Retour sur le cas épouvantable de François Maurice Marcien Simorre, atteint de maladie arthritique

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

Le Le 25 juin 2015, je publiais un article consacré au Cas épouvantable de François Maurice Marcien Simorre, atteint de maladie arthrique. Je le publiais comme on lance une bouteille à la mer, car, bien que né à Mirepoix le 20 octobre 1752 de Noble François Simorre dans la haute et grande maison familiale sise au pont de Raillette, il demeure inconnu de la chronique locale. Entré à l'âge de 15 ans dans la carrière militaire, nommé le 26 avril 1767 sous-lieutenant dans le régiment de Berry Infanterie, rayé des cadres à Metz en 1788, il n'a pas vécu le reste de sa vie à Mirepoix. On l'y a donc oublié. Or, le 13 juillet 2021, j'ai reçu du Professeur Clément PRATI le message reproduit ci-dessous. Ma bouteille avait atteint le destinataire auquel je ne la savais pas destinée ! Il n'y a guère de plus grand plaisir que celui de découvrir quevolens nolens l'on écrivait pour quelqu'un. Je remercie ici M. Prati de m'avoir fait signe. C'est avec son autorisation que je reproduis ci-dessous son message. Aux extraits d'articles issus de l'histoire de la médecine qu'il m'a aimablement fournis, j'ai ajouté les portraits et autres illustrations relatifs à deux victimes plus illustres de la maladie arthritique, Dominique Séraphin (1747-1800) et Paul Scarron (1610-1660).

J'ajoute également ici le récapitulatif de la carrière militaire et la date du décès de François Maurice Marcien Simorre. Ceux-ci n'avaient encore jamais été relevés de façon exacte :

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Tableau historique de la noblesse, par M. le comte de Waroquier de Méricourt de La Mothe de Combles, tome 1, Paris, Royer, 1781, p. 374.

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21 avril 1790. Pensions, in Archives parlementaires de 1787 à 1860 ; 8-17, 19, 21-33. Assemblée nationale constituante. 14. Du 21 avril 1790 / impr. par ordre du Sénat et de la Chambre des députés, Paris, P. Dupont, 1875-1889, p. 315.

 

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19 floréal an IX (9 mai 1801). Décès de François Maurice Marcien Simorre à Metz, rue Vigne Saint-Avold. AD57. Metz, section 5. Naissances, mariages, décès : 1800-1801. Cote : 1E/b5.

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Madame,

Je suis tombé avec grand plaisir sur votre article : « Le cas épouvantable de François Maurice Marcien Simorre, atteint de maladie arthritique ».

C'est en lisant le texte du Professeur Pierre François Percy de 1813 dans le Dictionnaire des sciences médicales que j'ai voulu en savoir plus sur ce pauvre Monsieur Simorre, et que j'ai découvert votre page et je vous en remercie. Nous sommes tous deux parvenus jusqu'à ce texte de Percy, en empruntant des chemins différents ; vous par amour pour l’Histoire et votre région, et moi par passion pour la maladie qui probablement emporta Monsieur Simorre.

En effet, je suis Professeur de rhumatologie au CHU de Besançon, je n'ai pas de formation d'historien, mais je me passionne pour une maladie appelée « spondylarthrite ankylosante ». Une partie de mon temps libre est consacrée à la recherche scientifique et historique sur cette pathologie, qui je l'espère aboutira dans quelques années à la publication d'un livre. Comment suis-je arrivé jusqu'à M. Simorre ? La spondylarthrite ankylosante est une maladie qui peut ankyloser la colonne vertébrale et d'autres articulations, ce qui permet de l’identifier assez facilement sur des pièces anatomiques d’archéologie ou de collection de Musées. Or le Professeur Percy avait déposé le squelette de M. Simorre au Muséum de l'Ecole de Médecine de Paris du fait du caractère exceptionnel du tableau clinique, puis la pièce a été conservée au Musée Dupuytren créé en 1835 (fermé au public en 2016).

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Étude du squelette N° 715 (François Maurice Marcien Simorre) par le Dr. Regnault, en rapport avec la description du cas de François Maurice Marcien Simorre par le Pr. Percy dans le Dictionaire des sciences médicales, tome 4, CAN-CHA, Paris, C. L. F. Panckoucke, p. 245.

En 1898, le Professeur Pierre Marie individualise la maladie qu'il nomme à l'époque « spondylose rhizomélique » (la spondylarthrite ankylosante d’aujourd’hui), en rapportant des observations personnelles de manière magistrale et des cas publiés isolément dans la littérature sans explication particulière. Cette publication eut un fort retentissement dans la communauté scientifique de cette fin du XIXe siècle et de nombreux cas anciens ont été exhumés des archives comme pouvant être des cas de spondylose rhizomélique.

À l'époque, les scientifiques arpentaient fréquemment les collections de pièces anatomiques pour y relier des cas particuliers qu’ils pouvaient avoir rencontrés dans leurs services. En 1897, le Dr. Regnault est le premier à décrire l’aspect particulier de rachis ankylosé de la pièce N° 715 de la collection Dupuytren. En 1909, ce même Regnault, désormais au courant des publications de Pierre Marie, publie à nouveau à propos de cette pièce N° 715 en affirmant qu’elle entre dans le cadre de la spondylose rhizomélique de Pierre Marie, et obtient même une validation diagnostique par André Léri, élève de Marie, qui a poursuivi les travaux de son Maître. Dans le catalogue du Musée Dupuytren, la pièce N° 715 est reliée à la référence de l’article du Pr. Percy, qui m’a permis de découvrir cette magnifique et poignante observation. Regnault résuma l’observation de Percy dans sa publication de 1909, mais étonnamment il parla d’un nommé Ismarre et non Simorre, né en 1752… »

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Docteur Félix Regnault (1863-1938), « À propos d'un squelette de spondylite rhizomélique », 1909.

Cette publication de Regnault ne semble pas avoir été lue par mes prédécesseurs, car le cas de M. Simorre, probablement atteint d'une forme catastrophique de spondylarthrite ankylosante, n’a jamais été mentionné dans les quelques articles consacrés à la naissance de la maladie. Or, il pourrait être le premier cas décrit cliniquement pour lequel nous avons une correspondance anatomique (jusqu’à présent attribué au cas de l’anglais Lyons en 1831), ainsi que la première description d’une probable spondylarthrite avec atteinte oculaire dont l’anglais Brodie avait jusqu’à présent la primauté (1850).

Quelques exemples parmi tant d’autres...

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Portrait au pastel de Dominique Séraphin, commandé par lui, et qui figura lontemps au foyer de son théâtre.

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Silhouettes provenant du Théâtre Séraphin.

Dominique Séraphin François, dit Dominique Séraphin (1747-1800), l’inventeur en France du théâtre par ombres chinoises, était atteint de la même maladie, son squelette étant également dans la collection Dupuytren. Mais aucun texte ne permet de recueillir des informations sur son état de santé, juste quelques gravures le représentant voûté.

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Paul Scarron, portrait anonyme, Musée de Tessé, Le Mans.

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Détail du frontispice des Œuvres de Monsieur Scarron, gravure au burin de Stefano della Bella, 1648. Au centre, vu de dos, Paul Scarron dans sa chaise d'infirme, qu'il appelait son « cul-de-jatte ». Dans sa préface intitulée Au lecteur qui ne l'a jamais vu, Scarron évoque son mal : « J'ai trente ans passés, comme tu vois au dos de la chaise. Si je vais jusqu'à quarante, j'ajouterai bien des maux à ceux que j'ai déjà soufferts depuis huit ou neuf ans. J'ai eu la taille bien faite, quoique petite. Ma maladie l'a raccourcie d'un bon pied. [...]. Mes jambes et mes cuisses ont fait premièrement un angle obtus, et puis un angle égal, et enfin, un aigu ; mes cuisses et mon corps en font un autre et, ma tête se penchant sur mon estomac, je ne représente pas mal un Z. J'ai les bras raccourcis aussi bien que les jambes, et les doigts aussi bien que les bras. Enfin je suis un raccourci de la misère humaine. »

Paul Scarron (1610-1660), l'auteur, entre autres, du Roman comique, était probablement lui aussi atteint de ce mal. Ses textes l’évoquent fortement, mais son squelette n’a jamais été étudié.

Voilà, j’espère que ces informations complémentaires auront attisé votre curiosité, comme les images de la maison natale et l’acte de naissance de M. Simorre l’ont fait pour la mienne. D’ailleurs, si vous avez d’autres documents concernant ce pauvre homme, je suis évidemment preneur.

Cordialement,
Professeur Clément PRATI

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