
Joseph vit Desmoulin.
Ah! bonjour, cher confrère,
Lui dit le saint malin.
Ah ! bonjour, cher patron, lui répondit Camille (8).
On rit... Mais, ô soudaine horreur !
Qui pourrait peindre la terreur
De la sainte famille ?

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De gauche à droite : Jean Paul Marat, 1793, par Joseph Boze, Musée Carnavalet ; Étienne Jean Panis, par David d'Aners, Musée du Louvre.

Marat entre... À sa vue,
Le bon Dieu, Brissotin,
De sa Mère éperdue
Se cache dans le sein.
Père éternel, dit-il, quel être épouvantable !
Ah ! fais-le rentrer en enfer ;
Attends que je sois au désert
Pour m’envoyer le diable.

Par ma barbe, elle est belle !
Dit Chabot ; et soudain
Il lance à la pucelle
Un coup d’œil capucin.
Quels sont vos ennemis, cria-t-il, ô Marie ?
Je suis grand frère surveillant,
Et je vous les fais à l'instant
Coffrer à l’Abbaye.

Tu parles comme un livre,
Interrompit Panis (9) ;
Vite, allons, qu’on les livre
À nos braves amis ;
Un beau soir nous pourrons, pour divertir madame,
En faire un petit supplément
Au deux septembre, jour charmant,
Jour bien cher à notre âme.

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Jean Baptiste Cloots, dit Anacharsis Cloots, œuvre anonyme, Versailles.

Mais qui paraît ensuite ?
C’est Cloots l'universel (10),
Espion, parasite,
En face d’Israël (11).
D’un bon dîner, dit-il, Dieu, je suis à la piste,
Hâtez-vous de me le donner.
Qui ne donne pas à dîner
Est un fédéraliste.

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Louis Léon Félicité de Brancas, duc de Lauraguais, puis duc de Villars, par Louis de Carmontelle, en 1760.

Émigré, démocrate,
Feuillant, républicain,
Fougueux aristocrate,
Et cordelier, enfin,
Homme d’esprit, grand sot, charmant, insupportable.
Mais déjà chacun, à ces traits,
S’écrie : « Ah ! voilà Lauraguais (12) ! »
On le vit dans l’étable.

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Antoine Merlin de Thionville, lithographie de Nicolas Eustache Maurin (1799-1850).

Vous aussi, dans l’étable
Vous fûtes, ô Merlin (13) !
Ô Robert (14) admirable !
Bentabolle (15) divin !
Ciel ! entre des larrons s’il faut que je périsse,
Dit Dieu, je subirai mon sort ;
Mais c’est trop tôt avant ma mort
Commencer mon supplice.

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Physionotrace de Claude Basire, dessiné par Jean Fouquet et gravé par Gilles Louis Chrétien en 1793 ; Jean Lambert Tallien, par François Bonneville.

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De gauche à droite : Pierre Charles Ruamps, 1792, par Jean Louis Laneuville (1756–1826), Joslyn Art Museum, Nebrasla, USA ; Louis Marie Stanislas Fréron, par François Bonneville.

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De gauche à droite : François Louis Bourdon de l'Oise, par E. Mons, dessinateur, et H. Rousseau, graveur ; André Jeanbon Saint-André, par Jacques Louis David, 1795, Art Institute of Chicago.

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Edmond Louis Alexis Dubois de Crancé, dit Dubois-Crancé, par Simon Charles Miger (1736–1820) d'après Jacques Louis David (1748–1825) ; Jacques Alexis Thuriot de la Rozière, œuvre anonyme, Musée Carnavalet.

Mais j’oubliais Basire (16),
Tallien (17), Ruamps (18), Fréron (19),
Saint-André (20) que j’admire,
Démosthènes-Bourdon (21) ;
Vous, Châles (22) ; vous, Simon (23), et vous, Montault (24), l'étique.
Et toi, pauvre Dubois-Crancé (25),
Parle, Brissotin repoussé,
Et Cordelier par pique.

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De gauche à droite : Philippe François Nazaire Fabre, dit Fabre d'Églantine, œuvre anonyme, Versailles ; Jean Marie Collot d'Herbois, par Auguste Raffet (1804–1860), dessinateur, et Bosselman, graveur, in Histoire des Girondins de Lamartine, Paris, Furne et Cie-W.Coquebert, 1847.

Un couple dramatique
Marche après Thuriot (26).
C'est Fabre (27) le comique
Et le sobre Collot (28).
Pour bercer l'Enfant-Dieu, Collot lit l'Inconnue (29).
On siffle, on bâille, l'on s'endort,
Et l'âne seul veillait encore
Quand la pièce fut lue. » (30)

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1. Cité par Augustin Challamel (1819-1894) in Histoire-Musée de la République française, depuis l'Assemblée des notables jusqu'à l'Empire, avec les estampes, costumes, médailles, caricatures, portraits historiés et autographes les plus remarquables du temps, tome 1, Paris, G. Havard, 1857-1858, pp. 401-403. Cf. Texte du Noël des bourgeois de Chartres in Trésor de la Chanson : choix de chansons joyeuses, de romances, de ballades, de chansons de table, de vaudevilles et de rondes, offert aux honnêtes familles, Bruxelles, Société des Beaux-Arts, 1843, pp. 312-318.

2. Danton : alors ministre de la Justice, suspecté de laisser-faire dans les massacres de Septembre, voire de complaisance à l'égard des Septembriseurs.

3. François Chabot (1756-5 avril 1794, guillotiné), ex-capucin interdit pour libertinage, député du Loir-et-Cher à la Convention, membre du Comité de sûreté générale, à la fois violemment anti-Girondin et lié aux agents des banques étrangères, régicide. Dénoncé plus tard par Fabre d'Églantine comme membre de la « conspiration de l’étranger », accusé de trafic d'influenece et convaincu de faux en écriture dans l'affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes, il est guillotiné en même temps que Danton.

4. Joseph Stanislas François Xavier Alexis Rovère de Fontvielle, marquis de Formelle (1748-11 septembre 1798, Sinnamary, Guyane, déporté), député du Vaucluse à la Convention, connu, entre autres, comme acolyte de Mathieu Jouve Jourdan, dit Jourdan Coupe-Tête, et apologiste du massacre de la Glacière d'Avignon en octobre 1701 ; connu aussi comme trousseur de jolies femmes. Régicide.

5. Nicolas Joseph Lebœuf (1753-1811), député du Loiret à l'Assemblée Législative, membre de la majorité réformatrice. Louis Legendre (1752-1797), pilier du club des Jacobins, député de la Seine à la Convention, était, à la ville, boucher. Régicide.

6. Jacques Nicolas Billaud (1756-1819, Port-au-Prince, déporté), « dit de Varennes, parce que ce fut là, à la fuite du roi, qu’il commença sa carrière politique », observe en note Jean Marie Girey-Dupré. Le même Jacques Nicolas Billaud doit au vrai son nom de Billaud-Varenne à un petit bien qu'il tenait près de La Rochelle. Régicide. Comme indiqué dans ses Principes régénérateurs du système social, ouvrage publié en 1795, il prônait que « que nul citoyen ne puisse posséder, dans un cercle déterminé par la Constitution, plus d'une quantité fixée d'arpents de terre », et il appelait à la suppression des abus de la liberté testamentaire, laquelle liberté « permet de favoriser des un héritiers et de maintenir ainsi la concentration des fortunes, que le vœu de la nature aussi bien que l'intérêt de la société tendent, au contraire, à diviser. »

7. Robespierre avait des admiratrices qui, telles une certaine Madame de Chalabre ou encore nombre de femmes du peuple, l'adulaient.

8. Camille Desmoulins, à propos du « bon sans-culotte Jésus » et du décret de l'Assemblée nationale qui stipule que, pour être citoyen actif, il faudra payer le marc d'argent, in Œuvres complètes, tome I, Paris, Charpentier, 1874, p. 30 : « Ce décret vient de constituer la France en gouvernement aristocratique, et c'est la plus grande victoire que les mauvais citoyens aient remportée à l'Assemblée nationale. Pour faire sentir toute l'absurdité de ce décret, il suffit de dire que Jean-Jacques Rousseau, Corneille, Mably, n'auraient pas été éligibles. Quant aux prêtres qui font partie de l'assemblée, comment ont-ils pu voter ce décret ? Ne voyez-vous pas que Jésus-Christ n'aurait pas été éligible, vous prêtres d'un Dieu prolétaire, et qui n'était pas même citoyen actif ? Respectez donc la pauvreté qu'il a ennoblie. »

9. Étienne Jean Panis (1757-1832), beau-frère du brasseur, puis général Antoine Joseph Santerre, membre de la Commune du 10 août 1792, accusé de participation aux massacres de Septembre.

10. Allusion à La république universelle ou adresse aux tyrannicides, ouvrage publié par Anacharsis Cloots en 1792, à Paris.

11. Allusion à la Lettre sur les juifs à un ecclésiastique de mes amis, publiée par Anacharsis Cloots en 1782, à Berlin.

12. Louis Léon Félicité de Brancas, troisième duc de Lauraguais en 1755, puis sixième duc de Villars (1733-1824), homme de lettres, fin connaisseur du droit anglais, collaborateur du journal Les Actes des Apôtres, homme d'esprit très indépendant, qui s'est voué, de façon osée, à la satire des hommes et des institutions de la Révolution. Cf. Louis de Carbonnières, « Le comte de Lauraguais, anglomane isolé, face au jury révolutionnaire », in Revue historique de droit français et étranger, vol. 91, n° 2, avril-juin 2013, pp. 283-311.

13. Antoine Merlin de Thionville (1762-1833), député de la Moselle à la Convention, représentant en mission, accusateur public, régicide.

14. Michel Robert (1738-1796), député des Ardennes à la Convention, régicide.

15. Pierre Louis Bentabole (Landau, Allemagne, 1756-1798, Paris), député du Bas-Rhin à la Convention, ami de Marat, ennemi acharné des Girondins, initiateur du décret d'accusation contre le général Wimpffen, commandant des armées fédéralistes, régicide.

16. Claude Basire (1764-5 avril 1794, guillotiné), député de la Côte-d'or à la Convention, régicide, bientôt compromis dans l'affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes.

17. Jean Lambert Tallien (1767-1820), proche de Danton et de Collot d'Herbois, député de la Seine-et-Oise à la Convention, défenseur des massacres de Septembre, membre du Comité de sûreté générale, régicide.

18. Pierre Charles Ruamps (1750-1808), député de la Charente-Inférieure à la Convention, membre du Comité de sûreté générale, régicide.

19. Louis Marie Stanislas Fréron (1754-1802, Les Cayes, Saint-Domingue), journaliste proche de Marat, compromis dans le sac du 10 août 1792 aux Tuileries ainsi que dans les massacres de Septembre, député de la Seine à la Convention, régicide.

20. André Jeanbon Saint-André, dit Jeanbon Saint-André (Montauban, 1749-1813, Mayence, Allemagne), ancien pasteur, député du Lot à la Convention, ennemi des Girondins, Montagnard à partir des massacres de Septembre, régicide.

21. François Louis Bourdon, dit Bourdon de l’Oise (1758-1798, Sinnamary, Guyane, déporté), ex-procureur du Parlement de Paris, impliqué l'insurrection du 10 août 1792 aux Tuileries, député de l'Oise à la Convention, régicide.

22. Pierre Jacques Michel Châles, ou Chasles (1753-1826), ex-ecclésiastique, député de l'Eure-et-Loir à la Convention, violemment opposé aux Girondins, régicide.

23. Philibert Simond (Rumilly, Savoie-13 avril 1794, guillotiné), prêtre assermenté, député du Bas-Rhin à la Convention, promoteur de l'annexion de la Savoie par la France en 1792, régicide.

24. Louis Marie Bon de Montaut, dit Maribon de Montaut (Montréal du Gers, 1757-1842, Montaut, Gers), ancien mousquetaire du Roi, député du Gers à la Convention, membre du Comité de sûreté générale, agent de la chute des Girondins.

25. Edmond Louis Alexis Dubois de Crancé, dit Dubois-Crancé (1747-1814), député des Ardennes à la Convention, hostile aux Girondins, adjudant-général colonel, commissaire à l’armée du Midi, puis à l'armée du Nord, partisan de la conscription nationale malmené par la fraction des Jacobins qui était hostile à la guerre. Régicide.

26. Jacques Alexis Thuriot de la Rozière (Sézanne, Marne, 1753-1829, Liège), député de la Marne à la Convention nationale, proche de Danton, violemment hostile aux Girondins, partisan de la destruction des statues des rois et du jugement sans appel des suspects, régicide.

27. Philippe François Nazaire Fabre, dit Fabre d'Églantine (Carcassonne, Aude, 1750-5 avril 1794, guillotiné), comédien, auteur dramatique, directeur de théâtre, secrétaire de Danton, député de la Seine à la Convention. Cf. Christine Belcikowski, Fabre d'Églantine et Monsieur de Lauraguel.

28. Jean Marie Collot d'Herbois (1749-1796, Cayenne, Guyane, déporté), comédien, auteur dramatique, directeur de théâtre, député de la Seine à la Convention, représentant du peuple en mission à Nice.

29. « Pièce très inconnue de Collot d'Herbois », note Jean Marie Girey-Dupré.

30. Le Noël de Jean Marie Girey-Duprès se trouve intégralement reproduit dans Histoire-Musée de la République française, depuis l'Assemblée des notables jusqu'à l'Empire, avec les estampes, costumes, médailles, caricatures, portraits historiés et autographes les plus remarquables du temps d'Augustin Challamel (1819-1894), tome 1, Paris, Challamel, Éditeur, 1842, pp. 293-294.

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